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12/05/2005 | FRANCE | N°JURITEXT000006945830

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre commerciale, 12 mai 2005, JURITEXT000006945830


R.G : 01/04371 COUR D'APPEL DE ROUEN DEUXIÈME CHAMBRE ARRÊT DU 12 MAI 2005 DÉCISION DÉFÉRÉE : TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROUEN du 26 Octobre 2001 APPELANTE : Me Béatrice X..., agissant en qualité de liquidateur à la liquidation de la S.A. J C Y... 6 rue Dupleix 76600 LE HAVRE représentée par Me Marie-Christine COUPPEY, avoué à la Cour assistée de Me Audrey SARFATI et Me Stéphane SELEGNY, avocats au barreau de Rouen INTIMÉE : CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE-SEINE Chemin de la Bretèque Cité de l'Agriculture - BP 800 76230 BOIS GUILLAUME représentée par la

SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour assistée de M...

R.G : 01/04371 COUR D'APPEL DE ROUEN DEUXIÈME CHAMBRE ARRÊT DU 12 MAI 2005 DÉCISION DÉFÉRÉE : TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROUEN du 26 Octobre 2001 APPELANTE : Me Béatrice X..., agissant en qualité de liquidateur à la liquidation de la S.A. J C Y... 6 rue Dupleix 76600 LE HAVRE représentée par Me Marie-Christine COUPPEY, avoué à la Cour assistée de Me Audrey SARFATI et Me Stéphane SELEGNY, avocats au barreau de Rouen INTIMÉE : CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE-SEINE Chemin de la Bretèque Cité de l'Agriculture - BP 800 76230 BOIS GUILLAUME représentée par la SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour assistée de Me Joùl CISTERNE, avocat au barreau de Rouen COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 16 Février 2005 sans opposition des avocats devant Madame Z..., Présidente, rapporteur, en présence de Madame VINOT, Conseiller. Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de : Madame Z..., Présidente Monsieur LOTTIN, Conseiller Madame VINOT, Conseiller GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame A..., Greffier DÉBATS : A l'audience publique du 16 Février 2005, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Mai 2005 ARRÊT : CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement le 12 Mai 2005, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions

prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile, signé par Madame Z..., Présidente et par Madame A..., Greffier présent à cette audience. * * * Exposé du litige :

En 1982, M. Y..., ayant créé en 1963 un fonds de commerce de préparation d'escargots à Rouen, a ouvert un compte dans les livres de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie, aux droits de laquelle se trouve actuellement la Caisse régionale de février 1995, la banque a, par LRAR du 16 février 1995, mis en demeure la société Y... de : - rembourser le prêt à court terme visé dans la lettre du 6 février 1995 ; - couvrir le montant du dépassement de découvert ; - honorer le paiement des agios ; - rembourser les intérêts de retard d'un crédit à court terme ; - prévoir le moyen d'apurer le plafond global de concours finançant son cycle d'exploitation à échéance du 28 février 1995 (ouverture de crédit, crédit d'escompte et Dailly).

Par ordonnance du 20 février 1995, le juge de l'exécution a autorisé la banque à effectuer une saisie conservatoire sur le stock de matières premières et de produits finis non grevés de gages pour garantir le paiement d'une somme de 20.000.000 F et dit que la société Y... pourra prélever sur le stock saisi les marchandises nécessaires à l'exécution de commandes contre remises des commandes ou des titres deté Y... pourra prélever sur le stock saisi les marchandises nécessaires à l'exécution de commandes contre remises des commandes ou des titres de paiement, la mesure de saisie étant alors reportée sur le prix reçu dans la proportion d'un tiers.

La saisie conservatoire a été dénoncée à la société Y... le 1er mars 1995.

Par ordonnance du 9 mars 1995, le président du tribunal de commerce,

saisi par la société Y... le 6 mars, a désigné un mandataire ad'hoc avec pour mission d'engager avec les banquiers de l'entreprise ainsi que tout autre partenaire extérieur les négociations propres à assurer à court terme le financement de la campagne de production pour l'exercice 1995-1996, ainsi qu'à moyen terme la restructuration financière de la société et d'une façon plus générale de prendre toute mesure propre à assurer la continuité de l'entreprise.

Par acte d'huissier du 31 mars 1995, la banque a assigné la société Y... en paiement d'une somme d'environ 41 MF pour l'audience du 12 d'une valeur comptable de 486 000 F avaient été apportées pour 2 125 000 ; qu'ainsi, par exemple, la valeur d'apport retenue pour quatre alimentateurs pour distribution d'escargots congelés (400 000 F), acquis au moyen d'un crédit bail en 1985 et 1988, était supérieure à la valeur d'origine (258.880 F) ;

Que l'expert a justement déduit de ses constatations, d'une part, que le fonds de commerce n'a pas été évalué à la date la plus proche de

celle de l'apport du 29 avril 1991 dès lors qu'il n'avait pas été tenu compte des résultats de l'exercice 1990, et que l'évaluation ne correspondait pas à sa valeur réelle ; que, d'autre part, l'apport réalisé avait augmenté artificiellement les capitaux propres de la société Y... et qu'il était constitué d'un passif supérieur à l'actif ;es de la société Y... et qu'il était constitué d'un passif supérieur à l'actif ;

Sur le soutien abusif de crédit :

Attendu que commet une faute engageant sa responsabilité la banque qui accorde ou maintient ses concours à une entreprise, prolongeant ainsi son activité et une apparence de solvabilité à l'égard des tiers, lorsque, compte tenu de l'importance des crédits consentis et de leur coût excessif au regard des actifs de l'entreprise, du volume de ses activités et de son chiffre d'affaires, cette politique de crédit provoque inéluctablement une croissance continue et insurmontable de ses charges financières, et l'effondrement de l'entreprise en l'absence de toute perspective de développement ou de

redressement ou lorsque la banque sait ou devrait savoir que la situation de l'entreprise est irrémédiablement compromise ;

Attendu que, selon l'arrêté de comptes du 31 octobre 1984, date à laquelle M. Y... a donné son fonds de commerce en location gérance à la société Y..., le résultat de l'entreprise individuelle s'est traduit par une perte de 4.000 F ;

Attendu qu'au cours de la période allant du 1er janvier 1986 au 30 avril 1991, l'examen des bilans de M. Y... et de la société Y... a permis à l'expert de déterminer les éléments suivants sur la situation des entreprises au vu desquels la banque s'est fondée, ou aurait dû se fonder, pour maintenir et augmenter ses concours :

Capitaux propres : 1986 1987 1988 1989/90 1990/91 société Y... -143.376 -171.782 +1.445.847 +1.852.990 +2.578.964 M. Y... -2.140.176 -2.196.319 -1.857.187 -1.852.671 total -3.553.912 -2.368.101 -411.340

+319 +2.578.964

Chiffres d'affaires : 1986 1987 1988 1989/90 1990/91 (15 mois) société Y... 30.037.418 43.825.406 49.917.743 39.810.463 60.055.575 M. Y... 720.000 720.000 1.080.000 720.000

Résultats d'exploitation : 1986 19871986 1987 1988 1989/90 1990/91 (15 mois) société Y... 2.251.982 3.032.182. 4.515.027 2.561.578 5.577.812 M. Y... 755.432 43.917 524.695 380.404 total 2.307.414 3.076.099 5.039.722 2.941.982 5.577.812

Frais financiers : 1986 1987 1988 1989/90 1990/991 (15 mois) société Y... 925.922 1.789.462 1.901.678 2.390.755 5.162.281 M. Y... 528.162 378.070 326.363 333.826 total 1.454.084 2.167.532 228.041 2.724.581 5.162.281

Pourcentages des frais financiers par rapport au chiffre d'affaires et au résultat d'exploitation (M. Y... + société Y...) : % Chiffre d'affaires %

résultats d'exploitation 1986 4,84% 63,01% 1987 4,94% 70,46% 1988 4,46% 44,20% 1989/90 6,84% 92,61% 1990/91 société Y... 8,59% 92,26%

Attendu que l'examen des pièces comptables a permis à l'expert de déterminer que, pour la période allant du 1er avril 1991 à 1995, les moyens financiers suivants ont été mis à la disposition de la société Y..., à l'exclusion des effets escomptés et des crédits Dailly dont l'expert n'a pas pu avoir connaissance :

1 concours apportés par la CRCAM : 1991/92 1992/93 1993/94 1994/95 1995/96 crédits moyen terme 1.542.201 14.038.099 12.768.707 11.102.109 11.102.109 crédits de campagne 23.000.000 7.000.000 7.000.000 17.683.237 17.683.237 découverts 6.867.138 7.088.140 11.531.545 9.347.316 9.352.115 effets escomptés-Dailly 512.465 512.464 total CRCA 31.409.419 28.926.239 31.300.252 38.645.127 38.649.925

