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20/03/2008 | FRANCE | N°07/00955

France | France, Cour d'appel de Rouen, 20 mars 2008, 07/00955


R.G : 07/00955









COUR D'APPEL DE ROUEN



DEUXIÈME CHAMBRE



ARRÊT DU 20 MARS 2008











DÉCISION DÉFÉRÉE :



TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DU HAVRE du 25 Janvier 2007







APPELANTE :



S.A. SOCIÉTÉ DES CLINIQUES COLMOULINS ET FRANÇOIS 1ER

Rue Robert Ancel

Clinique du Petit Colmoulins

76700 HARFLEUR



représentée par la SCP LEJEUNE MARCHAND GRAY SCOLAN, avoués à la Cour



assistée d

e Me Grégory FENECH, avocat au barreau de Paris







INTIMÉE :



SOCIÉTÉ CENTRE DE BIOLOGIE MÉDICALE

42 rue de Verdun

76600 LE HAVRE



représentée par la SCP HAMEL FAGOO DUROY, avoués à la Cour



assistée de Me Isabelle LUCAS-BALOUP, ...

R.G : 07/00955

COUR D'APPEL DE ROUEN

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 20 MARS 2008

DÉCISION DÉFÉRÉE :

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DU HAVRE du 25 Janvier 2007

APPELANTE :

S.A. SOCIÉTÉ DES CLINIQUES COLMOULINS ET FRANÇOIS 1ER

Rue Robert Ancel

Clinique du Petit Colmoulins

76700 HARFLEUR

représentée par la SCP LEJEUNE MARCHAND GRAY SCOLAN, avoués à la Cour

assistée de Me Grégory FENECH, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE :

SOCIÉTÉ CENTRE DE BIOLOGIE MÉDICALE

42 rue de Verdun

76600 LE HAVRE

représentée par la SCP HAMEL FAGOO DUROY, avoués à la Cour

assistée de Me Isabelle LUCAS-BALOUP, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 06 Février 2008 sans opposition des avocats devant Monsieur LOTTIN, Conseiller, rapporteur, en présence de Madame VINOT, Conseiller.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BARTHOLIN, Présidente

Monsieur LOTTIN, Conseiller

Madame VINOT, Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Monsieur HENNART, Greffier

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Février 2008, où le président d'audience a été entendu en son rapport oral et l'affaire mise en délibéré au 20 Mars 2008

ARRÊT :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 20 Mars 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BARTHOLIN, Présidente et par Madame DURIEZ, Greffier.

*

* *

Exposé du litige

La Selarl Centre de Biologie Médicale (société Cbm) exerce son activité à la clinique du Petit Colmoulins, située près du Havre à Harfleur, en vertu d'une convention conclue le 28 février 1986 par plusieurs de ses associés avec effet au 1er juillet 1983 pour une durée de quarante ans, par laquelle les sociétés exploitant les cliniques du Petit Colmoulins leur avaient consenti l'exclusivité d'installation et de création d'un laboratoire d'analyses.

La société des cliniques du Colmoulins et François 1er, issue de la fusion avec effet au 1er janvier 2002 des sociétés d'exploitation de ces deux établissements, a conçu le projet de fermer les deux cliniques afin de les regrouper sur un nouveau site au Havre en créant l'Hôpital Privé de l'Estuaire à échéance de l'été 2008. La société Cbm qui a eu connaissance de ce projet s'est inquiétée du respect de ses droits d'exclusivité, mais n'a pu obtenir satisfaction.

Par acte en date du 25 janvier 2007, la société Cbm a assigné à jour fixe la société des cliniques du Colmoulins et François 1er aux fins à titre principal de la voir condamner à signer dans le délai d'un mois un avenant au contrat du 28 février 1986 mentionnant que ce contrat perdurera pendant la durée restant à courir dans les locaux futurs et à titre subsidiaire de voir constater la rupture aux torts de la défenderesse et de voir condamner cette dernière à lui payer une somme de 27.034.956,66 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil.

