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20/03/2008 | FRANCE | N°02/01890

France | France, Cour d'appel de Rouen, 20 mars 2008, 02/01890


R.G : 02/01890









COUR D'APPEL DE ROUEN



DEUXIÈME CHAMBRE



ARRÊT DU 20 MARS 2008











DÉCISION DÉFÉRÉE :



TRIBUNAL DE COMMERCE D'EVREUX du 28 Février 2002







APPELANTES :



S.A. OPE INTERMARCHE DIRECTION D'ENSEIGNE INTERMARCHÉ

24, rue Auguste Chabrières

75015 PARIS





S.A. EVREUX DISTRIBUTION

Lieudit Diepe

Base de Garancières

28700 GARANCIERES EN BEAUCE



rep

résentées par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour



assistées de Me Antoine DEPRES, avocat au barreau de Paris







INTIMÉES :



SCA NORMANDE

Départementale 48

Z.I. Nord B.P. 43

14101 LISIEUX



représentée par la SCP COLIN-VOINCHET RADIGUET-TH...

R.G : 02/01890

COUR D'APPEL DE ROUEN

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 20 MARS 2008

DÉCISION DÉFÉRÉE :

TRIBUNAL DE COMMERCE D'EVREUX du 28 Février 2002

APPELANTES :

S.A. OPE INTERMARCHE DIRECTION D'ENSEIGNE INTERMARCHÉ

24, rue Auguste Chabrières

75015 PARIS

S.A. EVREUX DISTRIBUTION

Lieudit Diepe

Base de Garancières

28700 GARANCIERES EN BEAUCE

représentées par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour

assistées de Me Antoine DEPRES, avocat au barreau de Paris

INTIMÉES :

SCA NORMANDE

Départementale 48

Z.I. Nord B.P. 43

14101 LISIEUX

représentée par la SCP COLIN-VOINCHET RADIGUET-THOMAS ENAULT, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Marc Y..., avocat au barreau de Rouen

S.A. TEUTATES

Base de Garancières

Lieudit Diepe

28700 GARANCIERES EN BEAUCE

représentée par la SCP LEJEUNE MARCHAND GRAY Z..., avoués à la Cour

assistée de Me Francine A..., avocat au barreau de Paris

S.A. MAEPSO

Rue de Fauville

27000 EVREUX

représentée par la SCP GREFF PEUGNIEZ, avoués à la Cour

assistée de Me Saisal B..., avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré :

Madame BARTHOLIN, Présidente

Monsieur LOTTIN, Conseiller

Madame VINOT, Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Madame DURIEZ, Greffier

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 Février 2008, où la présidente a été entendue en son rapport oral et l'affaire mise en délibéré au 20 Mars 2008

ARRÊT :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 20 Mars 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BARTHOLIN, Présidente et par Madame DURIEZ, Greffier.

*

* *

Exposé du litige

La Sa Evreux Distribution, dirigée par M. Lucien C... et membre de la Société Coopérative d'Approvisionnement (Sca) Normande, coopérative régionale d'approvisionnement des magasins à l'enseigne D..., exploitait un hypermarché à cette enseigne situé dans la zone industrielle d'Evreux.

Les associés de la société Evreux Distribution avaient convenu, par la mise en place d'une procédure particulière insérée dans les statuts, qu'ils bénéficieraient chacun d'un droit de préférence si l'un d'eux désirait vendre ses actions.

En outre, un pacte de préférence avait été passé le 2 juillet 1992 entre la société Evreux Distribution et la Sca Normande, aux termes duquel la société Evreux Distribution était tenue d'informer la Sca Normande en cas de projet de vente de son fonds de commerce et à lui accorder la préférence à prix égal sur tout autre acquéreur.

Le 16 août 1995, les époux C... ont cédé 2880 des 3000 actions de la société Evreux Distribution à diverses personnes dont 2870 à la société Ope Intermarché.

Le 29 août 1996, la société Evreux Distribution a cédé son fonds de commerce, déjà exploité par elle sous l'enseigne Intermarché, à la Sa Teutates.

