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04/05/2022 | FRANCE | N°22/01475

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre des etrangers, 04 mai 2022, 22/01475


N° RG 22/01475 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JCGQ





COUR D'APPEL DE ROUEN



JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT





ORDONNANCE DU 04 MAI 2022









Nous, Jocelyne LABAYE, Conseillère à la cour d'appel de Rouen, spécialement désigné par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour le suppléer dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées,



Assisté de Jean-François GEFFROY, Greffier ;



Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour

des étrangers et du droit d'asile ;





Vu l'arrêté du Préfet de la Seine-Maritime en date du 29 avril 2022 portant obligation de quitter le territoire français pou...

N° RG 22/01475 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JCGQ

COUR D'APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 04 MAI 2022

Nous, Jocelyne LABAYE, Conseillère à la cour d'appel de Rouen, spécialement désigné par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour le suppléer dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées,

Assisté de Jean-François GEFFROY, Greffier ;

Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'arrêté du Préfet de la Seine-Maritime en date du 29 avril 2022 portant obligation de quitter le territoire français pour M. [Y] [B]

né le 08 Mars 1984 à Shkoder (Albanie) de nationalité Albanaise ;

Vu l'arrêté du Préfet de la Seine-Maritime en date du 29 avril 2022 de placement en rétention administrative de M. [Y] [B] ayant pris effet le 29 avril 2022 à 16 heures 25 ;

Vu la requête de M. [Y] [B] en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative ;

Vu la requête du Préfet de la Seine-Maritime tendant à voir prolonger pour une durée de vingt huit jours la mesure de rétention administrative qu'il a prise à l'égard de M. [Y] [B] ;

Vu l'ordonnance rendue le 02 Mai 2022 à 16 heures 45 par le Juge des libertés et de la détention de Rouen, déclarant la décision de placement en rétention prononcée à l'encontre de M. [Y] [B] régulière, et ordonnant en conséquence son maintien en rétention pour une durée de vingt-huit jours à compter du 01 mai 2022 à 16 heures 25 jusqu'au 29 mai 2022 à la même heure ;

Vu l'appel interjeté par M. [Y] [B], parvenu au greffe de la cour d'appel de Rouen le 03 mai 2022 à 12 heures 59 ;

Vu l'avis de la date de l'audience donné par le greffier de la cour d'appel de Rouen :

- aux services du directeur du centre de rétention de Oissel,

- à l'intéressé,

- au Préfet de la Seine-Maritime,

- à Me Marie CAMAIL, avocat au barreau de Rouen, de permanence,

- à Mme [V] [S] interprète en langue albanaise ;

Vu les dispositions des articles L 743-8 et R 743-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la décision prise de tenir l'audience grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle et d'entendre la personne retenue par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de Oissel ;

Vu la demande de comparution présentée par M. [Y] [B] ;

Vu l'avis au ministère public ;

Vu les débats en audience publique, en la présence, de Madame [V] [S] interprète en langue albanaise, expert assermenté,Mme [W] [N] représentant le Préfet de la Seine-Maritime et en l'absence du ministère public ;

Vu la comparution de M. [Y] [B] par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de Oissel ;

Me Marie CAMAIL, avocat au barreau de Rouen étant présent au palais de justice

Vu les réquisitions écrites du ministère public ;

Les réquisitions et les conclusions ont été mises à la disposition des parties ;

L'appelant et son conseil ayant été entendus ;

****

Décision prononcée par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

***

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS

M. [Y] [B] a été placé en rétention administrative le 29 avril 2022.

Saisi d'une requête du préfet de la Seine-Maritime en prolongation de la rétention et d'une requête de M. [B] contestant la mesure de rétention, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rouen a, par ordonnance du 02 mai 2022 autorisé la prolongation de la rétention pour une durée de vingt huit jours, décision contre laquelle M. [B] a formé un recours.

A l'appui de son recours, l'appelant allègue la violation de ses droits fondamentaux et conclut à la violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme et de l'article 3-1 de la Convention Internationale des droits de l'enfant, l'absence d'examen réel de la possibilité de l'assigner à résidence, à l'absence de diligences de l'administration pour parvenir à son éloignement. Il demande au premier président de réformer l'ordonnance et de dire qu'il n'y a pas lieu de le maintenir en rétention.

A l'audience, le conseil de M. [B] expose qu'il en France depuis cinq ans, il a fui son pays du fait des violences engendrées par des problèmes avec sa belle-famille, M. [B] a une femme et trois enfants lesquels sont scolarisés en France. Il a un contrat de travail et un contrat de location, il travaille depuis longtemps en France et paie des cotisations sociales et des impôts.

