R. G : 06 / 03273
COUR D'APPEL DE ROUEN
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 26 MAI 2008
DÉCISION DÉFÉRÉE :
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DIEPPE du 28 Juin 2006
APPELANTE :
VILLE DE DIEPPE
Hôtel de Ville
Parc Jéhan Ango
76203 DIEPPE CEDEX
représentée par la SCP LEJEUNE MARCHAND GRAY SCOLAN, avoués à la Cour
assistée de Me Pascale RONDEL, avocat au barreau de Dieppe
INTIMÉ :
Monsieur Guy Z...
...
76200 DIEPPE
représenté par la SCP COLIN-VOINCHET RADIGUET-THOMAS ENAULT, avoués à la Cour
assisté de Me Yves VINCENT, avocat au barreau de Dieppe
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2007 / 007510 du 25 / 06 / 2007 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 20 Mars 2008 sans opposition des avocats devant Madame BARTHOLIN, Présidente, rapporteur, en présence de Madame VINOT, Conseiller.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BARTHOLIN, Présidente
Monsieur LOTTIN, Conseiller
Madame VINOT, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Madame DURIEZ, Greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 20 Mars 2008, où la présidente a été entendue en son rapport oral et l'affaire mise en délibéré au 22 Mai 2008, délibéré prorogé au 26 Mai 2008 du fait d'un mouvement de grève dans la fonction publique
ARRÊT :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 22 Mai 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BARTHOLIN, Présidente et par Madame DURIEZ, Greffier.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Faits et procédure :
Monsieur Z...a fait assigner la commune de Dieppe devant le Tribunal de Grande Instance de Dieppe en paiement de la somme principale de 40 944, 79 €.
Il fait valoir qu'il avait été choisi par la ville de Dieppe pour mettre à la disposition des administrés des fosses mobiles ainsi que pour procéder à leur exploitation et leur entretien. Le matériel était entreposé dans les locaux dépendant de la station de relevage des égouts de Dieppe, sis .... Au cours de l'année 1996, il a pu constater que les locaux s'étaient dégradés et que du matériel avait disparu, et que les locaux avaient été mis à la disposition d'un autre concessionnaire.
Par ordonnance en date du 28 juin 2006, le juge de la mise en état près le Tribunal de Grande Instance de Dieppe a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la ville de Dieppe,
- dit que le Tribunal de Grande Instance de Dieppe est compétent pour connaître du litige opposant Monsieur Z...à la commune de Dieppe,
- dit n'y avoir lieu d'enjoindre à la commune de Dieppe de produire les documents sollicités,
- réservé les dépens.
La commune de Dieppe a relevé appel de cette décision.
Prétentions et moyens des parties :
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 02 octobre 2007 par la ville de Dieppe et le 22 août 2007 par Monsieur Guy Z....
Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.
La ville de Dieppe conclut à l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire au profit du Tribunal Administratif de Rouen, sollicite la condamnation de Monsieur Z...au paiement de la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.
La ville de Dieppe soutient à titre subsidiaire que l'action de Monsieur Z...est prescrite.
Monsieur Z...conclut à la confirmation de l'ordonnance dont appel, et à la condamnation de la ville de Dieppe au paiement de la somme de 700 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.
SUR CE, LA COUR,
Sur l'exception d'incompétence relative à la voie de fait :
Monsieur Z...prétend avoir conclu dans les années 1970 avec la ville de Dieppe un contrat de concession ayant pour objet la mise à la disposition des administrés des fosses mobiles, leur exploitation, enlèvement, transport, nettoyage, remise en service, et plus généralement leur entretien courant, exploitation précédemment concédée au Sanitarium de Dieppe.
Monsieur Z...soutient encore que les courriers versés aux débats permettent d'établir qu'il bénéficiait de la jouissance du dépôt appartenant à la ville de Dieppe, et que celle-ci a fait évacuer le mobilier s'y trouvant, qu'ainsi la voie de fait serait caractérisée par l'atteinte brutale à son droit de propriété, réalisée sans préavis ni indemnité.
