R. G : 05 / 04393
COUR D'APPEL DE ROUEN
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 19 MAI 2008
DÉCISION DÉFÉRÉE :
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'EVREUX du 04 Novembre 2005
APPELANTES :
S. A. AXA CORPORATE SOLUTIONS
4 rue Jules Lefebvre
75246 PARIS CEDEX 09
SA ALLIANZ MARINE ET AVIATION (FRANCE) venant aux droits de AGF MAT
23 rue Notre Dame des Victoires
75009 PARIS
Société AMICA INSURANCE
100 Amica Way
Lincoln RI 02 865
00 LINCOLN-USA
S. A. CONTINENT IARD
62 rue de Richelieu
75002 PARIS
SA ACE INSURANCE
Le Colisée
8 avenue de l'Arche
92419 COURBEVOIE CEDEX
BRITISH AND FOREIGN MARINE INSURANCE
New Hall Place
LIVERPOOL L 693- GRANDE BRETAGNE
Société WINTERTHUR ASSURANCES
72 rue du Faubourg Saint Honoré
75009 PARIS
COMPAGNIE GROUPAMA NAVIGATION et TRANSPORTS venant aux droits de GAN INCENDIE ACCIDENTS
1, Quai George V
76600 LE HAVRE
SA GENERALI FRANCE ASSURANCES
5, rue de Londres
75456 PARIS CEDEX 09
représentées par la SCP LEJEUNE MARCHAND GRAY SCOLAN, avoués à la Cour
assistées de Me Stéphanie SCHWEITZER, avocat au barreau de Paris
INTIMÉS :
Me X..., agissant en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Compagnie MEA
4 rue Le Parvis de St-Maur
94100 ST MAUR DES FOSSES
Me Alain Y..., agissant en sa qualité de liquidateur des opérations d'assurance de la Compagnie MEA
...
BP 509
03005 MOULINS
représentés par la SCP COLIN-VOINCHET RADIGUET-THOMAS ENAULT, avoués à la Cour
assistés de Me Guillaume VIEL, avocat au barreau de Paris
S. A. R. L. SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT
5 rue Turgot
27150 ETREPAGNY
représentée par la SCP DUVAL BART, avoués à la Cour
assistée de Me Gérard FREZAL, avocat au barreau de Rouen
SA GENERALI FRANCE ASSURANCES
5, rue de Londres
75456 PARIS CEDEX 09
CAISSE DE REASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DE CENTRE MANCHE venant aux droits de la CRAMA DE NORMANDIE, exerçant sous l'enseigne GROUPAMA CENTRE MANCHE
88 rue Saint Brice
BP 337
28023 CHARTRES CEDEX
ANGLO FRENCH UNDERWRITERS-AFU SAS
25 rue de Liège
75009 PARIS
Société AIOI INSURANCE COMPANY OF EUROPE LIMITED
anciennement dénommée CHIYODA EUROPE
36 boulevard de la République
92423 VAUCRESSON CEDEX
représentées par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour
assistées de Me Dov HACCOUN, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Madame BARTHOLIN, Présidente
Monsieur LOTTIN, Conseiller
Madame VINOT, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Madame DURIEZ, Greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Mars 2008, où la présidente a été entendue en son rapport oral et l'affaire mise en délibéré au 15 Mai 2008, délibéré prorogé au 19 Mai 2008 du fait d'un mouvement de grève dans la fonction publique
ARRÊT :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 Mai 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BARTHOLIN, Présidente et par Madame DURIEZ, Greffier.
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* *
EXPOSÉ DU LITIGE
La SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT (ci-après dénommée société SO. B. TRAN) exploite des installations de stockage de céréales destinées à l'importation et à l'exportation, sur le port de Bordeaux à Bassens.
Devant effectuer le déchargement d'un navire comportant une cargaison de 31 500 tonnes de tourteaux de soja, la société TRADIGRAIN a pris son contact.
Après vérifications de la propreté des installations et des moyens de réception par la société SGS, le déchargement du navire en question a été opéré à compter du 28 avril 2000, 19 979 tonnes 320 étant effectivement déchargées pour être entreposées dans le magasin no 15 de la société SO. B. TRAN.
