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04/09/2024 | FRANCE | N°23/01071

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre commerciale, 04 septembre 2024, 23/01071


COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale















ARRET N°



DU : 04 Septembre 2024



N° RG 23/01071 - N° Portalis DBVU-V-B7H-GAZZ

VTD

Arrêt rendu le quatre Septembre deux mille vingt quatre



décision dont appel : Décision Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Moulins, décision attaquée en date du 10 Mai 2023, enregistrée sous le n° 22/00135



COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M

me Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Anne Céline BERGER, Conseiller



En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors ...

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 04 Septembre 2024

N° RG 23/01071 - N° Portalis DBVU-V-B7H-GAZZ

VTD

Arrêt rendu le quatre Septembre deux mille vingt quatre

décision dont appel : Décision Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Moulins, décision attaquée en date du 10 Mai 2023, enregistrée sous le n° 22/00135

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Anne Céline BERGER, Conseiller

En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l'appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, du prononcé

ENTRE :

Mme [V] [T] épouse [I]

immatriculée auprès de la MFP SERVICES SOLSANTIS sous le n° [Numéro identifiant 4]

numéro adhérent organisme INTERIALE :4081755 17

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Laurent LAFON de la SELARL AURIJURIS, avocats au barreau d'AURILLAC

APPELANTE

ET :

La société ALLERGAN FRANCE,

SASU immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 312 856 917

[Adresse 1]

[Localité 9]

absorbée par la société ABBVIE

SAS immatriculée au RCS de Créteil sous le n° 750 775 660

[Adresse 3]

[Localité 10]

dans le cadre d'une fusion avec effet au 01/11/2022

Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Laure LE CALVE, avocat au barreau de RENNES (plaidant)

La MUTUALITE FONCTION PUBLIQUE SERVICES SOSLANTIS

[Adresse 13]

[Adresse 13]

[Localité 5]

Non représentée, assignée selon procès-verbal article 659 du code de procédure civile

Organisme INTERIALE CENTRE DE GESTION DU MINISTERE DE LA JUSTICE

[Adresse 12]

[Localité 8]

Non représenté, assigné à personne morale (personne habilitée)

INTIMÉS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA NIEVRE

es qualité d'organisme de sécurité sociale actuel de Mme [V] [T] épouse [I]

[Adresse 6]

[Localité 7]

Non représentée, assignée à personne morale (personne habilitée)

APPELEE EN CAUSE

DEBATS : A l'audience publique du 22 Mai 2024 Madame THEUIL-DIF a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 04 Septembre 2024.

ARRET :

Prononcé publiquement le 04 Septembre 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

En 2008, Mme [V] [T] épouse [I] a bénéficié d'une implantation mammaire de prothèses PIP (Poly Implant Prothèse) par le docteur [Z] au sein de [14] de [Localité 11].

Conformément aux recommandations propres aux difficultés liées à l'usage des prothèses de marque PIP, Mme [I] a subi une nouvelle intervention chirurgicale le 4 février 2015 : les prothèses PIP ont fait l'objet d'une explantation en vue de leur remplacement par des prothèses de marque Allegan, modèle Inspira TRM 255.

Se plaignant de douleurs localisées au sein gauche et de l'apparition d'un gonflement de ce sein accompagné par des algies, Mme [I] s'est vu prescrire une échographie et une IRM mammaire qui ont été réalisées les 23 et 31 août 2018.

Le 29 octobre 2018, les prothèses implantées en 2015 ont été remplacées par des prothèses de même marque.

Par ordonnance du 12 février 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de Tulle a ordonné une expertise médicale et commis le docteur [G] [X] pour y procéder.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 2 mai 2020.

Par actes d'huissier des 23, 25 février et 4 mars 2022, Mme [V] [I] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Moulins la SAS Allergan Industrie, la Mutualité de la Fonction Publique services Solsantis et la mutuelle Intériale, au visa de l'article 1240 du code civil, aux fins d'obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel, outre la réparation d'un préjudice moral.

Puis, par acte d'huissier du 28 mars 2022, Mme [I] a fait assigner la SASU Allergan France aux mêmes fins.