Par jugement rendu le 25 janvier 2007, le tribunal de grande instance du Havre a :

- ordonné à la société des Cliniques du Colmoulins et François 1er de signer dans le mois de la signification du jugement un avenant au contrat en date du 28 février 1986 mentionnant que ledit contrat perdurera pendant la durée contractuelle restant à courir, dans les locaux futurs, ainsi qu'il est mentionné en page 2 dudit contrat, sur le nouveau site de la clinique du Petit Colmoulins, où qu'il se trouve, et ce en toutes ses dispositions, la seule clause modifiée concernant le ou les lieux d'exécution du contrat qui s'exerce actuellement au sein de la clinique du Petit Colmoulins à Harfleur, en cas de transfert, notamment au sein de l'établissement dénommé Hôpital Privé de l'Estuaire, et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard passé un mois après la signification,

- renvoyé l'affaire à l'audience du 7 juin 2007 à 14 heures et fait injonction à la société des Cliniques du Colmoulins et François 1er de produire l'engagement ci-dessus prévu signé par elle aux fins qu'il soit après examen des écritures éventuelles des parties homologué par le tribunal qui lui donnera le cas échéant force exécutoire,

- rejeté les demandes reconventionnelles de la société défenderesse,

- condamné la société des Cliniques du Colmoulins et François 1er à payer au Centre de Biologie Médicale la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné la société des Cliniques du Colmoulins et François 1er aux entiers dépens.

La société des cliniques Colmoulins et François 1er (ci-après dénommée société des cliniques) a interjeté appel de cette décision.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2008.

Sur les incidents de procédure

Par conclusions d'incident signifiées le 1er février 2008, la société Cbm a demandé à la cour de reporter tant la date de clôture fixée au 1er février 2008 que l'audience de jugement fixée au 6 février 2008, compte tenu des circonstances exceptionnelles constituées selon elle par la signification le 22 janvier 2008 de nouvelles conclusions de la société des cliniques contenant 19 pages modifiées dont 13 totalement nouvelles mais aussi à la communication simultanée de 7 nouvelles pièces.

Subsidiairement, elle demandait à la cour d'écarter les conclusions signifiées par l'appelante le 22 janvier 2008 ainsi que les 7 pièces y annexées et en tout état de cause d'écarter des débats le procès verbal de constat établi le 22 novembre 2007 par Maître Corrihons huissier de justice.

Plus subsidiairement, la société Cbm sollicitait la réouverture des débats.

Enfin, à titre infiniment subsidiaire, elle demandait à être autorisée à produire une note en délibéré.

Dans ses conclusions en réplique sur incident, la société des cliniques demande à la cour de déclarer recevables ses conclusions signifiées le 22 janvier 2008 et de débouter la société Cbm de toutes ses demandes sur incident.

Compte tenu de l'impossibilité matérielle d'organiser un débat contradictoire quelques jours avant l'audience des plaidoiries sans remettre en cause la date de l'audience, le conseiller de la mise en état a joint l'incident au fond pour qu'il soit tranché par la cour.

A l'issue des débats sur ces incidents de procédure, la cour a constaté d'une part que l'ordonnance de clôture avait été rendue et a d'autre part rejeté la demande de report de la date de l'audience et joint les incidents au fond après avoir constaté qu'aucun motif ne justifiait que la date des plaidoiries ne soit différée.

A l'appui de ses autre demandes, la société Cbm indique que son conseil n'a eu connaissance des conclusions de 22 janvier 2008 et des 7 pièces communiquées dans le même temps que l'avant veille de la date prévue pour la clôture des débats, de telle sorte qu'il ne pouvait en conférer utilement avec les deux associés de la société Cbm, le gérant étant par ailleurs injoignable pendant ce délai.