Le conseil de M. [B] fait valoir que, lors de la notification de l'arrêté préfectoral, les coordonnées de l'interprète ne lui ont pas été données, l'interprète n'était pas présente physiquement, soit le procès-verbal contient une erreur, soit c'est un faux, mais les policiers n'ont pas demandé à l'interprète de venir au commissariat. Il s'agit de la même interprète que celle présente à l'audience aujourd'hui, elle peut le confirmer.

Mme [V] [S] confirme que les policiers ne lui ont pas demandé si elle pouvait se déplacer ou non.

Il y a atteinte à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme, M. [B] est à Rouen, sa femme et ses enfants sont dans le Calvados, les liens sont coupés. M. [B] pouvait être assigné à résidence, lorsqu'il a été entendu, on ne lui a pas demandé son adresse, il est déloyal ensuite de considérer que le préfet ne connaissait pas son adresse puisqu'on ne lui a pas demandé de la préciser. M. [B] est en France depuis cinq ans, il peut faire une demande de régularisation.

La représentante du préfet de la Seine-Maritime demande la confirmation de l'ordonnance : le problème lié à l'interprétariat n'est un moyen repris dans la déclaration d'appel. Les policiers ont tenté de joindre trois interprètes avant d'appeler Mme [S], laquelle habite [A], si elle avait du venir au commissariat, le délai de route était trop important pour notifier les droits dans les meilleurs délais, M. [B] n'a pas fait état de problème de compréhension, les coordonnées de l'interprète sont au procès-verbal dont M. [B] a eu copie, avoir des enfants n'empêche pas le placement en rétention, les visites et les appels téléphoniques au centre permettent de garder les liens, la compagne de l'intéressé est en situation irrégulière, la famille peut se reformer en Albanie, l'assignation à résidence n'était pas possible, M. [B] n'a respecté une précédente assignation, il s'est dit sans domicile fixe, et ensuite il a dit habiter une maison sans donner l'adresse, il y a plusieurs adresses sur les documents qu'il produit.

M. [B] dit ne pas être d'accord avec ce que la police a fait, il n'est pas le premier ni le dernier à avoir été interpellé, il y a beaucoup de sans papiers comme lui, si la France fait ça pour tous, il n'y aura plus personne ici. M. [B] dit vouloir rester en France, il est sérieux, il n'a rien fait de grave. Pour l'assignation à résidence, il n'a pas pointé parce qu'il avait changé de ville et il n'avait pas de transport pour aller pointer. Il a un travail, il est peintre, il paie des cotisations. Il va demander un titre de séjour pour rester en France, sa fille y est née. S'il est libéré, il ira travailler pour nourrir sa famille. Son adresse est 12 route du Four à Soliers, il a un logement là depuis huit mois, le bailleur est un particulier, c'est un turc, il peut rester longtemps s'il veut et même plus tard acheter le logement. Pour le contrat de travail, l'employeur est un albanais. M. [B] ajoute avoir des problèmes en Albanie, il ne peut pas y retourner.

Le dossier a été communiqué au parquet général qui, par conclusions écrites non motivées du 03 mai 2022, sollicite la confirmation de la décision.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'appel

Il résulte des énonciations qui précédent que l'appel interjeté par M. [Y] [B] à l'encontre de l'ordonnance rendue le 02 Mai 2022 par le juge des libertés et de la détention de Rouen est recevable.

Sur le fond

Les moyens soulevés devant le premier juge sont repris, même s'ils ne sont pas mentionnés dans la déclaration d'appel, la préfecture était représentée à l'audience et a pu s'en expliquer, la procédure est contradictoire.

Selon l'article L 141-3 al 2 en cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger.

Le texte de l'article L 141-3 exige que la nécessité de recourir à un interprète par voie de télécommunication soit mentionnée, sans exiger que l'administration s'explique très précisément sur les éléments qui fondent cette nécessité.

M. [B] a fait l'objet d'un contrôle routier dans Rouen, puis il a été ramené au commissariat. La notification des droits en retenue administrative et l'audition se sont faites avec un interprète intervenant par téléphone. Le procès-verbal mentionne que les policiers ont appelé deux interprètes en albanais, leurs appels sont restés sans réponse. Ils ont réussi à joindre Mme [S], le procès-verbal indique qu'ils ont demandé à l'interprète si elle pouvait se déplacer et elle aurait répondu qu'elle ne pouvait venir au commissariat 'dans un délai raisonnable'. A l'audience, la même interprète indique qu'en réalité, les policiers ne lui ont pas demandé de venir. Il sera noté que Mme [S] réside à [A] dans l'Eure. Même si le procès-verbal contient une erreur sur la demande de présence physique de l'interprète, il demeure que cette information téléphonique a été effectuée pour permettre à M. [B] de prendre immédiatement connaissance de ses droits dans une langue comprise par lui, que le délai de route de l'interprète aurait retardé de près d'une heure, M. [B] ne fait pas état d'un problème de compréhension des propos traduits par l'interprète, il s'est d'ailleurs longuement et complètement expliqué lors de son audition (M. [B] a refusé de signer le deuxième procès-verbal d'audition, non pas parce qu'il n'avait pas compris les propos traduits mais parce qu'il ne 'veut pas retourner en Albanie'). Les coordonnées de cette interprète lui ont été données à l'issue de la procédure. Dans ces conditions, aucune atteinte aux droits de l'étranger, de nature à justifier la mainlevée de la mesure au sens de l'article L 743-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est caractérisée. Dès lors, ce moyen doit être rejeté comme étant mal fondé

