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09/09/2022 | FRANCE | N°21/00022

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre civile tgi, 09 septembre 2022, 21/00022


ARRÊT N°22/441

MI





N° RG 21/00022 - N° Portalis DBWB-V-B7F-FPNK













Commune DE [Localité 4]





C/



S.C.I. INCANA [Localité 5]















RG 1èRE INSTANCE : 18/02024











COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS



ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2022



Chambre civile TGI





Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-D

ENIS en date du 24 novembre 2020 RG n°: 18/02024 suivant déclaration d'appel en date du 06 janvier 2021



APPELANTE :



Commune DE [Localité 4]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentant : Me Virginie GARNIER, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION



INTIMEE :



S.C.I...

ARRÊT N°22/441

MI

N° RG 21/00022 - N° Portalis DBWB-V-B7F-FPNK

Commune DE [Localité 4]

C/

S.C.I. INCANA [Localité 5]

RG 1èRE INSTANCE : 18/02024

COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2022

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-DENIS en date du 24 novembre 2020 RG n°: 18/02024 suivant déclaration d'appel en date du 06 janvier 2021

APPELANTE :

Commune DE [Localité 4]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentant : Me Virginie GARNIER, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMEE :

S.C.I. INCANA [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 4] (REUNION)

Représentant : Me Olivier HAMEROUX de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

CLÔTURE LE : 10 février 2022

DÉBATS : En application des dispositions de l'article 804 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Avril 2022 devant la Cour composée de :

Président :Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller :Madame Pauline FLAUSS, Conseillère

Conseiller :Madame Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 01 juillet 2022 puis prorogé au 09 Septembre 2022.

Greffier : Madame Alexandra BOCQUILLON, ff.

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 09 Septembre 2022.

* * * * *

LA COUR

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte notarié des 3 et 7 août 1990, la Commune de [Localité 4] a donné à bail à construction à la SCI INCANA [Localité 5] une parcelle de terrain à bâtir à usage artisanal sise à [Localité 4] lieudit [Localité 5] d'une superficie de 3 626 m2 pour une durée de 20 ans à compter du 7 août 1990 à charge pour le locataire de réaliser des constructions, objet d'un permis de construire obtenu le 14 mars 1989, et ce moyennant un loyer annuel de 7 Francs (1,067 €) par m2 TTC, soit un loyer annuel de 25 382 Francs (3 869,46 €) payable annuellement à terme échu.

Le 30 avril 2003, en cours d'exécution du bail à construction, le preneur a consenti sur ces locaux, un bail commercial d'une durée de 9 ans à la société OUEST AUTOMOBILES (devenue BAMY AUTOMOBILES) moyennant un loyer annuel de 182 928 euros HT.

Par jugement en date du 19 septembre 2007, le tribunal de grande instance de Saint-Denis a :

-prononcé la résiliation du bail à construction signé entre les parties le 3 et 7 août 1990;

-ordonné l'expulsion de la SCI INCANA [Localité 5] et de tous occupants de son chef sous astreinte de 100 € par jour de retard passé un délai de deux mois suivant la signification du jugement;

-dit que la Commune de [Localité 4] devra régler à la SCI INCANA [Localité 5] l'indemnité de résiliation prévue au paragraphe C de la page 14 du bail à construction;

-condamné la SCI INCANA [Localité 5] à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Un appel a été interjeté par la SCI INCANA [Localité 5].

A la demande de la SCI INCANA [Localité 5], le conseiller de la mise en état a par ordonnance sur incident en date du 5 décembre 2008 ordonné le retrait du rôle.

Les services des domaines, sollicités par la commune de [Localité 4], ont selon avis du 29 novembre 2012, retenu une valeur vénale actuelle de 320 000 euros.

Le cabinet d'expertise TARDEX, sollicité par la SCI INCANA [Localité 5], a retenu dans son rapport du 05 juin 2013 une valeur vénale des constructions hors terrain estimée à 1800000 euros et une plus-value latente sur le foncier pouvant être estimée à 800 000 euros soit un prix de cession, a un tiers estimé à 2 600 000 euros.