Une ordonnance de jonction est intervenue le 4 mai 2022.

Par jugement du 10 mai 2023, le tribunal a :

- débouté Mme [I] de l'intégralité de ses demandes ;

- déclaré la décision commune à la Mutualité Fonction Publique Services Solsantis et à Intériale centre de gestion du Ministère de la Justice ;

- rejeté les demandes présentées par Mme [I] et par la SASU Allergan France sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [I] aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.

Le tribunal a énoncé :

- que la victime de la défaillance d'un produit pouvait se prévaloir d'un régime de responsabilité distinct du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux encadré par les dispositions des articles 1386-1 et suivants du code civil dans leur rédaction applicable au litige, si toutefois elle établissait que le dommage subi résultait d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause ;

- que la rupture prématurée des implants était de nature à caractériser un défaut de sécurité du produit en cause, et ne saurait être invoquée au soutient d'une action en responsabilité pour faute ;

- sur le défaut d'information du fabricant concernant la durée de vie des produits, que Mme [I] ne justifiait pas des circonstances qui permettraient d'établir un manquement de la part de la SASU Allergan France, en qualité de fournisseur initial de l'information attendue par le patient, alors que Mme [I] déclarait que le chirurgien, débiteur direct de cette information à son égard, avait rempli ses obligations ; qu'une telle hypothèse induirait que l'information fournie par le fabricant ait été elle-même fausse ou incomplète et qu'elle n'ait pas pu être complétée par le chirurgien qui disposait de ses propres sources d'information et de compréhension du produit implanté ;

- qu'il n'était pas justifié que les éléments figurant dans la notice relative aux implants qui détaillait les éléments d'information sur ce type de produits, et notamment des données de surveillance à long terme quant au risque de rupture et de dégonflement, aient pu être faux ou incomplets et qu'ils n'aient pas permis l'information de Mme [I] par le chirurgien qui s'était chargé de son opération.

Mme [V] [T] épouse [I] a interjeté appel du jugement le 4 juillet 2023.

Par conclusions déposées et notifiées le 6 mars 2024, l'appelante demande à la cour de :

- annuler ou infirmer ou réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens ;

- y faisant droit,

- déclarer la SAS Abbvie, ayant absorbé la SASU Allergan France, responsable au titre de la rupture prématurée des implants litigieux ;

- condamner la SAS Abbvie, ayant absorbé la SASU Allergan France à lui verser :

$gt; préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

* 667, 50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

* 5 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

$gt; préjudices extra-patrimoniaux permanents :

* 7 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

* 8 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

- condamner la SAS Abbvie, ayant absorbé la SASU Allergan France à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais engagés en première instance ;

- condamner la SAS Abbvie, ayant absorbé à lui rembourser ou/et à la SELARL pour ceux dont elle aurait fait l'avance, les dépens de l'instance devant le président du tribunal judiciaire de Tulle en vue de la désignation d'un expert pour lesquels les dépens ont été réservés et des instances au fond devant le tribunal judiciaire de Moulins, et devant la cour, et des procédures d'exécution ;

- débouter la SAS Abbvie, ayant absorbé la SASU Allergan France de toute demande de condamnation au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;

- déclarer commun à la Mutualité Fonction Publique Services Solsantis et à Intériale centre de gestion du Ministère de la Justice, ainsi qu'à la CPAM de la Nièvre, l'arrêt à intervenir et statuer ce que de droit sur l'état de leurs débours et de leur prise en charge ;

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions en sens contraires.

Elle fait valoir en premier lieu que ses demandes sont recevables, les parties ayant toujours la possibilité en cause d'appel de compléter leur argumentation en présentant des moyens nouveaux, notamment la responsabilité du fait des produits défectueux.