2 Autres concours bancaires apportés à la société Y... à compter de 1991 : 1991/92 1992/93 1993/94 1994/95 1995/96 crédits moyen terme 212.618 1.649.279

5.241.513 1.308.442 1.053.564 découverts 610.809 1.376.515 71.678 154.504 1.082 Dailly 701.175 1.639.572 emprunt obligataire 1.699.040 1.699.040 1.699.040

3 Total des concours bancaires : 91/92 92/93 93/94 94/95 95/96 32.232.846 31.952.033 39.013.658 43.446.685 41.403.611

Attendu qu'au cours de cette période, l'examen des bilans de la société Y... a permis à l'expert de déterminer les éléments suivants sur la situation de entreprise et sur lesquels la banque s'est fondée, ou aurait dû se fonder, pour maintenir et augmenter ses concours :cours :

Situation financière de l'entreprise à partir de 1991 : frais financiers chiffres d'affaires ratio résultats d'exploitation ratio fonds propres 91/92 6.765.576 67.398.177 10,03% 8.501.621 79,57% + 2.713.496 92/93 4.814.547 59.911.861 8,03% 6.943.770 69,34% +9.188.303 93/94 5.627.158 55.155.563 10,20% -321.715 négatif 2.218.574 94/95 3.435.145 52.744.156 6,51% 1.881.407 182,58% 730.718 95/96 4.217.266 24.849.046 16,97% -10.777.114 négatif -23.852.902

Attendu qu'il résulte de ces éléments et des pièces produites que la

banque a, en connaissance de cause, consenti des crédits démesurés et ruineux, incompatibles avec toute rentabilité, à une entreprise dont elle savait que la viabilité était douteuse et qu'elle a, de plus difficile pour elle la comparaison des résultats financiers de cet exercice avec le précédent, et l'appréciation des risques encourus ;

Que, dans ces conditions, il est anormal qu'en 1991, la banque ait accepté, sans exiger de situation intermédiaire, ni même un bilan arrêté à la date normale et, en toute hypothèse, remis dans un délai raisonnable, de maintenir et renouveler ses concours à une entreprise, dont elle connaissait les difficultés, lourdement endettée auprès d'elle (18 342 154 F pour l'exercice arrêté au 31 janvier 1990), dont le chiffre d'affaires avait diminué (39 810 463 F au lieu de 49 917 743 F), dont le montant des charges financières avait quasiment absorbé le résultat d'exploitation (92,61%), en constatant l'existence de découverts extravagants de 6 712 397 F le 9 avril 1991 et de 11 500 000 F le 30 juillet 1991 ;

Que c'est avec raison, mais bien tardivement, que la banque observe

qu'en outre, les comptes annuels, arrêtés au 30 avril, lui ont toujours été remis, au plus tôt, au mois d'octobre ;

Qu'ainsi les comptes annuels arrêtés au 30 avril 1991 ont été certifiés par le commissaire aux comptes le 4 octobre 1991 ; que ceux de l'exercice arrêtés au 30 avril 1992 l'ont été le 5 octobre 1992 ; que ceux de l'exercice arrêtés le 30 avril 1993 l'ont été le 19 octobre 1993 ; que ceux de l'exercice arrêté au 30 avril 1994 l'ont été le 15 octobre 1994 ;

Que sans exiger des comptes sociaux certifiés, la banque a décidé d'accorder de nouveaux concours le 30 juillet 1991, accordé le report des échéances des mois de juillet et août 1991 et des découverts d'un montant déraisonnable (1 500 000 F au mois d'août 1991), après avoir constaté le dérapage des frais financiers au mois d'avril précédent ; Que, bien plus, les délais accordés le 30 juillet 1991 par le comité

crédit agricole mutuel de Normandie Seine (ci-après la banque), qui lui a consenti des crédits.

Le 31 octobre 1984, M. Y... a donné son fonds de commerce en location gérance à la société anonyme Jean Claude Y... (ci-après société Y...), créée à cet effet et au capital social de 250 000 F, moyennant le paiement d'une redevance annuelle de 720 000 F.

Il doit être noté que, de 1986 à 1989, la banque a continué de mettre des crédits à la disposition de M. Y..., alors qu'il avait donné son fonds de commerce en location gérance, à concurrence de : 3 225 636 F en 1986, 2 728 695 F en 1987, 2 459 184 F en 1988 et 2 030 101 F en 1989.

Le premier résultat de l'exercice de la société Y... allant du 1er novembre 1984 au 31 décembre 1985, dirigée par M. Y..., a été déficitaire à hauteur de 3 011 377 F et les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social.

En 1988, la redevance annuelle de la location gérance a été portée à la somme de 1 080 000 F, afin, selon M. Y..., de redresser la situation de l'entreprise.

De 1986 à 1990, la banque a consenti à la société Y... des crédits d'un montant annuel allant d'au moins 3 543 460 F à 18 342 154 F.

Au mois de septembre 1990, les époux Y... et leur fils ont constitué la SCI de Vatis et le 19 octobre 1990, un contrat de crédit-bail a été conclu avec les sociétés Batiroc et Unicomi pour financer la construction d'un local industriel à Barentin, pour le prix de 7.967.590 F.

Le 29 avril 1991, le fonds de commerce a été apporté à la société Y..., avec effet rétroactif au 1er février 1990. La valeur du fonds de commerce, évaluée à 1 500 000 F, a été diminuée du passif de l'entreprise individuelle de M. Y... arrêté au 31 janvier 1990, de sorte que l'apport a été évalué à la somme de 1 100 000 F. 10 000

juin 1995. L'affaire a été placée sur un "rôle d'attente", et par jugement du 24 septembre 2004, le tribunal a constaté le désistement de la banque.

Le 25 juin 1996, le tribunal de commerce de Rouen a ouvert le redressement judiciaire de la société Y... sur des assignations délivrées par les sociétés Frigoscandia et Pechiney et l'URSSAF de Rouen.

La banque a déclaré une créance d'un montant de 7 585 487,40 ç (49.757.535,66 F).

L'administrateur judiciaire a assigné les consorts Y... et la banque en référé pour obtenir la désignation d'un expert comptable.

Une expertise financière a été ordonnée par le juge des référés du tribunal de commerce le 21 avril 1997, l'expert ayant pour mission de retracer l'historique de la société Y... ainsi que celle des relations ayant existé entre elle et la CRCAM, de déterminer les opérations susceptibles d'avoir un caractère anormal au regard de la loi, de la réglementation ou des usages, détailler les mécanismes et expliquer les conséquences et, d'une manière générale, de donner son avis sur l'évolution de la situation financière et comptable de la société Y... ayant abouti à une situation de

perte et ce jusqu'à la date d'ouverture de la procédure collective.

La liquidation judiciaire de la société Y... a été prononcée le 25 mai 1997.

Soutenant que la banque avait accordé des concours démesurés à une entreprise qui, dès l'origine, se trouvait en état de cessation des paiements et qui n'avait pu poursuivre ses activités que par l'accroissement des concours accordés, M. B..., liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Y..., a assigné la banque en déclaration de responsabilité et paiement d'une somme de 11 885 581,90 ç (77 964 306,24 F).

Que les comptes annuels de la société Y..., pour l'exercice allant du 1er novembre 1984 au 31 décembre 1985, révèlent un chiffre d'affaires de 18.357.027 F, des emprunts et dettes auprès des établissements de crédit d'un montant de 454.878 F et un résultat déficitaire à hauteur de 3.011.377 F, les capitaux propres étant devenus inférieurs à la moitié du capital social ;

Attendu que l'examen des pièces comptables a permis à l'expert de déterminer que, pour la période allant de 1986 à l'exercice 1990, arrêté le 30 avril 1991, les moyens financiers suivants ont été mis à la disposition de la société Y... et de M. Y..., bailleur du fonds de commerce donné en location gérance, étant rappelé que la banque n'a pas révélé le montant exact de ses concours, de sorte que le montant des effets escomptés et crédits Dailly porté sur les liasses fiscales ne sera mentionné qu'à titre indicatif et que le bilan de M. Y... arrêté au 1er janvier 1990 n'a pas été remis à l'expert :

1- Concours consentis par la CRCAM :

1-1 à la société Y... : 1986 1987 1988 1989 1990/91 découverts 843.468 4.698.151 2.077.555 2.239.146 8.022.704 crédits moyen termes 171.247 103.008 994.811 crédits de campagne billets de fond 2.700.000 11.678.000 1.600.000 16.000.000 20.190.633 total 3.543.468 16.376.151 3.848.801 18.342.154 29.208.148 effets escomptés et Dailly révélés par les liasses fiscales