Par requête conjointe en date du 10 septembre 2013, la SCI INCANA [Localité 5] et la commune de [Localité 4] ont saisi le président du tribunal de grande instance de Saint Denis aux fins de désignation d'un expert aux fins d'évaluer la valeur vénale du bâtiment à usage commercial ainsi que ses aménagements réalisés par la SCI INCANA [Localité 5] sur la parcelle communale cadastrée HN[Cadastre 3] (lot n° 97) sis [Adresse 1] à [Localité 5].

Suivant ordonnance en date du 11 septembre 2013, l'expert judiciaire M. [F] [U] a été commis avec mission d'évaluer la valeur vénale du bâtiment à usage commercial ainsi que ses aménagements réaliser sur la parcelle communale.

L'expert judiciaire a rendu son rapport le 18 mai 2014 duquel il résulte une estimation de la valeur vénale des constructions et des aménagements à hauteur de 829 300 €.

Le 15 mars 2016, un avenant au bail commercial a été signé entre la commune de [Localité 4] et la société BAMY AUTOMOBILES venant aux droit de la société OUEST AUTOMOBILES.

Suivant délibération du Conseil Municipal en date du 30 juin 2016, la Commune de [Localité 4] a autorisé le Maire à vendre les constructions ensemble le terrain d'assiette à la holding de la société BAMY AUTOMOBILES, la Société GROUPE BERNARD HAYOT (GBH) c'est à dire le locataire de la SCI INCANA [Localité 5], pour la somme de 1 450 000 €.

Par acte du 25 avril 2016, la SCI INCANA [Localité 5] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Saint-Denis, la Commune de [Localité 4] afin de fixer l'indemnité de fin de bail à construction due à savoir 1488 510 euros, la dire fondée à rester dans les lieux, à en jouir et à en percevoir les fruits et ordonner la restitution des loyers dont la commune s'était accaparée.

Par requête en date du 07 octobre 2016, la SCI INCANA [Localité 5] a saisi le tribunal administratif de la Réunion en annulation de la délibération du conseil municipal de [Localité 4] autorisant la vente de la parcelle HN[Cadastre 3] à la société Groupe Hayot.

Le 20 octobre 2016, la commune de [Localité 4] a fait délivrer à la SCI INCANA [Localité 5] une sommation aux fins de voir communiquer tous les justificatifs de la valeur vénale des matériaux et main d''uvre utilisés pour la réalisation de la construction à la date de l'engagement.

Par jugement rendu le 20 juillet 2017, le juge de l'exécution de Saint Denis, a rejeté la demande de la commune de [Localité 4] de liquidation de l'astreinte à l'encontre de la SCI INCANA [Localité 5] pour n'avoir pas exécuté la condamnation à expulsion ordonnée par jugement rendu le 19 septembre 2007 par le tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion.

Le 08 avril 2018, le conseiller de la mise en état a constaté la préemption de l'instance d'appel contre le jugement du 19 septembre 2007.

Par jugement en date du 10 décembre 2018, frappé d'appel le tribunal administratif de la Réunion a rejeté la requête en annulation de de la délibération du conseil municipal de [Localité 4] autorisant la vente de la parcelle HN[Cadastre 3] à la société Groupe Hayot.

Par arrêt en date du 22 février 2019, frappé d'un pourvoi, la cour d'appel de Saint Denis a:

Infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu 20 juillet 2017,

Dit que l'arrêt du 19 septembre 2007 ayant ordonné une astreinte de 100,00 € par jour à l'encontre de la SCI INCANA [Localité 5] signifié le 1er octobre 2007 était définitif depuis le 5 décembre 2010,

Liquidé l'astreinte ordonnée par le tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion le 19 septembre 2007 à la somme de 10 000,00 € au vu du comportement des parties.

