R.G : 05/02541 et 05/02658 COUR D'APPEL DE ROUEN CHAMBRE 1 CABINET 1 ARRÊT DU 8 NOVEMBRE 2006 DÉCISION DÉFÉRÉE :TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'EVREUX du 6 mai 2005 APPELANTE (et incidemment intimée) :Mademoiselle Nathalie X... ... comparante à l'audience représentée par la SCP COLIN VOINCHET RADIGUET ENAULT, avoués à la Cour assistée de Me Jean-Yves PONCET, avocat au Barreau d'EVREUX INTIMÉ (et incidemment appelant) :Monsieur Jean Michel Y... ... représenté par la SC GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour assisté de Me Michel LENGLET, avocat au Barrea de ROUEN COMPOSITION DE LA COUR :En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 25 septembre 2006 sans opposition des avocats devant Monsieur BOUCHÉ, Président, rapporteur, en présence de Madame LE CARPENTIER, Conseiller, Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :Monsieur BOUCHÉ, Président Monsieur PÉRIGNON, Conseiller Madame LE CARPENTIER, Conseiller GREFFIER LOR DES DÉBATS :Jean Dufot DÉBATS :A l'audience publique du 25 septembre 2006, où l'affaire a été mise en délibéré au 8 novembre 2006 ARRÊT : CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement le 8 novembre 2006 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile, signé par Monsieur BOUCHÉ, Président et par Jean Dufot, greffier présent à cette audience.
Par acte notarié du 14 septembre 2001, Nathalie X... et Jean-Michel Y... ont acheté en commun à parts égales une maison d'habitation avec dépendance située sur la commune de Bretagnolles, pour le prix de 129 581, 66 ç financé pour partie à l'aide de prêts
postaux remboursables par prélèvements mensuels sur le compte postal de Jean-Michel Y... ;
Dans un climat de violences qu'elle attribue à son concubin, Nathalie X... a quitté le domicile commun le 5 novembre 2003 ; courant novembre et décembre, elle a pu récupérer ses effets et son mobilier personnels ;
Le 6 avril 2004, Nathalie X... a fait assigner Jean-Michel Y... afin de voir ordonner l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision conventionnelle, reconnaître les récompenses dues par l'indivision pour les dépenses qu'elle déclare avoir réglées, fixer une indemnité d'occupation à la charge de son ancien compagnon et condamner celui-ci en application de l'article 1382 du code civil à lui verser personnellement une somme de 5 000 ç de dommages et intérêts pour les violences qu'elle dit avoir subies ;
Jean-Michel Y... a demandé l'attribution préférentielle de l'immeuble, a reconnu devoir une indemnité d'occupation, mais a contesté tout droit d'impenses sur l'indivision et la demande personnelle de dommages et intérêts formée par Nathalie X... ;
C'est dans ces circonstances que le tribunal de grande instance d'Evreux, par son jugement du 6 mai 2005 assorti de l'exécution provisoire a :
- ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision existant sur l'immeuble litigieux,
- commis le président de la Chambre des notaires de l'Eure ou son délégataire pour y procéder et un magistrat pour suivre ces opérations,
- pour y procéder, ordonné la vente en audience des criées du tribunal de grande instance d'Evreux sur le cahier des charges déposé au greffe par maître Poncet, avocat, accomplissement des formalités
judiciaires et de publicité et mise à prix de 50 000 ç avec possibilité de baisse de 1/5ème,
- rejeté la demande d'attribution préférentielle présentée par Jean-Michel Y...,
- rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Nathalie X... ,
- ordonné une expertise confiée à Lucien YVANOFF avec assistance possible d'un sapiteur, aux frais avancés de Jean-Michel Y... sous forme d'une provision de 1 200 ç, pour chiffrer la valeur locative de l'immeuble qu'il occupe et celle des travaux d'amélioration et de conservation nécessaires réalisés par les indivisaires,
- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.