Elle expose que la prothèse gauche s'est rompue deux ans et quatre mois après la mise en place de l'implant au regard des douleurs dénoncées par ses soins ; que si le risque de rupture d'une prothèse est connu et a été signalé avant l'intervention, le délai dans lequel le dommage est survenu est anormal, l'expert judiciaire retenant que la réalité clinique laissait espérer une durée de vie de 5 à 12 ans. Elle rappelle que l'expert a écarté l'hypothèse d'une effraction de la prothèse lors de l'intervention d'implantation, il a exclu l'hypothèse d'une loge inadaptée à l'implant ainsi que l'usure normale de la prothèse compte tenu du délai dans lequel la rupture est intervenue, mais aussi l'existence d'un traumatisme non signalé par Mme [I]. Elle soutient que le docteur [X] affirme, sans émettre de doute, que la cause de la rupture de l'implant est le sous remplissage, ainsi que le défaut de soudure qui sont des défauts de fabrication dudit implant.

Elle estime que l'ensemble de ces données constitue des présomptions graves, précises et concordantes que la prothèse gauche implantée le 4 février 2015 était affectée d'un défaut, notamment au niveau de son enveloppe : le lien de causalité entre le dommage et la défectuosité du produit est établie.

Elle observe que l'intimée se contente d'indiquer que toutes informations avaient été données sur la possible défaillance de la prothèse qui a nécessairement une durée de vie limitée, celle-ci essayant même de se défausser sur les professionnels de santé qui doivent donner une information sur les risques et conséquences de rupture d'implants. Or, la défectuosité n'est pas liée à un risque ou une conséquence de la mise en place d'une prothèse, mais à la défectuosité de celle-ci.

Par conclusions déposées et notifiées le 25 avril 2024, la SAS Abbvie ayant absorbé la SASU Allergan France demande à la cour, au visa des articles 564, 700, 1363 du code de procédure civile, 1240, 1245-3 et suivants du code civil, L.6322-2, L.1111-2 et D.6322-30-1 du code de la santé publique, de :

- déclarer irrecevable la demande de Mme [I] fondée sur le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux en ce qu'il s'agit d'une prétention nouvelle ;

- à titre principal, confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes ;

- à titre subsidiaire, débouter Mme [I] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice esthétique temporaire et du préjudice d'agrément, et réduire les demandes de Mme [I] au titre des autres postes de préjudice, à de plus justes proportions ;

- condamner Mme [I] au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Rahon.

Elle soutient que la demande de condamnation sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux en cause d'appel est une prétention nouvelle qui n'a pas été débattue devant la juridiction de première instance, la privant de son droit à un procès équitable.

Sur le fondement de la responsabilité délictuelle, elle fait valoir que les prothèses mammaires litigieuses étaient conformes à la réglementation applicable au jour de leur implantation conformément à l'article L.5211-3 du code de la santé publique.

Elle ajoute que le chirurgien, et non le fabricant, est débiteur de l'obligation d'information de ses patients et que Mme [I] ne démontre pas en quoi l'information transmise par le fabricant (par les notices d'information notamment) au chirurgien aurait été défaillante.

Elle précise que contrairement à ce que prétend l'expert, la norme NF ISO 14607 n'est pas d'application obligatoire, et qu'il en ressort que le fabricant ne peut nullement préciser la durée de vie réelle d'un implant mammaire dès lors que plusieurs facteurs non contrôlés par le fabricant, peuvent être à l'origine d'une rupture ou d'un autre incident.

Elle conteste le caractère précoce de la rupture car selon le rapport de l'ANSM, une rupture confirmée 3 ans et 9 mois après l'implantation se situe dans la moyenne.

Elle observe que de nombreuses autres causes peuvent être à l'origine de la rupture de l'implant, que ni l'expert, ni Mme [I] ne parviennent à prouver que la rupture serait due à une faute caractérisée et certaine qui lui serait imputable.

Sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, elle fait valoir que la prothèse ne peut être qualifiée de défectueuse du fait de sa rupture dès lors que les informations sur cette possible rupture ont été délivrées à Mme [I] par son chirurgien ; que la rupture en elle-même n'est pas une preuve de la défectuosité du produit dès lors que ce risque a été mentionné dans la notice. En outre, elle précise que les prothèses ont une durée de vie limitée et qu'aucune durée de vie précise ne peut être établie, sachant que la rupture a été caractérisée avec certitude uniquement le 29 octobre 2018, soit 3 ans et 9 mois après son implantation.