Par arrêt du 09 février 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la requête de la SCI INCANA [Localité 5].

Par arrêt en date du 10 juin 2021, la cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 22 février 2019 par la cour d'appel de Saint Denis de la Réunion dès lors que le jugement du 19 septembre 2007 n'avait acquis force de chose jugée qu'au moment où l'ordonnance du 3 avril 2018 constatant la péremption de l'instance en appel avait elle-même acquis l'autorité de la chose jugée.

Par jugement du 24 novembre 2020, le Tribunal judiciaire de Saint-Denis a:

-constaté le maintien dans les lieux, avec l'accord de la Commune de [Localité 4], de la SCI INCANA [Localité 5], suite à reconduction tacite du bail à construction;

-ordonné la restitution par la Commune de [Localité 4] à la demanderesse des loyers du bail commercial entre la SCI INCANA [Localité 5] et la Société BAMY Automobiles à compter d'octobre 2015,

-débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions;

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;

-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile;

-condamne la Commune de [Localité 4], prise en la personne de son représentant légal, aux dépens.

Par déclaration du 6 janvier 2021, la Commune de [Localité 4] a interjeté appel du jugement précité.

La commune de [Localité 4] a déposé ses premières conclusions d'appelant le 6 avril 2021.

La SCI INCANA [Localité 5] a déposé ses premières conclusions d'intimés le 25 juin 2021.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 février 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 Septembre 2021, la Commune de [Localité 4] demande à la Cour de :

-Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire le 24 novembre 2020,

-Dire et Juger que seul le jugement rendu le 19 septembre 2007 rendu par le TGI de Saint-Denis est opposable aux parties et non la requête conjointe du 11 septembre 2013,

-Fixer l'indemnité de résiliation due par la commune de [Localité 4] à la SCI INCANA [Localité 5] à la somme de 0 euro. A défaut, la fixer à 739 625 euros.

Au surplus :

A titre principal :

- Condamner la SCI INCANA [Localité 5] à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 2 045 282,16€ en réparation du préjudice subi du fait de l'occupation et la sous location illégale de sa parcelle depuis la notification de la résiliation judiciaire du bail a' construction soit depuis le mois d'octobre 2007,

A titre subsidiaire :

- Condamner la SCI INCANA [Localité 5] à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 1 491 351,58 € en réparation du préjudice subi du fait de l'occupation et la sous location illégale de sa parcelle depuis la notification de la résiliation judiciaire du bail à construction soit depuis le mois de janvier 2010,

A titre très subsidiaire :

-Condamner la SCI INCANA [Localité 5] à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 1 299 606,37€ en réparation du préjudice subi du fait de l'occupation et la sous location illégale de sa parcelle depuis la notification de la résiliation judiciaire du bail a' construction soit depuis le mois d'août 2010,

A titre infiniment subsidiaire :

- Condamner la SCI INCANA [Localité 5] à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 1 256 996,33€ en réparation du préjudice subi du fait de l'occupation et la sous location illégale de sa parcelle depuis que le jugement du 19 septembre 2007 a acquis un caractère définitif soit depuis le mois de décembre 2010,

En tout état de cause :

- Rejeter les demandes formulées par la SCI INCANA [Localité 5],

- Dire et Juger que les sommes dues par les parties entre elles se compenseront,

- Condamner la SCI INCANA [Localité 5] à payer à la COMMUNE DE [Localité 4] la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

-Condamner la SCI INCANA [Localité 5] aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 novembre 2021, la SCI INCANA [Localité 5] demande à la Cour de :

1) Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris

Y rajoutant:

Vu la cession de l'immeuble ensemble les constructions y édifiées au Groupe HAYOT en juin 2016

- Dire que la restitution des loyers doit porter sur la période d'octobre 2015 à juin 2016.