Or le contrat de concession n'est pas versé aux débats ; et le courrier en date du 07 janvier 1997 émanant de la ville de Dieppe ne constitue qu'une réponse aux courriers de réclamation adressés par Monsieur Z...mais, en se bornant par le conditionnel qui y est exprimé à des hypothèses concernant le droit invoqué, ne saurait tenir lieu de titre ou de reconnaissance d'un titre ; « l'usage de ce dépôt vous Monsieur Z...aurait été accordé à titre gratuit il y a plusieurs années », et « malgré de nombreuses recherches effectuées dans les différents services concernés (hygiène-techniques-urbanisme-etc …), nous n'avons pas retrouvé trace de cette autorisation officielle. »
Il n'y a en outre voie de fait que lorsque l'Administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières d'une décision même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l'un ou l'autre de ces effets si cette décision est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.
Il s'en dégage que l'existence d'une voie de fait résulte de la coexistence de trois conditions : une activité matérielle d'exécution, une atteinte portée au droit de propriété ou à une liberté fondamentale et une irrégularité grossière affectant l'action de l'Administration.
Or, d'une part, Monsieur Z...ne justifie ni de la réalité ni même de l'apparence d'un quelconque droit de propriété, puisque outre qu'il ne rapporte pas la preuve ou un commencement de preuve de l'existence d'un contrat de concession de service public, il ne rapporte pas davantage la moindre preuve ou commencement de preuve de la jouissance par lui ou son entreprise des locaux dont il invoque avoir été évincé par la commune ; les constats d'huissier sont impropres à constituer cette preuve dès lors qu'il ne font que reprendre les affirmations de Monsieur Z...sans constater le moindre élément de son activité personnelle dans les lieux objet des constats.
D'autre part, la commune de Dieppe, dans son courrier précité, énonce que « le concessionnaire du service des Eaux et Assainissement en raison de problèmes de salubrité (présence de rats), a fait évacuer par l'intermédiaire d'une entreprise spécialisée sans aucune contrepartie financière dans les conditions normales d'hygiène ».
Le point de savoir une éventuelle circonstance exceptionnelle tenant à l'urgence et à l'hygiène ne peut justifier l'intervention du service des eaux et assainissement ne relève pas de l'appréciation du juge judiciaire mais de celle du juge administratif.
Il s'ensuit que les conditions de la voie de fait ne sont pas réunies et que le juge judiciaire n'est pas compétent pour trancher, seul le juge administratif l'étant.
En effet, relèvent de la compétence des juridictions administratives, sous réserve de dispositions législatives spéciales, et sauf dans le cas de voie de fait ou dans celui où s'élève une contestation sérieuse en matière de propriété, les litiges nés de l'occupation sans titre du domaine public, que celle-ci résulte de l'absence de tout titre d'occupation ou de l'expiration, pour quelque cause que ce soit, du titre précédemment détenu.
En l'espèce, Monsieur Z...ne rapportant la preuve ni d'un titre d'occupation du domaine public ni de la jouissance des locaux appartenant au domaine public dont il prétend avoir été évincé, la Cour ne peut que l'inviter à mieux se pourvoir devant le juge administratif compétent.
Sur la forclusion de l'action :
Monsieur Z...arguant de l'irrecevabilité de la prétention subsidiaire invoquée par la ville de Dieppe tenant à la forclusion de l'action par application de la règle de la déchéance quadriennale, la Cour qui a rejeté la qualification de voie de fait, ne peut que constater que cette demande est sans objet.
Sur les autres demandes :
Monsieur Z...supportera les entiers dépens et paiera à la ville de Dieppe une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Donne acte à la SCP LEJEUNE MARCHAND GRAY SCOLAN avoués de ce qu'elle se constitue aux lieu et place de la SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY,
Infirme l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions,
Dit que les conditions de la voie de fait ne sont pas réunies,
Accueille l'exception d'incompétence et invite Monsieur Z...à mieux se pourvoir devant la juridiction de l'ordre administratif seule compétente pour connaître du litige l'opposant à la commune de Dieppe,
Condamne Monsieur Z...aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à la ville de Dieppe une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,