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02/01/2023 | FRANCE | N°22/01929

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre etrangers - jld, 02 janvier 2023, 22/01929


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE SAINT DENIS DE LA REUNION



L. 340-1 et suivants du Code de l'entrée et du séjour

des étrangers et du droit d'asile



N° RG 22/01929 - N° Portalis DBWB-V-B7G-F23O

N° de MINUTE : 23/





ORDONNANCE DU 02 Janvier 2023





Décision déférée : ordonnance rendue le 29 décembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Saint-Denis



Nous, Franck ALZINGRE, conseiller délégué par le pre

mier président par ordonnance n° 2022/303 du 30 décembre 2022, assisté de Nathalie BEBEAU, greffière aux débats et au prononcé de l'ordonnance.



APPELANT :



...

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE SAINT DENIS DE LA REUNION

L. 340-1 et suivants du Code de l'entrée et du séjour

des étrangers et du droit d'asile

N° RG 22/01929 - N° Portalis DBWB-V-B7G-F23O

N° de MINUTE : 23/

ORDONNANCE DU 02 Janvier 2023

Décision déférée : ordonnance rendue le 29 décembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Saint-Denis

Nous, Franck ALZINGRE, conseiller délégué par le premier président par ordonnance n° 2022/303 du 30 décembre 2022, assisté de Nathalie BEBEAU, greffière aux débats et au prononcé de l'ordonnance.

APPELANT :

M. [N] [K]

Actuellement retenu en zone d'attente GILLOT

né le 31 Mars 1979 à [Localité 3] (SRI LANKA)

de nationalité Sri lankaise

Assisté de Me Marius henri RAKOTONIRINA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMES :

Monsieur le Commissaire de la direction départementale de la Police de l'Air et des Frontières de la Réunion, représenté par Monsieur [Y] [W],

Monsieur le Préfet de la Réunion, non représenté,

Madame la procureure générale près la Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, avisée de la date et de l'heure de l'audience

EN PRESENCE DE

Monsieur [H] [G], interprète en langue tamoule, serment préalablement prêté conformément à la loi,

DEBATS : audience publique du 31 décembre 2022 à 08h30

- Président : M. Franck ALZINGRE, conseiller délégué par le premier président par ordonnance n°2022/303 du 30 décembre 2022

- Greffière : Mme Nathalie BEBEAU

ORDONNANCE :

- contradictoire

- prononcée en audience publique

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 23 décembre 2022 vers 11 heures, les fonctionnaires de la DDPAF (direction départementale de la police de l'air et des frontières de la Réunion) étaient informés qu'un bateau identi'é IMULA0559 CHW (immatriculation sri-lankaise) venait d'être repéré par un avion militaire mauricien au large de l'île Maurice avec une quarantaine de passagers à son bord, aucune demande d'assistance n'était sollicitée par le capitaine et le bateau naviguait sans avarie.

Le 24 décembre 2022 à 1 heure 30, ce bateau allumait son AIS (Automatic Identi'cation System) permettant de le localiser sur les radars dans les eaux territoriales françaises et i1 actionnait un appel aux secours. Le CROSS (Centre Régional des Opération de Sauvetage) engageait le secours en mer et envoyait une navette pour escorte jusqu'au Port des [2], compte tenu de l'état de l'océan, privilégiant un passage par le sud et l'ouest.

Le 24 décembre, à 18 heures 15, le bateau accostait à la darse sud port sur la commune du [Localité 4] (974). A son bord se trouvaient 53 personnes : trois femmes (dont une mère et sa 'lle de 13 ans) et 50 hommes, se déclarant originaires du Sri-Lanka. Le magistrat du parquet près le Tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion était avisé.

Dès leur arrivée à quai, les migrants présentaient une demande d'entrée au titre du droit d'asile sur le territoire français, par le truchement des interprètes en langue tamoule et en langue cinghalaise.