14.015.692 3.341.527 1.652.392 9.027.075

1-2 à l'exploitation personnelle de M. Y... : 1986 1987 1988 1989/90 crédit moyen terme 225.636 198.076 119.184 80.101 crédits de campagne - billets de fond 3.000.000 2.500.000 2.340.000 1.950.000 découverts 30.619 Total 3.225.636 2.728.695 2.459.184 2.030.101

2- Concours apportés par d'autres établissements de crédits à la société Y... : 1986 1987 1988 1989/90 1990/91 crédits moyen terme 81.733 56.915 découverts 12.151 23.215

surcroît, poursuivi une politique d'accroissement de ses concours alors qu'elle savait que la situation de la société Y... était définitivement compromise ;

Attendu qu'en dépit des éléments d'information alarmants dont elle disposait, la banque a consenti des crédits coûteux, inadaptés et de plus en plus importants à une entreprise totalement dépourvue de fonds propres et sans perspective de rentabilité dès lors que, compte tenu de son activité saisonnière, ses besoins en fonds de roulement étaient tels que le poids des frais financiers conduisait

nécessairement à l'absorption des résultats d'exploitation ;

Attendu que, dès le mois de septembre 1985, la banque a été informée de la situation particulièrement difficile de la société Y... ;

Qu'il a été noté dans le procès-verbal d'instruction du dossier pour la réunion du comité des risques du 6 septembre 1985, examinant tant le dossier de l'entreprise individuelle que celui de la société Y..., que le bénéfice du "montage juridique" réalisé pour des raisons fiscales tendant à la transformation de l'entreprise individuelle en société anonyme n'apparaissait pas en raison de la non réalisation des objectifs prévus ; que les difficultés de trésorerie en raison d'annulation de commandes étaient notées ; qu'à cette date, le comité a précisé qu'un plan d'augmentation des fonds propres devait être mis en oeuvre, en rapport avec l'activité exercée, de sorte que les fonds propres représentent 10% du chiffre d'affaires ;

Que, sauf pour l'exercice 1992/1993, cette condition n'a jamais été remplie ; que le premier exercice de la société

Y... s'étant traduit par un résultat déficitaire à hauteur de 3.011.377 F, les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social ; que deux exercices plus tard, les capitaux propres étaient encore négatifs ; que la banque n'a pu l'ignorer et qu'elle ne l'a des risques pour le paiement des échéances des emprunts n'ont même pas été respectés ; que, reportées aux mois de septembre et octobre, elles ont été prélevées le 31 décembre 1991 ;

Qu'il résulte du procès verbal de la réunion du comité des risques que la décision prise par la banque, à la fin du premier semestre 1992, de participer à l'augmentation de capital de la société Y... et à sa restructuration financière l'a été dans l'ignorance même des comptes annuels certifiés de l'entreprise afférents à l'exercice précédent et sans l'analyse de la structure financière des trois derniers exercices ;

Que, bien plus, sans même disposer d'un certificat d'urbanisme, le comité a estimé que la vente par la société Y... de ses terrains pour la somme de

1.000.000 F était de nature à revaloriser sa situation nette, alors que ces terrains avaient été évalués à 50.000 F un an auparavant et qu'ils se trouvaient dans une zone où les groupes d'habitations et les lotissements sont interdits ;

Que, le 23 septembre 1992, alors que le découvert de la société Y... était de 15.300.000 F et que les échéances d'emprunts d'avril à septembre n'avaient pas été prélevées, la banque était toujours dans l'ignorance des comptes de l'exercice arrêté au 30 avril 1992 ; Que la banque ne pouvait ignorer que l'opération n'avait de chance raisonnable de succès qu'à la condition de reposer sur une étude sérieuse ;

Que si un "compte-rendu d'entretien" du 2 juin 1992 -faisant suite à une réunion, à laquelle ont notamment participé la banque et les époux Y... au siège social de sa filiale, l'IDIA-, mentionne que la société Y... dégageait alors un bénéfice net "de l'ordre de 1,5 MF après plus de 8% de frais financiers", il ne peut qu'être constaté que ces chiffres ne reposent sur aucune pièce ; que la banque,

actions d'un montant nominal de 100 F ont été émises et le capital social a été fixé à 1 350 000 F.

Au mois de mai 1992, la société Gefi PME a réalisé, pour le compte de la société Y..., une analyse financière faisant notamment apparaître un bon niveau de rentabilité d'exploitation, associé à un risque sur le plan financier tenant à la structure de financement très déséquilibrée.

En 1992, une opération d'augmentation de capital et de restructuration financière de la société Y... a été mise en oeuvre avec la participation de la banque, la filiale de celle-ci, l'Institut de développement des industries agricoles et alimentaires (IDIA) et de la Compagnie normande de participation et de conseils.

Selon une convention du 17 juillet 1992, la société Y... s'est engagée envers l'IDIA à céder un terrain lui appartenant pour la somme de 1 000 000 F (situé en zone NB interdisant les lotissements et les groupes d'habitations et évalué à la somme de 50 000 F au mois d'avril 1991, lors de

l'apport), étant stipulé à l'acte que la cession était indissociable de l'opération de consolidation des crédits bancaires de l'apport de fonds propres. La cession des terrains n'est jamais intervenue.

Afin permettre aux époux Y... de souscrire à l'augmentation de capital, la banque leur a consenti un prêt de trésorerie de 1 122 500 F, jusqu'au 31 mars 1993 avec possibilité de renouvellement de 6 mois à compter du 1er avril 1993, assorti d'une hypothèque de premier rang sur des terrains également situés en zone NB et une maison d'habitation leur appartenant. Selon une note du 3 juillet 1992 établie par un membre de la famille de M. Y... remise à la banque, les terrains devaient faire l'objet d'une opération de lotissement de 6 pavillons individuels et le remboursement du prêt devait s'effectuer par des prélèvements sur des ventes de terrains à bâtir.

Mme X..., désignée aux fonctions de liquidateur à la liquidation judiciaire en remplacement de M. B..., est intervenue à la procédure.

Par jugement rendu le 26 octobre 2001, le tribunal de commerce de Rouen a :

- débouté Mme X..., ès-qualités, de ses demandes,

- condamné Mme X..., ès-qualités, à payer les dépens et à payer à la banque la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Mme X..., ès-qualités, a interjeté appel de cette décision.

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux 103 pages de conclusions signifiées par l'appelante le 2 février 2005 et aux conclusions signifiées par la banque le 10 janvier 2005.

Sur ce, la cour,

Sur les critiques du rapport d'expertise :

Attendu que c'est vainement que l'intimée critique la pertinence du rapport d'expertise ;

Attendu, en premier lieu, qu'il sera rappelé que l'expert n'a pu essentiellement exploiter que les documents comptables de

l'entreprise ; que la comptabilité de M. Y... et de la société Y... présentaient de graves anomalies, notamment caractérisées par l'enregistrement de fausses écritures et des écritures enregistrées à partir de fausses pièces ;

Que c'est à partir des documents trouvés dans la comptabilité de l'entreprise que l'expert a tenté de reconstituer l'ensemble des concours bancaires et notamment ceux du Crédit agricole ;

Qu'ainsi, par exemple, l'expert a constaté qu'un emprunt, d'un montant de 350.000 F, du 20 décembre 1990, porté sur un relevé de la banque, ne figurait pas au passif du bilan à la clôture de pas ignoré ;

Attendu que le 4 juillet 1986, examinant tant le dossier de l'entreprise individuelle que celui de la société Y..., la banque, qui avait connaissance du bilan arrêté le 31 décembre 1985, a pu constater que les objectifs fixés pour 1985 n'avaient pas été atteints et que le résultat net, déficitaire à concurrence de 3,012 MF, entraînait une situation nette

négative de 2,948 MF ;

Que le procès-verbal d'instruction de la réunion du comité des risques mentionne que, "parallèlement, la transformation de l'activité de l'affaire personnelle en loueur de fonds n'a pas produit les effets escomptés : reporter l'imposition fiscale de l'exercice 1985 prévue élevée sur la base d'un CA de 25 MF" et que "la sous activité de la SA, la progression des frais financiers pour le financement des stocks sur toute l'année 1985 ont abouti à un déficit de 626 MF", de sorte que "la situation nette ressort à -1,528 MF" et que "la seule perception du loyer de location-gérance ne peut permettre de résorber cette situation" ;