Une mesure de rétention administrative, qui a pour but de maintenir à disposition de l'administration un ressortissant étranger en situation irrégulière sur le territoire français n'entre pas en contradiction, en soi, avec le droit au respect de la vie privée et familiale prévu à l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ni avec l'intérêt supérieur de l'enfant de l'article 3-1 de la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant. Les liens avec le retenu peuvent être maintenus, il peut recevoir des appels téléphoniques et des visites au centre de rétention administrative. Soutenir que le renvoyer dans son pays romprait les liens avec ses enfants revient en fait à critiquer la décision d'éloignement, laquelle ne dépend pas du juge judiciaire.

M. [B] a fait une demande d'asile, rejetée par l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides le 11 mai 2017, rejet confirmé le 30 janvier 2018 par la Cour nationale du droit d'asile. Il a ensuite fait l'objet le 23 mai 2018 d'un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français par le préfet du Calvados, il n'a pas déféré à cette mesure. Le 22 mars 2019, M. [B] a fait l'objet d'un arrêté portant assignation à résidence pour durée de quarante cinq jours par la préfecture du Calvados. Il ne s'est jamais présenté à l'hôtel de police de Caen pour effectuer ses pointages hebdomadaires, ce que reconnaît M. [B] invoquant des problèmes de transport. Un nouvel arrêté portant obligation de quitter le territoire français a été pris le 29 avril 2022.

M. [B] est en couple avec Mme [J] [F], également en situation irrégulière, avec trois enfants à charge. Il exerce une activité professionnelle sans document l'y autorisant, M. [B] travaillerait depuis plusieurs mois mais le contrat de travail produit aux débats fait état d'une embauche à compter du 26 avril 2022 (sous réserve de la visite médicale, de la déclaration d'embauche ...). Lorsqu'il a été entendu en retenue, il a indiqué être sans domicile fixe ou connu, dans un premier temps, puis, occuper une petite maison, pour 150 euros par mois, sans préciser l'adresse, dans sa deuxième audition, il a expliqué habiter à Soliers. Les pièces produites mentionnent plusieurs adresses : 51 Quai de Juillet, rue du Marais à Caen, 13 Route de Soliers à Grentheville, 12 Route du Four à Grentheville. Interrogé à l'audience, M. [B] a précisé habiter Rue du Four à Soliers (ville voisine '), le contrat de location mentionne un loyer de 300 suros. En outre, lors de son audition du 29 avril 2022, l'intéressé a déclaré qu'il ne voulait pas quitter la France et a refusé de signer les arrêtés pour ce motif. Il dit être en France depuis cinq ans mais il est titulaire d'un passeport albanais expiré ne portant aucune date d'entrée en France. M. [B] s'est maintenu sur le territoire après le rejet de ses demandes de titre, et ce, de façon durable, attendant une régularisation face au fait accompli de la durée de son séjour.

Le premier juge a justement estimé que, au vu de l'insuffisance de garanties de représentation, du risque de fuite et de soustraction à l'obligation de quitter le territoire français, la mesure de rétention était proportionnée au but poursuivi. Le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation sur la situation de l'intéressé, lequel ne peut être assigné à résidence, faute de justifier de la réalité d'une résidence et produire l'original d'un passeport en cours de validité.

L'ordonnance du juge des libertés et de la détention sera confirmée.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,

Déclarons recevable l'appel interjeté par M. [Y] [B] à l'encontre de l'ordonnance rendue le 02 mai 2022 par le juge des libertés et de la détention de Rouen, ordonnant son maintien en rétention pour une durée de vingt-huit jours,

Confirmons la décision entreprise en toutes ses dispositions.

Fait à Rouen, le 04 mai 2022 à 14 heures 25.

LE GREFFIER,LE CONSEILLER,

NOTIFICATION

La présente ordonnance est immédiatement notifiée contre récépissé à toutes les parties qui en reçoivent une expédition et sont informées de leur droit de former un pourvoi en cassation dans les deux mois de la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre des etrangers
Numéro d'arrêt : 22/01475
Date de la décision : 04/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-04;22.01475 ?
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