Par jugement rendu le 23 janvier 1997, confirmé par la cour d'appel le 9 décembre 1999 et devenu définitif, le tribunal de commerce d'Evreux a déclaré nulles les cessions d'actions intervenues en violation du pacte de préférence.

Le 15 juillet 1998, la Sca Normande a assigné les sociétés Evreux Distribution et Teutates aux fins de voir déclarer nulle la cession du fonds de commerce consentie par la première à la seconde et de les voir condamner solidairement à lui payer une somme provisionnelle de 15 millions de francs à titre de dommages et intérêts dans l'attente du résultat de l'expertise comptable sollicitée, mais l'affaire a été radiée le 9 mars 2000.

La société Teutates a donné son fonds de commerce en location gérance le 2 août 1999 à la Sa Maepso.

Par actes des 18, 22 et 24 janvier 2001, la Sca Normande a assigné les sociétés Evreux Distribution et Teutates en reprise d'instance et appelé en intervention forcée les sociétés Maepso et Ope Intermarché aux fins de se voir donner acte qu'elle était contrainte de renoncer à sa demande d'annulation de la vente du fonds de commerce et de voir condamner conjointement et solidairement les sociétés Evreux Distribution, Teutates et Maepso à lui payer la somme provisionnelle de 25 millions de francs dans l'attente des conclusions de l'expertise comptable sollicitée sur l'évaluation de son préjudice. Elle sollicitait en outre la condamnation de la société Ope Intermarché sur le fondement de l'article 1382 du code civil à garantir à son profit les sociétés défenderesses des condamnations prononcées à leur encontre.

Par jugement rendu le 28 février 2002, le tribunal de commerce d'Evreux a :

- donné acte à la Sca Normande de ce qu'elle est contrainte de renoncer à sa demande d'annulation de la cession de fonds de commerce consentie par la Sa Evreux Distribution au profit de la Sa Teutates,

- donné acte à la Sca Normande de ce qu'elle est contrainte par voie de conséquence de renoncer à sa demande de remise en état dans le semblable état antérieur à ladite cession,

- donné acte à la société Evreux Distribution de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la mesure d'expertise sollicitée,

- donné acte à la société Teutates de ses réserves les plus extrêmes concernant l'expertise sollicitée,

- déclaré recevables les demandes de la Sca Normande à l'encontre de la société Ope Intermarché,

- mis hors de cause et sans dépens la Sa Maepso,

- désigné M. Jean-Luc E... en qualité d'expert avec mission d'évaluer le préjudice subi, de chiffrer l'éventuelle perte de valeur patrimoniale subie par la Sca Normande et de faire le compte entre les parties,

- réservé les dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Les sociétés Ope Intermarché et Evreux Distribution ont interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance rendue le 22 octobre 2002, le conseiller de la mise en état a ordonné l'exécution provisoire de la mesure d'expertise et étendu la mission de l'expert afin qu'il détermine les ristournes, produits, accessoires ou autres avantages différés dont était redevable la Sca Normande envers la société Evreux Distribution au moment de la vente du fonds.

L'expert a déposé son rapport le 24 octobre 2005.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2008.

Prétentions et moyens des parties

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 6 juin 2006 par la société Ope Intermarché, le 17 août 2006 par la société Evreux Distribution, le 20 septembre 2007 par la société Teutates, le 7 décembre 2007 par la société Maepso et le 16 mai 2007 par la Sca Normande.

Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.

La société Ope Intermarché, qui sollicite la réformation du jugement entrepris, demande à la cour à titre principal de déclarer la Sca Normande irrecevable en ses demandes et à titre subsidiaire de constater que cette dernière succombe dans l'administration de la preuve qui lui incombe.

A titre plus subsidiaire, elle conclut à la nullité de l'article 4 du pacte de préférence et au débouté des demandes de la Sca Normande.

Dans tous les cas, elle sollicite la condamnation de la Sca Normande à lui payer une somme de 20.000 € par application de l'article 700 du Ncpc.

La société Evreux Distribution, qui sollicite la réformation du jugement, demande à la cour de déclarer nul l'article 4 du pacte de préférence, de juger que la Sca Normande n'a subi aucun préjudice et de la débouter de toutes ses demandes.