Elle ajoute que la décision de l'ANSM du 19 avril 2019 portant interdiction de mise sur le marché, de distribution, de publicité et d'utilisation d'implants mammaires texturés, ainsi que le retrait de ces produits, a été prise en vertu du principe de précaution en raison d'une suspicion d'une possible corrélation entre l'implantation de prothèses texturées et l'apparition de lymphomes chez les femmes bénéficiant de ces dispositifs médicaux. La décision de retrait ne concerne pas les ruptures de prothèses ; en outre, la preuve d'un lien de causalité direct entre la défectuosité évoquée et le dommage n'est pas rapportée.

A défaut, elle invoque une cause d'exonération : l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation de la prothèse litigieuse.

Enfin, elle conteste l'existence des préjudice esthétique temporaire et préjudice d'agrément, et demande à réduire à de plus justes proportions, les demandes de Mme [I] au titre des autres postes de préjudice.

La Mutualité Fonction Publique Services Solsantis, la CPAM de la Nièvre et l'organisme Intériale centre de gestion du Ministère de la Justice n'ont pas constitué avocat.

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2024.

MOTIFS

Si Mme [I] sollicite dans le dispositif de ses conclusions l'annulation du jugement, il n'est toutefois invoqué aucun moyen à l'appui de cette demande. En effet, celle-ci n'invoque dans la partie discussion de ses écritures que des moyens tendant à l'infirmation du jugement.

- Sur la recevabilité des demandes de Mme [I] fondées sur le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux

Aux termes de l'article 563 du code de procédure civile, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumisses au premier juge.

L'article 564 du dit code énonce qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En l'espèce, la SAS Abbvie conteste dans ses dernières conclusions la recevabilité des demandes de Mme [I] fondées sur le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux en ce qu'il s'agit selon elle d'une prétention nouvelle. Elle soutient que cette demande n'a nullement été débattue devant la juridiction de première instance, la privant ainsi de son droit à un procès équitable ; que cette prétention nouvelle en cause d'appel est contraire aux principes énoncés à l'article 564 précité.

Or, les parties ont toujours la possibilité en cause d'appel d'invoquer des moyens nouveaux. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'une nouvelle demande au sens strict de l'article 564 du code de procédure civile puisque les demandes indemnitaires n'ont pas varié. Mme [I] n'a en effet pas modifié ses demandes de dommages et intérêts qu'elle fondait sur la responsabilité délictuelle, et qu'elle fonde devant la cour, sur la responsabilité du fait des produits défectueux.

Cette demande aux fins de voir déclarer les demandes de Mme [I] irrecevables ne sera pas retenue.

- Sur la responsabilité de la SAS Abbvie

Aux termes de l'article 1386-1 du code civil dans sa version applicable au litige, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.

L'article 1386-4 ancien énonce qu'un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation.

L'article 1386-9 ancien prévoit que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Selon l'article 1386-10 ancien, le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative.

L'article 1386-11 ancien énonce que le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :

1° qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;

2° que compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;

3° que le produit n'a pas été destiné à la vente ou toute autre forme de distribution ;

4° que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;

5° ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.

Selon l'article 1386-13 ancien, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.

Enfin, l'article 1386-14 ancien prévoit que la responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage.

La défectuosité doit être déterminée par une comparaison entre la sécurité attendue et la sécurité offerte. Les textes apportent des précisions sur cette sécurité : d'une part, elle doit être appréciée de manière abstraite, par référence au public en général et non par rapport à la victime en particulier ; d'autre part, il doit être tenu compte de toutes les circonstances.

Il appartient au demandeur de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre eux. La simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit cependant pas à établir son défaut et le lien de causalité de ce dernier avec le dommage (Cass. Civ. 1ère, 27 juin 2018 n°17-17.469). Cette preuve peut être rapportée "par des présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes". (Cass. Civ. 1ère, 18 octobre 2017 n°15-20.791).