Que ce procès-verbal souligne "la profonde dégradation des structures financières" de la société Y... et énonce que cette situation appelle des apports en numéraires très rapidement par des réalisations d'actifs personnels ou par une ouverture de capital à un nouveau partenaire ; qu'il énonce encore "qu'il convient d'engager immédiatement et sans attendre les délais légaux, la résorption d'une partie significative du report à nouveau négatif

enregistré par la SA" ; que le comité estimant qu'en raison du déséquilibre de la situation alors constaté, il ne pouvait statuer sur la demande globale de financement de l'exploitation pour l'exercice 1986 ; qu'il a alors décidé de se prononcer au mois de septembre 1986 pour constater le respect des engagements pris quant à la libération du capital social, l'état des réalisations d'actifs personnels par présente à cet entretien, ne pouvait ignorer que les comptes annuels, arrêtés au 30 avril 192, certifiés au mois d'octobre suivant, n'étaient certainement pas disponibles à cette date ; que le bilan de cet exercice révèle d'ailleurs un bénéfice de 133 531 F ; que la seule lecture de la "version" des comptes annuels de l'exercice arrêté au 30 avril 1991 détenue par la banque, révélait que le résultat de 1.629.838 F constituait un résultat fiscal et non le résultat net comptable s'élevant à 946.689 F ;

Qu'interrogée par l'expert, l'IDIA s'est révélée incapable d'indiquer sur quelle base il a été prétendu que la société Y... dégageait les résultats mentionnés

et lui a indiqué que le dossier n'avait pas fait l'objet d'étude formalisée de sa part ;

Que le rapport d'audit effectué par la société Gefi PME, qui souligne le coût élevé des besoins de financement de la société Y..., ne mentionne pas les chiffres avancés lors de cet entretien ; qu'il énonce que le solde disponible après financement interne de la croissance ne permet pas la couverture des charges financières élevées ;

Que, dans ces conditions, sans une analyse financière sérieuse reposant sur une étude des comptes certifiés des exercices précédents et l'étude d'une mise en oeuvre de financements adaptés à l'entreprise, l'opération d'augmentation du capital et de consolidation partielle des crédits d'exploitation était vouée à l'échec ;

Que la restructuration a été sans effet, compte tenu de la gravité des déséquilibres financiers et de la rentabilité insuffisante de l'entreprise ; que, compte tenu des frais financiers trop élevés, la société Y... n'a pas été en mesure de

procéder au remboursement des sommes mises à sa disposition ;

Attendu que la banque soutient avoir financé la campagne 1992-1993 Il apparaît que les terrains, enclavés, étant situés en zone NB, les groupes d'habitation et les lotissements étaient interdits et, en outre, que jamais une demande de construction de lotissement n'a été déposée en mairie.

Au cours du dernier trimestre 1992, le capital social de la société Y... a été porté à la somme de 4 026 000 F et une restructuration des crédits à court et moyen termes est intervenue à hauteur de 13,5 MF. La banque, l'IDIA et la Compagnie normande de participation et de conseils sont devenus actionnaires. La banque a souscrit 3 048 actions des 40 266 actions (7,57%), tandis que l'IDIA en a souscrit 7 621 (18,93%) et la Compagnie normande de participation et de conseils 1 524 (3,78%), les époux Y... restant actionnaires majoritaires avec 28 027 actions (69,60%).

En 1993, la société Y... a confié à la société Gefi PME un audit de trésorerie à l'effet de faire le point

sur le fonctionnement et les éventuels dysfonctionnements de son financement par la banque et notamment quant aux agios perçus de 1989 à 1992. Cet audit a abouti à la signature d'une transaction entre la banque et la société Y... le 29 juillet 1993. Un nouvel audit sera effectué au mois de décembre 1994, portant sur l'année 1993 et le premier trimestre 1994.

Une assemblée générale extraordinaire de la société Y... réunie le 13 août 1993 a décidé la souscription de 5 180 obligations convertibles en actions pour un montant de 1.699.040 F. Les époux Y... ont souscrit 1 524 obligations, tandis que l'IDIA en a souscrit 3 048 et la Compagnie normande de participation et de conseils 608.

Le 28 mars 1994, le Crédit du Nord a exigé le paiement immédiat de la somme de 114 931 F correspondant aux intérêts d'un crédit de trésorerie consenti à la société Y... d'un montant de 3 000 000 F, exigible depuis le mois de décembre 1993, le paiement du principal

l'exercice, et que son échéance du 10 janvier 1991, d'un montant de 8.120 F, prélevée le 31 janvier 1991, figurait sur un relevé bancaire ;

Que, s'agissant des crédits consentis dans le cadre de la loi Dailly, pour la période allant du 5 octobre au 31 décembre 1993, le rapport énonce que "les réalisations de prêts portés sur les relevés CRCA comprennent des crédits de campagne et des remises d'effets à l'escompte sous contrat appelés Dailly. Les mises à disposition ne comportent aucune référence à un numéro de prêt et à un numéro Dailly. Les sommes prélevées portent toutes un numéro de prêt qu'il s'agisse de crédit de campagne ou de Dailly. Il est extrêmement difficile de relier les sommes mises à disposition avec les sommes prélevées. Les crédits accordés dans le cadre de la loi Dailly ne sont pas accompagnés de justification des créances sur les clients" (page 135) ;

Que l'expert précise que la banque n'ayant pas fourni l'évolution de ses encours globaux par catégorie de concours, au jour le jour, il n'a pas été en mesure de les reconstituer (page 115) ; qu'il n'appartenait qu'à la banque de fournir à l'expert les éléments

utiles à l'accomplissement de sa mission lui permettant d'appréhender exactement l'évolution de l'ensemble de ses concours ;

Que, faute d'avoir obtenu les renseignements sollicités, après avoir analysé, exercice par exercice, les comptes annuels de M. Y... et de la société Y..., et dont il a déterminé qu'ils ne présentaient aucun caractère probant, l'expert a pris soin de préciser, dans le chapitre consacré à la présentation des concours bancaires mis à leur disposition, que les chiffres indiqués dans le tableau récapitulatif pour la période allant du 1er janvier 1986 au 31 janvier 1990 ne tenaient pas compte des effets escomptés et des crédits accordés dans le cadre de la loi Dailly ;

apport en fonds propres et la recherche de partenaires ;

Qu'au mois de juillet 1986, parfaitement informée de la situation financière de l'exploitation personnelle de M. Y... et consciente de l'impasse devant laquelle elle se trouvait, la banque a même envisagé, en fonction des résultats effectifs de la SA à la fin de l'exercice, l'augmentation de la redevance de la location-gérance pour la renflouer, et permettre le remboursement des crédits à moyen terme de M. Y..., démontrant ainsi, de surcroît, sa profonde implication dans la vie de l'entreprise ;

Que le procès-verbal conclut "le comité des prêts souligne en conclusion l'extrême vigilance que le suivi de ce dossier appelle" ; Que la cour ne peut que constater que la société Y... n'a bénéficié d'aucun apport de capitaux avant 1992 et qu'aucune recherche de partenaire n'est établie ; qu'en revanche, la banque a accru ses concours, accompagnant sa cliente dans une dérive anormale ;

Attendu, certes, que jusqu'en 1991, seuls les comptes annuels de l'exercice 1987 ont été certifiés avec trois réserves par le commissaire aux comptes ;

Que, pour les comptes annuels de l'exercice 1987, le commissaire aux comptes a relevé qu'une indemnité de 400 000 F à percevoir avait été enregistrée à l'actif sans que la société bénéficie d'information relative au litige concerné ; qu'une indemnité forfaitaire de 500 000

F pour rupture de contrat commercial avait été inscrite à l'actif en charges à répartir et la dotation aux amortissements au titre de 1987 n'avait pas été pratiquée ; qu'un contrôle de l'inspection du travail avait révélé de nombreuses infractions et aucune provision n'avait été constituée pour couvrir le risque ;

Que non seulement seules deux de ces réserves ont ensuite été levées, mais l'existence même de ces réserves, dans le contexte de la sur la base des comptes annuels de l'exercice normalement clos le 31 décembre 1990, arrêté au 30 avril 1991, certifiés par le commissaire aux comptes, révélant un bénéfice de 846 689 F, qui lui ont été transmis au mois d'octobre 1991 ; que cette "version" des comptes annuels a été remise par la banque à l'expert au cours des opérations d'expertise ;

Que, dans ce rapport, M. Delarue, commissaire aux comptes, certifie que, sur la base des contrôles effectués, "les comptes annuels (...) qui font apparaître un bénéfice de 1 629 838 F et un total de bilan de 46 418 588 F sont réguliers et sincères" ;

Que les comptes, joints à ce rapport, mentionnent un total de bilan

de 46 418 588 F, conforme à celui porté dans le rapport du commissaire aux comptes ; qu'en revanche, ils mentionnent un résultat bénéficiaire de 946 689 F, alors que celui porté dans le rapport du commissaire aux comptes est de 1 629 838 F ; que le bénéfice de 946 689 F porté au bilan est différent de celui porté dans l'annexe et de celui du commissaire aux comptes ; qu'il ne peut qu'être constaté que la simple lecture du bilan révèle que le résultat bénéficiaire de 1 629 838 F correspond au résultat fiscal, et non au résultat comptable ;

Attendu que, dans ses conclusions, la banque reconnaît avoir reçu, au cours du second semestre 1992, ce qu'elle appelle la "seconde version" du bilan, accompagnée d'une "seconde version" du rapport émanant du même commissaire aux comptes ;

Que cette "seconde version" est celle examinée par l'expert comme constituant la "version" officielle des comptes sociaux (étant observé que l'expert a pu constater qu'il existait tout de même une "troisième version" des comptes dans laquelle le résultat est bénéficiaire de 402 724 F, contre 27 143 F dans les documents

sociaux) ;

devant être réglé le 30 avril 1994.