Elle sollicite en outre la condamnation de la Sca Normande à lui payer une somme de 20.000 € par application de l'article 700 du Ncpc.

La Sca Normande conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il lui a donné acte de ce qu'elle a été contrainte de renoncer à sa demande d'annulation de la cession du fonds de commerce détenu par la société Evreux Distribution au profit de la société Teutates et par voie de conséquence à sa demande de remise en état du fonds dans le semblable état antérieur à ladite cession.

Elle sollicite la condamnation conjointe et solidaire des sociétés Evreux Distribution, Teutates et Maepso à réparer l'intégralité de son préjudice subi par suite de la violation du pacte de préférence et demande la fixation de ce préjudice à la somme de 3.280.000 € avec intérêts de droit à compter de la demande initiale.

La Sca Normande demande en outre que la société Ope Intermarché aujourd'hui dénommée Direction d'enseigne Intermarché soit déclarée responsable de son préjudice sur le fondement de l'article 1382 du code civil et soit condamnée à garantir à son profit toutes les condamnations prononcées solidairement à l'encontre des sociétés Evreux Distribution, Teutates et Maepso.

Enfin, elle sollicite la condamnation solidaire des sociétés Evreux Distribution, Teutates, Maepso et Ope Intermarché à lui payer une somme de 15.250 € au titre des frais irrépétibles.

La société Teutates, sur son appel incident, demande à la cour à titre principal de juger qu'elle est un tiers et ne saurait se voir utilement opposer le pacte extra statutaire qui ne lie que la Sca Normande à la société Evreux Distribution, de telle sorte que sa mise hors de cause doit être prononcée.

Subsidiairement, elle demande à la cour de débouter la Sca Normande de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées contre elle, tant au fond qu'au titre des frais irrépétibles et de la condamner à lui payer une indemnité de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du Ncpc.

La société Maepso sollicite à titre principal la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a mise hors de cause sans dépens.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de constater que la Sca Normande n'a subi aucun préjudice, de débouter en conséquence cette dernière de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au cours du délibéré, il a été demandé aux parties de présenter leurs observations sur le moyen d'office pris de ce que l'article 4 du pacte de préférence litigieux qui, après avoir s'être référé à la notion de prix égal mentionne qu'il y a lieu de tenir compte des statuts de la Sca Normande, ne fait ainsi que convenir d'une compensation entre d'une part le prix "égal"dû par la Sca Normande au cas où elle exerce son droit de préemption et d'autre part les pénalités dues le cas échéant conformément à ses statuts, sans que ne soit remis en cause le montant du prix "égal" à celui offert par le tiers, qui reste parfaitement déterminé.

Les observations que les parties ont contradictoirement formulées sont annexées au dossier de la procédure.

Sur ce, la Cour,

Sur la recevabilité des demandes de la Sca Normande à l'encontre de la société Ope Intermarché

Pour contester la recevabilité des demandes de la Sca Normande faites à son encontre, la société Ope Intermarché fait valoir qu'elle est un tiers non seulement par rapport au pacte de préférence conclu entre les époux C... et la Sca Normande mais aussi par rapport à l'acte de cession du fonds de commerce conclu entre la société Evreux Distribution et la société Teutates.

Toutefois l'action exercée par la Sca Normande à l'encontre de la société Ope Intermarché, à laquelle il est reproché d'avoir au travers des sociétés qu'elle contrôle causé le préjudice dont il est demandé réparation, est fondée sur l'article 1382 du code civil.

La qualité de tiers de la société Ope Intermarché par rapport au pacte de préférence ou à l'acte de cession du fonds de commerce est en conséquence sans incidence sur la recevabilité des demandes faites à son encontre par la Sca Normande.