-Dire que la perte de loyer par la SCI INCANA [Localité 5] à faute de la Commune de [Localité 4] d'avoir vendu l'immeuble s'étend jusqu'au 10 septembre 2043, date d'expiration du bail à construction qui avait été reconduit d'accord parties.

En conséquence, CONDAMNER la Commune de [Localité 4] à payer à la SCI INCANA [Localité 5] la somme de 7 766 959,10 €.

2)Sur l'indemnité contractuelle au titre des constructions

Vu la demande de la Commune de [Localité 4] sollicitant que l'indemnité contractuelle due soit fixée à la valeur des matériaux et au prix de la main-d''uvre utilisée

Dire que cette valeur et ce prix doivent être fixés à la date du jugement à intervenir, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent les constructions.

En conséquence, CONDAMNER la Commune de [Localité 4] à payer à la SCI INCANA [Localité 5] la somme de 2 144 618,70 € et subsidiairement la somme de 1 778 556,66 €.

Subsidiairement,

Vu le rapport d'expertise judiciaire de M. [F] [U] du 18 mai 2014

Fixer l'indemnité due à la SCI INCANA [Localité 5] à la somme de 1.553.376,02€.

En conséquence, CONDAMNER la Commune de [Localité 4] à payer à la SCI INCANA [Localité 5] la somme de 1 553 376,02 €.

3)Sur les taxes foncières

Condamner la Commune de [Localité 4] à payer à la SCI INCANA [Localité 5] la somme de 124 714 € au titre des taxes foncières payées en ses lieu et place.

4) Sur l'indemnité réclamée par la Commune

Dire les demandes reconventionnelles de la Commune de [Localité 4], tant au titre de la répétition de l'indu qu'à titre de dommages et intérêts « compte tenu de la faute résultant de l'occupation des terrains sans droit ni titre », prescrites, irrecevables faute de qualité à agir, et infondées.

En conséquence, la débouter de toutes ses demandes.

Subsidiairement :

Dire que le seul préjudice auquel pourrait prétendre la Commune de [Localité 4] est limité à la période d'octobre 2011 à septembre 2015 et ne peut correspondre qu'au loyer du bail à construction de 3 896,50 € par an.

En conséquence, débouter la Commune de [Localité 4] de toute demande excédant cette durée et ce montant.

5). Sur les frais irrépétibles et les dépens

Condamner la Commune de [Localité 4] à payer à la SCI INCANA [Localité 5] la somme de 12 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner la Commune de [Localité 4] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELAS FIDAL, avocats aux offres de droit.

* * * * *

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire

En application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » ; les demandes de « constater », « donner acte » ou « dire et juger » ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des prétentions.

Sur le sort du bail à construction :

La commune de [Localité 4] rappelle que le bail conclu les 3 et 7 août 1990 exclut expressément la reconduction tacite du bail, qu'il est légalement impossible de procéder à une reconduction tacite pour un bail à construction conformément aux dispositions de l'article L.251.1 du Code de la Construction et de l'habitation et qu'aucun accord n'a été trouvé en date du 29 juin 2009 en l'absence de tout protocole d'accord signé par la commune.

Elle observe que la SCI INCANA [Localité 5] ne saurait se prévaloir d'un maintien dans les lieux dans la mesure où les locaux étaient occupés et exploités par la société BAMY AUTOMOBILES.

La SCI INCANA [Localité 5] soutient que le bail à construction n'était pas résilié le 7 août 2010 en raison du caractère suspensif de l'appel du jugement du 19 septembre 2007 et elle rappelle que le jugement prononçant la résiliation du bail à construction aux torts exclusifs du preneur a acquis autorité de la chose jugée le 08 avril 2018 après la date d'expiration du bail à construction le 07 août 2010.