Le 3 juillet 2000, la société SO. B. TRAN a informé la société TRADIGRAIN qu'une élévation de température des tourteaux stockés avait été constatée, lui demandant de faire le nécessaire pour évacuer le stock.
La société TRADIGRAIN a répondu qu'elle n'avait pas de contrat de mise à disposition de soja en perspective et qu'il appartenait au stockeur de prendre toutes dispositions utiles pour conserver la marchandise confiée.
Le 5 juillet, la société SGS a procédé, à la demande de la société TRADIGRAIN, à un contrôle visuel de la marchandise et à un relevé de températures concluant qu'il y avait moyen de faire transiler la marchandise sur elle-même pour essayer de faire baisser la température et qu'il était conseillé de bouger le stock par moyens mécaniques.
Le 17 juillet, la société SO. B. TRAN a indiqué à la société TRADIGRAIN que puisqu'il était nécessaire de déplacer la marchandise elle devait donc louer 4 magasins, ce qui serait à la charge de cette dernière outre les frais de manutention et brouettage.
Le 18 juillet, la société TRADIGRAIN a indiqué qu'elle n'entendait pas supporter ces frais, les mesures appropriées devant être mises en oeuvre par le stockeur.
Le 31 juillet, la société SO. B. TRAN a indiqué qu'elle allait répartir le stock en 4 ou 5 lots et acceptait de prendre en charge 50 % des frais, les autres 50 % étant à la charge de TRADIGRAIN.
Le 11 août, la société TRADIGRAIN a donné son accord à ce transfert suivant les termes de ce fax du 31 juillet et le 14 août la société SGS a confirmé un transfert en cours sur le magasin no16 et le magasin Balency ;
Le 16 novembre, la société SO. B. TRAN a informé la société TRADIGRAIN d'un début de combustion d'une partie du stock dans la cellule 15 et ce même jour cette dernière a mandaté Monsieur F... pour examiner les faits constitutifs du sinistre, en déterminer les causes et évaluer le montant du préjudice.
Monsieur F... a conclu que le sinistre résultait de la création d'un foyer de combustion lente dans un silo de tourteau de soja lié à l'existence d'un point chaud.
La société TRADIGRAIN a organisé la revente en sauvetage de la marchandise.
Les assureurs marchandises (GROUPAMA NAVIGATION ET TRANSPORTS, AXA CORPORATE SOLUTIONS, AGF MAT, AMICA, LE CONTINENT, ACE INSURANCE SA, BRITISH FOREIGN, GENERALI FRANCE, WINTERTHUR ASSURANCE) ont réglé à leur assurée la société TRADIGRAIN la somme de 1 027 587, 53 euros.
Se fondant sur les obligations du dépositaire et soutenant que la société TRADIGRAIN n'avait pas mis en oeuvre les diligences nécessaires pour éviter le dommage, ils l'ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de cette somme.
La société SO. B. TRAN a fait appeler en cause son assureur la société GROUPAMA NORMANDIE pour voir obtenir sa garantie.
La société GENERALI FRANCE ASSURANCES est intervenue aux côtés de GROUPAMA NORMANDIE.
Par jugement du 28 février 2003, le tribunal de commerce de Bordeaux s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance d'Evreux.
La police servant de fondement à la demande de la société SO. B. TRAN étant gérée en co-assurance, les autres co-assureurs sont intervenus soit les sociétés ANGLOFRENCH UNDERWRITERS AFUSAS, AIOI INSURANCE COMPANY OF EUROPE LIMITED et MEA.
Par jugement du 4 novembre 2005, le tribunal de grande instance d'Evreux a :
- reçu la société GENERALI FRANCE et Monsieur Y...en qualité de liquidateur des opérations d'assurances de la société MEA en leur intervention volontaire
-dit n'y avoir lieu d'écarter des débats le rapport amiable de Monsieur G...