Toutefois il résulte de l'examen des pièces de la procédure que la société des cliniques, après avoir interjeté son appel le 6 mars 2007, a signifié ses conclusions au fond dès le 4 juin 2007, mais que la société Cbm, qui savait dès le 13 septembre 2007 que la clôture était fixée au 21 décembre 2007, n'a répliqué que par conclusions signifiées précisément le 21 décembre 2007, manifestement dans un souci dilatoire puisqu'elle avait dès le 30 novembre 2007 adressé une lettre à la présidente de la chambre pour affirmer que cette affaire ne présentait aucun caractère d'urgence au motif que la clinique en construction était loin d'être terminée, en sollicitant déjà un report de la date d'audience justifié selon elle par l'appel interjeté du second jugement rendu par le tribunal et la nécessité de joindre les deux affaires.

La société des cliniques s'était opposée à cette demande de renvoi qui avait été écartée et avait conclu en réplique le 22 janvier 2008, ce qui laissait à la société Cbm un délai de 10 jours pour une réplique éventuelle en raison du report de la date de clôture au 1er février 2008.

La cour considère ce délai suffisant pour que soit respecté le principe du contradictoire. A cet égard, le fait que l'avoué de la société Cbm aurait envoyé au conseil de cette société les conclusions litigieuses par courrier, de telle sorte que ce courrier n'aurait été distribué que le 30 janvier 2008, ne saurait être pris en considération alors qu'il existe des moyens de communications instantanés largement répandus tels la télécopie ou le mail.

En outre, la cour constate par comparaison des écritures successives de la société des cliniques que les conclusions signifiées le 22 janvier 2008 ne comportent pas de moyens nouveaux mais seulement quelques développements en réplique aux écritures adverses.

De même les sept pièces communiquées le 22 janvier 2008 pouvaient être examinées dans un délai suffisamment bref pour que la société Cbm puisse faire toutes observations à leur sujet, sans qu'une autorisation de faire une note en délibéré soit nécessaire.

Enfin il n'est pas démontré en quoi le procès verbal de la sommation interpellative délivré le 22 novembre 2007 par Maître Corrihons, huissier de justice, dans lequel ce dernier pose diverses questions à Messieurs B... et C..., associés de la société Cbm, serait irrégulier, étant en outre observé que les personnes interpellées n'ont fait aucune déclaration sauf à dire qu'elles en référeraient à leur avocats, de telle sorte que cette pièce dépourvue de toute force probante ne saurait leur porter préjudice.

La société Cbm sera en conséquence déboutée de toutes ses demandes faites dans ses conclusions d'incident du 1er février 2008.

Prétentions et moyens des parties

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 22 janvier 2008 par la société des cliniques et le 21 décembre 2007 par la société Cbm.

Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.

La Société des cliniques sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il lui a enjoint de signer un avenant.

Elle demande à la cour de débouter le Cbm de toutes ses demandes, de lui enjoindre de négocier de bonne foi avec elle en formulant sous astreinte des propositions concrètes dans un délai d'un mois, de fixer une nouvelle date d'audience afin que le Cbm justifie de ces propositions concrètes visant à harmoniser ses conventions avec celles de la Selafa Biocéane et à défaut de prononcer la résiliation judiciaire du contrat du 28 février 1986 aux torts exclusifs du Cbm.

Elle conclut en outre à la condamnation du Cbm à lui payer une somme de 150.000 € au titre de son préjudice moral ainsi qu'une somme de 10.000 € au titre de la procédure abusive et 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La société Cbm sollicite à titre principal la confirmation du jugement entrepris et demande à la cour de ne pas statuer sur les demandes reconventionnelles de la société des cliniques qui n'ont pas encore été jugées au fond puisque le tribunal, dans son second jugement rendu le 13 septembre 2007, a renvoyé l'affaire devant le juge de la mise en état pour que le débat ait lieu sur les "demandes annexes" relatives notamment à la résiliation judiciaire du contrat et à la fixation des dommages et intérêts.