Sur décision de l'[Localité 1] (Autorité Régionale de Santé), il était procédé à un contrôle de leur état de santé de l'ensemble des personnes par une unité de soins de Médecin du Monde jusqu'à 20 heures, dans leur camion et avec une zone délimitée pour garantir la con'dentialité des bilans de santé, avant d'autoriser le débarquement et le contrôle du navire.

A 23 heures 45, il était mis 'n aux opérations d'enregistrement des demandes d'asile et de noti'cations de placement en zone d'attente et les personnes étaient transférées de la zone d'attente du [Localité 4] vers la zone d'attente de l'hôtel Select et de la zone d'attente de l'aéroport [5].

Pour M. [K] [N], né le 31 mars 1979 à [Localité 3] (Sri Lanka), la décision de placement en zone d'attente a été prise le 24 décembre 2022 à 21 heures 15, compte tenu de la volonté de l'intéressé de présenter une demande d'asile. Il était ainsi transféré sur la zone d'attente [V] à l'aéroport [5].

Une demande de prolongation de maintien en zone d'attente était présentée le 28 décembre 2022 à 20h08 par le commissaire de police [B] [T], chef du service territorial de la police aux frontières de la Reunion par intérim, désigné pour représenter le Ministère de l'intérieur, motivée sur trois fondements :

1- dans le cadre des demandes d'entrée en France au titre de l'asile, des entretiens avec l'OFPRA ont été réalisés et les décisions du Ministère de l'intérieur sont en attente ou des entretiens sont programmés ce jour,

2- des demandes d'entrée en France an titre de l'asile ont été rejetées et des voies de recours devant le tribunal administratif sont ouvertes pendant 48 heures, et le recours est suspensif,

3- en cas de refus d'admission au titre de l'asile par le tribunal administratif, permettre aux services de l'Etat de programmer le réacheminement des personnes déboutées de leur demande vers leur pays d'origine ou tout pays où elles seraient admissibles.

Par ordonnance en date du 29 décembre 2022, rendue à 17 h 20, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion, a rejeté les nullités et exceptions de procédure soulevées puis, ordonné la prolongation du maintien de M. [K] [N] en zone d'attente pour une durée maximale de 8 jours.

Le 30 décembre 2022, l'intéressé a interjeté appel par déclaration enregistrée au greffe à 16 heures.

Dans l'enceinte de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, s'est tenue une audience publique le samedi 31 décembre 2022 à 8 h 30 en présence d'un interprète en langue tamoule, M. [H] [G], expert inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

L'appelant a comparu en personne. Il a pu s'exprimer et répondre aux questions du délégué du premier président de la cour, ayant été préalablement informé qu'il était en droit de ne pas faire de déclarations, assisté d'un interprète en langue tamoule. Par la voix de son avocat, il sollicite de la cour d'appel de céans de voir :

« à titre principal,

RÉFORMER en toutes ses dispositions l'ordonnance du 29 décembre 2022 rendue par le juge des libertés et de la détention de Saint-Denis de la Réunion ;

en conséquence :

FAIRE droit aux moyens de nullité de procédure invoqués,

REJETER toutes conclusions contraires comme étant infondées,

ORDONNER la mainlevée de la mesure de maintien en zone d'attente et la remise en liberté de l'appelant. »

A l'appui de son recours, l'intéressé soulève deux moyens : le premier fait valoir que les conditions d'hébergement sont indignes au sein de la zone d'attente (les personnes se retrouvant confinées dans leurs chambres sans possibilité de sortir à l'air libre lorsqu'elles sont hébergées au Select, et, lorsqu'elles sont maintenus à l'aéroport, elles disent ne pas pouvoir profiter d'un lieu convenable soit en raison de l'absence de lumière, soit en raison du nombre de personnes devant cohabiter, celles-ci ne disposant pas de toilettes suffisants ou de la possibilité de se changer ; de manière globale, elles ne pouvaient pas avoir accès à un médecin) ; le second considère que les délais prescrits par l'article L. 342-1 du CESEDA (code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) ne seraient pas respectés en ce que tout maintien en zone d'attente après l'expiration d'un délai de quatre jours à compter de la décision de maintien de l'étranger dans ladite zone doit avoir été autorisé par le juge judiciaire. Il ajoute que les règles relatives aux exceptions de procédure ont été respectées, en ce qu'elles ont été présentées in limine litis.