Sur la renonciation de la Sca Normande à se prévaloir du pacte de préférence

Les sociétés Evreux Distribution et Maepso font valoir que la Sca Normande est mal fondée à se prévaloir du pacte de préférence du 2 juillet 1992 alors qu'elle y a renoncé en ne manifestant à aucun moment avant l'assignation du 22 juillet 1998 la volonté d'exercer son droit de préemption à la suite de la publicité légale de la vente au Bodac du 18 septembre 1996 mais aussi des informations données préalablement à M. F..., président du conseil d'administration de la Sca Normande, lors de l'assemblée générale de la société Evreux Distribution en date du 15 juillet 1996, selon lesquelles il avait été consenti aux époux G... avec faculté de substitution une promesse de cession du fonds de commerce au prix de 7.500.000 francs.

Elles ajoutent que la Sca Normande avait déclaré publiquement par la voix de son président du conseil d'administration que le groupe D... n'avait aucune proposition à faire à M. C... tandis que M. Michel-Edouard Leclerc, président du Groupement Leclerc, avait dit quant à lui dans une revue professionnelle publiée en septembre 2005: "si le magasin nous avait vraiment intéressé, nous l'aurions conservé".

Toutefois la renonciation à un droit ne se présume pas et doit résulter d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer.

En l'espèce, diverses procédures visant à faire sanctionner le non respect des différents pactes de préférence par les époux C... à la société Ope Intermarché ont été engagées , dont l'une dès le mois de janvier 1996 qui a abouti à l'annulation de la cession des actions de la société Evreux Distribution.

Les autres actions engagées ont ensuite répondu aux différents actes concernant le fonds de commerce, lequel a été vendu à la société Teutates puis mis en location gérance au profit de la société Maepso, avant d'être cédé à cette dernière.

La cour constate qu'il n'est pas justifié d'une renonciation non équivoque de la société Sca Normande à se prévaloir des pactes de préférence et en particulier de celui du 2 juillet 1992 concernant le fonds de commerce, les déclarations des dirigeants régionaux et nationaux du groupe D... relevant de la communication sans avoir un caractère décisionnaire, outre qu'elles ne traduisent pas une telle renonciation.

Sur la nullité du pacte de préférence

Le pacte de préférence litigieux dispose que la société Evreux Distribution, si elle se décide à vendre son fonds de commerce, est tenue de le porter à la connaissance de la Sca Normande et de lui faire connaître les offres qui lui sont faites par lettre recommandée avec accusé de réception dans les huit jours de leur réception.

L'article 4 précise :

"Il est convenu qu'à prix égal, la société Evreux Distribution s'engage à donner la préférence à la Sca Normande sur toute autre personne se portant acquéreur.

Les parties rappellent expressément que la société Evreux Distribution, en sa qualité d'associé adhérente de la Sca Normande, est soumise au respect de toutes les dispositions statutaires régissant la société spécialement aux pénalités en cas de retrait en cours de période d'engagement ou d'exclusion telles qu'actuellement définies dans l'article 11 des statuts.

En conséquence, par prix égal il faut entendre, si le prix offert par les acheteurs n'a pas pris en compte l'intégralité des pénalités telles que ci-dessus définies, un prix diminué de l'intégralité des pénalités prévues par les statuts de la Sca Normande en vigueur à l'époque".

Pour conclure à la nullité du pacte de préférence signé le 2 juillet 1992 entre la société Evreux Distribution et la Sca Normande, les sociétés Evreux Distribution et Ope Intermarché font valoir que la combinaison de l'article 4 de ce pacte et de l'article 11 des statuts de la Sca Normande auquel il renvoie oblige le sociétaire qui se retire au cours de sa période d'engagement à prendre en compte l'application d'une ou de deux pénalités que le conseil d'administration applique de manière discrétionnaire avec appel possible devant l'assemblée générale, de telle sorte que ledit sociétaire est dans l'incapacité de calculer, au moment où il reçoit l'offre d'un tiers pour l'achat du fonds de commerce, le montant des pénalités applicables et de déterminer le véritable prix, d'autant que les modalités de calcul de chacune des pénalités les rendent incertaines.

Elles soulignent qu'en l'espèce, le tribunal arbitral compétent a qualifié ces créances de la Sca Normande de clauses pénales qu'il a estimées manifestement excessives, ce dont elles déduisent qu'il était impossible de connaître à l'avance leur montant total.