Nathalie X... a relevé appel de cette décision et, aux termes de ses dernières écritures signifiées le 6 septembre 2006, conclut à sa confirmation, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts qu'elle fonde sur les articles 1382 et 1383 du code civil pour les faits de violences dont elle se dit avoir été victime et qu'elle prétend prouver par de multiples attestations, dommages et intérêts qu'elle chiffre désormais à 8 000 ç ; elle ajoute une demande de 1 500 ç sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Jean-Michel Y..., à l'appui de l'appel de ce même jugement qu'il a interjeté et que le conseiller de la mise en état a joint à celui de Nathalie X..., conclut en dernier lieu le 21 septembre 2006 à sa
réformation en ce qu'il a choisi la vente à la barre du tribunal plutôt qu'en l'étude du notaire et à sa confirmation pour le surplus ;
Il conteste les accusations de violences portées contre lui et illustre au contraire la volonté de son ancienne compagne de lui nuire par les plaintes pénales et disciplinaires déposées contre lui et par les coups que son père lui a portés ;
Il demande la condamnation de Nathalie X... à lui verser 3 000 ç de dommages et intérêts pour procédure abusive et 3 000 ç en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR,
Jean-Michel Y..., occupant de l'immeuble, ne réclame plus le bénéfice de l'attribution préférentielle à laquelle la loi ne lui ouvre pas droit, sauf accord de la co-indivisaire ;
Seuls deux des points tranchés par le tribunal font désormais l'objet de contestations devant la cour : le choix d'une vente de l'immeuble commun sur licitation aux enchères publiques devant le tribunal de grande instance plutôt qu'en l'étude du notaire et le rejet de la demande de dommages et intérêts pour violences formée par Nathalie X... contre son ancien compagnon ;
S'agissant du lieu de vente, Jean-Michel Y... fait valoir que la juridiction a un pouvoir discrétionnaire pour décider si la licitation aura lieu devant un juge ou devant un notaire, et que, dès lors que les mesures de publicité et l'établissement d'un cahier des charges restent des préalables à toute vente, quel qu'en soit le lieu, il appartient à la juridiction de rechercher la solution la plus commode et le meilleur intérêt commun des parties, sachant que Nathalie X... ne prouve pas que la vente en l'étude du notaire toucherait un moindre public ;
Nathalie X... objecte cependant à bon droit qu'en raison de la
situation de l'immeuble à la campagne, le déplacement du public est susceptible de se révéler plus difficile qu'en ville d'Evreux et qu'il est de l'intérêt, sinon de l'occupant qu'elle soupçonne de vouloir l'acquérir, plus certainement de l'indivision, d'obtenir de la licitation le prix le plus élevé ;
Au demeurant, dans le doute sur la meilleure solution à adopter, il convient d'en revenir à la rédaction de l'article 827 alinéa 2 du code civil qui, faisant exception au principe général de la licitation à la barre du tribunal défini dans l'alinéa 1er du même article, dispose que les parties, si elles sont majeures, peuvent consentir à une licitation devant notaire, sur le choix duquel elles s'accordent ;
Dès lors que les parties ne se sont pas accordées sur le choix du notaire et encore moins sur le lieu de vente, le choix de la barre du tribunal pour recevoir les enchères doit être confirmé ;
S'agissant de la demande de dommages et intérêts formée par Nathalie X..., le moyen, unique et inexact, tiré par le tribunal du caractère pénal des violences invoquées et de l'absence de poursuite et de condamnation pénales ne peut emporter confirmation du débouté de cette demande ; en effet, la qualification des violences en faute pénale n'est pas exclusive d'une qualification en faute civile au sens des articles 1382 et 1383 du code civil, dans la limite du respect par la juridiction civile du principe selon lequel "le pénal tient le civil en l'état" ;
Dans l'attente d'une solution donnée par le parquet ou la juridiction pénale aux plaintes déposées les 23 septembre 2002, 31 octobre 2003 et 6 octobre 2003, seul le sursis pouvait être prononcé par le tribunal ;
Devant la cour, dès lors que le parquet a informé Nathalie X...