Elle fait valoir que si l'article L251.1 du code de la construction et de l'habitation interdit le prolongement par tacite reconduction d'un bail à construction, il ne s'agit pas d'une disposition d'ordre public, que les parties peuvent convenir d'une prorogation du bail et que la commune intention des parties de reconduire le bail à construction pour une durée de trente ans est clairement établie au travers de son maintien dans les lieux ou encore du paiement de la taxe foncière et de la requête conjointe des parties du 10 septembre 2013 saisissant le juge aux fins d'évaluation de l'indemnité de résiliation.

Aux termes de l'alinéa 1 de l'article 480 du code de procédure civile, un jugement au fond acquiert l'autorité de la chose jugée dès son prononcé même s'il peut faire l'objet de recours.

En conséquence, l'existence de voies de recours n'a aucune incidence et ne conditionne pas l'autorité de la chose jugée.

Par jugement en date du 19 septembre 2007 frappé d'appel, le tribunal de grande instance de Saint-Denis a prononcé la résiliation du bail à construction signé entre les parties le 3 et 7 août 1990.

Si cette décision frappée d'appel ne peut servir de base à une demande tendant à son exécution, elle n'en subsiste pas moins et ne peut être remise en cause tant qu'elle n'a pas été réformée.

Or, il est certain, depuis l'arrêt de la cour de cassation du 10 juin 2021 que le jugement du 19 septembre 2007 a acquis force de chose jugée par l'effet de l'ordonnance du 3 avril 2018 constatant la péremption de l'instance en appel.

Dès lors, le bail à construction, dont la résiliation a été prononcée judiciairement par ce jugement, ne pouvait ni se poursuivre jusqu'à son terme, le 07 août 2010, ni être reconduit tacitement.

La SCI INCANA [Localité 5] doit être déboutée de sa demande tendant à voir constater la reconduction tacite du bail à construction.

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a constaté la reconduction tacite du bail à construction.

Sur la demande de restitution des loyers perçus par la commune de [Localité 4]

La commune de [Localité 4] rappelle que suite au jugement du 19 septembre 2007 prononçant la résiliation judiciaire du bail à construction, le contrat de sous-location non autorisé entre la SCI INCANA [Localité 5] et la société BAMY AUTOMOBIELES a pris fin, qu'un nouveau bail commercial a été conclu entre la commune de [Localité 4] et la société BAMY AUTOMOBILES, lui permettant de percevoir ces loyers légalement.

Elle conclut au rejet de la demande de restitution des loyers formée par la SCI INCANA [Localité 5].

La SCI INCANA [Localité 5] explique que la commune, après s'être accaparée des loyers du bail commercial entre le mois d'octobre 2015 et le mois de juin 2016, a vendu au groupe Hayot sans pour autant lui avoir versé la moindre indemnité, la parcelle de terrain et les constructions édifiées. Elle sollicite la condamnation au paiement de la commune de [Localité 4] à la somme de 208 043, 55 euros correspondant aux neuf mois de loyers et ainsi qu'à la somme de 7 558 915, 60 euros correspondant aux loyers qu'elle aurait pu percevoir à la suite de la reconduction tacite du bail à construction pour une durée de trente ans.

Cependant, par l'effet du jugement du 19 septembre 2007 prononçant la résiliation judiciaire du bail, dont l'autorité de la chose jugée a été rappelée, le preneur a perdu son droit de propriété temporaire, permettant ainsi au bailleur de disposer de la propriété des immeubles construits avant l'expiration du bail.

La commune de [Localité 4] disposait donc de la faculté de conclure un nouveau bail avec la société BAMY AUTOMOBILES et de percevoir les loyers au titre de l'occupation du terrain et des locaux par la société BAMY venant aux droits de la société OUEST AUTOMOBILES.

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a ordonné à la commune de [Localité 4] la restitution de loyers.

La demande de la SCI INCANA [Localité 5] à ce titre doit être rejetée.

Sur l'indemnité de résiliation du bail à construction :

La commune de [Localité 4] demande à ce que l'indemnité soit évaluée conformément aux dispositions jugement du 19 septembre 2007 prononçant la résiliation du bail à construction aux torts exclusifs du preneur et qui fait application des dispositions du paragraphe c de la page 14 du bail à construction du bail.