- débouté les sociétés AXA CORPORATE SOLUTIONS, GROUPAMA TRANSPORT, AGF MAT, AMICA, LE CONTINENT, ACE INSURANCE, BRITISH FOREIGN, GENERALI FRANCE et WINTERTHUR de l'intégralité de leurs demandes
-condamné in solidum ces sociétés à payer les sommes suivantes au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
- à la SARL SO. B. TRAN : 6 900 euros
-à Monsieur Y...et Maître Z... es qualités : 2 300 euros
-à la CRAMA DE NORMANDIE et la société GENERALI FRANCE ensemble : 2 300 euros
-constaté que les demandes de la SARL SO. B. TRAN contre les sociétés CRAMA DE NORMANDIE et GENERALI FRANCE sont sans objet
-condamné in solidum les sociétés AXA CORPORATE SOLUTIONS, GROUPAMA TRANSPORT, AGF MAT, AMICA, LE CONTINENT, ACE INSURANCE, BRITISH FOREIGN, GENERALI FRANCE et WINTERTHUR aux dépens.
Les sociétés AXA CORPORATE SOLUTIONS, GROUPAMA TRANSPORT, AGF MAT, AMICA, LE CONTINENT, ACE INSURANCE, BRITISH FOREIGN, GENERALI FRANCE et WINTERTHUR ont interjeté appel de ce jugement.
Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 13 février 2008 pour les appelantes (la société ALLIANZ MARINE ET AVIATION venant aux droits de AGF MAT), le 21 décembre 2007 pour la société SO. B. TRAN, le 19 décembre 2006 pour les sociétés CAISSE DE REASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DE CENTRE MANCHE, GENERALI FRANCE, ANGLO FRENCH UNDERWRITERS-AFUSAS, AIOI INSURANCE COMPANY OF EUROPE LIMITED, et le 26 septembre 2006 pour Maître Y...es qualités de liquidateur des opérations d'assurances de la compagnie MEA et Maître Z... es qualités de mandataire liquidateur de la compagnie MEA..
Les sociétés appelantes concluent à l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et à la condamnation solidaire de la société SO. B. TRAN et des sociétés GROUPAMA NORMANDIE, GENERALI FRANCE, AFU ET CHYODA à leur payer la somme de 1 027 587, 53 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation et capitalisation de ces intérêts, outre la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société SO. B. TRAN conclut au débouté des compagnies d'assurances appelantes de toutes leurs demandes, fins et conclusions, subsidiairement à la limitation à la somme de 577 545, 35 euros du montant des dommages affectant les tourteaux, subsidiairement qu'il soit jugé que les conditions des polices souscrites auprès de CRAMA NORMANDIE et GENERALI FRANCE sont acquises et en conséquence à la condamnation de ces dernières à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être par impossible prononcées à son encontre ainsi qu'à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
.
Les sociétés CAISSE DE REASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DE CENTRE MANCHE, GENERALI FRANCE, ANGLO FRENCH UNDERWRITERS-AFUSAS, AIOI INSURANCE COMPANY OF EUROPE LIMITED concluent à titre principal à la confirmation du jugement, à titre subsidiaire et si par impossible une condamnation intervenait contre elles qu'il soit jugé qu'elles interviendraient sans solidarité et pour ne garantir l'assuré que dans les conditions prévues par le contrat et dans la limite de la participation de chaque co-assureur, qu'il soit jugé que la société SO. B. TRAN n'a pas pris toutes précautions pour éviter le sinistre et que les garanties de la police MRI et celles de la police RCE ne sont pas mobilisables pour absence d'aléa, à titre encore plus subsidiaire qu'il soit jugé que les garanties, chapitre " fermentation ", ne sont pas mobilisables, que les garanties sont en tout hypothèse limitées dans leur montant et à titre infiniment subsidiaire qu'il existe la plus grande incertitude sur les quantités de marchandise endommagée et sur la valeur du tourteau de soja, au débouté de la demande au titre des honoraires de l'expert et à la condamnation de AXA CORPORATE et autres au paiement d'une indemnité de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Maître Y...et Maître X...es qualités concluent à titre principal à la confirmation du jugement, à titre subsidiaire qu'il soit jugé que la liquidation de MEA est engagée sur le seul fondement de l'assurance multirisques industriels à l'exclusion de tout autre contrat, que la garantie des co-assureurs est engagée en vertu des seules dispositions de la police relatives à la fermentation des oléagineux et que les conditions d'application de cette garantie n'ont pas été respectées par l'assuré au regard des conditions de stockage, en conséquence au débouté.