Il en résulte selon les sociétés Evreux Distribution et Ope Intermarché que l'adhérent est dans l'incapacité lorsqu'il reçoit l'offre d'un tiers de tenir compte des pénalités qu'il encoure.

La société Evreux Distribution ajoute que le fonds de commerce a été cédé par elle au prix de 7.500.000 francs alors que les pénalités ont été fixées par l'expert M. E... à la somme totale de 10.200.000 francs, de telle sorte que le prix calculé après déduction des pénalités conformément à l'article 4 du pacte de préférence aurait été négatif de 2.700.000 francs, alors qu'un prix de vente ne peut être négatif.

En réplique, la Sca Normande soutient en premier lieu que la validité de l'article 11 des statuts a été définitivement jugée par la sentence arbitrale du 8 avril 1999, l'autorité de la chose jugée interdisant la remise en cause par les mêmes parties de ce qui a précisément été définitivement jugé.

Toutefois l'autorité de chose jugée n'a d'effet que s'il existe une identité de parties, d'objet et de cause.

Or la décision arbitrale, qui a fixé le montant des pénalités dues par la société Evreux Distribution à la Sca Normande à la suite de son retrait, n'avait pas le même objet que la présente instance et ne s'est pas prononcée sur le caractère déterminable du prix du fonds de commerce dans le cadre de l'application du pacte de préférence, de telle sorte que l'autorité de chose jugée ne peut être opposée de ce chef à la société Evreux Distribution. En outre, la société Ope Intermarché n'était pas partie à ce litige arbitral.

En second lieu, la Sca Normande fait grief à la société Evreux Distribution, qui ne pouvait se faire justice à elle-même et devait, si elle estimait nul le pacte de préférence, le faire annuler par la juridiction compétente, de l'avoir violé délibérément sans autre forme de procès.

Toutefois, l'indemnisation du préjudice résultant de la violation de ce pacte suppose que soit tranché préalablement le litige soulevé par la société Evreux Distribution relatif à sa nullité éventuelle.

En dernier lieu, la Sca Normande fait valoir que le préjudice subi par elle du fait du retrait de la société Evreux Distribution était parfaitement déterminable et a d'ailleurs été définitivement déterminé dans la même décision arbitrale.

Mais cette objection ne répond pas au moyen pris de l'indétermination des pénalités au moment de la vente du fonds de commerce, puisque les indemnités n'ont été fixées par le tribunal arbitral que le 17 août 1999, soit plusieurs années après la cession du fonds, sans que les montants aient pu être prévus puisque les arbitres ont modéré les pénalités en appliquant les règles relatives aux clauses pénales.

Toutefois l'article 4 du pacte de préférence litigieux, qui après avoir fait référence au prix égal mentionne qu'il y a lieu de tenir compte des dispositions prévues par l'article 11 des statuts de la Sca Normande, ne fait ainsi que convenir d'une compensation entre le prix "égal" dû par la Sca Normande au cas où elle exerce son droit de préemption et les pénalités dues le cas échéant à la Sca Normande conformément à ses statuts, sans remettre en cause le prix offert par le tiers, parfaitement déterminé.

En d'autres termes, le prix égal offert par la Sca Normande qui exerce son droit de préemption est parfaitement connu immédiatement et seule la créance venant en compensation de ce prix du fait de l'application des pénalités peut n'être connue, comme ce fut le cas en l'espèce, qu'après détermination par le tribunal compétent.

Ces pénalités ont été en l'espèce validées et fixées par une décision devenue définitive.

Le moyen pris de la nullité du pacte de préférence n'est en conséquence pas fondé.

Or il est constant que la société Evreux Distribution, en omettant de faire connaître à la Sca Normande la teneur des offres du tiers acquéreur et notamment le prix offert dans les formes prévues par l'article 3 du pacte puis en cédant son fonds de commerce à la société Teutates le 29 septembre 1996, a délibérément violé les dispositions de ce pacte et engagé sa responsabilité contractuelle.

Sur la responsabilité de la société Ope Intermarché

Pour contester sa responsabilité en qualité de "maître d'oeuvre des opérations", la société Ope Intermarché fait grief à la Sca Normande de ne pas rapporter la preuve de ses affirmations, sa seule qualité d'associé de la société Evreux Distribution étant à cet égard insuffisante.