Elle fait observer que malgré les relances de la commune aucune pièce ne lui a été communiquée, ni n'a été communiquée à la juridiction de première instance de sorte que l'indemnité ne peut être déterminée.

La SCI INCANA [Localité 5] soutient que, le jugement prononçant la résiliation du bail à construction aux torts exclusifs du preneur a acquis autorité de la chose jugée le 08 avril 2018 après la date d'expiration du bail à construction le 07 août 2010 et même au-delà et que dès lors l'indemnité qui doit lui être allouée doit être égale à la valeur desdites constructions après avis du service des domaines ou à défaut de tout autre emprunt ou organisme dûment habilité ou encore choisi d'un commun accord entre les parties doit être versée.

La SCI INCANA [Localité 5] fait observer qu'elle a, pour éclairer la cour sur la valeur des matériaux et le prix de la main d''uvre, fait réaliser deux expertises privées confiées à des économistes de la construction aboutissant aux valorisations suivantes :

-expertise 2ECR: 1 847 829,55 euros TTC;

-expertise CIEA : 2 441 406 euros TTC.

Le tribunal de grande instance de Saint Denis, par jugement du 19 septembre 2007 a tranché le droit à indemnité de résiliation de la SCI INCANA [Localité 5] et les modalités d'évaluation de ladite indemnité en disant que la Commune de [Localité 4] devait régler à la SCI INCANA [Localité 5] l'indemnité de résiliation prévue au paragraphe C de la page 14 du bail à construction.

En conséquence, la cour constate l'irrecevabilité de la demande tenant le principe de l'autorité de la chose jugée et invite les parties à saisir, le cas échéant, la juridiction compétente pour statuer sur les difficultés relatives aux titres exécutoires et aux contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée.

Sur les taxes foncières payées par la SCI INCANA [Localité 5] :

La SCI INCANA [Localité 5] soutient que la résiliation du bail à construction a entraîné le transfert de la propriété des immeubles, qu'elle n'était dès lors plus redevable de la taxe foncière et que pour autant elle a été assujettie entre 2008 et 2015 par l'administration fiscale à la taxe foncière afférente audites constructions. Elle justifie s'être acquittée de la somme de 124 714 euros.

La commune rappelle que la SCI INCANA [Localité 5], s'est maintenue dans les lieux, a occupé sans droit ni titre les constructions, continuant à percevoir les loyers de la société Bamy Automobiles entre 2007 et 2015 et conclue au rejet de la demande de remboursement de la taxe foncière de la SCI INCANA [Localité 5] à qui il appartenait de faire une réclamation auprès des services fiscaux.

Aux termes de l'article 1400 du code général des impôts, lorsqu'un immeuble est grevé d'usufruit ou loué soit par bail emphytéotique, soit par bail à construction, soit par bail à réhabilitation ou fait l'objet d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public constitutive d'un droit réel, la taxe foncière est établie au nom de l'usufruitier, de l'emphytéote, du preneur à bail à construction ou à réhabilitation ou du titulaire de l'autorisation.

Tenant la résiliation judiciaire du bail à construction, il incombait à la SCI INCANA [Localité 5], dès lors qu'elle ne s'estimait plus redevable de la taxe foncière de demander un dégrèvement auprès de l'administration fiscale conformément aux dispositions de l'article 1404 du code général des impôts.

La SCI INCANA [Localité 5] sera déboutée de sa demande de remboursement des taxes foncières à l'encontre de la commune de [Localité 4].

Sur la demande d'indemnité d'occupation formulée par la commune à l'encontre de la SCI :

La commune sollicite sur le fondement de l'article 1240 du code civil la réparation intégrale du préjudice subi du fait du comportement fautif de la SCI INCANA [Localité 5] qui malgré la résiliation de son bail à construction s'est maintenu sur les lieux, a poursuivi le bail avec la société Ouest Automobiles /Bamy Automobiles entre le 19 septembre 2007 et le 10 novembre 2015 et perçu les loyers.

