R.G : 05/03542 COUR D'APPEL DE ROUEN CHAMBRE 1 CABINET 1 ARRÊT DU 4 OCTOBRE 2006 DÉCISION DÉFÉRÉE : TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROUEN du 30 août 2005 APPELANTS : Monsieur Bernard X... ... 76000 ROUEN représenté par Me Marie-Christine COUPPEY, avoué à la Cour assisté de Me Jean-Marc POINTEL, avocat au Barreau de ROUEN Madame Marie-Thérèse Y... épouse X... ... 76000 ROUEN représentée par Me Marie-Christine COUPPEY, avoué à la Cour assistée de Me Jean-Marc POINTEL, avocat au Barreau de ROUEN INTIMÉE : S.A. MEDIA RESTAURATION FRANCE 26, rue Verte 76022 ROUEN représentée par la SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour assistée de Me Philippe DENESLE, avocat au Barreau de ROUEN COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 Juin 2006 sans opposition des avocats devant Monsieur BOUCHÉ, Président, rapporteur, en présence de Monsieur PÉRIGNON, Conseiller, Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de : Monsieur BOUCHÉ, Président Monsieur PÉRIGNON, Conseiller Madame HOLMAN, Conseiller GREFFIER LORS DES DÉBATS : Jean Dufot DÉBATS : A l'audience publique du 27 juin 2006, où l'affaire a été mise en délibéré au 4 octobre 2006 ARRÊT : CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement le 4 octobre 2006, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile, signé par Monsieur BOUCHÉ, Président et par Jean Dufot, greffier présent à cette audience. * * * Bernard X... et Marie-Thérèse Y... son épouse - les époux X... - sont appelants d'un jugement du tribunal de commerce de Rouen qui,
le 30 août 2005, les a déboutés de leur assignation à jour fixe du 19 avril 2005 tendant à voir juger que l'offre d'acquisition de leur fonds de commerce au prix de 457 000 ç faite par lettre de la société anonyme MEDIA Restauration France en date du 26 novembre 2004 et acceptée le 14 décembre suivant vaut vente parfaite et qui les a condamnés aux dépens.
Aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 23 mai 2006 au visa des articles 1134 et 1583 du code civil, les époux X... demandent à la cour de dire que la vente était parfaite, dès lors qu'ils avaient accepté l'offre d'achat et que l'acquéreur représenté par Philippe Z... son dirigeant n'avait pas posé de conditions, et de condamner en conséquence la société MEDIA Restauration France à leur payer 182 600 ç de dommages et intérêts, différence entre le faible prix de vente de 274 400 ç finalement obtenu en novembre 2005 d'un concurrent voisin et celui de la vente litigieuse, outre 10 000 ç au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société MEDIA Restauration France conclut en dernier lieu le 26 mai 2006 à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a jugé que la vente n'est pas parfaite ; subsidiairement, elle prétend que la vente est nulle au regard de l'article L 141-1 du code de commerce dès lors que la concluante n'a découvert la spécialisation du bail que le 14 décembre 2004 ;
Elle demande la condamnation des appelants à lui payer 3 000 ç sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR,
Propriétaires d'un fonds de commerce de viennoiserie-sandwicherie exploité 18 rue du Gros-Horloge à Rouen sous l'enseigne "Gourmandises", les époux X..., désireux de prendre leur retraite, ont été contactés par Angélique A... salariée de la société MEDIA Restauration France agissant en son nom qui, parfois en compagnie de
son président directeur général Philippe Z..., a organisé plusieurs rendez-vous entre avril et juillet 2004 ;
Ayant décliné en juillet l'offre initiale d'achat au prix de 397 000 ç, maître Benoît VETTES, avocat et gendre des époux X..., a finalement reçu de la société une lettre datée du 26 novembre 2004 "confirmant notre intérêt pour le rachat du fonds de commerce Gourmandises' rue du Gros Horloge", au terme de"la moitié du chemin entre votre proposition et la nôtre, ce qui est une position équilibrée et une bonne évaluation du fonds de commerce.