En l'espèce, Mme [I] soutient que si le risque de rupture de la prothèse est connu et lui avait été signalé avant l'intervention, le délai dans lequel le dommage est survenu est totalement anormal ; qu'il existe au vu du rapport d'expertise, des présomptions graves, précises et concordantes que la prothèse gauche était affectée d'un défaut au niveau de son enveloppe ; que la cause de la rupture de l'implant est le sous remplissage ainsi que le défaut de soudure qui sont des défauts de fabrication dudit implant.

Les conclusions de l'expert judiciaire sont les suivantes :

'Un faisceau d'arguments permet d'affirmer le caractère prématuré de la rupture de l'implant mammaire gauche chez Madame [I].

Est imputable à cette rupture d'implant mammaire gauche, la symptomatologie sus-décrite pour la période s'étendant de juin 2017 à décembre 2018. (...)

Les prothèses mammaires Allergan implantées chez Madame [I] ne sont pas conformes à la norme ISO 14607 (obligation de fournir une estimation de la durée de vie'.

L'expert a exposé dans la partie 'discussion médico-légale' que les implants mammaires étaient des dispositifs médicaux soumis à une usure normale ; qu'il était classique de considérer que leur durée de vie pouvait varier de 5 à 15 ans, période au-delà de laquelle il convenait d'en réaliser l'ablation ou de les remplacer ; que chez Mme [I], la symptomatologie douloureuse avait débuté au bout de 2 ans et 4 mois, ce qui était inférieur à la durée minimale classiquement reconnue.

Il a également indiqué que les prothèses Allergan ne respectaient pas la norme ISO 14607 car les indications sur la durée de vie attendue des implants étaient introuvables, et que Mme [I] en tout état de cause, ne les avait pas reçues.

L'expert a précisé qu'à leur examen, les implants présentaient un aspect jaune clair et à la palpation, il était noté un certain degré de perspiration ; que toutefois, leur inspection correspondait davantage à des dispositifs médicaux implantés depuis une période plus longue; que l'implant droit était intact et l'implant gauche présentait un signe de faiblesse avec déchirure à type de ligne discontinue à la jonction du dôme de la prothèse et de sa face postérieure ; que le gel cohésif était expulsé de la prothèse à la pression, mais qu'il réintégrait l'enveloppe lorsqu'on relâchait cette pression ; qu'il y avait eu donc contact entre le gel contenu dans le dispositif médical et la capsule péri-prothétique sans issue de gel dans la loge.

Il a observé que plusieurs mécanismes pouvaient être à l'origine de la rupture de l'implant :

- l'usure normale, mais que dans le cas présent, on était en deçà des limites acceptables ;

- un traumatisme, non signalé par Mme [I] ;

- une loge inadaptée à l'implant, mais qu'il s'agissait là d'un changement avec remplacement par un implant morphologiquement identique avec agrandissement de la loge ;

- une détérioration de l'implant à sa mise en place en février 2015 ou lors de son retrait en 2018, hypothèse qualifiée de fort peu probable compte tenu des qualités du praticien exerçant en centre anti-cancéreux et pratiquant essentiellement des reconstructions mammaires ; que ce geste se faisait généralement sans qu'il n'y ait besoin de forcer sur l'implant mammaire lors de son introduction.

Il a ajouté s'agissant du diagnostic radiologique par échographie et IRM de la rupture de l'implant mammaire gauche, que si ces bilans étaient parfois entachés de faux positifs, la symptomatologie douloureuse, puis l'augmentation de volume préopératoire, ainsi que les constatations peropératoires confirmaient la rupture de l'implant et corroboraient le résultat du bilan radiologique ; que cette rupture était fortement prématurée puisque survenue vraisemblablement au moment de l'apparition de la symptomatologie, c'est à dire 2 ans et 4 mois après la mise en place de l'implant.

La SAS Abbvie se prévaut du rapport de l'ANSM de mai 2014 sur 'l'Evaluation de l'utilisation des implants mammaires en silicone (hors PIP) en France 2010-2013" : elle soutient qu'il en résulte que la rupture d'une prothèse peut survenir en moyenne entre 3,6 ans et 11,6 ans après l'implantation, et qu'ainsi, il est faux de prétendre que la rupture de la prothèse de Mme [I] intervenue à 3,9 ans serait en deça des limites normales.

