R.G : 05/02398 COUR D'APPEL DE ROUEN CHAMBRE 1 CABINET 1 ARRET DU 29 MARS 2006 DÉCISION DÉFÉRÉE : TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE ROUEN du 13 Mai 2005. APPELANTE : MINISTERE PUBLIC : Représenté par Madame X..., Substitut Général, INTIME :
Monsieur Stéphane Y... BOUTON Z...
A.../O Madame Berthe Y... 112 rue Joseph Hue 76250 DEVILLE LES ROUEN représenté par la SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour, assisté de Me LAGARDE substituant Me SEDILLOT, avocat au barreau de ROUEN (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2005/14517 du 12/12/2005 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Février 2006 sans opposition des avocats devant Monsieur BOUCHÉ, Président, en présence de Madame HOLMAN, Conseiller, rapporteur, Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de : Monsieur BOUCHÉ, Président Monsieur PERIGNON, Conseiller Madame HOLMAN, Conseiller GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame B..., Greffier, DEBATS : A l'audience publique du 13 Février 2006, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 Mars 2006 ; ARRET : CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement le 29 Mars 2006, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile, signé par Monsieur BOUCHÉ, Président et par Madame C..., Greffier présent à cette audience. * * *
Le 8 juin 2005 le ministère public a interjeté appel d'un jugement du tribunal de grande instance de Rouen du 13 mai 2005 qui, sur l'assignation délivrée le 4 décembre 2003 au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Rouen par Monsieur
Stéphane Benoît Y... BOUTON Z..., a dit que celui- ci était français, a ordonné la mention prescrite par les articles 28 et 28-1 du Code civil et laissé les dépens à la charge de Monsieur Y... BOUTON Z...
L'intimé ayant déposé de nouvelles conclusions le 13 janvier 2006, jour de l'ordonnance de clôture, à la demande du ministère public cette ordonnance a été révoquée et la procédure a été à nouveau clôturée le 13 février 2006, avant ouverture des débats.
Il sera donc statué au vu des conclusions du ministère public déposées le 5 octobre 2005 et des dernières conclusions de l'intimé du 13 janvier 2006.
Le ministère public demande à la cour de :
- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du Nouveau code de procédure civile a été délivré,
- infirmer le jugement et constater l'extranéité de Monsieur Y... BOUTON Z...,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du Code civil.
Monsieur Y... BOUTON Z... demande la confirmation du jugement et la condamnation du trésor public aux dépens.
SUR CE
Vu les conclusions et les pièces.
Monsieur Y... BOUTON Z... est né le 7 février 1978 à LIBREVILLE (GABON).
Son acte de naissance indique qu'il est né de Luc BOUTON, de nationalité française, et de Berthe Y... de nationalité gabonaise. Sur le fondement de l'article 17 du Code de la nationalité française, un certificat de nationalité française a été délivré le 7 mai 1999 à Berthe Y..., née le 6 janvier 1961 à LIBREVILLE, au motif qu'elle est la fille de René Jacques Y..., français, qui l'a reconnue le
27 septembre 1961.
Pour reconnaître à Monsieur Y... BOUTON Z... la nationalité française en application de l'article 18 du Code civil, le tribunal a retenu que, selon l'article 337 du Code civil, l'acte de naissance portant indication du nom de la mère vaut reconnaissance lorsqu'il est corroboré par la possession d'état, que l'intéressé fournissait des éléments justifiant de sa possession d'état d'enfant naturel de Berthe Y..., que si les attestations justifiant de cette possession d'état étaient postérieures à sa majorité, considérer qu'en raison des dispositions de l'article 20-1 du Code civil il était nécessaire qu'un acte établissant la possession d'état ait été dressé durant la minorité était contraire aux articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, qu'en effet, cette solution aboutissait à créer une discrimination avec les enfants légitimes alors que ceux-ci peuvent prétendre à la nationalité française au vu des seules énonciations de leur acte de naissance.