A titre subsidiaire, au cas où la cour décidait de statuer sur ces demandes annexes, la société Cbm demande à la cour de constater la rupture du contrat du 28 février 1986 aux torts de la société des cliniques et (page 26 de ses écritures) de lui donner un délai pour développer ses écritures relatives à son préjudice ou à défaut de condamner cette dernière à lui payer la somme de 27.034.956,66 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil, ainsi qu'une somme de 15.000 € HT en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, la Cour,

Sur les droits de la société CBM résultant de la convention du 28 février 1986

Il résulte précisément de la convention signée le 28 février 1986, dont l'avenant relatif à un accord particulier relatif à la médecine nucléaire n'a pas remis en question les dispositions initiales, que la clinique du Colmoulins :

- a accordé d'une part aux biologistes signataires, aux droits desquels vient la société Cbm, l'exclusivité d'installation et de création d'un laboratoire d'analyses et s'est interdite pendant quarante ans à compter du 1er juillet 1983 de "créer ou laisser créer directement ou indirectement tout laboratoire dans leurs locaux actuels ou futurs ou tous locaux qu'elle pourrait donner en location, sous location ou autre forme d'occupation" ;

- leur a accordé d'autre part le droit de pratiquer à titre exclusif tout prélèvement, toute analyse de leur compétence, tout acte attaché à l'exercice de leur discipline sur les patients hospitalisés ou sur des clients externes que la clinique leur désignerait, sauf choix différent librement et clairement exprimé par le patient, et s'est engagée pendant 40 ans à ne pas autoriser un ou plusieurs biologistes autres ou établissements à pratiquer les actes ainsi visés.

A l'appui de son appel, la Société des cliniques, qui admet venir aux droits de la clinique du Petit Colmoulins signataire de cette convention, affirme que les seules obligations sont de ne pas attribuer de locaux à un tiers biologiste et d'accorder l'exclusivité des actes aux médecins biologistes signataires, mais pas de mettre à leur disposition des locaux sur un futur site, ce qui poserait d'ailleurs le problème de la superficie de ces locaux et de la prise en charge du coût en résultant, difficultés non évoquées par la convention.

En outre l'appelante soutient que cette clause serait illicite pour violation de la règle d'ordre public posée par l'article L 330-1 du code de commerce mais aussi de l'article 5 du règlement communautaire de la CEE no 2790 du 22 décembre 1999.

Toutefois, il n'est nul besoin d'un avenant pour constater que la Société des cliniques, en ce qu'elle vient aux droits de la société Clinique du Colmoulins, sera tenue, dès la fermeture de ce dernier établissement, de fournir à la société CBM des locaux pour satisfaire à leur droit exclusif d'installation et de création d'un laboratoire d'analyses, étant observé au surplus que, à supposer que la Société des cliniques n'entende plus installer un tel laboratoire au sein même de son futur établissement, elle ne peut prétendre qu'aucun prélèvement en vue d'analyses ne sera effectué dans cet hôpital privé, ce qui suffira à constater la violation des droits d'exclusivité de la société Cbm.

L'interdiction de créer ou de laisse créer directement ou indirectement tout laboratoire dans les locaux futurs de la clinique du Petit Colmoulins n'a de sens que dans le cadre de la continuation dans ces futurs locaux de l'exclusivité d'installation et de création d'un tel laboratoire au profit des biologistes signataires.

L'avenant ordonné par le tribunal n'avait pour objet que de confirmer ce droit qui résulte de l'interprétation même de la convention susvisée.

S'agissant de la superficie et du coût, il n'est pas soutenu que l'absence de précision à cet égard de la convention initiale remettait pas en cause sa validité en ce qui concerne l'installation prévue du laboratoire d'analyses dans les locaux actuels de la clinique du Colmoulins.

De même l'existence d'un contrat d'exclusivité liant la Société des cliniques, venant aux droits de la clinique François 1er, avec la Selafa Biocéane, ne saurait faire échec aux droits de la société Cbm qui est un tiers à cette convention qui lui est donc inopposable, étant observé que c'est en toute connaissance de cause que la Société des cliniques a accepté de se lier ainsi par des obligations incompatibles entre elles.

Par ailleurs l'article L 330-1 du code de commerce, qui limite à un maximum de 10 ans la durée de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis à vis de son vendeur, cédant ou bailleur à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur, ne saurait s'appliquer comme en l'espèce à un contrat d'exercice libéral de la médecine dès lors que ces relations ne constituent pas des relations commerciales.