Toutefois il résulte des pièces versées aux débats que la société Ope Intermarché, qui en sa qualité de professionnel de la grande distribution ne pouvait ignorer que les époux C... étaient tenus par un pacte de préférence au profit du groupe D... , avait dès le 16 août 1995 signé un protocole avec ces derniers pour le rachat des actions de la société Evreux Distribution et de celles des deux Sci "Bonne Mare" et "Impasse Jacques Monod", propriétaires des terrains sur lequel le magasin était édifié.

Dans le même temps, un contrat d'adhésion des époux G... à la charte des mousquetaires du groupe Intermarché était signé avec la société ITM Entreprises.

Alors que la société Ope Intermarché avait été assignée en annulation de l'acte de cession des actions de la société Evreux Distribution, cette dernière société signait une promesse de vente du fonds de commerce le 29 mai 1996 au profit des époux G....

La société Teutates, créée le 1er juin 1996 et ayant notamment pour associée la société ITM Entreprises, se rendait acquéreur du fonds de commerce de la société Evreux Distribution.

Au vu de cette chronologie des faits, il est établi que la société Ope Intermarché, après des pourparlers avec M. C..., a recruté un nouvel adhérent aux fins de reprendre le magasin exploité initialement sous l'enseigne D..., alors qu'elle ne pouvait ignorer l'existence d'un pacte de préférence obligeant les époux C... et la société Evreux Distribution.

De même la société ITM Entreprises a été associée dans la création de la société Maepso qui, après l'annulation par décision de justice de la cession des actions de la société Evreux Distribution, a pris en location gérance le fonds de commerce litigieux, vidant la société Evreux Distribution de son seul élément d'actif économiquement intéressant et exploitable, puis a acquis ce fonds.

La responsabilité de la société Ope Intermarché est en conséquence établie à l'égard de la Sca Normande sur le fondement de l'article 1382 du code civil.

Sur la responsabilité de la société Teutates

Pour répondre à l'accusation de collusion frauduleuse avec la société Evreux Distribution qui lui est faite, la société Teutates fait valoir qu'elle est un tiers par rapport au pacte de préférence de 1992 et que le vendeur a déclaré dans l'acte du 29 août 1996 que rien dans la situation du fonds de commerce litigieux ou dans sa capacité juridique n'était susceptible de constituer un obstacle à la libre cession du fonds.

Elle souligne en outre que la Sca Normande n'avait pas encore intenté d'action à l'encontre de la société Evreux Distribution au moment où elle a acquis le fonds, de telle sorte qu'il ne peut lui être reproché aucune faute.

Toutefois il résulte des pièces versées aux débats, ainsi que l'a souligné le tribunal sans être critiqué de ce chef, que les sociétés Evreux Distribution et Teutates avaient les mêmes dirigeants.

Dans ces conditions, la société Teutates est mal fondée à prétendre qu'elle ignorait l'existence du pacte signé par la société Evreux Distribution.

La société Teutates a ainsi commis une faute en se portant complice de la violation par la société Evreux Distribution du pacte de préférence dont elle sera déclarée responsable sur le fondement de l'article 1382 du code civil.

Sur la responsabilité de la société Maepso

Sur son appel incident du jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause la société Maepso, la Sca Normande fait valoir que la collusion de cette dernière avec la société Teutates est établie dès lors qu'elle a pris en location gérance le fonds de commerce litigieux puis l'a acquis.

Toutefois, la Sca Normande n'invoque aucun élément de nature à démontrer que la société Maepso avait été informée de l'existence du pacte de préférence et des manoeuvres effectuées pour contourner ce pacte.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a mis la société Maepso hors de cause.

Sur le préjudice de la Sca Normande

La Sca Normande fait valoir que le changement d'enseigne, devenu irréversible en raison de la modification considérable des conditions d'exploitation du fonds et de son agencement pour le mettre "aux normes Intermarché", a eu pour conséquence une hémorragie considérable de la clientèle.

