ARRÊT N°
NC
R.G : N° RG 21/00840 - N° Portalis DBWB-V-B7F-FRRP
[V]
C/
S.A.R.L. SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHE
S.A. LA PRUDENCE CREOLE
Organisme CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE ON
COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS
ARRÊT DU 17 JUIN 2022
Chambre civile TGI
Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT DENIS en date du 16 MARS 2021 suivant déclaration d'appel en date du 11 MAI 2021 RG n° 20/01364
APPELANT :
Monsieur [I] [V]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentant : Me Alain ANTOINE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMÉES :
S.A.R.L. SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHE
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentant : Me François AVRIL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
S.A. LA PRUDENCE CREOLE
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me François AVRIL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Organisme CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE ON
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentant : Me Philippe BARRE de la SELARL PHILIPPE BARRE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
DATE DE CLÔTURE :
DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Avril 2022 devant Madame COURTOIS Nathalie, Présidente de chambre, qui en a fait un rapport, assistée de Mme Véronique FONTAINE, Greffier, les parties ne s'y étant pas opposées.
Ce magistrat a indiqué, à l'issue des débats, que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 17 Juin 2022.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Nathalie COURTOIS, Présidente de chambre
Conseiller : Monsieur Martin DELAGE, Président de chambre
Conseiller : Monsieur Cyril OZOUX, Président de chambre
Qui en ont délibéré
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 17 Juin 2022.
* * *
LA COUR :
Exposé du litige:
Le 30 juin 2018, M.[I] [V] s'est blessé en tombant à l'intérieur du magasin SIMPLY MARKET à [Localité 7].
Par ordonnance du 25 octobre 2018, le juge des référés a ordonné une expertise médicale confiée au docteur [T].
Par acte d'huissier en date des 23 et 26 juin 2020, M.[I] [V] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Saint-Denis la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES (ci-après la SAGES), la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE et la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion, sur le fondement de l'article L421-3 du code de la consommation et à titre subsidiaire l'article 1242 alinéa 1 du code civil, aux fins de voir:
'le déclarer recevable et bien fondé en son action,
'dire et juger que la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES garantie par la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE en sa qualité d'assureur responsabilité civile, responsable du préjudice qu'il a subi à la suite de la chute survenue le 30 juin 2018 dans le supermarché SIMPLY MARKET,
'fixer son préjudice et son droit à indemnisation comme suit:
100 euros au titre de l'incapacité temporaire de travail,
2700 euros au titre de l'incapacité temporaire partielle,
6125 eurosau titre d'une aide d'une tierce personne,
3300 euros au titre de l'AIPP de 0 à 3%,
4090 euros au titre des souffrances endurées évaluées à 2,5/7,
1500 euros au titre du préjudice esthétique proche de 0/7,
10000 euros au titre du préjudice d'agrément.
'en conséquence, condamner conjointement et solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES ainsi que la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE au paiement de la somme de 27725 euros en réparation du préjudice subi,
'déclarer le jugement à intervenir opposable à la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion,
'condamner solidairement et conjointement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES ainsi que la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE au paiement de la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de même qu'aux entiers dépens,
'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Par jugement du 16 mars 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Denis a :
'dit que la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES n'est pas responsable des dommages subis par M.[I] [V] le 30 juin 2018,
'débouté M.[I] [V] et la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion de l'intégralité de leurs demandes,
'rejeté les demandes de paiement de sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
'déclaré le jugement commun à la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion,
'rappelé que l'exécution provisoire est de plein droit,
'condamné M.[I] [V] aux entiers dépens.
Le 11 mai 2021, appel de la décision du 16 mars 2021 a été interjeté par M.[I] [V].