L'article 5 du règlement communautaire CE No 2790/1999 qui, par référence à l'article 81 du traité instituant la communauté européenne, interdit tout contrat contenant une obligation directe ou indirecte de non-concurrence dont la durée dépasse 5 ans, vise les accord verticaux entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les états membres. La convention litigieuse, qui ne constitue nullement un accord vertical entre entreprises, n'entre manifestement pas dans le champ d'application de ce texte.

Les moyens tendant à faire constater l'illicéité de la clause litigieuse seront en conséquence écartés et la cour constatera que la Société des cliniques avait l'obligation de permettre à la société Cbm d'exercer dans ses locaux, actuels ou futurs, une activité de laboratoire d'analyses biologiques.

Sur les obligations de la société des cliniques

La Société des cliniques soutient que sa seule obligation, dans le cadre d'un regroupement de cliniques comme en l'espèce, était de négocier en vue de rendre compatible avec les conventions d'exclusivité le projet de regroupement qui ne pouvait être contesté sauf s'il remettait en cause l'équilibre contractuel. Elle affirme avoir respecté cette obligation mais s'être heurtée à l'intransigeance de la société Cbm qui ne lui a signifié que des fins de non recevoir sans émettre la moindre proposition.

Toutefois, s'il est exact qu'en application de l'article 1134 du code civil une convention doit être exécutée de bonne foi, ce qui est susceptible d'imposer des aménagements contractuels rendus nécessaires par des circonstances nouvelles qui ne pouvaient être prévues lors de la conclusion du contrat, la cour constate en l'espèce que les seules pièces invoquées par la Société des cliniques pour justifier de la réalisation de son obligation de négociation sont un courrier du 13 décembre 2004 et une lettre recommandée du 22 juin 2006, documents dans lesquels elle ne fait que nier les droits de la société Cbm.

En effet, dans la lettre du 13 décembre 2004, il est notifié à la société Cbm que "la convention d'exclusivité ne vous permet pas de revendiquer une obligation, à la charge de la clinique, de vous attribuer une quelconque surface en son sein", ajoutant que "pour ce qui est de la nouvelle clinique qui sera construite, nous devons d'ores et déjà vous rappeler que vos exigences ne peuvent être satisfaites pour plusieurs raisons :

- rien ne nous oblige à vous réserver une surface dans la construction à intervenir comme rappelé plus haut ;

- il n'est pas encore décidé si une surface peut être dédiée à la biologie médicale ;

- notre société devra, en tout état de cause, tenir compte tant du choix des patients et des autres praticiens que de celui de vos confrères avec lesquels elle (la société des cliniques) est engagée également dans le cadre d'une convention".

Il est ensuite exposé à la société Cbm qu'elle ne saurait se plaindre de la création sur le site de la Maison Médicale qui pourrait abriter un laboratoire d'analyses médicales puisque l'exclusivité ne lui est attribuée qu'au sein de la clinique du Petit Colmoulins située à Harfleur, avec cette précision : "nous n'avons aucun engagement de vous garantir l'exclusivité à l'extérieur de cet établissement".

Après avoir ainsi martelé à plusieurs reprises que la société Cbm n'a aucun droit à faire valoir sur le futur site, contrairement aux biologistes de la clinique François 1er dont la convention semble davantage prise en considération, la société des cliniques, sous la signature de son directeur et sur papier à en-tête de la société Générale de Santé, expose les quatre hypothèses selon elle envisageables en cas de regroupement sur un nouveau site :

- association de plusieurs laboratoires d'analyses de biologie médicale

- partage d'exclusivité

- nouvel appel d'offre

- absence de laboratoire d'analyses de biologie médicale sur le site.

Ce faisant, elle n'initie aucune négociation, demandant seulement à la société Cbm de cesser de mentionner des rappels à l'ordre contractuels non fondés.

Quant à la lettre du 22 juin 2006, deuxième pièce sur laquelle la société des cliniques s'appuie pour affirmer avoir rempli son obligation de négociation, la cour constate en premier lieu qu'elle intervient fort tard, et en second lieu qu'elle ne fait que reprendre la position signifiée en décembre 2004, notamment en ce qui concerne les quatre hypothèses rappelées ci-dessus.