A titre très subsidiaire qu'il soit jugé que la liquidation de MEA est engagée dans la limite de 2, 5 % et en tout état de cause à la condamnation de AXA CORPORATE et autres à leur payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
En cours de délibéré, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur l'absence de déclaration de créance des victimes au passif de la liquidation de la société MEA.
Les observations que les parties ont présentées sont jointes au dossier de procédure.
SUR CE
Sur la responsabilité de la société SO. B. TRAN :
Les parties s'accordent sur la qualification de contrat de dépôt conclu entre la société TRADIGRAIN et la société SO. B. TRAN.
Aux termes des articles 1927 et 1928 du code civil, pèse sur le dépositaire une obligation d'apporter à sa garde les mêmes soins qu'à celle des choses lui appartenant et celui-ci ne peut s'exonérer des conséquences de la disparition de la chose qu'il a reçue qu'en prouvant que le dommage n'est pas dû à sa faute.
Pour débouter les assureurs marchandises de leurs demandes, le premier juge a considéré que la SO. B. TRAN n'avait commis aucune faute et démontrait au contraire qu'elle avait géré le stock de tourteau de soja en bon père de famille dans des installations exemptes de vices et pourvues de tous les moyens nécessaires en état de fonctionnement et propreté requise.
Il a notamment relevé que, contrairement aux prévisions contractuelles, le stock n'avait subi aucune rotation mensuelle et que la société SO. B. TRAN n'avait commis aucune faute en ce qui concernait le transilage, relevant en outre que le fait qu'il n'y ait pas de sonde à l'endroit où le foyer de combustion avait pris naissance ne constituait pas une faute de la part de cette dernière.
Pour critiquer ce jugement, les assureurs marchandises s'expliquent sur les stipulations contractuelles dont ils soutiennent qu'elles n'impliquaient aucun engagement de rotation mensuelle, soutiennent que le sinistre n'est pas la conséquence d'un défaut de rotation mais du choix de SO. B. TRAN d'effectuer les livraisons à partir du silo 16 et s'expliquent ensuite sur les conditions de transilage partiel de la marchandise en août 2000, soutenant que la cause première du sinistre réside dans le fait que, contrairement à ses engagements, SO. B. TRAN n'a déplacé que la moitié du lot laissant 15 000 tonnes dans le magasin no 15 où le phénomène d'auto-échauffement et de combustion a été précisément constaté et relevant encore qu'aucune sonde thermique ne permettait de déceler l'auto-échauffement à temps.
La seule mention figurant in fine du fax du 18 avril 2000 sus-visé (" Nous prévoyons d'importer 10 000 à 15 000 TM / mois de ce même produit ") ne saurait être interprétée, en l'absence de toute autre stipulation contractuelle, notamment de terme, et alors qu'un tarif supérieur était prévu à partir du 31ème jour de garde (hypothèse donc envisagée), comme un engagement d'assurer une rotation des produits.
En tout état de cause, en l'état d'une durée de stockage excessive au regard de la nature du produit il incombait au dépositaire de prendre toutes mesures utiles pour éviter un sinistre, au besoin en mettant en garde le déposant ou en le sommant de venir récupérer la marchandise.
C'est au demeurant ce qu'a fait la société SO. B. TRAN puisque, en l'état d'une élévation de température constatée en juillet, elle en a avisé TRADIGRAIN lui demandant d'évacuer le stock, ce qui traduisait sa conscience de la nécessité de prendre des mesures en raison d'une " évolution défavorable des conditions de dépôt " qu'elle reconnaît dans ses conclusions.
Les courriers échangés ensuite entre les parties traduisent, non une reconnaissance par TRADIGRAIN de sa responsabilité, mais la réalité d'une négociation et d'un accord des parties sur les modalités d'un transilage et la prise en charge de son coût.
Aux termes de cette négociation, si la société TRADIGRAIN a accepté de prendre en charge la moitié du coût de l'opération de transilage, la société SO. B. TRAN a accepté de prendre en charge l'autre partie et, surtout, s'est engagée, " afin d'éviter une élévation de température trop importante ", " à désensiler le stock total afin de le répartir en 4 ou 5 lots de 3 500 à 6 000 T ", en exécution de ses obligations de dépositaire dont elle ne se trouvait en rien déchargée par l'accord intervenu de prise en charge par moitié des frais, au contraire.