Le représentant de l'administration (la PAF) réplique que l'irrégularité alléguée à propos des conditions d'hébergement est inopérante eu égard aux différentes dispositions prises, notamment après avoir rappelé de leurs congés plusieurs des fonctionnaires du service du fait de l'arrivée du bateau le 24 décembre 2022 au soir. Il ajoute qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit l'obligation de promenade des personnes retenues tandis qu'elles ont pu circuler librement dans les zones d'attente et bénéficier ainsi de tous leurs droits.

Abondant dans le même sens, le parquet général, représenté par Mme la procureure générale, conclut à la confirmation de l'ordonnance querellée. Tout en mettant en exergue la nécessité de restituer aux moyens soulevés par la défense leur exacte qualification par application de l'article 12 du code de procédure civile, il est soutenu que :

quelles que soient les modalités de décompte des délais prévus à l'article L. 342-1 du CESEDA, aux fins de saisine du juge des libertés et de la détention d'une demande de maintien en zone d'attente pour 8 jours, les prescriptions légales ont été respectées ;

les conditions d'hébergement sont plus que satisfaisantes et répondent aux exigences imposées par la loi, à savoir l'article L. 341-6 du CESEDA et l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions, et en application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures de la défense figurant au dossier de la procédure.

À la fin des débats, en application de l'article R. 342-18 du CESEDA, des articles 640 et 642 du code de procédure civile, le président, délégué du premier président, a informé les parties que le délibéré serait rendu le 2 janvier 2023 à 12 h 00.

MOTIFS

Vu les articles L 341-3, R 341-1, R 342-2, R 342-4 à R 342-9, R 342-18 du CESEDA,

A titre liminaire

Le juge, en sa qualité de garant des libertés individuelles, exerce un contrôle sur 1'exercice effectif des droits reconnus à l'étranger placé en zone d'attente.

Aux termes de l'article L.342-9 du CESEDA, une irrégularité portant sur des formalités substantielles ne peut conduire à la mainlevée de la mesure qu'en cas d'atteinte aux droits de l'étranger. Il convient de rapporter la preuve que l'irrégularité a effectivement préjudicié à l'exercice d'un droit.

En application de l'article 12 du code de procédure civile, le juge doit restituer aux faits et aux actes leur exacte qualification, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposées. Si l'article L. 341-6 du CESEDA prévoit que la zone d'attente peut inclure « des lieux d'hébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier », cela n'est pas prévu à peine de nullité de forme de la procédure. Il ne saurait d'ailleurs s'agir d'une nullité substantielle au sens de l'article 114 du CPC, ni d'une nullité de fond au sens de l'article 117 du même code. La qualification juridique du moyen tiré du non-respect des conditions fixées par l'article L. 341-6 du CESEDA n'est pas une exception de nullité et relève du fond ; c'est à ce titre, donc, que la Cour examinera l'incidence des conditions d'hébergement sur la possibilité d'ordonner le maintien de l'étranger en zone d'attente.

En revanche, la problématique soulevée au regard des délais imposés par l'article L. 342-1 du CESEDA relève du régime de l'exception de procédure. Elle sera par conséquent examinée avant tout examen au fond.

Sur le moyen de nullité (délais de quatre jours ' article L. 342-1 du CESEDA)

Selon l'appelant, le juge des libertés et de la détention a commis une erreur dans la computation des délais en jugeant que le délai de quatre jours prévu par l'article L. 342-1 du CESEDA expirait le mercredi 28 décembre 2022 à 00 h 00 au lieu du mardi 27 décembre à 24 h 00. En outre, il est reproché à l'administration d'avoir saisi le juge des libertés et de la détention trop tardivement pour permettre au juge de statuer avant l'expiration du délai de 4 jours. En tout état de cause, l'exception de nullité a été soulevée in limine litis devant le juge de première instance.