"Aussi, nous vous confirmons :
- notre proposition de 457 000 ç ( 3 000 000 francs ),
- la prise au plus tard le 1er mai 2005 ( avant si Mr et Mme X... le souhaitent ),
- le versement d'un acompte de 46 000 ç ( 300 000 francs ) dès signature d'un protocole d'accord courant décembre 2004, pour garantir à Mr et Mme X... notre engagement,
- notre accord pour laisser à disposition de Mr et Mme X... l'appartement à leur convenance pour toute l'année 2005,
- notre accord pour maintenir en totalité les primes d'apprentissage 2004/2005 au bénéfice de Mr et Mme X..." ;
Les époux X... ont signifié leur acceptation par l'intermédiaire de leur notaire maître HUTEREAU, suivant lettres du 14 décembre 2004 adressées à la société MEDIA Restauration France et à maître RENOUARD son conseil, celui-ci recevant en pièce jointe la copie du renouvellement du bail nécessaire à "l'établissement des actes de cession" ;
Le 16 décembre 2004, maître RENOUARD a informé maître HUTEREAU que l'acquisition est conditionnée par plusieurs éléments :
"- l'examen du bail commercial, et notamment sa conformité et l'adéquation du loyer aux conditions de l'exploitation ( à confirmer
par un prévisionnel satisfaisant à établir ),
- l'accord de financement du banquier du groupe MRF, qui doit valider au préalable l'évaluation du fonds et l'éventuel montage financier, compte tenu du niveau d'endettement d'ensemble du groupe MRF ;
Il est donc tout-à-fait prématuré à mon sens d'envisager la signature d'un protocole d'accord" ;
En réponse à la lettre recommandée de maître VETTES la mettant en demeure le12 janvier 2005 d'adresser à maître HUTEREAU un projet d'acte, la société MEDIA Restauration France a répondu le 24 janvier suivant qu'elle n'entendait pas poursuivre l'acquisition pour les raisons précédemment énoncées : examen du bail commercial, non encore transmis le 26 novembre 2004, la répartition du prix entre éléments corporels et incorporels et la validation de l'opération par le banquier ;
Pour débouter les époux X... de leur demande tendant à voir juger que la vente était parfaite, le tribunal a estimé, à la lecture des courriers échangés les 14 et 16 décembre 2004, qu'au-delà d'un rapprochement sur la base d'un prix, le courrier du 26 novembre 2004 ne valait pas compromis ;
Les époux X... contestent la qualification de "pourparlers" donnée par le tribunal aux relations épistolaires qui, à leurs yeux, ont consacré l'accord des parties sur la proposition du 26 novembre 2004, et y voient au contraire tous les éléments d'une vente, au sens de l'article 1583 du code civil ;
Ils affirment que la question de la destination des lieux tardivement, artificiellement et de mauvaise foi évoquée, n'a jamais été un élément déterminant de l'offre faite sans condition, ainsi qu'il résulte des attestations tant de Benoît VETTES que de leur
expert-comptable Francis B... du cabinet MAZARS, que la spécialisation du bail, vérifiable auprès de ce cabinet, n'a jamais été cachée à la société MEDIA Restauration France, même si cette société soutient qu'Angélique A... lui aurait indiqué à tort que le bail était "tous commerces", et que cette spécialisation aurait même théoriquement pu être transformée en vertu des articles L 145-51 et suivants du code de commerce à l'occasion du départ en retraite des exploitants ;
S'agissant des autres termes de la lettre du 24 janvier 2005 sur la répartition entre les éléments corporels et incorporels, les appelants font valoir que Philippe Z... est venu plusieurs fois visiter le commerce et l'appartement qui y est attaché, enfin, que le refus de son banquier de financer l'opération ne lui a été signifié qu'après la proposition ferme et définitive du 26 novembre 2004 et, en matière commerciale, sauf convention expresse, ne vaut pas condition suspensive, même "non formellement exprimée" ;
L'accord sur la vente d'un fonds de commerce est un contrat consensuel au sens de l'article 1583 du code civil ;
Les règles impératives d'énonciation et de forme stipulées à peine de nullité par l'article L 141-1 du code de commerce n'ont pas vocation à faire obstacle à l'efficacité de cet accord, dès lors que les parties ne s'opposent pas sur les éléments qui devront figurer dans "l'acte constatant cette cession amiable" : la nature et la date de l'acquisition, son prix pour les éléments incorporels, les
marchandises et le matériel, l'état des privilèges et nantissements grevant le fonds, le chiffre d'affaires des trois dernières années et les bénéfices commerciaux, le bail, sa date et sa durée;