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Au soutien de son appel, le ministère public fait valoir qu'il appartient à l'intimé de rapporter la preuve de sa filiation à l'égard de Madame Berthe Y..., que l'article 20-1 du Code civil impose que cette filiation soit établie durant la minorité, que le droit français n'établit aucune discrimination en matière de nationalité, qu'en l'espèce se pose uniquement la question de la date d'établissement de la filiation, qu'il appartient à chaque Etat de
déterminer les règles de nationalité, que la nature ou le mode d'établissement de la filiation ne cause aucune discrimination dans l'accès à la nationalité française, l'article 20-1 du Code civil pouvant être opposé à un enfant naturel reconnu après sa majorité ou à un enfant naturel ou légitime dont l'acte de naissance est établi après sa majorité, que le refus de reconnaissance à l'intimé de la nationalité française en application de l'article précité ne porte pas atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale visé à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, que celle-ci ne mentionne pas les droits relatifs à la nationalité parmi les droits dont elle entend assurer la jouissance sans discrimination aux termes de son article 14.
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L'intimé prétendant être né d'une mère française, il lui appartient de démontrer l'établissement de sa filiation maternelle conformément aux règles en vigueur dans le droit français.
Aux termes de l'article 334-8 du Code civil, la filiation naturelle est légalement établie par reconnaissance volontaire; elle peut aussi se trouver légalement établie par la possession d'état ou par l'effet d'un jugement et, selon l'article 337 du même code, l'acte de naissance portant indication du nom de la mère vaut reconnaissance lorsqu'il est corroboré par la possession d'état.
Les attestations établies après la majorité de Monsieur Stéphane Benoît Y... BOUTON Z... par des directeurs d'établissements scolaires, une assistante sociale et la mère de Madame Berthe Y... démontrent qu'il a toujours été considéré par la famille ou les tiers
comme étant l'enfant de Berthe Y... qui l'a traité comme tel; d'autres documents ( certificat de baptême, carnet de santé) mentionnent également comme nom de la mère celui de Berthe Y...
Comme le souligne l'intimé, en application de l'article 319 du Code civil, la seule indication du nom de la mère dans l'acte de naissance établit la filiation d'un enfant légitime.
Si, aux termes de l'article 20-1 du Code civil, la filiation de l'enfant n'a d'effet sur sa nationalité que si elle est établie durant sa minorité, dans l'hypothèse prévue par l'article 337 la filiation de l'enfant naturel est établie dès le jour où la possession d'état est constituée même si elle n'est constatée que plus tard.
Imposer, pour pouvoir prétendre à la nationalité française en application de l'article 18 du Code civil, que la preuve des éléments de la possession d'état soit rapportée antérieurement à la majorité conduirait, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, à opérer une discrimination entre l'enfant légitime, qui peut prétendre à la nationalité française du seul fait des énonciations de son acte de naissance, et l'enfant naturel dont la filiation maternelle sera, conformément à l'article 337 du Code civil, établie à compter de la constitution de sa possession d'état d'enfant de la mère dont le nom est indiqué dans son acte de naissance.
Cette discrimination est contraire aux dispositions des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme qui imposent le droit de toute personne au respect de sa vie familiale et la prohibition de toute discrimination en raison de la naissance pour la jouissance des droits et libertés reconnus par ce texte.
En outre, ainsi que le fait observer justement l'intimé, l'ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et entrant en
vigueur le 1o juillet 2006, met fin à cette inégalité entre les enfants légitimes ou naturels en unifiant les modes d'établissement de la filiation maternelle puisque son article 9 insère dans le Code civil un article 311-25 ainsi rédigé : " La filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant".
Il convient donc de confirmer le jugement en toutes ses dispositions. Les dépens seront laissés à la charge du trésor.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel,
Constate l'accomplissement des formalités prévues par l'article 1043 du Nouveau code de procédure civile,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Laisse les dépens à la charge du trésor public.
LE GREFFIER
LE PRESIDENT