Du point de vue de l'administration, il doit être fait application des articles 640 à 642 du code de procédure civile pour calculer les délais de la procédure.

Le Ministère public conclut au rejet du moyen estimant que le raisonnement de l'appelant sur les modalités de computation des délais est erroné.

sur la recevabilité de l'exception de procédure

Sur le fondement de l'article 74 du code de procédure civile, la Cour de cassation retient que les conclusions écrites doivent respecter l'ordre de présentation des demandes : dans le dispositif, les exceptions exceptions de procédure doivent ainsi, pour être recevables, être présentées en premier (Civ.2ème 8 juillet 2004, n° 02-19.964).

En outre, l'exception de nullité présentée avant toute défense au fond en première instance peut être reprise en appel jusqu'aux dernières conclusions (Civ.2ème 8 février 2001, n°98.20-840) ; le moyen (qualifié d'exception de nullité) peut être soutenu par l'appelant jusqu'à l'audience, y compris lors de celle-ci ; si la déclaration d'appel doit être motivée à peine d'irrecevabilité (R. 342-11 du CESEDA), et peut en cela être assimilée à un écrit judiciaire, l'article L. 342-12 du même code prévoit que le Premier président est saisi « sans forme », ce qui devrait conduire à une application limitée des règles de procédure civile liées au formalisme des conclusions..

En l'espèce, il ressort des termes de la déclaration d'appel que les moyens soulevés ont bien été présentés au premier juge et que le dispositif de la déclaration respecte bien le schéma prescrit par les textes, puisqu'il commence ' après avoir logiquement demandé la réformation de l'ordonnance - par demander à ce qu'il soit fait droit aux exceptions de nullité soulevées.

L'exception de nullité doit être déclarée recevable, l'ordre de présentation des moyens dans la motivation ne comportant aucune incidence au regard de l'article 74 du code de procédure civile.

sur la computation des délais de l'article L. 342-1 du CESEDA

Aux termes de l'article L. 342-1 du CESEDA, le maintien en zone d'attente au-delà de quatre jours à compter de la décision de placement initiale peut être autorisé, par le juge des libertés et de la détention statuant sur l'exercice effectif des droits reconnus à l'étranger, pour une durée qui ne peut être supérieure à huit jours.

Le premier alinéa de l'article R. 342-8 du même code prescrit que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention est rendue dans les vingt-quatre heures de sa saisine ou, lorsque les nécessités de l'instruction l'imposent, dans les quarante-huit heures de celle-ci. Elle est notifiée sur place aux parties présentes à l'audience qui en accusent réception. L'article 642 du code de procédure civile prescrit que tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures.

En l'espèce, la décision de placement initiale a été prise le samedi 24 décembre 2022 à 21 heures 15. L'appelant soutient que l'administration avait jusqu'au mardi 27 décembre 2022 à 24 h 00 pour saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande de maintien pour huit jours en zone d'attente.

La cour souligne qu'aucun texte n'encadre, encore moins à peine de nullité, le délai dans lequel l'administration doit saisir le juge des libertés et de la détention avant l'expiration du délai de 4 jours. L'article L. 342-1 du CESEDA se borne à indiquer qu'au-delà de 4 jours, le maintien en zone d'attente doit être autorisé par le juge des libertés et de la détention. L'article 114 du code de procédure civile fait ici obstacle à ce que la nullité soit prononcée sans texte, sauf à démontrer qu'il s'agirait d'une formalité substantielle.

Il s'ensuit que les conclusions de l'appelant invitent à opérer une distinction qui n'existe pas dans la loi, étant ajouté que la précision de l'heure de la notification de la mesure de placement en zone d'attente n'emporte aucune conséquence sur le calcul des délais relatifs au maintien en zone d'attente, répondant aux modalités des articles 640 à 642 du code de procédure civile.