Cette demande étant restée vaine, le Crédit du Nord a dénoncé la convention de compte courant le 6 avril 1994 et mis en demeure la société Y... de lui payer la somme de 3 242 755 F.

Par acte sous seing privé du 2 novembre 1994, les époux Y... ont cédé à l'IDIA 4 000 actions de la société Y..., d'une valeur nominale de 250 F, pour le prix de 1.000.000 F.

L'IDIA s'est engagée à vendre aux époux Y... tout ou partie des 4 000 actions de la société Y... au prix de 250 F par action, majorée d'un intérêt de 7% et les époux Y... se sont engagés irrévocablement à les acquérir, à concurrence de 2 000 avant le 30 novembre 1997 et le surplus avant le 30 novembre 1998. Il a été spécifié à l'acte que le "portage" intervenait essentiellement pour procurer à la société

Y... une trésorerie immédiate de 1 MF, les actionnaires majoritaires s'engageant à reverser cette somme en compte dans la société.

Le 16 novembre 1994, la société Y... a payé une somme de 2 500 000 F au Crédit du Nord au moyen d'un chèque de banque tiré sur la CRCAM, la créancière donnant mainlevée de son gage sur le stock de chairs d'escargots (53 tonnes).

La somme de 1 MF a été versée par l'IDIA et déposée sur le compte de la société Y... à la banque, le découvert étant porté de la somme de 4 567 005 F à 5 931 547 F pour un découvert autorisé porté de 2 000 000 à 4 000 000 F le 7 juin 1994.

De 1991 au 16 février 1995, la banque a consenti à la société Y... des concours d'un montant allant d'au moins 31 409 419 à 38 649 925 F.

Après avoir mis en demeure la société Y... de réduire son découvert au montant autorisé le 1er février 1995, d'apurer sans délai le solde exigible au titre des concours autorisés en crédit à court terme le 6

Que, pour l'analyse des comptes de chaque exercice, l'expert distingue, notamment, le montant total des emprunts et des dettes auprès des établissements de crédit du montant des effets escomptés porté sur la liasse fiscale ;

Que la banque ne peut sérieusement prétendre ne pas avoir compris quelles bases l'expert a retenues pour appréhender le montant de ses concours ; qu'analysant les comptes annuels de la société Y... de l'exercice 1989, l'expert a pu constater que le montant des effets escomptés s'élevaient à la somme de 9 027 075 F (page 35), de sorte qu'il a indiqué le montant total des financements consentis par la banque (27 369 229 F, page 36) au cours de l'exercice, au regard des seuls documents conservés par l'entreprise ;

Qu'analysant, ensuite, les moyens financiers dont il a pu vérifier qu'ils avaient été mis à la disposition de M. Y... et de la société Y... l'expert n'a pu qu'exclure les effets escomptés et les crédits accordés dans le cadre de la loi

Dailly pour la période allant du 1er janvier 1986 au 31 janvier 1990, la banque n'ayant pas fourni l'évolution de ses en-cours globaux par catégorie de concours et au jour le jour ; que c'est la raison pour laquelle en page 115, le montant indiqué (20 452 385 F) ne peut qu'exclure celui de ces moyens de financements puisqu'il n'a pas pu les déterminer ;

Que la banque ne soutient d'ailleurs pas que le montant des crédits qu'elle a mis à la disposition de M. Y... et de la société Y... est inférieur à celui qui a pu être déterminé par l'expert ; qu'au regard des pièces examinées par ce dernier, il ne peut qu'être constaté que les crédits mis à la disposition de M. Y... et de la société Y... ont diminué au cours de l'exercice 1988 par rapport à l'exercice 1987 pour exploser de nouveau au cours de l'exercice 1989 ; que le rapport n'énonce nullement que "les emprunts et dettes des établissements de crédit ont donc connu une progression de 444,41% au

situation de l'entreprise, étaient de nature à attirer l'attention sur les anomalies des états financiers et de sa gestion ;

Que, de surcroît, il apparaît même que la banque s'est aussi contentée de comptes annuels non certifiés ; qu'ainsi les études financières du comité des risques, lors de ses réunions des 25 septembre 1990 et 9 avril 1991, reposent sur des bilans non accompagnés des rapports du commissaire aux comptes puisque les chiffres indiqués ne correspondent pas à ceux des comptes sociaux ;

Qu'en outre, au regard des éléments d'information alarmants dont elle disposait sur la situation financière de la société Y..., la banque ne pouvait pas se contenter d'attendre la réception des bilans annuels, fussent-ils même certifiés ; que la prudence aurait dû la conduire à exiger des situations intermédiaires certifiées avant d'accroître ses concours ;

Attendu que, compte tenu de l'insuffisance de fonds propres de l'entreprise et de ses énormes besoins, les découverts autorisés, dont le plafond a été augmenté, ont été dépassés ;

Que le procès verbal du comité des risques du 6/9/1985 mentionne un

plafond du découvert de 500.000 F, alors que celui du 4/7/1986 fait état d'un plafond de découvert autorisé en 1985 de 3.000.000 F ; qu'il résulte des pièces produites qu'à partir de l'exercice 1989 et jusqu'au 7 juin 1994, l'ouverture de crédit permanente a été de 2.000.000 F ;

Que si, à la fin de l'exercice arrêté le 31 janvier 1990, le découvert était de 2.239.146 F, il a atteint la somme extravagante de 14.874.300 F au mois d'août 1989 ; que, le 4 avril 1991, il atteindra 7.194.398 F ; qu'à la clôture de cet exercice, il sera de 8.022.704 F ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise que, si le taux moyen du découvert dans la limite de l'ouverture de crédit était de 13,86%, le

Que, dans son rapport, le commissaire aux comptes écrit "qu'il n'est pas possible de certifier sans réserve que les comptes annuels (...) qui font apparaître un bénéfice de 5 974 F et un total de bilan de 43 271 154 F sont réguliers et sincères" ;

Que les réserves assortissant ce rapport concernent la valeur du stock de matières premières (escargots), représentant 49,65 % des actifs inscrits au bilan ; qu'il évoque une majoration significative de la valeur du stock de matières premières, une absence de comptabilité analytique et un taux anormalement faible du ratio matières premières/production ;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal d'instruction de la réunion du comité des risques du 10 novembre 1992 que la banque a été parfaitement informée de l'existence de deux versions différentes de comptes annuels pour un même exercice puisque ce procès-verbal reprend les chiffres mentionnés aux comptes sociaux ;

Que, d'abord, la banque n'a pu ignorer que la rectification d'une majoration significative du stock de matières premières, représentant 49,65% des actifs du bilan, porté pour une valeur de 21.495.452 F contre 77.478.163 F l'exercice précédent (14.007.289 F d'augmentation), se serait traduite par une forte diminution du résultat qui serait devenue ainsi gravement déficitaire ;

Qu'ensuite et surtout, ayant à sa disposition "deux versions" différentes du bilan d'un même exercice, accompagnées de deux rapports différents émanant du même commissaire aux comptes, il ne

peut qu'être constaté que la banque, devenue actionnaire de la société Y..., a non seulement maintenu ses concours mais les a accrus, alors qu'elle ne pouvait que douter de la fiabilité des comptes qui lui étaient présentés ;

Que l'existence même d'une double version des comptes sociaux établissait qu'un faux bilan avait été établi pour lui être présenté cours de l'exercice 1987" ;

Qu'il s'ensuit que, pour critiquer la pertinence du rapport d'expertise, la banque ne peut être admise à se prévaloir de sa propre carence, alors qu'elle était en mesure de fournir à l'expert les éléments permettant de déterminer le montant exact de l'ensemble de ses concours ;

