R.G : 05/04972
COUR D'APPEL DE ROUEN
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 26 MAI 2008
DÉCISION DÉFÉRÉE :
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DU HAVRE du 01 Décembre 2005
APPELANTE :
COMPAGNIE MACIF - VAL DE SEINE PICARDIE
Centre de gestion
1 rue Claude Bernard - B.P. 349
60323 COMPIEGNE CEDEX
représentée par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour
assistée de Me Marc ABSIRE, avocat au barreau de Rouen
INTIMÉS :
S.A. AXA FRANCE IARD
26, rue Drouot
75009 PARIS
représentée par la SCP LEJEUNE MARCHAND GRAY SCOLAN, avoués à la Cour
assistée de Me Pascal MARTIN-MENARD, avocat au barreau du Havre
Monsieur Roger Eugène A... B...
...
76330 NOTRE DAME DE C...
représenté par Me Marie-Christine COUPPEY, avoué à la Cour
assisté de Me Philippe D..., avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Madame BARTHOLIN, Présidente
Monsieur LOTTIN, Conseiller
Madame VINOT, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Madame LECUYER, Greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 19 Mars 2008, où la présidente a été entendue en son rapport oral et l'affaire mise en délibéré au 22 Mai 2008, délibéré prorogé au 26 Mai 2008 du fait d'un mouvement de grève dans la fonction publique
ARRÊT :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 22 Mai 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BARTHOLIN, Présidente et par Madame DURIEZ, Greffier.
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Exposé du litige
Le 3 mai 1996 vers 2 h 00 du matin, M. Roger B... a enflammé l'essence qu'il venait de verser à partir de plusieurs bidons dans une cave de l'immeuble situé ... au Havre, dans lequel résidait son ancienne amie Madame E... qui l'avait éconduit, déclenchant une importante explosion et un incendie qui a ravagé l'immeuble et causé de graves blessures à plusieurs occupants.
Il a été déclaré coupable de ces faits sous la qualification de dégradation ou détérioration de biens meubles et immeubles par l'effet d'une substance explosive ou d'un incendie par un arrêt de la cour d'assises de la Seine Maritime rendu le 15 octobre 1999.
La compagnie Axa Assurances, assureur de la copropriété de cet immeuble, a réglé le 25 juillet 2002 au syndic de la copropriété de l'immeuble détruit une somme de 9.340.992,06 €.
Suite au refus de la compagnie Macif Val de Seine Picardie, assureur responsabilité civile de M. B..., la compagnie Axa Assurances a assigné ces deux derniers le 23 mai 2003 et a sollicité leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 1.424.025,06 € avec intérêts de droit à compter du 3 septembre 2002 et capitalisation de ces intérêts ainsi qu'une somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles.
Par jugement rendu le 1er décembre 2005, le tribunal de grande instance du Havre a :
- dit que M. Roger B... n'a pas commis une faute intentionnelle excluant la garantie de son assureur, la Macif,
- condamné solidairement M. Roger B... et la Macif à payer à la compagnie Axa France Iard la somme de 1.424.025,06 € augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 3 septembre 2002,
- dit que les intérêts seront capitalisés en application de l'article 1154 du code civil,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement,
- condamné solidairement M. Roger B... et la Macif à payer à la compagnie Axa France Iard la somme de 1.200 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamné solidairement M. Roger B... et la Macif à supporter les dépens.
Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a notamment retenu que la faute intentionnelle au sens de l'article L 113-1 du code des assurances, qui a pour effet d'exclure la garantie de l'assureur, implique la volonté de l'assuré de créer le dommage tel qu'il est survenu. Il a jugé qu'en l'espèce, compte tenu des déclarations de M. B... sur sa volonté de se suicider et des anomalies de sa personnalité faisant apparaître des aspects dépressifs, il n'était pas établi qu'il ait eu l'intention de blesser des personnes ou de détruire l'immeuble.
La compagnie Macif Val de Seine Picardie a interjeté appel de cette décision.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2008.
Prétentions et moyens des parties
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 14 février 2008 par la société Macif Val de Seine Picardie (société Macif), le 3 mars 2008 par la société Axa France Iard (société Axa) et le 5 mars 2008 par M. B....
Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.
La société Macif sollicite la réformation du jugement et demande à la cour de dire qu'elle est fondée à refuser sa garantie en application de l'article L 113-1 alinéa 2 du code des Assurances, de débouter la société Axa et M. B... de leurs demandes et de condamner la société Axa à lui payer une indemnité de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Axa sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle demande à la cour de débouter la société Macif de ses demandes et de la condamner à lui payer une indemnité de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
M. B... sollicite la confirmation du jugement entrepris. Il demande à la cour de débouter la société Macif de ses demandes et de la condamner à lui payer une indemnité de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce, la Cour,
Aucune des parties ne critique les dispositions du jugement ayant condamné M. B... à payer à la société Axa la somme de 1.424.025,06 € augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 3 septembre 2002, ni celles ayant dit que les intérêts seraient capitalisés, ni enfin celles l'ayant condamné à payer à la société Axa une somme de 1.200 € au titre des frais irrépétibles.