Par conclusions notifiées le 27 juillet 2021 par RPVA, M.[I] [V] demande, sur le fondement de l'article 1242 alinéa 1er du code civil, de voir:
'déclarer M.[I] [V] recevable et bien fondé en son appel,
'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion et en conséquence,
'juger que la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES prise en la personne de son représentant légal, garantie par la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE en sa qualité d'assureur responsabilité civile, est responsable du préjudice subi par lui à la suite de la chute survenu le 30 juin 2018 dans le supermarché SIMPLY MARKET,
'fixer le préjudice de M.[I] [V] et son droit à indemnisation comme suit:
100 euros au titre de l'incapacité temporaire de travail,
2700 euros au titre de l'incapacité temporaire partielle,
6125 euros au titre de l'aide d'une tierce personne (ATP),
3300 euros au titre de l'AIPP 0 à 3%,
4000 euros au titre des souffrances endurées (2,5/7),
1500 euros au titre du préjudice esthétique proche de 0/7,
10000 euros au titre du préjudice d'agrément,
'condamner solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES prise en la personne de son représentant légal ainsi que la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à régler à M.[I] [V] la somme totale de 27 725 euros en réparation de son préjudice subi,
'déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion,
'condamner solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES prise en la personne de son représentant légal ainsi que la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à lui régler la somme de 3500 euros au titre de l'è00a ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions n°1 notifiées le 23 août 2021 par RPVA, la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE demandent de voir:
'confirmer en toutes ses dispositions le jugement frappé en appel,
'dire et juger que l'obligation de sécurité édictée par l'article L221-1 devenu L421-3 du code de la consommation ne concerne que les produits et services et non l'exploitant,
'en conséquence rejeter la demande d'application de l'article L421-3 du code de la consommation dans le cadre de la demande judiciaire au titre d'une recherche de responsabilité de l'exploitant,
'au visa de l'article 1384 alinéa 1 du code civil (devenu 1242 alinéa 1) dire et juger que la responsabilité du gardien d'une chose inerte n'est pas engagée dès lors qu'il n'est pas établi que la chose a joué un rôle actif dans la production du dommage,
'dire et juger qu'un sol mouillé n'est pas forcément glissant (cour de cassation ch civ 2 du 12 janvier 2017 n°16-11032), la preuve en incombant au demandeur de sorte que le caractère anormal de la chose n'est pas démontré,
'en conséquence, rejeter la demande,
'condamner M.[I] [V] à verser à la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
'très subsidiairement, constater que l'état de la victime n'est pas consolidé et rejeter la liquidation du préjudice,
'très subsidiairement, réduire la somme de 5000 euros pouvant être versée à la victime,
'rejeter toute autre demande.
Par conclusions notifiées le 17 août 2021 par RPVA, la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion demande, sur le fondement de l'article L376-1 du code de sécurité sociale, de:
'la recevoir dans son appel incident,
'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saint-Denis du 16 mars 2021,
'statuant de nouveau, condamner solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et son assureur, la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE, à lui rembourser la somme de 24325,51 euros correspondant aux frais hospitaliers, médicaux, pharmaceutiques et autres frais d'appareillage avec intérêts à compter de l'assignation du 23 juin 2020,
'condamner solidairement les mêmes au paiement de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L376-1 du code de sécurité sociale soit la somme de 1098 euros et à celle de 1700 euros à compter de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.
SUR CE':
I.Sur le fond
La discussion initiale sur le fondement juridique de l'action de M.[I] [V] n'a plus lieu d'être puisque ce dernier invoque dorénavant uniquement l'article 1242 alinéa 1er du code civil.
Selon l'article 1242 alinéa 1er du code civil, "On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde".
De l'eau sur le sol est considérée comme une chose inerte. La victime doit donc démontrer que la chose inerte a joué un rôle causal. Cette preuve suppose de démontrer une anormalité touchant à l'état de la chose (sol glissant), de sa position (chose mal stationnée '), ou encore son caractère dangereux. La victime doit prouver l'intervention matérielle de la chose et son rôle causal.
En l'espèce, M.[I] [V] produit :
- l'attestation de Mme [G] (pièce n°4), témoin indirect de la chute de M.[I] [V] mais qui explique, alors qu'elle se trouvait au rayon légumes, avoir entendu derrière elle un hurlement et vu en se retournant un homme à terre en train de se tenir la jambe et criant "de l'eau", ce qu'elle constate également puisqu'elle confirme qu'il y avait une flaque d'eau au sol,
- l'attestation de M.[S] (pièce N°10) qui confirme avoir vu M.[I] [V] glisser sur une flaque d'eau dans le rayon légumes et chuter lourdement au sol.
- un constat d'huissier réalisé le 24 janvier 2019 à l'occasion duquel, M.[Z], manager du magasin SIMPLY MARKET, confirme qu'il y a régulièrement de l'eau au sol, surtout au niveau du frais et que parfois à l'entrée du magasin et dans les espaces frais, il est indiqué "sol glissant".
