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15/04/2022 | FRANCE | N°19/01033

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre civile tgi, 15 avril 2022, 19/01033


ARRÊT N°22/

NC



R.G : N° RG 19/01033 - N° Portalis DBWB-V-B7D-FFQU





VERGOZ

S.A.R.L. SOCIETE [I] [J] CONSTRUCTION BTP

Société SOCIETE D'ENTREPRISE DE MENUISERIE AH MOUCK

Société GROUPE VHC BTP



C/



[A]

[H]

S.C.P. [L] [M] - [V] [K] - [T] [H] NO TAIRES ASSOCIÉS























COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS



ARRÊT DU 15 AVRIL 2022



Chambre civile TGI





Appe

l d'une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT DENIS en date du 23 JANVIER 2019 suivant déclaration d'appel en date du 11 AVRIL 2019 RG n° 17/02426





APPELANTS :



Monsieur [J] [G] [I]

44 chemin Mazeau

97424 PITON SAINT LEU

Représent...

ARRÊT N°22/

NC

R.G : N° RG 19/01033 - N° Portalis DBWB-V-B7D-FFQU

VERGOZ

S.A.R.L. SOCIETE [I] [J] CONSTRUCTION BTP

Société SOCIETE D'ENTREPRISE DE MENUISERIE AH MOUCK

Société GROUPE VHC BTP

C/

[A]

[H]

S.C.P. [L] [M] - [V] [K] - [T] [H] NO TAIRES ASSOCIÉS

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 15 AVRIL 2022

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT DENIS en date du 23 JANVIER 2019 suivant déclaration d'appel en date du 11 AVRIL 2019 RG n° 17/02426

APPELANTS :

Monsieur [J] [G] [I]

44 chemin Mazeau

97424 PITON SAINT LEU

Représentant : Me Vanessa BERTHOLIER-LEMAGNEN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

S.A.R.L. SOCIETE [I] [J] CONSTRUCTION BTP

3A rue Adrien Lagourgue

97424 PITON SAINT LEU

Représentant : Me Vanessa BERTHOLIER-LEMAGNEN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Société SOCIETE D'ENTREPRISE DE MENUISERIE AH MOUCK

3A rue Adrien Lagourgue

97424 PITON SAINT LEU

Représentant : Me Vanessa BERTHOLIER-LEMAGNEN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Société GROUPE VHC BTP

3B rue Adrien Lagourgue

97424 PITON SAINT LEU

Représentant : Me Vanessa BERTHOLIER-LEMAGNEN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉS :

Madame [O] [A]

lot les canneliers - 12 allée des étoiles

97434 SAINT GILLES LES BAINS

Monsieur [T] [H]

18 avenue du Docteur Raymond Vergès ' BP 94

97899 SAINT-LOUIS CEDEX

Représentant : Me Marie françoise LAW YEN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

S.C.P. [L] [M] - [V] [K] - [T] [H] NO TAIRES ASSOCIÉS

18 avenue du Docteur Raymond Vergès ' BP 94

97899 SAINT-LOUIS CEDEX

Représentant : Me Marie françoise LAW YEN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

DATE DE CLÔTURE : 28/10/2021

DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 février 2022 devant Madame COURTOIS Nathalie, Présidente de chambre à la Chambre d'Appel de Mamoudzou, déléguée à la Cour d'Appel de Saint-Denis de la Réunon par ordonnance de Monsieur le Premier Président, qui en a fait un rapport, assistée de Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, les parties ne s'y étant pas opposées.

Ce magistrat a indiqué, à l'issue des débats, que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 15 avril 2022.

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Nathalie COURTOIS, Présidente de chambre à la Chambre d'Appel de Mamoudzou, déléguée à la Cour d'Appel de Saint-Denis de la Réunon par ordonnance de Monsieur le Premier Président

Conseiller : Monsieur Cyril OZOUX, Président de chambre à la Chambre d'Appel de Mamoudzou, délégué à la Cour d'Appel de Saint-Denis de la Réunon par ordonnance de Monsieur le Premier Président

Conseiller : Monsieur Martin DELAGE, Président de chambre à la Chambre d'Appel de Mamoudzou, délégué à la Cour d'Appel de Saint-Denis de la Réunon par ordonnance de Monsieur le Premier Président

Qui en ont délibéré

Greffiere : Madame Nathalie BEBEAU.

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 15 avril 2022.

* * *

LA COUR

Exposé du litige

Mme [O] [A] a fait construire une maison individuelle afin de la revendre et a confié la réalisation de cet ouvrage à une entreprise qui n'a pas terminé le chantier.

Courant 2015, la société VHC BTP a été contactée par Mme [O] [A] afin de terminer la construction.

Un procès-verbal de constat d'huissier a été établi le 7 août 2015 afin de faire le point sur ce qui avait été réalisé par l'entreprise initiale. Sur cette base, la société VHC BTP a établi un devis estimatif à hauteur de 154641,46 euros comprenant les travaux et des achats externes.

Le 21 septembre 2015, Me [T] [H], notaire, en charge de la vente du futur projet, a mis en place un ordre irrévocable de paiement pour un montant de 154641,46 euros.

Lors du chantier, des devis de travaux supplémentaires ont été établis et acceptés par Mme [O] [A].

Le 18 février 2016, le bien a été vendu.

L'ouvrage a été terminé et une facture a été émise le 30 juin 2016 s'agissant du marché principal pour un montant de 154641,46 euros. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 26 juin 2016. La société VHC BTP a sollicité Me [H], notaire pour le paiement de la facture.

Par courrier du 29 août 2016, Me [T] [H], notaire, a répondu qu'au vu de l'état hypothécaire, il a dû procéder en premier lieu aux règlements des créanciers inscrits et qu'après apurement, le solde est à zéro, expliquant ainsi l'absence de versement au vendeur et l'impossibilité pour lui de verser à la société VHC BTP tel que demandé dans l'ordre irrévocable de Mme [O] [A].

Par acte d'huissier en date du 25 juillet 2017, la société [I] [J] CONSTRUCTION BATIMENT TRAVAUX PUBLICS (ci-après la société VHC BTP), la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK (ci-après la SEMAM), le groupe VHC BTP et M.[J] [I] ont fait assigner Mme [O] [A], Maître [T] [H], notaire associé, membre de la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés', sur le fondement des articles 1134 et suivants, 1382 et suivants (anciens) du code civil, aux fins de voir :

dire et juger que les travaux commandés par Mme [O] [A] à la société VHC BTP ont été réalisés et réceptionnés sans réserve,

dire et juger que Mme [O] [A] n'a pas réglé le paiement des factures présentées par la société VHC BTP,

dire et juger que Me [H] a commis une faute en n'informant pas correctement et efficacement la société VHC BTP s'agissant de l'ordre irrévocable de virement établi le 21 septembre 2015,

dire et juger que les responsabilités de Maître [T] [H], notaire et Mme [O] [A] sont engagées,

dire et juger que les fautes de Mme [O] [A] et Maître [T] [H], notaire ont causé un préjudice financier à la société VHC BTP, la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK et au groupe VHC BTP et M.[J] [I],

par conséquent, condamner in solidum Mme [O] [A], Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' à payer la somme de 175558,90 euros au titre des factures impayées à la société VHC BTP,

les condamner à payer :

à la société VHC BTP, la somme de 27684,623 euros

à la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK, la somme de 12333,54 euros,

au groupe VHC BTP, la somme de 393999,39 euros,

à M.[J] [I] , la somme de 109194,71 euros,

les condamner in solidum à payer la somme de 10000 euros à M.[J] [I] au titre du préjudice moral,

en tout état de cause, les condamner in solidum à la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Aurélie Carlier,

ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par jugement du 23 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion a :

rejeté la demande de sursis à statuer,

condamné Mme [O] [A] à payer à la société VHC BTP, prise en la personne de son représentant légal, la somme de 167501,45 euros au titre des factures impayées,

débouté du surplus des demandes,

ordonné l'exécution provisoire,

condamné Mme [O] [A] à payer à la société VHC BTP prise en la personne de son représentant légal la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné Mme [O] [A] aux dépens dont distraction au profit de Me Aurélie Carlier et Me Françoise Law-Yen, avocats conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Le 11 avril 2019, appel de cette décision a été interjeté par la société VHC BTP, la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK, le groupe VHC BTP et M.[J] [I].

Par jugement du 28 mai 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion a ouvert une procédure en liquidation judiciaire au profit de la société VHC BTP.

Par jugement du 23 février 2021, le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre de la Réunion a ouvert une procédure en redressement judiciaire au profit de la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK (SEMAM).

Par conclusions n°4 transmises le 1er juillet 2021 par RPVA, la société VHC BTP, représentée par la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire, la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK, représentée par la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire, le groupe VHC BTP et M.[J] [I] sollicitent, sur le fondement de l'article 1103 du code civil, l'article 32-1 du code de procédure civile et l'article 16 de la loi n°66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, de voir :

prendre acte de l'intervention volontaire de la SELARL [R] [E] prise en la personne de Maître [R] [E] domicilié 41 rue Sainte Marie 97400 Saint-Denis, ès qualités de :

liquidateur judiciaire de la société VHC BTP,

liquidateur de la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK,

réformer le jugement du tribunal de grande instance du 23 janvier 2019 en ce qu'il a :

limité les indemnités sollicités par les appelants,

débouté les demandeurs de leur action à l'encontre de Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés',

statuant de nouveau, dire et juger que les travaux commandés par Mme [O] [A] à la société VHC BTP ont été réalisés et réceptionnés sans réserve,

dire et juger que Mme [O] [A] n'a pas réglé le paiement des factures présentées par la société VHC BTP pour un montant de 175558,90 euros,

dire et juger que Maître [T] [H], notaire a commis une faute en n'informant pas correctement et efficacement la société VHC BTP s'agissant de l'ordre irrévocable de virement établi le 21 septembre 2015 et en cachant la vérité à la société VHC BTP,

dire et juger que les responsabilités de Maître [T] [H], notaire et Mme [O] [A] sont engagées,

dire et juger que les fautes de Mme [O] [A] et de Maître [T] [H], notaire ont causé un préjudice financier à la société VHC BTP et par ricochet, à la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK, au groupe VHC BTP et M.[J] [I],

débouter Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

par conséquent, condamner in solidum, Mme [O] [A], Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' à payer :

à la société VHC BTP, la somme de 27684,623 euros, somme remise entre les mains de la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire,

à la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK (SEMAM), la somme de 12333,54 euros, somme remise entre les mains de la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire,

au groupe VHC BTP, la somme de 393999,39 euros,

à M.[J] [I], la somme de 109194,71 euros,

condamner in solidum, Mme [O] [A], Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' à payer la somme de 10000 euros à M.[J] [I] au titre du préjudice moral,

en tout état de cause, condamner in solidum, Mme [O] [A], Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' à verser à :

la société VHC BTP, représentée par la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire,

la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK, représentée par la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire,

le groupe VHC BTP

M.[J] [I]

la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Vanessa BERTHOLIER-LEMAGNEN.

Par conclusions n°3 notifiées le 2 juillet 2021 par RPVA, Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' demande :

à titre principal, juger l'appel interjeté par la société VHC BTP, la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK, le groupe VHC BTP et M.[J] [I] infondé à leur égard,

confirmer le jugement entrepris,

à titre subsidiaire, si la responsabilité de Maître [T] [H], notaire et de la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' devait être engagée, juger que la somme à payer éventuellement au titre des factures impayées de la société VHC BTP ne saurait excéder 154641,46 euros,

juger les demandes de l'ensemble des appelants au titre de leurs préjudices financiers et du préjudice moral totalement infondées et injustifiées et par conséquent, les rejeter purement et simplement,

sur l'appel incident formé par Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' le déclarer recevable et bien fondé,

juger que l'action engagées contre les notaires est abusive, en particulier à l'initiative des sociétés SEMAM, groupe VHC BTP et M.[J] [I],

juger que l'accusation gratuite de participation des notaires à une 'organisation destinée tromper' constitue une atteinte infondée à leur probité,

condamner solidairement les sociétés SEMAM, groupe VHC BTP et M.[J] [I] à leur régler la somme de 10000 euros à titre de dommages et intérêts,

en tout état de cause, condamner solidairement les sociétés groupe VHC BTP, M.[J] [I] et la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société VHC BTP et la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK à régler à la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' et Maître [T] [H], notaire, chacun la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qu'ils ont dû supporter tant en première instance qu'en appel.

Le 8 juillet 2019, la déclaration d'appel et les conclusions des appelants ont été signifiées par acte d'huissier remis à personne à Mme [O] [A]. Elle n'a pas constitué avocat.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.

Sur ce':

Sur la demande en paiement à l'encontre de Mme [O] [A]

Il convient de relever que Mme [O] [A] n'a pas constitué avocat et n'a donc pas contesté ni le jugement déféré ni la déclaration d'appel.

Il résulte comme le soutiennent les appelantes que le premier juge s'est trompé dans les calculs de la somme totale dûe par Mme [O] [A], en soustrayant du total général demandé, soit 175 558,90 euros, des factures de deux autres sociétés déjà réglées, à savoir la BOISERIE (4114,19 euros) et la SCPE (3478,47 euros) et déjà déduites du total général.

Il convient donc d'infirmer le jugement critiqué de ce chef et de condamner Mme [O] [A] à payer à la société VHC BTP, représentée par la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire, la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK, représentée par la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire, le groupe VHC BTP et M.[J] [I] la somme totale de 175 558,90 euros correspondant :

- aux travaux effectués sur la maison vendue à M.[Z],

- au surplus des travaux réalisés sur les villas BERNARD et DELHOUME que Mme [O] [A] contestait avoir signé alors que le premier juge constatait que les devis comportaient bien sa signature précédée de la mention 'bon pour accord',

- aux travaux supplémentaires.

Sur la responsabilité du notaire

En l'espèce, les appelants reprochent au notaire un défaut de conseil lorsqu'il leur adresse l'ordre irrévocable de versement en ne les informant pas de la situation financière réelle de Mme [O] [A]. Ils estiment que le notaire aurait dû les alerter que le paiement était inexorablement compromis compte tenu des sûretés déjà mises en oeuvre.

Il convient de rappeler que le notaire qui instrumente un acte de vente n'est tenu d'aucun devoir d'information et de conseil envers les tiers dont il n'a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d'un droit opposable aux parties (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 3 mai 2018, 17-12.473, Publié au bulletin).

Or, comme le relève le premier juge, alors qu'il n'y était pas obligé, Maître [T] [H], notaire a joint à l'ordre irrévocable de versement d'un montant de 154641,46 euros un courrier en date du 21 septembre 2015 qui précisait les réserves liées à la disponibilité de cette somme. C'est ainsi qu'il écrivait à la SARL VHC '[...] Cette somme doit être versée à votre société comme représentant le paiement des travaux réalisés par celle-ci. J'ai pris bonne note de cette instruction mais pense utile d'attirer votre attention sur le fait que je ne pourrai effectuer ce versement conformément aux ordres qui m'ont été donnés, que dans la mesure où:

le paiement du prix transitera par ma comptabilité,

il n'existe, sur le bien en cause, aucune inscription hypothécaire, mention ou saisie qui serait de nature soit emp cher la réalisation de la vente, soit rendre le prix indisponible,

le montant de la plus-value exigible ait été retenu sur ce prix sauf cas d'exonération,

les fonds revenant au vendeur ne seront pas rendu indisponibles par suite notamment d'opposition, saisie-arr t ou autre emp chement quelconque'.

Ainsi donc, il appartenait à la société VHC de s'informer de l'existence ou non d'une inscription hypothécaire ou de tout autre mention ou saisie de nature à empêcher la réalisation de la vente ou la disponibilité du prix de vente. En tout état de cause, ce courrier alertait la société de ce que l'ordre irrévocable de versement ne constituait pas une garantie absolue d'être payé. Maître [T] [H], notaire n'avait pas à communiquer des informations sur la situation financière de sa cliente à un tiers. Comme le relevait à juste titre le premier juge, 'ce courrier ne pouvait pas constituer que des clauses de style, le notaire ayant alerté de façon précise les limites à ce virement'. Enfin, rien ne démontre que le notaire avait connaissance avant la vente des biens de l'état hypothécaire de ces derniers. Seule Mme [O] [A] détenait toutes les informations utiles.

En conséquence, Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' n'ont commis aucune faute, de sorte que le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

III. Sur la demande au titre du préjudice financier

La société VHC BTP expose que l'absence de paiement s'est retrouvée dans une situation financière catastrophique puisqu'elle a dû licencier des employés, d'autres ont démissionné de sorte que les chantiers n'ont pas pu être honorés dans les temps outre la basse de moral et l'absence e motivation des employés, les dettes fiscales et sociales se sont accumulées, le gérant n'a pas pu être payé ce qui a entraîné des conséquences sur sa santé, le bilan a été fortement affecté. Elle précise que la société VHC BTP fait partie du groupe VHC BTP avec une autre filiale, la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK (SEMAM); que lorsque la société VHC BTP s'est retrouvée en difficultés, la SEMAM et le groupe sont intervenus financièrement pour combler le passif; des employés de la SEMAM ont été impacts par les difficultés de la société VHC BTP; M.[J] [I], en charge du group, a fait injecter des sommes dans la société VHC BTP pour la sauver et garder le plus d'employés. Elle chiffre l'impact à 543212,26 euros se décomposant comme suit:

- 27684,623 euros pour la société VHC BTP,

- 12333,54 euros pour la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK,

- 393999,39 euros pour le groupe VHC BTP,

- 109194,71 euros pour M.[J] [I].

Comme le relève le premier juge, la situation déficitaire de la société préexistait avant le conflit l'opposant à Mme [O] [A]. Les appelants ne le contestent d'ailleurs pas, disant que tout rentrait dans l'ordre et que cette affaire ruinait tout espoir de s'en sortir.

En conséquence, faute de démontrer l'existence d'un préjudice financier autre que celui résultant du simple non paiement des travaux, le jugement critiqué sera confirmé de ce chef.

IV.Sur le préjudice moral de M.[J] [I]

Selon l'article 1104 du code civil, 'Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public'. Le manquement à la bonne foi dans la relation contractuelle ne relève pas du régime de la responsabilité contractuelle mais du régime de la responsabilité civile délictuelle de l'article 1240. Celui-ci dispose enfin que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

En l'espèce, cette demande bien que formulée devant le premier juge n'a pas fait l'objet d'une décision, de sorte qu'il y a lieu de réparer cette omission de statuer.

M.[J] [I] ne produit aucun justificatif démontrant un préjudice autre que celui résultant du non paiement des factures dues par Mme [O] [A]. Le jugement du tribunal de commerce du 28 mai 2020 portant ouverture d'une procédure en liquidation judiciaire de la société VHC BTP fait apparaître que la société faisait déjà l'objet d'un plan de redressement par continuation arrêté par jugement du tribunal en date du 18 juin 2013.

Comme le relève Maître [T] [H], notaire, une information publiée au BODACC fait apparaître que l'associé unique du groupe VHC BTP a réalisé une augmentation de capital de 1000 euros à 60000 euros le 29 juin 2018, ce qui vient en contradiction avec les difficultés financières invoquées par M.[J] [I].

Il convient donc de débouter M.[J] [I] de sa demande.

V.Sur l'appel incident des notaires aux fins de dommages et intérêts pour abus de droit

 Selon l'article 1240 du Code civil, «Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer»

La responsabilité délictuelle implique trois conditions :

* Une faute,

* Un préjudice,

* Un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Peu important que la faute soit grossière ou non et que le préjudice soit ou non anormal. Il appartient au demandeur de caractériser la faute de l'organisme, de rapporter le préjudice en résultant et d'établir le lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Par ailleurs, en application de l'article 1241 du code civil, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue, en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol lorsque un préjudice en résulte.

En l'espèce, Maître [T] [H], notaire et la SCP '[L] [W] [K] et [T] [H], notaires et associés' exposent que les appelantes ont laissé entendre que Mme [O] [A] et Maître [T] [H], notaire ont tout organisé pour induire la société VHC BTP en erreur et ont sous entendu que Maître [T] [H], notaire a participé à une organisation mise en place par Mme [O] [A] pour tromper les constructeurs et acheteurs. Ils estiment cela intolérable et constitue une atteinte infondée à la probité des notaires. Ils sollicitent une indemnisation de 10000 euros en réparation.

La méconnaissance par les appelantes de l'étendue de l'obligation de conseil des notaires a pu légitimement provoquer de l'incompréhension de ces dernières au regard de la chronologie des faits puisqu'une inscription judiciaire était prise le 5 octobre 2015 soit 10 jours avant la transmission de l'ordre irrévocable de versement outre le fait que Maître [T] [H], notaire avait été amené à superviser plusieurs opérations immobilières de Mme [O] [A].

Si les allusions peuvent être déplacées et désagréables, pour autant cela est insuffisant pour caractériser le caractère abusif de l'action des appelantes à l'encontre des notaires. Le jugement critiqué sera donc confirmé de ce chef.

VI.Sur l'article 700 du code de procédure civile

Ni l'équité ni la situation respective des parties ne justifient l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, les demandes formées de ce chef seront donc rejetées.

VII.Sur les dépens

En application de l'article 696 du Code de procédure civile, Mme [O] [A], partie perdante, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, en matière civile, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Confirme partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Denis rendu par le 23 janvier 2019 ;

Statuant à nouveau ;

Condamne Mme [O] [A] à payer à la société VHC BTP, représentée par la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire, la société d'entreprise de menuiserie AH MOUCK, représentée par la SELARL [R] [E] prise en la personne de Me [R] [E], liquidateur judiciaire, le groupe VHC BTP et M.[J] [I] la somme totale de 175 558,90 euros ;

Déboute M.[J] [I] de sa demande au titre de son préjudice moral;

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [O] [A] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRESIGNELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
Formation : Chambre civile tgi
Numéro d'arrêt : 19/01033
Date de la décision : 15/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-15;19.01033 ?
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