Le seul élément nouveau y était l'invitation faite à la société Cbm de se rapprocher de la Selafa Biocéane, autre titulaire d'une convention d'exclusivité, aux fins d'élaborer une proposition commune, tout en précisant qu'un tel accord, à le supposer réalisé, ne serait qu'une possibilité à étudier parmi d'autres et que cette invitation ne valait pas reconnaissance d'un quelconque droit ou d'une quelconque prétention de quiconque au sein du futur établissement Hôpital Privé de l'Estuaire.

Ainsi la Société des cliniques, loin d'engager une négociation, en laissait-elle le soin aux deux prétendants concurrents, tout en prenant soin de leur dénier tout droit résultant de leurs conventions, écartant ainsi toute chance de succès d'un accord entre la Selafa Biocéane et la société Cbm.

De son côté, la société Cbm produit un certain nombre de pièces démontrant qu'elle a cherché à plusieurs reprises à entamer des négociations avec la société des cliniques, sans jamais y parvenir.

Suite à la fusion des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er et sans que la connaissance d'un projet de nouvel établissement ne soit encore évoquée, la société Cbm a adressé un premier courrier à la société des cliniques le 7 février 2002 pour lui rappeler son attachement aux termes de sa convention d'exclusivité, en lui précisant que cette convention avait vocation à s'appliquer par tout centre dépendant de la nouvelle personne morale succédant à la société Clinique du Petit Colmoulins.

Le 25 novembre 2004, la société Cbm, alors que le projet de construction d'un nouvel établissement et d'une maison médicale attenante était connu, écrivait à la société Générale de Santé pour faire suite aux réunions déjà tenues en lui demandant de lui réserver dès à présent une surface de 350 m² à définir lors de la réalisation des plans.

En réponse intervenait la lettre du 13 décembre 2004 dont le contenu a été ci-dessus exposé, lui déniant tout droit.

Le 15 décembre 2004, la société Cbm, s'adressant cette fois à la clinique du Petit Colmoulins, rappelait les termes de la convention d'exclusivité et faisait valoir que la création au sein de la nouvelle clinique d'un laboratoire d'analyses médicales ayant vocation à recueillir les biologistes exerçant jusqu'alors sur la clinique François 1er constituerait une violation de ce contrat et que la localisation de ce laboratoire au sein d'une bâtiment distinct, en l'espèce la maison médicale, ne l'exempterait pas de sa responsabilité contractuelle dès lors qu'elle aurait pour effet d'évincer Cbm.

Si aucune réponse constructive n'était faite, sauf des reproches adressés à la société Cbm de "mise en demeure déplacée", la lettre intitulée "lettre du directeur no 6" en date du 9 septembre 2005 émanant de la société des cliniques, qui constituait une sorte de bulletin d'information, annonçait que la biologie médicale serait intégrée dans la Maison Médicale.

Il était précisé que "les dirigeants de Générale de Santé et moi-même avons décidé de confier un mandat de négociations pour le choix du laboratoire du futur site à la société Sam Bio", filiale du groupe Générale de Santé, que des négociations avaient commencé avec les laboratoires existants et que les biologistes définitivement retenus seraient connus avant la fin de l'année.

Le directeur de la Société des cliniques ajoutait : "le laboratoire Séry est à l'heure actuelle le laboratoire le mieux placé".

La société Cbm, dont les dirigeants avaient pu à la suite de cette annonce rencontrer les responsables de la société Sam Bio, renouvelaient leurs prétentions par lettre du 13 décembre 2005 pour l'obtention de locaux dans le futur établissement de santé, en précisant qu'ils entendaient acquérir ces locaux.

La société Sam Bio leur répondait le 7 janvier 2006 par une fin de non recevoir en indiquant qu'elle était totalement indépendante de la clinique du Petit Colmoulins de telle sorte que la convention d'exclusivité du 28 février 1986 ne lui était pas opposable.