Or, il est constant, ainsi que cela résulte là encore des courriers échangés, que la société SO. B. TRAN n'a déstocké que 9 513 T, laissant 10 000 T dans le magasin no15, sans pour autant avertir la société TRADIGRAIN de cette situation et notamment de l'impossibilité (alléguée ultérieurement) due à un manque de locaux disponibles.
Il est encore constant que, jusqu'au 15 novembre, les livraisons de soja qui ont eu lieu ont été réalisées à partir du magasin no16 et non à partir du magasin no15 dans lequel la marchandise était entreposée depuis beaucoup plus longtemps, magasin dans lequel surviendra le sinistre.
Alors qu'elle reconnaît, ainsi que rappelé, que l'absence de rotation du stock du magasin 15 avait entraîné une évolution " défavorable " des conditions de dépôt et que la situation s'est trouvée " aggravée " par l'indisponibilité ultérieure de locaux permettant un transfert de plus de 9 000 T et alors que d'autre part elle ne justifie pas avoir avisé la société TRADIGRAIN de la situation laquelle s'est encore trouvée aggravée par le fait que les livraisons ont été effectuées à partir du magasin 16, la société SO. B. TRAN ne peut soutenir avoir apporté tous les soins nécessaires à la garde de la chose et n'avoir commis aucune faute, le non respect de l'engagement de déstockage du stock total étant au contraire constitutif d'une faute.
Le " vice propre " de la marchandise n'est évoqué qu'en un mot par la société SO. B. TRAN qui n'allègue aucun élément de fait ou de démonstration à cet égard.
Etant acquis aux débats, comme l'a relevé le tribunal qui n'est pas sur ce point critiqué, que les tourteaux de soja sont sujets au phénomène de combustion lente, la faute de non transilage du stock du magasin 15 est manifestement à l'origine du sinistre survenu par création d'un foyer de combustion, quand bien même les installations de stockage ne seraient pas en cause ni dans leur configuration ni dans leur propreté ni dans l'équipement en sondes dont il n'est pas démontré qu'il était insuffisant (ainsi que cela sera démontré plus amplement ci-dessous).
Le jugement sera en conséquence infirmé et la responsabilité de la société SO. B. TRAN sera retenue.
Sur le préjudice :
Les intimées observent que les réclamations ont varié dans leur montant et qu'elles sont en droit de s'interroger sur les quantités exactes de marchandise réellement endommagée outre sur l'évaluation de la valeur de tourteau de soja, la base retenue n'étant pas justifiée.
Il sera relevé que la variation des quantités détériorées suivant les pièces produites s'explique par le fait que le pesage de la marchandise ne s'est effectué que lors de l'enlèvement de la marchandise par la société ayant fait la meilleure offre de reprise, les précédentes estimations ayant été faites sur le base de simples estimations visuelles.
Le contrat de vente signé entre la société TRADIGRAIN et la société KERR qui a accepté la reprise des résidus stipule à cet égard que les quantités visées résultent d'une évaluation visuelle sans garantie du vendeur et précise : " quantité finale selon poids reconnu par SO. B. TRAN ".
En l'état de cet élément et d'une note du cabinet F... en date du 28 mars 2001 faisant référence à un message reçu de la société SO. B. TRAN reprenant l'état des entrées et sorties (et des chiffres voisins de ceux figurant aux factures de la société KERR), pièce sur laquelle aucune observation n'est faite dans le cadre de l'instance, il sera jugé que la preuve est faite que la réclamation porte sur une quantité correspondant à celle réellement détériorée.
S'agissant du prix, les assureurs marchandises soutiennent à juste titre que c'est la valeur de la marchandise au jour du sinistre qui doit être prise pour base.
S'ils ne justifient pas du chiffre de 2 051, 86 euros qu'ils ont pris pour base de calcul, ils justifient en revanche par une attestation d'un courtier que la valeur au jour du sinistre pouvait être évaluée à la somme de 1 813 francs la tonne, valeur dont ils soutiennent dans leurs écrits qu'elle doit à tout le moins être retenue.
Sur cette base, le préjudice s'établit donc à la somme de 899 800, 42 euros (outre intérêts à compter de l'assignation), étant observé que le constat de Monsieur F... a été établi à la seule requête de la société TRADIGRAIN et qu'il n'est pas justifié que son coût aurait fait l'objet d'une renonciation dans le cadre d'une convention APSAD.