Ainsi, le délai de quatre jours après l'acte du samedi 24 décembre 2022, expirait en réalité le mercredi 28 décembre 2022 à 24 heures 00, de sorte qu'en saisissant par requête enregistrée au greffe le mercredi 28 décembre 2022 à 20 heures 08, le juge des libertés et de la détention n'a commis aucune erreur causant un grief à l'appelant, et rendu sa décision dans le délai de l'article L 342-1 du CESEDA.

L'exception de nullité sera donc rejetée et l'ordonnance de ce chef confirmée.

Sur les conditions d'hébergement

Le conseil de l'appelant soutient que les conditions de maintien en zone d'attente à l'aéroport [5] ne respectent pas le principe de la dignité humaine énoncée à l'article 16 du Code civil, ni les préconisations du Contrôleur des lieux de privation de liberté, ni la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, ni les dispositions de l'article L.341-6 du CESEDA prévoyant des lieux susceptibles d'assurer aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier. Il s'appuie sur les observations réalisées par la CIMADE pour soutenir la précarité des conditions d'accueil des étrangers tenant à la présence de 20 personnes dont deux mineurs dans les conditions suivantes:

-la salle commune sert de dortoir avec cinq matelas posés au sol, les trois chambres sont occupées et dans l'une y dorment 7 personnes dont un couple et un mineur isolé, le sol de la salle de bain est glissant et sale ;

Il ajoute qu'aucune sortie n'a été mentionnée sur le registre, ce d'autant que la zone d'attente aéroportuaire est dépourvue de fenêtres qui peuvent être ouvertes, et que d'éventuelles promenades dans la cour située sur la terrasse de l'établissement, ne sont pas prouvées.

ll en déduit que cela est suffisant pour caractériser un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de 1'homme et des libertés fondamentales. Il tire les mêmes conclusions du fait que les personnes maintenues n'ont pas pu exercer de façon effective leur droit de voir un médecin.

En réponse, l'administration réfute les allégations de la défense et soutient au contraire que la zone d'attente de l'aéroport [V] est un espace dédié en rez-de-chaussée au niveau des pistes d'atterrissage, permettant 1'accueil de quinze personnes dans deux chambres collectives séparées, de douches et de toilettes, outre un espace commun équipe d'un téléviseur de tables, chaises et téléphone avec ligne internationale et que des accès en extérieurs sont possibles mais limités, s'agissant de restrictions de circulation dans la zone délimitée d'attente. Elle ajoute que la zone d'attente de l'aéroport [5], par décision du 11 janvier 2022, figure sur la liste des locaux agréés destinés à recevoir des demandeurs d'asile.

Le représentant de l'administration soutient qu'aucun texte ne prescrit l'obligation pour l'administration de noter sur le registre de l'établissement les horaires de sortie ou de promenade des personnes retenues. Le Ministère public expose qu'il n'est pas établi que le maintien dans la zone d'attente des migrants s'est déroulé dans des conditions indignes au sens des dispositions de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Ceci étant exposé,

Aux termes de l'article L 341-1 du CESEDA, l'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français peut être placé dans une zone d'attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international figurant sur une liste définie par voie réglementaire, dans un port ou à proximité du lieu de débarquement ou dans un aéroport, pendant le temps strictement nécessaire à son départ.

Peut également être placé en zone d'attente l'étranger qui se trouve en transit dans une gare, un port ou un aéroport si l'entreprise de transport qui devait l'acheminer dans le pays de destination ultérieure refuse de l'embarquer ou si les autorités du pays de destination lui ont refusé l'entrée et l'ont renvoyé en France.

Il en est de même lorsqu'il est manifeste qu'un étranger appartient à un groupe d'au moins dix étrangers venant d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres.

Selon les dispositions des articles L. 341-6 du CESEDA, la zone d'attente est délimitée par l'autorité administrative compétente. Elle peut inclure, sur l'emprise, ou à proximité, de la gare, du port ou de l'aéroport ou à proximité du lieu de débarquement, un ou plusieurs lieux d'hébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier.

Dans ces lieux d'hébergement, un espace permettant aux avocats de s'entretenir confidentiellement avec les étrangers est prévu. A cette fin, sauf en cas de force majeure, il est accessible en toutes circonstances sur demande de l'avocat.