La société Cbm ne pouvait que tenter une nouvelle approche en sollicitant de nouveau son implantation au sein du nouvel établissement auprès de la société des cliniques par lettre du 27 février 2006, avec copie à la société Sam Bio. Cette dernière répondait le 3 mars 2006 en reprenant mot pour mot les termes de sa première lettre.

La dernière relance de la société Cbm n'était pas davantage suivie d'effet puisque la société des cliniques y répondait par la lettre du 22 juin 2006 ci-dessus évoquée, alors qu'avait déjà été annoncée par une lettre d'information adressée le 28 mars 2006 à l'ensemble des médecins que le futur site comprendrait un laboratoire de biologie médicale de 445 m².

La société Cbm tentait une dernière démarche en juin 2006.

Dans son courrier du 4 juillet 2006, la société des cliniques maintenait sa position antérieure, rappelant que la convention d'exclusivité ne concernait que la clinique du Petit Colmoulins et en aucun cas l'Hôpital privé de l'Estuaire ni la Maison Médicale, qui en toute hypothèse était indépendante de cet hôpital, et affirmant que l'article 330-1 du code de commerce limitait à dix ans la durée de l'exclusivité consentie, évoquant en conclusion les "droits imaginaires" de la société Cbm.

Au vu de l'ensemble de ces échanges, il apparaît clairement que toutes les tentatives de la société Cbm pour faire valoir ses droits se sont heurtées à l'attitude de la Société des cliniques, qui n'a cessé d'en dénier la portée voire l'existence, tout en mandatant une société Sam Bio pour rechercher d'autres partenaires sans lui donner mandat de dialoguer avec la société Cbm.

Dans ces conditions, la société des cliniques ne peut sérieusement prétendre avoir cherché à négocier avec la société Cbm pour concilier les droits de celle-ci avec les biologistes exerçant dans des conditions similaires au sein de la clinique François 1er.

Il est acquis à ce jour que la société Cbm ne pourra bénéficier de locaux pour faire exercer son activité de laboratoire d'analyses médicales au sein du futur Hôpital Privé de l'Estuaire ni dans la Maison Médicale située sur le même site, solution alternative qui aurait pu être négociée et éventuellement acceptée par les médecins biologistes.

La Société des cliniques sera déboutée en conséquence de sa demande tendant à voir enjoindre à la société Cbm de négocier ainsi que de sa demande tendant à voir prononcer subsidiairement la résiliation judiciaire de la convention du 28 février 1996 aux torts exclusifs de la société Cbm.

Sur l'impossibilité d'imposer la signature d'un avenant à la société des cliniques

La société Cbm demande à titre principal la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a ordonné à la société des cliniques de signer un avenant au contrat du 28 février 1986 mentionnant que le dit contrat perdurera pendant la durée contractuelle restant à courir, dans les locaux futurs sur le nouveau site de la clinique du Petit Colmoulins où qu'il se trouve, la seule clause modifiée concernant le ou les lieux d'exécution du contrat.

Toutefois la convention fait la loi des parties et il n'appartient pas aux juges de la modifier.

En l'espèce, il est constant que la convention litigieuse prévoyait que l'obligation de la clinique du Petit Colmoulins concernant tant ses locaux actuels que ses locaux futurs, de telle sorte qu'il n'était pas besoin d'un tel avenant pour que la société Cbm fasse valoir ses doits. Surabondamment, le tribunal n'avait pas le pouvoir d'imposer une modification de la convention des parties, l'inexécution par la société des cliniques de ses obligations étant sanctionnée par la réparation du préjudice en résultant.

Le jugement entrepris sera en conséquence réformé de ce chef et la société Cbm sera déboutée de sa prétention à voir imposer la signature d'un avenant à son co-contractant.

Sur la réparation du préjudice de la société Cbm

La société des cliniques conteste le caractère certain du dommage invoqué par la société Cbm dès lors que le regroupement des cliniques n'a pas encore été effectué, qu'il ne s'agit que d'un projet dont la réalisation reste soumise à de nombreux aléas et qui ne se réalisera au mieux fin 2009 et que la clinique du Petit Colmoulins a toujours jusqu'alors respecté ses engagements.