Qu'enfin, l'erreur alléguée relative à la progression des frais financiers entre 1986 et 1987 est exacte ; que si cette progression est de 0,28% et non de 1%, l'erreur commise est mineure et de détail et n'affecte en rien la valeur et la pertinence du travail accompli ; Attendu, en deuxième lieu, qu'il ne peut être reproché à l'expert de ne pas avoir justifié les appréciations péjoratives portées sur les

ratios des charges financières de l'entreprise par rapport au chiffre d'affaires, sans avoir tenu compte tenu de l'activité acyclique de l'entreprise alors qu'il résulte des pièces produites qu'après avoir considéré, en 1986, que les structures financières étaient profondément dégradées - alors qu'à cette époque le pourcentage des frais financiers par rapport au chiffre d'affaires était de 4,84% -, la banque a estimé qu'un ratio de 6,5% était "encore trop important" (procès-verbal d'instruction du comité des risques du 23 mars 1993), qu'un ratio de 8% était très élevé (PV du 15 novembre 1994) et qu'un ratio de 10% était "aberrant" (PV d'instruction du comité des risques du 15 novembre 1994) ;

Attendu, en troisième lieu, qu'aucun argument ne peut être tiré du rapport établi au mois de février 1995, à la demande du dirigeant de la société Y..., par un cabinet d'expertise comptable qu'il a mandaté à cet effet, la Secno, attestant de la rentabilité de l'entreprise ;

Qu'en effet, le commissaire aux comptes ayant refusé de certifier les

taux moyen appliqué au dépassement était très élevé puisqu'il atteignait 17,49% ; que, selon la société Gefi PME, le calcul des agios de découvert était arbitraire et excessivement coûteux au regard des besoins de financement globaux de l'entreprise ;

Attendu que les échéances des emprunts ont été payées avec retard, traduisant ainsi les difficultés croissantes de l'entreprise ; qu'ainsi en 1989, les échéances d'un emprunt, du mois de février à novembre, ont été payées au mois de décembre ; qu'au cours de l'exercice 1990/91, de nombreuses échéances de plusieurs emprunts ont été payées avec un retard significatif de plusieurs mois ;

Qu'en dépit de sa connaissance de la gravité du déséquilibre de la situation financière de la société Y... et du poids de ses frais financiers qu'elle avait elle-même constatés au mois de juillet 1986, résultant d'une absence de fonds propres et de très importants déficits de trésorerie, la banque n'a fait qu'accroître, de façon démesurée, des crédits coûteux incompatibles avec toute rentabilité et de surcroît, au vu de situations comptables annuelles parfois non certifiées qu'elle-même soutient avoir reçues tardivement ;

Attendu qu'en 1991, la banque ne pouvait ignorer que la situation financière de l'entreprise individuelle de M. Y... et de la société Y..., dont le sort était indissociable, était très dégradée, dépourvue de fonds propres et que les frais financiers avaient absorbé au cours de l'exercice précédent 92,61% des résultats d'exploitation ;

Qu'il ne peut qu'être constaté qu'au 1er janvier 1990, la banque a mis à la disposition d'une entreprise (M. Y... et la société Y...) dépourvue de capitaux propres des moyens financiers d'un montant de 20 372 255 F (à l'exclusion des effets escomptés et des crédits consentis dans le cadre de la loi Dailly) ;

Attendu que, devant nécessairement avoir connaissance du bilan de M.

; que ce fait constituait en soi une fraude et aurait dû conduire un banquier normalement vigilant à se poser d'autres questions que celles relatives à la valeur réelle des stocks ou l'appréciation de la gestion de la trésorerie de la société Y... ;

Que, non seulement la banque n'a pas exigé d'audit concernant les comptes eux-mêmes, mais aucune pièce ne démontre qu'elle se soit même émue du comportement comptable gravement répréhensible du dirigeant de l'entreprise, ayant bénéficié de la complicité du commissaire aux comptes, à supposer que ce dernier soit le signataire de la "version" du rapport remis à la banque ;

Que la cour ne peut que constater que la banque a accepté de maintenir, d'accroître ses concours, d'accepter des dépassements de découverts d'un montant extravagant, et de recevoir des comptes annuels ultérieurs vérifiés et certifiés par le même commissaire aux comptes, sans avoir même cherché à éclaircir la situation, alors qu'elle ne pouvait que douter de la régularité et de la sincérité d'écritures certifiées par ce professionnel du chiffre ;

Qu'il ne peut être sérieusement soutenu que, face à un tel comportement comptable, un banquier normalement diligent peut se borner à exiger l'intervention d'un cabinet extérieur chargé de

suivre la gestion de l'entreprise ou une vérification de la valeur des stocks et na'vement croire que de telles mesures sont de nature à empêcher toute fraude ;

Qu'il ne peut davantage être prétendu que le soutien actif d'autres partenaires (l'IDIA et le CIN) ait pu faire éprouver à la banque un quelconque sentiment de sécurité et que cette dernière ait pu croire que les crédits consentis étaient adossés à des actifs existants ; que la banque n'allègue d'ailleurs même pas avoir informé ses partenaires de la fraude qu'elle a découverte ;

Attendu que, dans son rapport accompagnant les comptes de l'exercice comptes qui ont été ultérieurement arrêtés au 30 avril 1995 (qui font état d'une perte de 1 487 856 F), le rapport de la Secno, reposant sur les pièces comptables fournies par l'entreprise - sur la fausseté desquelles la banque ne pouvait qu'être convaincue en 1995 ainsi qu'il sera développé plus loin - est insuffisant à emporter une quelconque conviction ; qu'il sera ajouté que le commentaire sibyllin relatif à l'analyse de la faiblesse du résultat résultant, notamment de la prise en compte "d'éléments exceptionnels qui comme leur nom

l'indique ne se reproduiront pas ultérieurement" n'est pas de nature à lui accorder un quelconque crédit ;

Attendu, en quatrième lieu, que la banque ne peut sérieusement reprocher à l'expert d'avoir considéré qu'entre le 4 juillet 1986 et le 24 septembre 1990, elle a octroyé des concours sans décision préalable de son comité des risques, alors qu'au cours des opérations d'expertise, elle a prétendu avoir égaré la plupart des procès-verbaux des réunions ;

Que, pour la période allant de 1986 à 1990, elle s'est bornée à remettre à l'expert les procès-verbaux d'instruction du comité des 6 septembre 1985, 4 juillet 1986 et 25 septembre 1990 ;

Que ce n'est que le 10 janvier 2005 que la banque a communiqué un certain nombre de procès-verbaux de réunions du comité qu'elle n'avait pas remis à l'expert ; que, pour la période allant jusqu'en 1990, elle ne produit d'ailleurs que quatre procès-verbaux (20/1/1989, 31/3/1989, 28/7/1989 et 27/4/1990) ;

Que la cour ne peut que constater qu'il n'apparaît pas que le comité des risques de la banque a examiné le dossier entre le 23 juillet

1986 et le 20 janvier 1989, alors que ses concours se sont accrus de façon plus que significative (3,5 MF à 18 MF environ, hors effets escomptés et crédits consentis dans le cadre de la loi Dailly) ;

Attendu, enfin, qu'aucun argument ne peut être tiré de l'appréciation Y... arrêté au 31 janvier 1990 compte tenu de l'importance de son endettement auprès d'elle, la banque n'a pu qu'être informée que la société Y... héritait du passif de ce dernier et qu'en toute hypothèse l'augmentation de capital - dont elle a noté l'existence dans son procès-verbal du 9 avril 1991- ne permettait pas à l'entreprise de répondre à ses importants besoins de fonds de roulement ; que la banque ne pouvait ignorer qu'en l'absence d'apports de capitaux d'un montant significatif, l'endettement de la société Y... ne pouvait que s'accroître du fait de l'accroissement du passif et de frais financiers exorbitants ; qu'à la clôture de l'exercice, le 30 avril 1991, les frais financiers absorberont 92,26% des résultats d'exploitation ;

Qu'en outre, la banque a d'autant moins pu ignorer que l'augmentation

de capital était artificielle, qu'il avait été prévu au contrat d'apport du 31 mai 1990 qu'elle ne donnerait lieu à aucune prime d'émission, de sorte que la société Y... était considérée comme dépourvue de toute valeur ;

Que l'entreprise n'a pu survivre que par l'emploi de moyens financiers de plus en plus ruineux, accordés de façon inconsidérée ; Attendu que la banque ne peut sérieusement soutenir ne s'être aperçue de la gestion erratique de l'entreprise qu'à la fin de l'année 1994 ; Attendu qu'à partir de l'exercice de l'année 1990, les bilans n'ont plus été arrêtés au 31 décembre, mais au 30 avril de l'année suivante ;