L'huissier de justice constate également ce jour là au niveau du rayon frais (poissonnerie, fruits et légumes, surgelés et produits frais) "de nombreux endroits où de l'eau stagne au sol et notamment devant les congélateurs où des serpillières ont été placées. Les serpillières sont imbibées d'eau". Si ce constat n'a pas été réalisé immédiatement après la chute de M.[I] [V], pour autant il tend à démontrer le caractère régulier de l'état mouillé des sols de ce magasin et notamment au niveau du rayon légumes où se trouvait M.[I] [V].
Comme le relève M.[I] [V], la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES n'a pas démontré en première instance ni que le sol n'était pas mouillé le jour de la chute ni qu'elle avait installé un dispositif de prévention ou de sécurité pour ses clients.
Les deux témoignages précités sont concordants avec les explications de M.[I] [V] et le constat d'huissier apporte un éclairage supplémentaire venant accréditer la version de M.[I] [V]. Les pompiers sont intervenus immédiatement sur le lieu de la chute, ce qui confirme a minima le lieu de l'accident. L'intimée n'invoque ni ne démontre l'existence d'une autre cause à l'origine de la chute.
Les témoignages de Mme [G] et de M.[S] démontrent qu'il est manifeste que la chute de M.[I] [V] a été provoquée par le sol glissant qui a joué un rôle actif dans la production de son dommage comme le confirme l'expertise médicale qui retient un lien direct, certain et exclusif entre la chute et les lésions constatées.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement de ce chef et de déclarer la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES responsable de l'accident subi par M.[I] [V] le 30 juin 2018.
II.Sur la réparation
L'expert judiciaire fait état d'une fracture de l'extrémité supérieure du tibia droit et d'une fracture de la fibula droite survenues au décours de la chute du 30 juin 2018. Les suites ont été marquées par:
'diminution des amplitudes articulaires avec une perte de flexion de 50° (120° de flexion le 12/01/18, 70° le jour de l'expertise),
'diminution du périmètre de marche,
'utilisation de deux cannes anglaises (une canne anglaise avant l'accident),
'apparition de douleurs quotidiennes du genou droit,
'arrêt complet de ses loisirs: vélo, natation et marche,
'impossibilité de se rendre à la plage,
'sentiment de honte face à son handicap,
'nécessité d'utiliser deux cannes anglaises pour se déplacer,
'arrêt de la conduite,
'dépendance vis-à-vis de sa femme pour la toilette et les déplacements véhiculés.
A.Sur la date de consolidation
Les intimées font remarquer que M.[I] [V] n'est pas consolidé au 5 mars 2019, jour de l'expertise, et sollicitent le rejet de sa demande en liquidation de son préjudice.
Néanmoins, il convient de rappeler que la date de consolidation marque la frontière entre les préjudices à caractère temporaire et ceux à caractère définitif (Civ. 2, 8 décembre 2016, n° 13-22.961).
Par ailleurs, il résulte de la pièce 1 de la caisse générale de la sécurité sociale que l'état de santé de M.[I] [V] est consolidé au 10 mars 2020, date non contestée par M.[I] [V] qu'il convient de retenir.
En tout état de cause, il convient de constater que M.[I] [V] sollicite quant à lui la réparation de ses préjudices extra-patrimoniaux temporaires sans tenir compte de cette date de consolidation et donc en acceptant une indemnisation moindre, ce qui est son choix. Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer ni de rejeter ses demandes pour ce motif.
B.Sur le déficit fonctionnel temporaire
Ce chef de préjudice inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire. L'évaluation des troubles dans les conditions d'existence tient compte de la durée de l'incapacité temporaire, du taux de cette incapacité (totale ou partielle), des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité (ex: victime qui a subi de nombreuses interventions et est restée hospitalisée et immobilisée pendant plusieurs mois par opposition à celle qui a pu rester chez elle).