Sur la garantie des assureurs de SO. B. TRAN :
- Sur l'aléa
Les sociétés assureurs de la société SO. B. TRAN opposent en premier lieu à toute mise en jeu de leurs garanties l'absence d'aléa, soutenant que cette dernière n'a pas pris toutes les précautions à la garde de la marchandise, comme elle le reconnaîtra dans un courrier de janvier 2001 à l'occasion d'une nouvelle proposition de stockage, qu'elle n'a notamment pris aucune mesure sérieuse pour éviter une nouvelle élévation de température après l'incident de juillet 2000, qu'elle n'a pas respecté les consignes de stockage (température, humidité, stock non supérieur à 5 000 tonnes, hauteur inférieure à 6 mètres), qu'il n'y a pas eu là de simples négligences ou imprudences mais un comportement empêchant la garantie du contrat d'assurances lequel ne couvre que les risques aléatoires et accidentels.
Il sera cependant relevé que si la société SO. B. TRAN n'a pas pris toutes les précautions nécessaires, notamment lors des opérations de transilage, ainsi que cela a été exposé ci-dessus, les circonstances n'établissent pas pour autant ni une faute intentionnelle ni un comportement volontaire de l'assuré exclusivement à l'origine de la réalisation du risque.
En effet, il sera rappelé que les installations, et notamment les cellules et magasins de stockage, avaient été inspectées préalablement au stockage par la société SGS, laquelle avait attesté que les installations étaient propres et aptes à recevoir la marchandise.
Par ailleurs, ni Monsieur F..., expert mandaté par la société TRADIGRAIN, ni Monsieur I..., expert mandaté par la société SO. B. TRAN, n'ont relevé de manquements majeurs dans les conditions de stockage, étant rappelé que la combustion a pris naissance à un endroit où la hauteur du produit n'était que de trois mètres.
Il sera encore relevé que, une fois connu l'incident de surchauffe de juillet 2000, la société SO. B. TRAN a pris l'initiative de mesures de déstockage lesquelles, si elles n'ont pas abouti comme elle s'y était engagée (notamment par suite d'un manque de magasins de stockage), permettent toutefois d'exclure une recherche volontaire du dommage ou un comportement volontaire de l'assuré exclusivement à l'origine du sinistre, étant observé en outre que si un stockage en quantité supérieure à la normale et sur une période longue accroît le risque de sinistre elle ne le rend pas pour autant inévitable.
Il sera encore relevé que la proposition de janvier 2001 établit la volonté de la société SO. B. TRAN de prendre toutes les précautions pour éviter un nouveau sinistre sans pour autant constituer la reconnaissance d'une incurie précédente constitutive d'une faute volontaire.
Dans ces conditions, il ne peut être retenu que la société SO. B. TRAN aurait volontairement supprimé l'aléa et la garantie ne peut être écartée pour ce motif.
- Sur la mise en oeuvre des garanties :
Les sociétés GROUPAMA CENTRE MANCHE et autres font valoir que deux contrats avaient été souscrits bénéficiant à SO. B. TRAN : une police MRI et une police RCE.
S'agissant de la première, elles soutiennent que les conditions générales garantissent l'incendie à l'exclusion des " fermentations ou oxydations lentes ne dégénérant pas en incendie ", ce qui a été le cas de l'espèce, et que si les conditions particulières garantissent les " dommages directs causés par une fermentation lente dans les stockages de céréales, d'oléagineux et de protéagineux ", cette garantie suppose toutefois que l'assuré ait respecté deux obligations qui en l'espèce ne l'ont pas été : la mise en place d'un contrôle thermométrique effectué par sondes et l'équipement des stockages d'un système de ventilation permettant le refroidissement des produits.
S'agissant de l'existence d'un incendie, la société SO. B. TRAN se contente d'alléguer que la fermentation aurait bien dégénéré en foyers, ainsi que cela résulte du rapport de l'expert F....
Or Monsieur F... a fait état d'un " phénomène de combustion lente " résultant de la formation d'un point chaud, foyer de combustion difficile à détecter dès lors notamment que la surface ne présentait aucun signe (fumée, couleur, odeur) particulier.