L'article L 343-1 du même code prévoit que l'étranger placé en zone d'attente est informé, dans les meilleurs délais, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France. Il est également informé des droits qu'il est susceptible d'exercer en matière de demande d'asile. Ces informations lui sont communiquées dans une langue qu'il comprend. Mention en est faite sur le registre mentionné au second alinéa de l'article L. 341-2, qui est émargé par l'intéressé.

En cas de placement simultané en zone d'attente d'un nombre important d'étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s'effectue dans les meilleurs délais, compte tenu du nombre d'agents de l'autorité administrative et d'interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s'exercent dans les meilleurs délais.

L'ensemble de ces dispositions ne prévoient pas l'obligation pour l'administration d'assurer un espace de promenade à l'étranger placé en zone d'attente, les prestations de type hôteliers devant s'interpréter comme les mesures relatives au gîte, au couvert et à la communication avec l'extérieur.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 1992 (N° 92-307 DC, JO 12 mars 1992) a admis que le maintien en zone d'attente n'entravait que « sensiblement » la liberté individuelle de l'intéressé car l'étranger est toujours libre de repartir de son plein gré.

Enfin, les recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, publiées le 4 juin 2020 au Journal officiel (NOR : CPLX2009511X) vise bien le principe général d'intégration du respect de la dignité et des droits fondamentaux dans l'aménagement et l'organisation des lieux de privation de liberté (1-) et notamment celui de satisfaire les besoins élémentaires des personnes privées de liberté et respecter leur dignité dans les actes de la vie quotidienne, tels que les besoins élémentaires, l'hébergement, l'hygiène, la restauration et l'accès à l'extérieur (1-4-4-5).

Selon le CGLPL, la privation de liberté met toujours en péril la dignité des personnes dont elle brise l'ordinaire quotidien. Elle les éloigne de leurs proches, les soustrait à leur environnement et leurs activités habituelles. Elle entraîne des contraintes susceptibles à tout instant de retarder une prise en charge nécessaire ou la prise en compte d'un besoin particulier. Toute mesure d'enfermement entraîne la dépendance ' au moins partielle ' des personnes concernées au personnel du lieu dans lequel elles sont hébergées. Dès lors, l'autorité publique qui la met en 'uvre doit garantir le respect de leur dignité et de leurs droits fondamentaux à tout moment et en tout lieu, dans l'accomplissement des gestes les plus banals et pour la satisfaction des besoins les plus élémentaires. Elle assume à cette fin la responsabilité de définir, organiser et mettre en 'uvre les moyens d'y parvenir.

S'agissant de l'accès à l'extérieur, toute personne privée de liberté doit avoir un accès quotidien à l'air libre, pour s'aérer, marcher, se détendre, profiter d'un environnement naturel ou pratiquer une activité physique. Les espaces extérieurs doivent permettre de voir le ciel, offrir un abri contre les intempéries, des aménagements permettant de s'asseoir ainsi que des installations sanitaires. Ils doivent également disposer d'un espace et d'aménagements permettant l'exercice physique. (4-5 N° 93).

L'accès à un espace extérieur doit s'exercer dans des conditions permettant les rencontres et les échanges entre les personnes qui vont s'y trouver, dans le respect de la sécurité de chacun (4-5 N° 94).

En l'espèce, s'il est possible que le droit d'accès à l'extérieur soit restreint dans la zone d'attente de l'aéroport [5], ce fait n'est pas établi dans la présente instance. Au surplus, le grief tiré de l'absence de moyens d'organisation de promenade des étrangers placés en zone d'attente, s'il était accueilli par le juge judiciaire, aurait pour effet de se prononcer sur la décision de l'autorité administrative de création de la zone d'attente en cause et de son emprise puisqu'elle en revient à contester le règlement intérieur notifié à l'étranger placé en zone d'attente.