En l'espèce, le docteur [W] [T], expert désigné par le juge des référé, retient :
- une gêne temporaire totale dans toutes les activités personnelles, correspondant aux durées d'hospitalisation du 30 juin 2018 au 3 juillet 2018
- une période qu'il évalue en classe 4 (soit 75% de la gêne totale) du 29 août 2018 au 26 octobre 2018 correspondant à l'hospitalisation de jour en centre de réadaptation et une seconde période en classe 4 du 4 juillet 2018 au 28 août 2018 correspondant à la période entre les hospitalisations, le patient précisant s'être déplacé" en fauteuil roulant,
- une période en classe 3 (soit 50% de la gêne totale) du 27 octobre 2018 au jour de l'expertise car le patient indique se déplacer avec deux cannes anglaises.
Sur la base d'une indemnisation forfaitaire de 750€ par mois (soit 25 euros par jour), il convient de lui allouer les sommes suivantes:
- pour la période du 30 juin 2018 au 3 juillet 2018 soit 4 jours, il convient de lui allouer la somme de 4 x 25 = 100 euros
- pour la période du 4 juillet 2018 au 28 août 2018 (soit 56 jours) et du 29 août 2018 au 26 octobre 2018 (soit un total de 59 jours), M.[I] [V] ne sollicite une indemnisation que sur la base de 58 jours. Il convient dès lors de lui allouer la somme de 58 x 25 x 0,75%= 1087,50 euros
- du 27 octobre 2018 au jour de l'expertise soit le 5 mars 2019 (soit 129 jours), il convient de lui allouer la somme de 129 x 25 x 0,50% = 1612,50 euros.
Soit un total de 2800 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire.
C.Sur les souffrances endurées
Ce poste de préjudice était autrefois désigné par le terme pretium doloris. Il s'agit d'indemniser les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, dignité et intimité présentées et des traitements, interventions, hospitalisations qu'elle a subis depuis l'accident jusqu'à la consolidation. Après la consolidation, les souffrances chroniques sont une composante du déficit fonctionnel.
En l'espèce, l'expert judiciaire évalue à 2,5/7 correspondant aux souffrances dues à la fracture des deux os de la jambe.
Il convient d'allouer à M.[I] [V] la somme de 4000 euros au titre des souffrances endurées.
D.Sur l'aide d'une tierce personne
M.[I] [V] expose que son état de santé a nécessité une aide à raison de 2h/jour en classe IV et 1h/jour en classe III.
En l'espèce, l'expert judiciaire retient également le même niveau d'aide.
Sur la base d'un tarif journalier de 25 euros et des mêmes périodes retenues pour le déficit fonctionnel temporaire, il convient d'allouer à M.[I] [V] la somme 6125 euros au titre de la tierce personne.
E.Sur le préjudice esthétique temporaire
Le préjudice esthétique temporaire est caractérisé par « l'existence d'une altération de l'apparence de la victime avant la date de la consolidation de son état de santé » (Cass., Civ., 2ème, 7 mars 2019, Bull, n° 17-25855). Dès lors que l'on constate l'existence d'un préjudice esthétique temporaire, celui-ci doit être indemnisé de manière autonome ; il ne saurait être indemnisé au titre des souffrances morales endurées (Civ. 2, 3 juin 2010, n°09-15.730). La Cour de cassation juge que le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent; il en résulte que les juges du fond, s'ils constatent une altération de l'apparence physique avant la date de consolidation, doivent évaluer le préjudice esthétique temporaire de la victime quand bien même l'expert judiciaire aurait retenu que le préjudice esthétique définitif se confond intégralement avec le préjudice esthétique temporaire (Civ. 2, 7mars 2019, n° 17-25.855).
En l'espèce, M.[I] [V] invoque une altération de son apparence physique en précisant qu'il se déplace avec des cannes et porte des chaussures orthopédiques. Il produit des photographies.
L'expert conclut qu'il est proche de zéro compte tenu de l'absence de plaie, la boiterie et l'amyotrophie correspondant à un état antérieur, précisant que le préjudice esthétique permanent sera comparable.
Il convient de relever que l'expert retient un état antérieur compte tenu des séquelles de poliomyélite, des chirurgies du membre inférieur droit et d'une gonarthrose traitée par prothèse totale du genou.
Au vu de ce qui précède et en tenant compte de l'état antérieur, il convient d'allouer à M.[I] [V] la somme de 1000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire.
F.Sur le préjudice d'agrément
Le préjudice d'agrément vise exclusivement à réparer le préjudice « lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ».