Attendu que si la banque fait justement observer qu'un bilan clos au 31 décembre n'est en général connu qu'au mois d'avril suivant, il ne peut qu'en être déduit que la décision de la société Y... d'arrêter les comptes de l'exercice 1990 le 30 avril 1991 n'a pu que rendre

normalement clos le 31 décembre 1991, arrêté le 30 avril 1992, le commissaire aux comptes émet des réserves relatives à "un stock d'emballages non identifiés - caisses en bois" inscrit pour la première fois à l'actif pour une valeur de 3 280 554 F ;

Attendu que l'instructeur du dossier pour la réunion du comité des risques du 10 novembre 1992 fait état du "zèle nouveau" du commissaire aux comptes ; que le procès-verbal de la réunion du comité mentionne à cet égard que l'exercice suivant devra être notamment employé à assainir la gestion pour revenir à une orthodoxie comptable sur les stocks de caisses ;

Qu'il en résulte que la banque n'avait aucune illusion sur la fiabilité des comptes sociaux qui lui étaient présentés, alors de surcroît que la "seconde version" du bilan de l'exercice arrêté au 30 avril 1991 avait été portée à sa connaissance ;

Que l'instructeur du dossier pour la réunion du comité des risques a noté que les ratios des charges financières pour les deux exercices étaient respectivement de 8,59% et de 10,03 % ;

Qu'il mentionne que les frais financiers représentent 10% du chiffre d'affaires et qu'ils absorbent les résultats à concurrence de 88% ;

Qu'il indique un découvert de 18 745 000 F, alors qu'à cette date, il

s'élevait à la somme de 20 128 623 F, pour un découvert autorisé de 2 000 000 F ;

Attendu qu'en dépit de sa connaissance du comportement comptable frauduleux de la société Y..., de nombreuses échéances afférentes à plusieurs emprunts, dont deux accordés à l'entreprise dans le cadre de sa restructuration financière, payables au cours du premier trimestre 1993, n'ont pas été prélevées par la banque sur cet exercice ;

Que les échéances des 10 février et 10 mars n'ayant pas été prélevées, la banque a accepté, le 23 mars 1993, de maintenir ses

portée par l'expert sur l'évaluation de l'apport du fonds de commerce de M. Y... à la société Y... intervenu le 29 avril 1991, avec effet rétroactif au 1er février 1990 ;

Qu'en effet, il résulte du rapport établi le 16 août 1990 par M. Asse, commissaire aux apports, que le fonds de commerce a été évalué à sa "valeur nette comptable au 31 janvier 1990" ;

Que "le passif pris en charge a été repris pour sa valeur figurant au bilan au 31 janvier 1990 de l'entreprise individuelle de M.Dehais" ; Qu'aucun bilan de l'entreprise individuelle de M. Y..., arrêté au 31 janvier 1990 n'a été remis à l'expert, pas même par la banque qui, ayant pourtant mis d'importants moyens financiers à la disposition de M. Y..., ne pouvait qu'en avoir été destinataire s'il avait été établi ;

Que la société Y... a pour sa part décidé, à compter de cet exercice, d'arrêter les comptes de l'exercice normalement clos le 31 décembre 1990 le 31 avril 1991 ;

Que l'expert n'a pu que constater que les chiffres repris dans les documents relatifs à l'apport sont ceux du bilan de l'exercice clos le 31 décembre 1989 ;

Que l'expert a déterminé qu'au 31 janvier 1990, les comptes de l'entreprise individuelle de M. Y... révélaient une situation nette négative de 1 852 671 F ;

Que le bilan de l'exercice clos le 31 janvier 1990 de la société Y..., révèle un chiffre d'affaires de 39

810 643 F en diminution par rapport à l'exercice précédent (49 917 743 F), tandis que le résultat a diminué de 1 617 629 F à 27 143 F ; qu'il a justement tenu compte de l'absence de capacité bénéficiaire de l'entreprise et de son impossibilité de rembourser ses concours bancaires ;

Qu'en outre, il a constaté que les immobilisations amortissables concours et d'accorder de nouveaux crédits sur le fondement d'une situation comptable arrêtée au 31 décembre 1992 faisant apparaître, sur une durée de 8 mois, un résultat bénéficiaire de 2 292 000 F, alors qu'il se révélera être de 976 560 F pour une durée de 12 mois ; Que, le 1er juin 1993, la banque a accepté d'accorder de nouveaux crédits sans avoir exigé un audit des comptes, et sans même avoir obtenu et exigé les comptes annuels, alors que les échéances du 10 avril de plusieurs emprunts, dont deux afférents à la restructuration financière, n'avaient pas pu être prélevées ;

Attendu que, contrairement aux allégations de l'intimée, l'expert a constaté qu'au mois d'août 1993, la banque a participé, avec l'IDIA, sa filiale, à une émission d'obligations convertibles en actions pour

un montant de 1.699.040 F ;

Que, toutefois, il résulte des pièces produites qu'à cette époque, la banque a constaté que, non seulement des échéances du prêt de restructuration étaient en retard et que M. Y... n'avait pas respecté ses engagements quant à la commercialisation du terrain qu'il avait promis de lotir pour pouvoir s'acquitter du remboursement du prêt qui lui avait été consenti pour participer à l'augmentation de capital de 1992, mais qu'elle n'avait même pas connaissance des comptes annuels certifiés arrêtés au 30 avril 1993 ;

Attendu qu'en sa qualité d'actionnaire, la banque ne peut avoir ignoré que, depuis le 19 octobre 1992, le nombre des administrateurs au conseil d'administration de la société Y... était inférieur au minimum légal, de sorte que toutes les décisions prises étaient irrégulières ;

Que, s'il est exact que le procès-verbal n'est pas signé, le représentant de la banque actionnaire a signé la feuille de présence à une assemblée générale de la société

Y... du 28 octobre 1993 ; que ce procès-verbal fait état, d'une part, de l'approbation à l'unanimité des comptes annuels assortis de deux réserves par le commissaire aux comptes, lesquelles faisaient basculer le résultat en perte, et, d'autre part, de la distribution de dividendes sur les bénéfices aux actionnaires privilégiés à concurrence de 109 279 F ;

Attendu, certes, que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 16 septembre 1993, la banque a sollicité du dirigeant la signature d'un mandat de cession de la société, informé celui-ci qu'elle n'excluait pas de dénoncer ses concours à échéances d'avril 1994 si la situation ne s'améliorait pas, la production des rapports du commissaire aux comptes dès leur parution, et demandé à la société de gérer par elle-même ses ajustements quotidiens de trésorerie ;

Que, le 18 octobre 1993, elle a rejeté des LCR d'un montant de 913 783 F et, qu'à partir de cette date, divers chèques et effets de commerce ont été rejetés et notamment les 14 février, 18 mars, 6 avril, et 1er juin 1994 ;

Attendu, toutefois, que les vérifications effectuées par l'expert

révèlent aussi qu'au cours du dernier trimestre 1993, les crédits accordés dans le cadre de la loi Dailly n'étaient pas accompagnés de justifications des créances sur les clients ; que la banque qui, dans son PV d'instruction du 18 janvier 1994 fait état de "(sa) "largesse" dans la mobilisation du compte clients", démontre qu'elle savait que sa cliente avait recours à des moyens artificiels pour assurer sa survie et que les crédits n'étaient pas adossés à des clients ;

Que la banque a accepté aussi le report du prélèvement des échéances des emprunts des 10 avril 1994 au 24 juin suivant, à l'exception d'une seule qui n'a jamais été prélevée et qui se trouve comprise dans

Que la banque a accepté aussi le report du prélèvement des échéances des emprunts des 10 avril 1994 au 24 juin suivant, à l'exception

d'une seule qui n'a jamais été prélevée et qui se trouve comprise dans la production de la banque au passif ;

Qu'au cours de la même période, elle a accepté les découverts suivants : 17 576 637 F le 31 mars, 9 993 619 F le 19 avril, 14 061 236 F le 3 mai et même 22 953 144 F le 28 juin, après avoir décidé, le 7 juin 1994, de porter le montant de l'autorisation de découvert à 4 000 000 F, tout en décidant de surseoir sur l'ensemble des concours financiers sollicités ; que le 15 novembre 1994, elle accordera une augmentation du plafond du crédit documentaire (8.800 KF), le 18 janvier 1995, un "prêt exceptionnel" de 4.400.000 F... ;

Attendu que, si depuis 1993, la politique menée par la banque a été dépourvue de toute logique -et il suffit à cet égard de se reporter aux conclusions de l'appelante (pages 82 et suivantes)-, l'intimée ne peut se servir de ses incohérences pour soutenir n'avoir eu aucune information alarmante sur la situation de la société Y... avant que ne soient connus les comptes clos au 30 avril 2004 ;