Elle soutient que son préjudice est constitué :

- du manque à gagner pour la non exploitation du fonds et la privation des résultats escomptés, qu'elle chiffre à 18.865.000 francs suivant rapport du cabinet Mouchonnier en date du 12 décembre 2000 ;

- de la perte de valeur patrimoniale évaluée à 4.352.000 francs par le même rapport ;

- d'une perte considérable d'image puisque l'enseigne D... a été absente dix ans sur Evreux en raison du gel des surfaces commerciales.

Néanmoins elle déclare accepter les conclusions contraires de l'expert en ce qu'elle ont fixé son préjudice total à 3.280.000 € (21.515.390 francs).

Les sociétés Ope Intermarché, Evreux Distribution et Teutates exposent que l'expert a estimé nul le préjudice relatif à la perte de résultats, puis chiffré le préjudice lié à la perte de valeur patrimoniale à 420.000 € au maximum et le préjudice d'image ou commercial à 2.860.000 € au maximum, les deux premières soulignant que le préjudice commercial et d'image est supporté non par la société Sca Normande mais par l'association Acedelec, issue du mouvement D... mais qui n'appartient pas à la Sca Normande.

S'agissant du préjudice lié à la perte de résultats, l'expert judiciaire a relevé que le cabinet Mouchonnier et le rapport Deloitte, qui ont chiffré ce préjudice à la demande de la Sca Normande, ont cherché quels auraient été les résultats sur la période considérée d'un magasin D... de taille comparable, alors qu'il convient de tenir compte du contexte particulier de l'exploitation du magasin concerné par le litige. De plus les travaux ainsi fournis par la Sca Normande sont basés sur les résultats de l'exercice 2004-2005, alors qu'il résulte des constatations de l'expert non seulement que les résultats se sont effondrés pour aboutir à des pertes à partir de 1996 mais aussi que cette perte de rentabilité, au vu des analyses financières et comptables, commençait à se manifester avant la cession malgré un léger sursaut en 1995, de telle sorte que, même sans changement d'enseigne, il est probable qu'aucun bénéfice n'aurait pu être dégagé à partir de 1996.

La cour, adoptant de ce chef les conclusions de l'expert, constate qu'aucune somme ne peut être allouée au titre de la perte de résultats.

S'agissant de la perte patrimoniale, chiffrée à la somme de 4.352.000 francs par le cabinet Mouchonnier et correspondant selon ce dernier à la différence de valeur du fonds entre 2000 et 1995, l'expert judiciaire M. E... souligne qu'une indemnisation à ce titre et au titre de la perte de résultats ferait double emploi car la valeur d'un fonds de commerce est fonction des résultats futurs susceptibles d'être générés.

M. E... expose néanmoins que le préjudice lié à la perte patrimoniale de la Sca Normande correspond à la différence entre le prix qu'elle aurait payé en 1995 pour acquérir le fonds et le prix qu'elle en aurait obtenu en le revendant.

Constatant que le prix total payé était de 37.000.000 francs pour l'acquisition des biens de la société Evreux Distribution et des deux Sci propriétaires des immeubles servant à l'exploitation du commerce, l'expert a évalué à 17.000.000 francs la part correspondant à la valeur du fonds. Il constaté que la société Ope Intermarché avait néanmoins payé 5.500.000 francs de plus au titre du montant des pénalités fixées par le tribunal arbitral, de telle sorte que le prix réel du fonds était selon lui de 22.500.000 francs, ce qui correspondait au haut de la fourchette par rapport aux résultats du fonds et était peu représentatif du marché, l'enseigne ayant manifestement accepté de surpayer pour enlever un fonds à son concurrent.

Le fonds a été revendu au prix de 7.500.000 francs un an après à la société Teutates, dont 1.000.000 francs au titre des éléments incorporels, puis cédé à la société Maepso en 1999 au prix de 6.500.000 francs et enfin ultérieurement à M. H... au prix de 1 €.

Constatant que la valeur du fonds selon la méthode d'évaluation des centre D... était de 3.756.000 francs septembre 1995 et n'avait pas varié en août 1996, date à laquelle la Sca Normande aurait pu l'acquérir en exerçant son droit de préemption prévu par le pacte du 2 juillet 1992, puis le revendre à sa valeur qui n'avait pas changé en un an, l'expert en conclut que la perte de valeur patrimoniale pourrait être fixée à la différence, soit 2.756.000 francs.