L'expert I... a quant à lui fait état de l'absence de flammes et d'inflammation, évoquant un " échauffement ".
Les conditions générales de la police MRI ne garantissant que l'incendie (défini comme la combustion avec flammes), les sociétés GROUPAMA et autres sont fondées à soutenir qu'en l'espèce il n'y a pas eu incendie au sens de la police.
Cela étant, elles reconnaissent qu'une " garantie fermentation des céréales, oléagineux et protéagineux " avait été souscrite sous la stipulation suivante :
" l'assuré s'oblige :
- à ne stocker ses produits que sous contrôle thermométrique effectué par sondes avec un dispositif d'enregistrement automatique des températures au minimum une fois par semaine
-à équiper ses stockages d'un système de ventilation permettant le refroidissement des produits.
En cas d'inobservation d'une de ces obligations, les dommages de fermentation ou de combustion lente ne sont pas garantis. "
Pour prétendre que l'installation n'aurait pas été équipée de sondes en nombre suffisant, elles se contentent d'indiquer que si tel avait été le cas le phénomène de combustion lente aurait été décelé rapidement.
Or, les pièces produites ne démontrent pas l'insuffisance du système de contrôle des températures par sondes.
En effet, Monsieur F... indique : " des sondes thermiques étaient disposées dans le magasin afin de contrôler les niveaux de température ".
Monsieur I... a procédé quant à lui à une étude du nombre de sondes au regard du volume du tourteau et à une étude du positionnement des capteurs et des normes en vigueur qu'il relate de manière précise pour en conclure que l'installation était conforme.
Ces rapports ne sont pas critiqués de manière circonstanciée ni pertinente par les compagnies d'assurance qui n'apportent aucun élément contraire.
Quant à l'exigence d'une ventilation, si elles produisent ce qu'elles indiquent être un article scientifique sur le stockage et la manutention des graines et du tourteau de soja (prescrivant un système d'aération efficace), ce document est contredit par les rapports de Monsieur F... et de Monsieur I....
Ce dernier opère une distinction entre la graine de soja facile à ventiler et le tourteau de soja impossible à ventiler, exposant que si SO. B. TRAN a mis en place des ventilateurs capables de fournir les pressions nécessaires pour que l'air traverse les tourteaux, étant donné qu'il y a en surface beaucoup d'éléments fins et légers ceux-ci seraient entraînés par le violent courant d'air et il y aurait formation d'un nuage de particules capables d'engendrer une explosion, concluant que " c'est donc à juste titre que SO. B. TRAN n'a pas mis en oeuvre son installation de ventilation ".
L'expert F... a quant à lui indiqué : " les tourteaux, compte tenu de leur nature, n'ont pas fait l'objet de ventilation ".
En l'état de ces éléments, les assureurs GROUPAMA et autres ne font pas la démonstration que l'assuré n'aurait pas observé les obligations mises à sa charge et susvisées.
Leur garantie est donc due au titre du contrat MRI.
Elle est également due au titre du contrat RCE, le seul argument opposé étant celui de l'absence d'aléa dont il a été ci-dessus exposé qu'il n'était pas fondé.
- Sur le plafond de la garantie :
La garantie " fermentation " est soumise à la limite d'une valeur égale à 50 % de la valeur totale des marchandises stockées dans le silo au jour du sinistre, plafond dont les assureurs conviennent qu'il n'est pas atteint en l'espèce.
Est également stipulée une franchise de 20 % du montant des dommages avec un minimum de 100 000 francs (soit 15 244 euros) pour les silos, magasins ou compartiments de magasin d'une capacité supérieure à 2 000 tonnes.
Cette franchise, plus favorable que celle stipulée au titre de la garantie RCE, doit recevoir application.
- Sur la solidarité entre co-assureurs :
Les assureurs de SO. B. TRAN font valoir que le contrat d'assurances prévoit expressément en son annexe 10 l'absence de solidarité entre les co-assureurs, y compris l'apériteur, et une répartition précise des parts de garantie, mention parfaitement opposable à l'assuré qui l'a acceptée contractuellement et par voie de conséquence aux tiers.