Attendu qu'outre les éléments d'informations dont elle disposait déjà, son inquiétude (manifestée à plusieurs reprises), quant à la valeur économique du stock porté à l'actif dont elle a noté le fort "gonflement au bilan depuis deux exercices" représentant 8 mois du chiffre d'affaires, la banque a eu connaissance, aux mois de mai et juillet 1994 d'un arrêté de comptes du 31 mars 1994 faisant état

d'une perte de 3.703.000 F après dotation pour risques d'un montant de 2.200.000 F lié à un litige résultant d'un contrôle fiscal portant sur 8.800.000 F, d'un ratio de frais financiers de 10,16%, d'échéances en retard, de crédits de campagne non débouclés à hauteur de 10,8 MF, de retards de paiement envers les fournisseurs, l'URSSAF et le Trésor public, de la chute du chiffre d'affaires ;

Qu'à la fin du mois de juillet 1994, estimant peu crédibles les perspectives envisagées par les cabinets conseils intervenus depuis le début l'année, considérant la dégradation de la structure déjà très déséquilibrée, l'existence d'un découvert de 22.953.144 F, la banque a elle-même déterminé, compte tenu des encours à terme, une insuffisance de fonds propres de 15.000.000 MF et la nécessité d'une recapitalisation, le compte-rendu de la réunion du comité notant, in fine, un déficit de 6.680.000 F au 30 avril 2004 ;

Qu'en dépit de ces éléments, la banque a encore décidé d'augmenter les crédits de campagne d'un montant de 3.000.000 F, après avoir vainement mis en demeure, à deux reprises, la société Y... de communiquer ses comptes annuels ;

Que, lors de sa réunion du 15 novembre 1994, le comité des risques, qui a noté un endettement à terme de l'entreprise d'autant plus lourd qu'il résultait pour l'essentiel de consolidations successives de crédits de trésorerie non débouclés sur les deux derniers exercices, a lui même considéré que les moyens financiers étaient notoirement insuffisants, ce qui interdisait toute mise en oeuvre d'une stratégie d'avenir exigeant de nouveaux moyens ;

Que le comité a constaté :

"- la forte érosion du chiffre d'affaires pour les deux années consécutives...

- la chute de la marge brute et de la valeur ajoutée de l'ordre de 10%,

- la perte très élevée de l'exercice de 6.860.000 F,

- l'augmentation de 17% des frais financiers qui représentent déjà un niveau très élevé en 92/93 (55% de l'excédent brut d'exploitation et 8% du chiffres d'affaires). Les frais financiers de l'exercice 93/94 représentent plus de deux fois l'EBE,

- les besoins très forts en fonds de roulement, qui sont surtout la traduction d'une insuffisance de fonds propres trop importante qui handicape durablement la rentabilité,

- les taux relativement excessifs des frais financiers. En effet, le ratio frais financiers sur chiffre d'affaires est de 10,20% après la restructuration financière de fin 92" ;

Qu'il est énoncé "nos crédits demeurent disproportionnés de façon absolue et relative 1) absolue : ils sont trop importants par rapport à la capacité financière et bénéficiaire de cette entreprise 2) relative : ils sont trop importants au regard du ratio de division des risques de la Caisse régionale. Il faut s'engager fermement dans une politique de réduction de nos encours" ;

Que l'ensemble de ces éléments démontrent qu'en payant le lendemain, le 16 novembre 1994, la créance du Crédit du Nord, la banque, qui savait que la situation de la société Y... était désespérée, n'a eu pour but que d'éviter le prononcé d'une liquidation judiciaire qu'elle savait inéluctable et a ainsi permis à la société

Y... de poursuivre son exploitation ;

Attendu que, contrairement à ses allégations, la banque n'a pas rompu l'ensemble de ses concours le 16 février 1995 ; qu'elle s'est bornée à demander à la société Y... de couvrir le montant du dépassement du découvert, de payer le montant des agios, le prêt à court terme et les intérêts de retard et d'apurer le plafond global de ses concours ;

Qu'elle a ainsi permis à la société Y... d'obtenir la désignation d'un mandataire ad'hoc en faisant croire au président du tribunal de commerce qu'il existait encore des mesures propres à éviter la cessation des paiements et à permettre un redressement ;

Que la banque disposait depuis longtemps de tous les éléments d'information lui permettant de savoir que la société ne vivait plus que d'expédients, que la situation était désespérée et qu'il n'existait même aucune perspective d'apurement du passif et de redressement, fût-ce par voie de cession, le caractère sérieux de

l'existence de pourparlers de reprise de la société Y..., qui auraient existé depuis début de l'année 1994, en considération de l'état réel de la situation financière de l'entreprise de surcroît, n'étant d'ailleurs pas établie ;

Qu'après avoir obtenu une mesure de saisie conservatoire du stock de matières premières, elle n'a assigné la société Y... en paiement qu'après la désignation du mandataire ad'hoc, pour la forme ; qu'elle a même donné un accord de principe, le 11 avril 1995, à l'octroi de crédits (10 MF) pour financer la "campagne de vivants" ;

Qu'en s'abstenant de rompre l'ensemble de ces concours, et en maintenant l'apparence de solvabilité de la société Y... permettant la désignation d'un mandataire ad'hoc et ayant créé, par sa carence fautive, un sentiment de confiance chez les créanciers, la banque a contribué à aggraver l'insuffisance d'actif ;

Attendu que la cour ne dispose d'aucun élément permettant de déterminer le préjudice subi, l'appelante se bornant à mentionner

dans le dispositif de ses conclusions qu'elle réclame la somme de 12 685 581,86 ç ; que seules les conclusions de la banque permettent de savoir que le montant du préjudice allégué correspond au montant du passif provisoirement arrêté ;

Que, toutefois, le montant du préjudice causé aux créanciers n'est pas égal au montant du passif déclaré mais s'apprécie au regard de la seule insuffisance d'actif ; que l'insuffisance d'actif se détermine en considération de l'actif réalisé et, le cas échéant, existant ;

Qu'il y a lieu d'ordonner une expertise dans les termes du dispositif ;

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement entrepris :

Dit que la CRCAM de Haute Normandie, aux droits de laquelle se trouve actuellement la CRCAM Normandie Seine, a soutenu abusivement

l'activité de la société Y... ;

Dit que la faute commise par la CRCAM de Haute Normandie, aux droits de laquelle se trouve actuellement la CRCAM Normandie Seine, est la cause du préjudice causé aux créanciers jusqu'à l'ouverture de la procédure collective ;

Avant dire-droit sur le montant du préjudice,

Commet M. Philippe C..., Le Bourg, Ecalles-Alix, en qualité d'expert,

Avec pour mission de :

- se faire communiquer tous les documents qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,

- donner les éléments permettant de déterminer le préjudice subi par les créanciers ;

- répondre à tous dires des parties ;

Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe de la cour d'appel de Rouen dans un délai de six mois, à compter de la consignation ordonnée ci-après, sauf prorogation sur demande justifiée par les difficultés faisant obstacle à l'accomplissement de sa mission ;

Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête ;

Dit que l'expertise sera effectuée sous le contrôle de Mlle Vinot ;

Dit qu'une provision de 3 048 ç, à valoir sur la rémunération de l'expert, devra être consignée entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Rouen dans le délai de deux mois à compter de ce jour par Mme X..., ès-qualités ;

Vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,

Condamne la CRCAM de Normandie-Seine à payer la somme de 4 048 ç ;

Condamne la CRCAM de Normandie-Seine à payer les dépens de première instance et de l'instance d'appel exposés à ce jour, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006945830
Date de la décision : 12/05/2005
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

BANQUE - Responsabilité - Ouverture de crédit - Situation de l'entreprise irrémédiablement compromise - Connaissance par la banque

En dépit de sa connaissance de la gravité du déséquilibre de la situation financière de la société et du poids de ses frais financiers qu'elle avait elle-même constatés, résultant d'une absence de fonds propres et de très importants déficits de trésorerie, la banque n'a fait qu'accroître, de façon démesurée, des crédits coûteux incompatibles avec toute rentabilité et de surcroît, au vu de situations comptables annuelles parfois non certifiées qu'elle-même soutient avoir reçues tardivement ; en s'abstenant de rompre l'ensemble de ces concours, et en maintenant l'apparence de solvabilité de la société permettant la désignation d'un mandataire ad'hoc et ayant créé, par sa carence fautive, un sentiment de confiance chez les créanciers, la banque a contribué à aggraver l'insuffisance d'actif


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.rouen;arret;2005-05-12;juritext000006945830 ?
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