Toutefois il a été suffisamment démontré plus haut que la société des cliniques, si elle laisse actuellement la société Cbm jouir de sa convention d'exclusivité au sein de la clinique du Petit Colmoulins, a d'ores et déjà choisi de façon définitive de pas respecter ses engagements dans le futur Hôpital Privé de L'Estuaire.

La construction de ce nouvel établissement a débuté et la cour considère comme certaine la réalisation du regroupement qui aura pour effet l'abandon par la clinique du Petit Colmoulins de ses locaux actuels.

Seule la date de réalisation de ce dommage certain est à ce jour indéterminable tant que la date de la fermeture de la clinique du Petit Colmoulins est inconnue.

La société Cbm soutient que le tribunal reste saisi de sa demande indemnitaire.

Toutefois, dès lors que la cour réforme le jugement entrepris non seulement en ce qu'il a fait injonction à la société des cliniques de signer un avenant mais aussi et par voie de conséquence en ce qu'il a renvoyé l'affaire à une date ultérieure pour constater la signature de cet avenant, il s'ensuit que le tribunal se trouve vidé de sa saisine et que la cour est saisie de l'entier litige.

Il sera fait droit à la demande subsidiaire de la société Cbm qui sollicite, pour le cas où la cour s'estimerait compétente pour statuer sur l'indemnisation, qu'un délai lui soit accordé pour développer ses écritures de ce chef.

Sur les autres demandes

Pour les motifs exposés ci-dessus, la Société des cliniques sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et pour procédure abusive.

Succombant en l'essentiel de ses prétentions, elle sera déboutée de sa demande faite au titre des frais irrépétibles et sera condamnée à payer à la société Cbm au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel une somme de 15.000 €.

PAR CES MOTIFS

Déboute la société Centre de Biologie Médicale de toutes ses demandes faites dans ses conclusions d'incident, notamment quant au rejet des conclusions de la société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er du 22 janvier 2008 et des sept pièces communiquées le même jour,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions excepté en celles ayant débouté la société défenderesse de ses demandes reconventionnelles et en celles relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,

L'infirmant sur le surplus,

Dit que la convention du 28 février 1986 engageait la société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er à mettre à la disposition de la société Centre de Biologie Médicale des locaux aux fins d'exercer son activité de laboratoire d'analyses médicales dans les futurs locaux de la clinique du Petit Colmoulins, soit dans l'Hôpital Privé de l'Estuaire,

Déboute la société Centre de Biologie Médicale de sa demande tendant à voir ordonner à la société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er de signer un avenant au contrat du 28 février 1986 et de voir audiencer le dossier à une date ultérieure pour production de cet engagement de la société des cliniques,

Déboute la société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er de sa demande visant à enjoindre à la société Centre de Biologie Médicale de négocier avec elle,

Constate que le refus de la société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er de mettre des locaux à la disposition de la société Centre de Biologie Médicale dans le futur Hôpital Privé de l'Estuaire constitue une violation de la convention du 28 février 1986, aux torts de la société des cliniques Petit Colmoulins et François 1er,

Constate que cette violation est constitutive pour la société Centre de Biologie Médicale d'un préjudice futur mais certain,

Fait droit à la demande de renvoi de l'affaire à la mise en état pour que la société Centre de Biologie Médicale développe ses moyens relatifs au montant de son préjudice et dit que cette affaire sera évoquée à la conférence de mise en état du 27 mai 2008,

Déboute la Société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er de ses demandes de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral et au titre de la procédure abusive,

Déboute la Société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Condamne la Société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er à payer à la société Centre de Biologie Médicale une somme de 15.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Condamne la société des cliniques du Petit Colmoulins et François 1er à payer les dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Numéro d'arrêt : 07/00955
Date de la décision : 20/03/2008
Sens de l'arrêt : Autre

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance du Havre


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-03-20;07.00955 ?
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