Elle fait valoir qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir formulé cette demande lors de l'instance en résiliation fautive du bail dès lors que les manquements fautifs sont intervenus postérieurement.

Elle relève qu'il ne saurait lui être opposé la prescription de son action dans la mesure où cette demande a été formulée devant le TGI dans ses écritures du 7 octobre 2016 de sorte que les loyers de 2011 à 2015 ne sauraient être prescrits.

Elle sollicite la condamnation de la SCI INCANA [Localité 5] à lui payer :

- au titre d'indemnité d'occupation correspondant au préjudice découlant du montant des loyers indûment perçus par la SCI INCANA [Localité 5] en sous-louant à un tiers (BAMY AUTOMOBILES), alors qu'elle n'en avait pas le droit à titre principal la somme de 2 0455 282,16 €

-à titre subsidiaire si la cour venait à considérer que la prescription devait s'appliquer la somme de 1491 351,58 euros,

- à titre très subsidiaire si la date d'expiration du bail devait être fixée au 20/08/2010 à la somme de 1299 606,37 euros ;

-à titre infiniment subsidiaire si la date du caractère définitif du jugement devait être celle du 05/12/2010 : la somme de 1256 996,33 euros.

La SCI INCANA [Localité 5] soutient que :

- la commune est infondée à solliciter le montant des loyers versés par la société BAMY à la SCI INCANA [Localité 5] sur le fondement de la répétition de l'indu dans la mesure où un bail commercial avait été signé entre les parties et que l'action de la commune est prescrite ;

-elle n'a pour sa part commis aucune faute, qu'elle n'était pas occupante sans titre, à tout le moins, jusqu'à l'expiration du bail à construction puisque selon elle le jugement du 19 septembre 2007 n'avait acquis force de chose jugée que le 03 avril 2018 et que depuis mars 2015, la Commune s'était accaparée des loyers de la société BAMY de sorte qu'elle n'a subi aucun préjudice.

- tenant le principe de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 19 septembre 2007, la commune est irrecevable en sa demande en réparation du préjudice subi au titre d'une prétendue faute ou indemnité d'occupation. Elle fait observer que si le tribunal dans son jugement a retenu qu'elle avait commis une faute en signant un bail commercial sans autorisation de la Commune et avec un preneur non inscrit au Répertoire des Métiers, il ne l'avait pas pour autant condamnée à indemniser la Commune qui n'avait formulée aucune demande sur ce fondement et n'avait pas prononcé d'indemnité d'occupation ;

- la demande de la commune est largement prescrite.

Enfin, la SCI INCANA [Localité 5] fait valoir que le seul préjudice auquel la commune pourrait prétendre correspondrait au montant du loyer annuel prévu au bail à construction à savoir la somme de 3 896,50 euros par an, soit sur une période de quatre ans, la somme de 15 586 euros.

Ceci étant exposé,

A la suite de la résiliation judiciaire du bail à construction, la SCI INCANA [Localité 5] ne disposait plus de droits sur les immeubles donnés à bail à construction.

L'indemnité d'occupation a un caractère mixte indemnitaire et compensatoire dans la mesure où elle est destinée, à la fois, à rémunérer le propriétaire de la perte de jouissance du local et à l'indemniser du trouble subi du fait de l'occupation illicite de son bien.

L'action en paiement d'une indemnité d'occupation est soumise à la prescription quinquennale de l'article 2277 du code civil dans sa version applicable au litige.

La commune de [Localité 4] a sollicité en première instance, dans ses écritures du 7 octobre 2016, la condamnation de la SCI INCANA [Localité 5] à raison de la poursuite de la jouissance des lieux nonobstant la résiliation judiciaire du bail à construction, interrompant ainsi régulièrement la prescription.