Toutefois, ce résultat, que l'expert prend soin de qualifier de maximal, est obtenu en déduisant du prix d'acquisition des éléments incorporels du fonds au moment le plus favorable le prix de revente théorique de ces mêmes éléments au moment également le plus favorable.

La cour constate que la société Sca Normande, si elle avait exercé son droit de préemption sur le fonds de commerce en 1995, aurait payé le prix de 7.500.000 francs et qu'elle n'aurait jamais pu le céder par la suite à un prix supérieur, même si il avait été mieux géré, tant il existait de facteurs inhérents au fonds et tendant à sa perte de valeur.

Il n'est donc pas établi l'existence d'un préjudice lié à la perte patrimoniale.

S'agissant enfin du préjudice d'image ou commercial, l'expert a simplement indiqué qu'il était "à l'extrême" équivalant au sur-prix qu'avait accepté de débourser la société Ope Intermarché en septembre 1995 pour contrer de façon agressive le réseau D..., soit 18.700.000 francs, tout en se demandant si ce préjudice n'avait pas été partiellement ou totalement indemnisé par les indemnités allouées par le tribunal arbitral.

Toutefois, si comme l'indiquent les sociétés Evreux Distribution et Ope Intermarché, c'est l'association Acedelec qui est propriétaire au niveau national du nom commercial et de l'enseigne leclerc, il reste que la Sca Normande, chargée de gérer les intérêts de cette enseigne au niveau régional, a subi une perte d'image importante, suite à la violation du pacte de préférence, en n'ayant plus aucun de ses adhérents présent sur l'agglomération d'Evreux pendant de nombreuses années, dans l'impossibilité où elle fût de retrouver un fonds de commerce pour exploiter l'enseigne D....

Si ce préjudice ne peut être fixé comme l'a fait l'expert au montant du surcoût payé par le réseau Intermarché pour prendre la place du réseau Leclerc, il est manifestement important et sera fixé par la cour, en tenant compte des indemnités déjà allouées par le tribunal arbitral et qui le réparaient partiellement, à la somme de 1.500.000 €, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 24 janvier 2001.

Les sociétés Evreux Distribution, Ope Intermarché et Teutates, qui ont toutes participé aux faits concertés visant à faire obstacle au respect du pacte de préférence dont elles avaient eu connaissance, seront condamnées in solidum à réparer le préjudice subi par la Sca Normande.

Sur les autres demandes

La Sca Normande sera condamnée à payer à la société Maepso une somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles.

Les sociétés Evreux Distribution, Ope Intermarché, et Teutates seront déboutées de leurs demandes faites à ce titre et seront condamnées in solidum à payer à la Sca Normande une somme de 12.000 € au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions excepté celles qui ont réservé les dépens et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Le réformant et y ajoutant,

Déclare les sociétés Evreux Distribution, Ope Intermarché (désormais dénommée Direction d'Enseigne Intermarché) et Teutates responsables du préjudice subi par la Sca Normande suite à la violation du pacte de préférence du 2 juillet 1992 et les condamne in solidum à payer à la Sca Normande la somme de 1.500.000 € à titre de dommages et intérêts pour son préjudice commercial ou d'image, outre les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 24 janvier 2001,

Condamne in solidum les sociétés Evreux Distribution, Ope Intermarché et Teutates à payer à la Sca Normande la somme de 12.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Sca Normande du surplus de ses demandes et notamment de celles relatives à ses préjudices pour perte de résultats et perte de valeur patrimoniale,

Déboute les sociétés Evreux Distribution, Ope Intermarché et Teutates de leurs demandes faites au titre des frais irrépétibles,

Condamne la Sca Normande à payer à la société Maepso la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les sociétés Evreux Distribution, Ope Intermarché et Teutates à payer les dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Numéro d'arrêt : 02/01890
Date de la décision : 20/03/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce d'Evreux


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-03-20;02.01890 ?
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