Dès lors, ces dispositions ne peuvent qu'être confirmées.
Il résulte de l'article L 113-1 alinéa 2 du code des assurances que l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.
Pour que cette règle soit applicable, il faut que l'assuré ait recherché les conséquences dommageables de son acte.
Pour conclure à la confirmation du jugement, M. B... et la société Axa font valoir que l'acte incendiaire a été commis uniquement dans une intention suicidaire, sans que son auteur, qui agissait sous l'effet de sentiments passionnels et n'avait pas la pleine conscience de ses actes, ait recherché à détruire l'immeuble.
Toutefois, si il est constant que M. B... était très malheureux de la rupture avec Madame E..., la thèse de la tentative de suicide ne résulte que de ses propres déclarations et n'est pas corroborée par les autres éléments de l'enquête.
La préparation minutieuse depuis plusieurs jours d'une importante explosion dans une cave d'immeuble, local clos et confiné, qui devait nécessairement mettre le feu de façon rapide et spectaculaire à l'immeuble, alors que l'auteur est resté à l'extérieur du bâtiment (à proximité selon ses déclarations), correspond bien, non à une hypothétique tentative de suicide mais à la volonté d'incendier cet immeuble, ainsi que l'a retenu la cour d'assises qui non seulement a déclaré M. B... coupable de détérioration ou dégradation volontaire de cet immeuble par l'effet d'une substance explosive ou d'un incendie, mais aussi, en prononçant une peine importante de 8 ans de réclusion criminelle, a manifesté ainsi sa conviction quant à l'intention de l'auteur de causer les préjudices survenus.
M. B..., ancien ingénieur chimiste en retraite, ne pouvait ignorer que, ainsi que l'a exposé l'expert M. F..., l'importante quantité d'hydrocarbure ne pouvait qu'aboutir au scénario décrit, celui d'une explosion immédiate dès la mise à feu qui a détruit aussitôt les structures de la construction, faisant s'effondrer certains plafonds et sortir de leurs gonds les portes des appartements, et provoqué une très rapide propagation de l'incendie aux étages par les orifices ouverts par le souffle de l'explosion, à tel point que les habitants du troisième étage ont été contraints de s'échapper en sautant par la fenêtre avant même l'arrivée des pompiers.
Encore l'expert avait-il évalué la quantité d'essence à 15 litres alors qu'il s'est avéré que M. G... avait déversé 20 litres de ce produit avant d'opérer la mise à feu.
Si M. B... a déclaré qu'il était resté a proximité en "sachant très bien qu'il allait y avoir une explosion", l'expert a estimé pour sa part que l'auteur de la mise à feu avait dû être sérieusement brûlé.
En réalité, M. B... s'est échappé suffisamment vite pour n'être que légèrement brûlé et atteint par les projections de gravats, ce que confirment plusieurs témoins qui l'ont vu quitter les lieux précipitamment aussitôt après l'explosion.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est établi que M. B... a voulu déclencher un grave incendie de l'immeuble de nature à le détruire entièrement, ce qui s'est effectivement produit.
Dès lors que cet assuré a volontairement causé le dommage, la garantie de son assureur doit être exclue et la société Axa sera déboutée de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la Macif.
La société Axa sera également déboutée de sa demande faite à l'encontre de la société Macif au titre des frais irrépétibles et sera condamnée à payer à ce titre à cette dernière une somme de 3.000 €.
M. B... sera débouté de sa demande faite à l'encontre de société la Macif au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en celles de ses dispositions qui ont condamné M. Roger B... à payer à la société Axa France Iard la somme de 1.424.025,06 € augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 3 septembre 2002, en celles qui ont dit que les intérêts seraient capitalisés, en celles qui ont condamné M. Roger B... à payer à la société Axa une somme de 1.200 € au titre des frais irrépétibles, et en celles qui ont condamné M. Roger B... aux dépens de première instance,
Le réformant pour le surplus,
Dit que M. Roger B... a commis une faute intentionnelle excluant la garantie de son assureur, la société Macif Val de Seine Picardie,
Déboute la société Axa France Iard de ses prétentions en ce qu'elles sont dirigées contre la société Macif Val de Seine Picardie, tant en ce qui concerne sa demande principale que ses demandes au titre des frais irrépétibles,
Déboute M. B... de sa demande faite en cause d'appel au titre des frais irrépétibles à l'encontre de la société Macif Val de Seine Picardie,
Condamne la société Axa France Iard à payer à la société Macif Val de Seine Picardie une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Axa France Iard à payer les dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,