Tenant la prescription quinquennale, la commune ne peut obtenir le recouvrement des arriérés échus d'indemnité d'occupation plus de cinq ans avant la date de sa demande.

La commune est dès lors fondée à demander réparation du préjudice subi entre le 7 octobre 2011 et le 10 novembre 2015 date à laquelle la commune a retrouvé la jouissance de ses constructions et en percevoir les revenus en contractant un nouveau bail avec la société Bamy.

La demande en réparation du préjudice antérieur au 7 octobre 2011 sera déclarée prescrite.

S'agissant du montant de l'indemnité d'occupation, il convient de rappeler que le juge du fond est titulaire d'un pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer la méthode de calcul.

Doivent être pris en compte dans l'estimation du préjudice subi :

La spécificité du bail à construction,

Le montant du loyer annuel mis à la charge de la SCI INCANA [Localité 5] à savoir 3696,50 euros,

La valeur vénale des constructions et des aménagements réalisés par la SCI INCANA [Localité 5] dans le cadre du bail à construction: 829 300 euros (expertise judiciaire de Monsieur [U]) ;

Le paiement par la SCI INCANA [Localité 5] des taxes foncières afférentes aux constructions ;

La vente du terrain et des constructions par la commune de [Localité 4] pour un prix de 1.450.000 euros au groupe Bernard Hayot unique actionnaire de Bamy Automobiles.

En conséquence, il convient de fixer le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer du bail construction résilié, à compter du 6 octobre 2011 jusqu'au 15 novembre 2015, date de la signature par la commune de [Localité 4] d'un nouveau bail commercial avec la société Bamy Automobiles, venant aux droits de Ouest Automobiles, et de condamner la SCI INCANA [Localité 5] au paiement de la somme de 17.155,27 euros.

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a débouté la commune de [Localité 4] de sa demande.

Sur les autres demandes :

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la Commune de [Localité 4], prise en la personne de son représentant légal, aux dépens.

Succombant la SCI INCANA [Localité 5] sera déboutée de sa demande de condamnation de la commune de [Localité 4] aux frais irrépétibles.

La SCI INCANA [Localité 5] sera condamnée à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Par ces motifs

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a constaté la reconduction tacite du bail à construction et ordonné la restitution par la Commune de [Localité 4] à la demanderesse des loyers du bail commercial entre la SCI INCANA [Localité 5] et la Société BAMY Automobiles à compter d'octobre 2015, rejeté la demande de résiliation conventionnelle ou judiciaire du bail à construction ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a dit n'y avoir à application de l'article 700 du CPC et condamné la commune de [Localité 4] aux dépens ;

STATUANT À NOUVEAU

DECLARE IRRECEVABLE la demande de la SCI INCANA [Localité 5] aux fins de constater la reconduction tacite du bail à construction ;

DECLARE IRRECEVABLE les demandes de la SCI INCANA [Localité 5] et de la commune de [Localité 4] aux fins de fixation de l'indemnité de résiliation du bail à construction ;

DEBOUTE la SCI INCANA [Localité 5] de sa demande de restitution des loyers perçus par la commune de [Localité 4] ;

DECLARE prescrite la demande d'indemnité d'occupation pour la période antérieure au 07 octobre 2011 ;

CONDAMNE la SCI INCANA [Localité 5] à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 17155,27 euros au titre de l'indemnité d'occupation pour la période du 07 octobre 2011 au 15 novembre 2015 ;

DÉBOUTE la SCI INCANA [Localité 5] de sa demande de condamnation de la commune de [Localité 4] en remboursement de la taxe foncière ;

CONDAMNE la SCI INCANA [Localité 5] au paiement de la somme de 2000 euros à la commune de [Localité 4] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCI INCANA [Localité 5] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Alexandra BOCQUILLON, faisant fonction de greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
Formation : Chambre civile tgi
Numéro d'arrêt : 21/00022
Date de la décision : 09/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-09;21.00022 ?
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