Or, la correspondance du 26 novembre 2004 adressée par la candidate à l'achat, dans les termes ci-dessus repris, tout en constituant une proposition ferme et définitive sans condition, se situait en phase pré-contractuelle et conservait valeur de simples pourparlers tant qu'il n'y avait pas été fait écho ;
En revanche, dès lors que ses termes en ont été acceptés sans changement le 14 décembre 2004 par les époux X..., l'accord s'est trouvé parfait sur le fonds, le prix et les éléments accessoires énumérés dans la promesse ;
Pour contester l'existence de son accord, la société MEDIA Restauration France, tout en admettant qu'elle est spécialisée dans les transactions des commerces de bouche et qu'elle n'envisageait pas de modifier l'activité des lieux, soutient essentiellement que la nature "tous commerces" de l'achat projeté était une condition déterminante de son accord et que la découverte tardive, le 14 décembre 2004, de sa destination exclusive de confiserie-pâtisserie telle qu'elle est stipulée dans le bail renouvelé diminuait considérablement son intérêt à l'achat, puisque les conditions d'une éventuelle revente lui seront désormais particulièrement contraignantes ;
Cette contestation ne résiste pas à l'examen, dès lors que l'offre d'achat faite par la société MEDIA Restauration France, négociateur professionnel, l'a été sans cette condition, que l'expert comptable des époux X... témoigne par deux fois que, lors des rendez-vous, il n'a jamais été question de déspécialisation du fonds ni de réticences ou de propos de nature à faire croire à Angèle A..., et encore moins à Philippe Z..., que les vendeurs bénéficiaient d'un
fonds "tous commerces", et que, dans un climat de parfaite loyauté, la société n'a jamais demandé à consulter un bail sur lequel aucun interlocuteur n'envisageait de s'interroger ;ET, et encore moins à Philippe Z..., que les vendeurs bénéficiaient d'un fonds "tous commerces", et que, dans un climat de parfaite loyauté, la société n'a jamais demandé à consulter un bail sur lequel aucun interlocuteur n'envisageait de s'interroger ;
La société MEDIA Restauration France prétend encore que, "même non formellement exprimée, mais correspondant à l'usage eu égard en particulier à l'importance de l'acquisition", la condition préalable d'un financement bancaire était un élément déterminant de son accord et que la banque lui a effectivement refusé son aide ;
Or, en matière commerciale, l'obtention d'un financement ne constitue pas une condition suspensive légale ou d'usage ; elle ne peut être que conventionnelle et doit apparaître de manière expresse ;
En l'espèce, la société MEDIA Restauration France, qui n'en a jamais fait une condition dans ses correspondances antérieures au 14 décembre 2004, ne peut utilement s'en prévaloir ;
Ce motif est au demeurant d'autant plus irrecevable que, dans les semaines qui ont suivi son désengagement à l'égard des époux X..., par société interposée créée pour la circonstance, elle a fait l'acquisition d'une brasserie place de la Cathédrale et y a fait réaliser 450 000 ç de travaux ( voir procès-verbal de maître SAVOYE du 23 mars 2005 et article de journal ) ;
Enfin, elle invoque tardivement à tort dans son courrier du 24 janvier 2005 la question de la répartition entre les éléments corporels et incorporels du fonds, alors qu'elle a eu à sa disposition lors des rendez-vous au cabinet MAZARS toutes les informations comptables souhaitées et qu'à défaut d'accord contraire
des parties sur la distinction à faire, il convient de se référer à leur valeur comptable ;
Le jugement déféré doit donc être totalement infirmé et les appelants sont fondés à recevoir indemnisation du préjudice que la société MEDIA Restauration France leur a causé en renonçant à son engagement d'achat ;
Fatigués par l'attente d'une opportunité de prendre leur retraite, les époux X..., âgés de 68 et 70 ans, ont finalement cédé leur fonds à un voisin concurrent et pressant au prix de 274 400 ç payé comptant ;
Leur préjudice est de la différence avec le prix qu'ils auraient dû percevoir de la société intimée, soit 182 600 ç ;
Il serait inéquitable qu'ils supportent la charge des frais hors dépens qu'ils ont dû exposer en justice pour faire reconnaître leur droit ;
PAR CES MOTIFS,
Infirmant le jugement du 30 août 2005 en toutes ses dispositions,
Dit que l'accord des parties était parfait et sans réserve le 14 décembre 2004 et que la société MEDIA Restauration France a commis une faute en renonçant à l'achat du fonds de commerce des époux X... ;
Condamne la société MEDIA Restauration France à leur payer la somme de 182 600 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel ;
Admet maître M. C. COUPPEY avoué au bénéfice du droit de recouvrement direct défini par l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
LE PRESIDENT