Ils justifient par la production aux débats de l'annexe en question au contrat d'assurance MRI de ce que le contrat a été souscrit en coassurance entre les sociétés GROUPAMA, GENERALI, AFU, PRIM et MEA lesquelles agissent sans solidarité entre elles, la répartition suivante étant stipulée :
- GROUPAMA : 75 %
- GENERALI : 10 %
- AFU : 10 %
- PRIM : 2, 5 %
- MEA : 2, 5 %.
Les compagnies GROUPAMA, GENERALI, AFU et AIOI ex CHYODA seront donc condamnées à payer aux assureurs de marchandises la somme de 719 840, 34 euros (après déduction de la franchise contractuelle), ce chacune à proportion de cette part et sans solidarité entre elles.
Les sociétés GROUPAMA et GENERALI, à l'encontre desquelles seules la société SO. B. TRAN fait une demande de garantie, seront condamnées dans les mêmes proportions à garantir cette dernière de la condamnation prononcée contre elle.
Il sera relevé qu'aucune demande n'est formée contre la liquidation de la société MEA au titre de l'indemnisation du préjudice, ni par les assureurs subrogés dans les droits de TRADIGRAIN ni par la société SO. B. TRAN.
Sur les demandes accessoires :
La mauvaise foi de ses assureurs n'étant pas démontrée pas plus que le préjudice qu'elle prétend en avoir subi, la société SO. B. TRAN sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts
Il y a lieu d'allouer les sommes précisées au dispositif sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris.
Et statuant à nouveau :
Condamne la société SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT à payer aux sociétés AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, ALLIANZ MARINE ET AVIATION, AMICA INSURANCE, CONTINENT IARD, ACE INSURANCE, BRITISH AND FOREIGN MARINE INSURANCE, WINTERTHUR ASSURANCES, GROUPAMA NAVIGATION ET TRANSPORTS et GENERALI FRANCE ASSURANCES ensemble la somme de 899 800, 42 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2002.
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil à compter du 6 janvier 2005.
Condamne la société GROUPAMA in solidum avec la société SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT à hauteur de la somme de 539 880, 25 euros.
Condamne la société GENERALI FRANCE ASSURANCES in solidum avec la société SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT à hauteur de la somme de 71 984, 03 euros.
Condamne la société ANGLO FRENCH UNDERWRITERS-AFUSAS in solidum avec la société SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT à hauteur de la somme de 71 984, 03 euros.
Condamne la société AIOI INSURANCE COMPANY OF EUROPE LIMITIED in solidum avec la société SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT à hauteur de la somme de 17 996 euros.
Déboute la société SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société BORDELAISE DE TRANSIT ainsi que, in solidum avec celle-ci et chacun à proportion de sa part de garantie, la société GROUPAMA, la société GENERALI FRANCE ASSURANCES, la société ANGLO FRENCH UNDERWRITERS-AFUSAS, la société AIOI INSURANCE COMPANY OF EUROPE LIMITIED et Maîtres Y...et Z... es qualités de liquidateur de la société MEA à payer aux sociétés AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, ALLIANZ MARINE ET AVIATION, AMICA INSURANCE, CONTINENT IARD, ACE INSURANCE, BRITISH AND FOREIGN MARINE INSURANCE, WINTERTHUR ASSURANCES, GROUPAMA NAVIGATION ET TRANSPORTS et GENERALI FRANCE ASSURANCES ensemble la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne les sociétés GROUPAMA et GENERALI FRANCE ASSURANCES à garantir la société SOCIETE BORDELAISE DE TRANSIT des condamnations prononcées contre elle à hauteur de leur part de garantie susvisée.
Déboute la société GROUPAMA, la société GENERALI FRANCE ASSURANCES, la société ANGLO FRENCH UNDERWRITERS-AFUSAS, la société AIOI INSURANCE COMPANY OF EUROPE LIMITIED et Maîtres Y...et Z... es qualités de liquidateur de la société MEA de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société BORDELAISE DE TRANSIT ainsi que, in solidum avec elle et chacun à proportion de sa part de garantie, la société GROUPAMA, la société GENERALI FRANCE ASSURANCES, la société ANGLO FRENCH UNDERWRITERS-AFUSAS, la société AIOI INSURANCE COMPANY OF EUROPE LIMITIED et Maîtres Y...et Z... es qualités de liquidateur de la société MEA à payer les dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,