Ce préjudice concerne donc les activités sportives, ludiques ou culturelles devenues impossibles ou limitées en raison des séquelles de l'accident. Il appartient à la victime de justifier de la pratique de ces activités (licences sportives, adhésions d'associations, attestations...) et de l'évoquer auprès du médecin expert afin que celui-ci puisse confirmer qu'elle ne peut plus pratiquer ces activités ; on indemnisera ces préjudices spécifiques d'agrément de manière autonome. Des attestations de témoins peuvent suffire à établir la réalité de ce préjudice (Civ. 2, 13 février 2020, n° 19-10,572). L'appréciation se fait in concreto, en fonction des justificatifs, de l'âge, du niveau sportif...
M.[I] [V] invoque ses passions (vélo, natation et marche). Pour autant, il ne produit aucun justificatif, aucun témoignage confirmant la pratique régulière de ces activités. Or, l'évaluation de ce préjudice se fait in concreto et il appartient à la victime de ce préjudice de le prouver. Si l'expert judiciaire fait état des doléances de M.[I] [V] quant à l'arrêt complet de ses loisirs, il ne retient dans ses conclusions aucun préjudice d'agrément.
En conséquences, il convient de rejeter cette demande.
G.Sur l'appel incident de la caisse générale de la sécurité sociale
1.Sur les débours
La caisse générale de la sécurité sociale justifie les dépenses de santé avant consolidation prises en charge par elle et produit le relevé de débours définitifs. La SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES ne conteste pas la somme demandée.
En conséquence, il convient de lui allouer la somme de 24325,51 euros au titre des dépenses de santé actuelles.
2.Sur la demande au titre de l'article 376-1 du code de sécurité sociale
Selon l'article 376-1 alinéa 9 et 10 du code de sécurité sociale, "En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée.
Cette indemnité est établie et recouvrée par la caisse selon les règles et sous les garanties et sanctions, prévues au chapitre 3 du titre III et aux chapitres 2,3 et 4 du titre IV du livre Ier ainsi qu'aux chapitres 3 et 4 du titre IV du livre II applicables au recouvrement des cotisations de sécurité sociale".
En conséquence, il convient de condamner la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES à payer à la caisse générale de la sécurité sociale la somme de 1098 euros au titre de l'article 376-1 du code de sécurité sociale.
III.Sur l'article 700 du code de procédure civile
L'équité et la situation respective des parties justifiant l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES à payer à M.[I] [V] la somme de 3500 euros et la somme de 800 euros à la caisse générale de la sécurité sociale.
IV.Sur la demande de condamnation solidaire à l'encontre de la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE
Il n'est pas contesté que la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE est l'assureur de la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et qu'elle lui doit sa garantie, de sorte qu'il conviendra de faire droit aux demandes de M.[I] [V] et de la caisse générale de la sécurité sociale de voir condamner solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à leur payer les sommes allouées.
V.Sur les dépens
En application de l'article 696 du Code de procédure civile, la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES, partie perdante, sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion du 16 mars 2021;
Statuant à nouveau;
Déclare la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES responsable de l'accident subi par M.[I] [V] le 30 juin 2018 et des lésions y afférentes;
Constate que l'état de santé de M.[I] [V] est consolidé au 10 mars 2020;
Condamne solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à réparer les préjudices directs, certains et exclusifs résultant de cet accident;
Condamne solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à payer à M.[I] [V] la somme de 2800 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire;
Condamne solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à payer à M.[I] [V] la somme de 4000 euros au titre des souffrances endurées;
Condamne solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à payer à M.[I] [V] la somme de 6125 euros au titre de la tierce personne;
Condamne solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à payer à M.[I] [V] la somme de 1000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire;
Déboute M.[I] [V] de sa demande au titre du préjudice d'agrément;
Condamne solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à payer à la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion la somme de 24325,51 euros au titre des dépenses de santé actuelles.
Condamne solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à payer à la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion la somme de 1098 euros au titre de l'article 376-1 du code de sécurité sociale ;
Condamne solidairement la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES et la compagnie d'assurance PRUDENCE CRÉOLE à payer à la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL SAINT-GILLOISE D'EXPLOITATION DE SUPERMARCHES aux dépens.
Déclare le présent arrêt commun à la caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion;
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Martin DELAGE, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT