N° RG 24/01898 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JVK6
COUR D'APPEL DE ROUEN
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 29 MAI 2024
Mariane ALVARADE, Présidente de chambre à la cour d'appel de Rouen, spécialement désignée par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées,
Assistée de Fanny GUILLARD, Greffière ;
Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu l'arrêté du Préfet de Seine-Maritime en date du 30 septembre 2022 portant obligation de quitter le territoire français pour M. [S] [Y], né le 15 Janvier 1990 à [Localité 1] (ALGERIE) ;
Vu l'arrêté du Préfet de Seine-Maritime en date du 24 mai 2024 de placement en rétention administrative de M. [S] [Y] ayant pris effet le 24 mai 2024 à 18 heures 30 ;
Vu la requête de M. [S] [Y] en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative ;
Vu la requête du Préfet de Seine-Maritime tendant à voir prolonger pour une durée de vingt huit jours la mesure de rétention administrative qu'il a prise à l'égard de M. [S] [Y] ;
Vu l'ordonnance rendue le 27 Mai 2024 à 13 heures 30 par le Juge des libertés et de la détention de ROUEN, déclarant la décision de placement en rétention prononcée à l'encontre de M. [S] [Y] régulière, et ordonnant en conséquence son maintien en rétention pour une durée de vingt-huit jours à compter du 26 mai 2024 à 18 heures 30 jusqu'au 23 juin 2024 à la même heure ;
Vu l'appel interjeté par M. [S] [Y], parvenu au greffe de la cour d'appel de Rouen le 28 mai 2024 à 11 heures 29 ;
Vu l'avis de la date de l'audience donné par le greffier de la cour d'appel de Rouen :
- aux services du directeur du centre de rétention de [Localité 2],
- à l'intéressé,
- au Préfet de Seine-Maritime,
- à Mme Angélique MACREL, avocat au barreau de ROUEN, de permanence,
- à Monsieur [D] [I], interprète en langue arabe ;
Vu les dispositions des articles L 743-8 et R 743-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la décision prise de tenir l'audience grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle et d'entendre la personne retenue par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 2] ;
Vu la demande de comparution présentée par M. [S] [Y] ;
Vu l'avis au ministère public ;
Vu les observations du Préfet de Seine-Maritime ;
Vu les débats en audience publique, en présence de Monsieur [D] [I], interprète en langue arabe, expert assermenté, en l'absence du Préfet de Seine-Maritime et du ministère public ;
Vu la comparution de M. [S] [Y] par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 2];
Mme Angélique MACREL, avocat au barreau de ROUEN, étant présente au palais de justice ;
Vu les réquisitions écrites du ministère public ;
Les réquisitions et les conclusions ont été mises à la disposition des parties ;
L'appelant et son conseil ayant été entendus ;
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Décision prononcée par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS
M. [S] [Y] a été placé en rétention administrative le 24 mai 2024.
Saisi d'une requête du préfet de la Seine-Maritime en prolongation de la rétention et d'une requête de M. [S] [Y] contestant la mesure de rétention, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rouen a, par ordonnance du 27 mai 2024 autorisé la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-huit jours, décision contre laquelle M. [S] [Y] a formé un recours.
A l'appui de son recours, l'appelant allègue l'irrégularité de la procédure de placement en rétention en ce que la décision de placement est dépourvue de base légale, que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation et qu'il a été victime de traitement inhumain et dégradant. Il conclut également à l'absence de diligences de l'administration pour parvenir à son éloignement et demande l'infirmation de l'ordonnance et sa remise en liberté.
A l'audience, son conseil a réitéré les moyens développés dans l'acte d'appel. M. [S] [Y] a été entendu en ses observations.
Le préfet de la Seine-Maritime demande la confirmation de l'ordonnance.
Le dossier a été communiqué au parquet général qui, par conclusions du 27 mai 2024, requiert la confirmation de la décision.
MOTIVATION DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel
Il résulte des énonciations qui précédent que l'appel interjeté par M. [S] [Y] à l'encontre de l'ordonnance rendue le 27 Mai 2024 par le juge des libertés et de la détention de Rouen est recevable.
M. [S] [Y] soutient que les dispositions de la loi du 26 janvier 2024 portant à trois ans la validité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ne sont pas applicables aux décisions administratives antérieures, l'article 2 du code civil énonçant que la loi ne dispose que pour l'avenir et qu'elle n'a point d'effet rétroactif, que l'arrêté de placement en rétention administrative pris le 24 mai 2024 sur le fondement d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français en date du 30 septembre 2022 est dépourvu de base légale, aucune disposition transitoire n'étant venue régler les situations dans lesquelles l'obligation de quitter le territoire français a été notifiée plus d'un an avant son entrée en vigueur.
Aux termes de l'article L.741-1 alinéa 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
L'article L. 731-1 auquel il est fait référence, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024 n°2024-42, dispose en son paragraphe 1° que l'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans le cas de l''étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé.
Il résulte de l'article 72 de la loi précité modifiant l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que lesdites dispositions sont d'application immédiate.
Dès lors, l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français servant de base légale au placement en rétention peut avoir été prise jusqu'à 3 ans auparavant, au lieu d'un an, l'article 72 précité ayant pour effet d'allonger à 3 ans la période exécutoire de l'obligation de quitter le territoire français permettant un placement en rétention ou une assignation à résidence en vue d'une expulsion.
En d'autres termes, la rétention peut être diligentée à l'encontre de l'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé, sans que ne puisse être opposé le principe posé par l'article 2 du code civil, sous peine de vider de tout leur sens les dispositions de l'article L. 731 -1.
La cour rappellera à toutes fins qu'il ne revient pas au juge judiciaire d'apprécier la légalité de la mesure d'éloignement.
L'ordonnance qui a rejeté ce moyen sera confirmée.
Sur le défaut d'examen de la situation personnelle de l'étranger lié à la possibilité de l'assigner à résidence
M. [S] [Y] reproche au préfet de l'avoir placé en rétention, alors qu'il dispose d'une adresse stable, qu'il a déposé une demande de titre de séjour auprès de la Préfecture le 21 novembre 2023, actuellement en cours de traitement, qu'il a de la famille en France notamment son frère qui a la nationalité française et qu'il est marié avec une ressortissante française depuis le 21 septembre 2023, celle-ci étant enceinte d'un mois. Il reconnaît ne pas être en possession d'un document de voyage en cours de validité, mais estime que l'absence de cette pièce ne pouvait valablement fonder le refus de l'assigner à résidence.
Aux termes de l'article L.741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut placer en rétention pour une durée de 48 heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision, le risque mentionné au premier alinéa étant apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3.
Par ailleurs, aux termes des articles L. 731-1 et L. 731-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné à l'article L. 612-2,3°, qu'il se soustraie à cette obligation.
Le fait de justifier disposer d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale conforme à l'article L. 612-3, 8° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut légitimement être considéré par l'autorité préfectorale comme insuffisant pour accorder à l'étranger une assignation à résidence sur le fondement des articles précités, dès lors que d'autres éléments de fait permettent raisonnablement de considérer que l'étranger n'entend pas se conformer à l'obligation de quitter le territoire français.
En l'espèce, la situation personnelle de M. [S] [Y] a été examinée sur la base de ses déclarations. Il a ainsi déclaré être marié à Mme [L] [Z] , de nationalité française, depuis octobre 2023 et résider avec celle-ci. L'arrêté précise qu'il n'a pu justifier d'une communauté de vie ancienne, stable et pérenne.
L'arrêté mentionne en outre qu'il a été interpellé et placé en garde à vue le 23 mai 2024 pour des faits de violences sur conjoint en présence de mineur, qu'il n'a pas été en mesure de présenter un document d'identité ou de voyage en cours de validité ou un titre l'autorisant à résider sur le territoire national, que les recherches effectuées au fichier automatisé des empreintes digitales, ont revélé qu'il était défavorablement connu des services de police, que le 30 septembre 2022, il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours, mesure qu'il n'a pas exécutée, qu'il a indiqué résider avec son épouse et ne peut donc être assigné à résidence compte tenu des faits qui ont motivé sa garde à vue.
L'administration a donc mesuré l'ensemble des éléments de la situation personnelle de M. [S] [Y] pour décider de son placement en rétention. Il s'en suit que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant au refus d'une assignation à résidence. Le moyen sera rejeté.
Sur le moyen tiré des violences commises au sein du centre de rétention
L'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme interdit aux États de pratiquer la torture ou de soumettre une personne relevant de leur juridiction à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants.
Il ressort de l'analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'un acte positif ou une absence de prise en charge ne peut relever de la qualification prévue par l'article 3 ci-dessus énoncé que lorsqu'est atteint « le seuil de gravité élevé à partir duquel un traitement peut passer pour inhumain ou dégradant ».
Ainsi pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime.
En l'espèce, M. [S] [Y] allègue avoir été victime de violences au sein du centre de rétention de la part d'un co-retenu. Il produit copie de la plainte déposée notamment par son épouse permettant d'expliquer les circonstances des faits, en ce que lesdites violences ont été perpétrées par l'ex-compagnon de celle-ci, également placé en retention au centre de [Localité 2]. Ces violences étaient donc imprévisibles et en tout état de cause, M. [S] [Y] ne démontre aucunement l'existence d'un climat de violence permanent. Il a d'ailleurs été examiné par un médecin de l'unité médicale qui n'a pas considéré que son état était incompatible avec la rétention.
L'intéressé ne justifie pas avoir été l'objet d'un traitement inhumain ou dégradant.
Le moyen sera en conséquence rejeté.
Sur la demande de prolongation et sur les diligences
Il est établi en procédure que l'administration s'estrapprochée des autorités consulaires algériennes aux fins d'identification de l'intéressé, le 25 mai 2024, soit dans les 24 h du placement en rétention, délai qui ne saurait être considéré comme tardif, qu'une audition était prévue au 28 mai 2024.
Les diligences effectuées apparaissent suffisantes.
L'ordonnance déférée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a autorisé le maintien de la rétention administrative.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable l'appel interjeté par M. [S] [Y] à l'encontre de l'ordonnance rendue le 27 Mai 2024 par le Juge des libertés et de la détention de ROUEN ordonnant son maintien en rétention pour une durée de vingt-huit jours,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions.
Fait à Rouen, le 29 Mai 2024 à 11 heures 00.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE DE CHAMBRE,
NOTIFICATION
La présente ordonnance est immédiatement notifiée contre récépissé à toutes les parties qui en reçoivent une expédition et sont informées de leur droit de former un pourvoi en cassation dans les deux mois de la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.