de sa décision du 27 mars 2006 de classer sans suite ses plaintes, il n'existe plus d'obstacle à l'instruction de sa demande de dommages et intérêts par la juridiction civile ;
Aux preuves médicales et testimoniales de la réalité des faits de violences, qui méritent examen, s'ajoutent désormais les pièces pénales versées aux débats par l'appelante ;
Il résulte des témoignages directs, circonstanciés, cumulés et complémentaires de Christine Z..., voisine du couple, de Rym A..., médecin et collègue de Nathalie X..., psychologue de métier, enfin de Karine B..., autre collègue psychologue, qu'à la suite de violences, cette dernière a dû quitter le domicile commun dans la soirée du 5 novembre 2003 pour se réfugier chez sa voisine, qu'en raison de l'incapacité physique dans laquelle elle se trouvait de conduire sa voiture, les gendarmes ont requis les pompiers pour la conduire à l'hôpital général d'Evreux et qu'après examen, un certificat médical lui a été délivré par le médecin de permanence ( traumatisme du coude droit avec impotence fonctionnelle ) ;
La plainte alors enregistrée à la gendarmerie le 6 novembre 2003 a fait l'objet d'une enquête judiciaire qui a permis l'audition des parents et proches, et particulièrement du père de Nathalie X... directement mis en cause par Jean-Michel Y... dans une plainte au parquet qu'il a déposée par écrit le 29 septembre 2003 ;
Cette enquête faisait suite à une précédente plainte en date du 31 octobre 2003, à un ancien certificat médical du 11 octobre 2002 ( fissuration de la lèvre supérieure, hématome de la pommette gauche et de la cuisse gauche ), et à un autre tout récent du 3 novembre 2003 ( ecchymoses aux bras et avant-bras droit et à l'épaule gauche ) délivrés à Nathalie X... qui, se disant victime de coups, s'en
était ouverte auprès de certains collègues qui témoignent des séquelles physiques et morales alors constatées ;
Sans être des témoins directs, ces personnes viennent confirmer le climat d'insécurité dans lequel la plaignante a vécu ;
L'erreur de date faite par le témoin Rym A... est sans incidence sur la sincérité de son témoignage, qui concorde avec ceux des autres attestants ;
Sans donner d'explications à ces blessures présentées par celle qui vivait avec lui, Jean-Michel Y... nie en être l'auteur et s'en prend au père de Nathalie X... qui, domicilié dans l'Oise à 160 km de leur domicile, lui aurait porté des coups le 23 septembre 2003 lors d'un de ses passages à Bretagnolles où sa fille lui imposait sa présence pour y faire des travaux de bricolage qui auraient dû normalement incomber à son compagnon ;
Or, à supposer réelle une bousculade au cours de laquelle François X... lui aurait porté un coup au dos, il n'en demeure pas moins que Jean-Michel Y... a été à la même époque hospitalisé pendant plusieurs semaines pour des maux de dos sans rapport avec l'événement et que, depuis l'hôpital, il a porté plainte par lettre auprès du parquet le 29 septembre 2003 pour des coups dont il a précisé qu'ils ne lui ont provoqué aucune incapacité temporaire totale ;
Enfin, Jean-Michel Y... se plaint d'avoir été calomnieusement dénoncé par sa compagne auprès du directeur du lycée agricole d'Igny où il enseigne pour un vol d'ordinateur qu'il dit n'avoir pas commis ;
L'enquête disciplinaire ordonnée à cette occasion, puis clôturée par une décision de relaxe du conseil de discipline, se greffait en réalité sur un vieux contentieux l'opposant au chef d'établissement et, en la circonstance, n'a donné aucune indication sur l'origine de cette dénonciation ;
D'où il résulte que seuls les faits réitérés de violences imputables à Jean-Michel Y... sont prouvés ;
Ils méritent indemnisation par une somme de 4 000 ç ;
L'équité commande que celui-ci supporte tout ou partie des frais irrépétibles qu'a exposés Nathalie X... devant la cour ;
Contrairement au jugement qui a justement mis les dépens en charge du partage de l'indivision, l'objet principal du recours, l'issue donnée par la cour et le rejet de l'appel de Jean-Michel Y... permettent de faire supporter par celui-ci la charge des dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS, statuant dans les limites de l'appel,
Réformant le jugement du 6 mai 2005 et faisant partiellement droit à l'appel de Nathalie X...,
Condamne Jean-Michel Y... à lui payer une indemnité de quatre mille euros ( 4 000 ç ) en réparation de son préjudice physique et moral ;
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions, y compris sur la vente de l'immeuble indivis de Bretagnolles par licitation à l'audience des criées du tribunal de grande instance d'Evreux ;
Condamne Jean-Michel Y... à verser à Nathalie X... une somme de mille euros ( 1 000 ç ) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Jean-Michel Y... aux dépens d'appel ;
Admet la société civile professionnelle d'avoués COLIN-VOINCHET-RADIGUET-ENAULT dans les conditions définies par l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
LE PRESIDENT