A cet égard, l'article 11 du règlement intérieur de la zone d'attente en cause, notifiée à l'appelant à son arrivée, mentionne clairement que la zone d'attente est dépourvue d'espace promenade et précise que, durant leur séjour, les étrangers pourront éventuellement se voir proposer de manière individuelle des sorites à l'air libre, et ce, en fonction des impératifs du service.

En tout état de cause, il ne résulte pas des observations relevées par la CIMADE lors de sa visite que les conditions de maintien des étrangers dans la zone d'attente aéroportuaire puissent être qualifiées d'indignes au point d'entraîner la nullité de la mesure administrative, et ce d'autant moins qu'aucune pièce corroborant cette allégation n'est versée aux débats. En effet :

-s'agissant de l'état des sols (glissant et sale selon la CIMADE), il est non seulement la conséquence du nombre d'usager mais aussi le résultat de l'usage qu'en font les personnes pour lequel les fonctionnaires de l'administration ne peuvent être rendus comptables, étant indiqué qu'il ne peut être exigé de l'administration que le ménage soit fait après chaque usage ;

-s'agissant de la lumière, il est établi que son insuffisance résulte non pas de l'inexistence d'une fenêtre mais de l'apposition d'un film ; ce dernier, du fait que la zone d'attente se situe au pied des pistes et donc à la vue de nombreuses personnes passantes, est de nature à préserver l'intimité des migrants, laquelle est également une composante de la dignité humaine, sans compter que ce film protecteur peut s'avérer efficace pour lutter contre la chaleur très présente en cette fin d'année à la Réunion (été austral).

Au surplus, il est établi que la capacité de la zone d'attente peut accueillir 20 personnes sans dégrader leur condition de vie. La première chambre civile de la Cour de Cassation a considéré que la précarité des conditions d'accueil des étrangers tenant à la présence de trente-cinq personnes dont dix-neuf enfants dans une piece de 45m2 et seulement deux toilettes dans un état médiocre est insuf'sant à caractériser un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard au court délai de maintien en zone d'attente (Civ. 1ère, 11 juillet 2019, pourvoi n° 18-17.815).

Enfin, l'appelant n'établit pas qu'il aurait sollicité les services de la police de l'air et des frontières pour bénéficier d'une sortie individuelle à l'air libre qui lui aurait été refusée ou encore qu'il n'aurait pas eu accès à un médecin après l'avoir sollicité.

En conséquence, il convient de rejeter le moyen fondé sur les conditions d'hébergement au sein de la zone d'attente de l'aéroport [5], et de confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a ordonné la prolongation du séjour en zone d'attente, lequel se justifie par le délai d'instruction de la demande d'asile présentée par l'intéressé et, le cas échéant par les diligences à effectuer par l'administration pour la recherche d'un retour au départ de la Réunion.

*

Les dépens de l'instance resteront à la charge de l'Etat,

PAR CES MOTIFS

 

Nous, Franck ALZINGRE, conseiller, délégué du premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, statuant publiquement par ordonnance contradictoire,

 

DÉCLARONS l'appel recevable ;

 

DÉBOUTONS l'appelant de son exception de nullité ;

 

CONFIRMONS l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

INFORMONS les parties que la décision est susceptible de pourvoi en cassation ;

 

LAISSONS les dépens de l'instance à la charge de l'ÉTAT.

Fait à Saint-Denis de la Réunion,

LA GREFFIERE LE CONSEILLER DELEGUE

Nathalie BEBEAU Franck ALZINGRE

REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :

Pour information :

L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat-greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Décision notifiée le 02 janvier 2023 à :

- Monsieur le Préfet de la Réunion

- Monsieur le Commissaire de la Direction Départementale de la PAF

- Madame la procureure générale

- Greffe du JLD du TJ de Saint-Denis

Reçu notification et copie de la présente ordonnance le 02 janvier 2023 à :

L'intéressé assisté de l'interprète, Le Conseil , Le Greffier,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
Formation : Chambre etrangers - jld
Numéro d'arrêt : 22/01929
Date de la décision : 02/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-02;22.01929 ?
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