Ledit rapport de l'ANSM mentionne que 'sur la base des déclarations de matériovigilance, pour l'ensemble des fabricants, le délai moyen entre la pose de l'implant et la découverte de la rupture est de 7,6 ans (écart-type + ou - 4 ans)'. En page 14 de ce rapport, il est toutefois observé que ces données de matériovigilance peuvent présenter un biais de sous-déclaration. Et en page 20, il est indiqué que toutes les ruptures ne sont pas déclarées, celles qui le sont, sont souvent celles perçues par les déclarants comme 'anormales' car survenant avant les 10 ans d'implantation considérée comme la durée médiane de vie habituelle d'un implant mammaire en silicone.

En réponse au dire de la SAS Abbvie, l'expert a d'ailleurs répondu que le rapport de l'ANSM présentait un important biais dans le recueil des données puisque de manière générale, peu de praticiens déclaraient les ruptures, et que le plus souvent il s'agissait de ruptures précoces car anormales aux yeux des chirurgiens ; que la durée de vie d'un implant de seulement 3 ans et 6 mois, relevée dans le rapport et qualifiée de normale par la SAS Abbvie, ne correspondait pas à la réalité clinique (5 à 15 ans) ; qu'en outre les premiers symptômes imputables avaient été identifiés en juin 2017 et leur date d'apparition avait été exprimée très clairement et à plusieurs reprises par Mme [I].

La SAS Abbvie soutient également que rien ne démontrait que Mme [I] n'aurait pas subi un choc traumatique.

Or, il est mentionné dans le rapport au niveau des doléances de la patiente, des périodes algiques pré et post-opératoires s'étendant de juin 2017 à fin décembre 2018 ; qu'elle n'a pas signalé de pratique sportive particulière antérieurement à la mise en place des prothèses et elle n'a jamais signalé lors de son parcours de santé après l'implantation des prothèses l'existence d'un choc ou d'un traumatisme violent au niveau de la poitrine. La SAS Abbvie n'apporte aucune preuve contraire sur ces différents points, sachant que Mme [I] ne peut rapporter la preuve d'un fait négatif, à savoir le fait de ne pas avoir subi de choc.

L'intimée conteste ensuite l'exclusion par l'expert, au niveau des causes de la rupture, d'une loge inadapté ou de la détérioration de l'implant par le chirurgien. Or, en réponse à un dire de la SAS Abbvie, l'expert a conclu que les compte-rendus opératoires figuraient en pièces jointes ; que celui de février 2015 ne relevait aucun problème technique lors de la mise en place des implants incriminés ; qu'en outre, le changement s'effectuait pour des prothèses de même volume et qu'il avait été réalisé un agrandissement des loges, gage normalement d'une meilleure longévité. Il a d'ailleurs persisté dans son analyse quant aux causes de la rupture de l'implant suite au dire, en répondant que les causes classiques, à savoir traumatisme violent, détérioration lors de la mise en place, loge inadaptée, étaient fort peu probables ; que le sous-remplissage et le défaut de soudure pouvaient par contre être retenus, ce qui caractérisait un défaut de fabrication de l'implant susceptible d'expliquer la rupture précoce.

Si la date de la rupture n'est pas clairement établie, l'expert faisant état des doléances de la patiente à partir de juin 2017, il convient d'observer que Mme [I] s'est plainte auprès la SAS Abbvie dans un courrier du 18 septembre 2018 que ' début juillet 2018 des douleurs sont apparues au niveau du sein droit et gauche puis au niveau du bras droit, début août un gonflement du sein gauche est survenu'. Il n'est pas contesté que Mme [I] a consulté son médecin traitant en juin 2018 qui lui a alors prescrit des bilans radiologiques qu'elle a effectués en août 2018, ceux-ci ayant conduit à l'opération chirurgicale du 29 octobre 2018. Dans ces circonstances, la rupture de la prothèse est intervenue a minima en juin 2018, soit 3 ans et un peu plus de 3 mois après l'implantation du 4 février 2015.

L'ensemble des données qui précèdent constituent des présomptions graves, précises et concordantes que la prothèse gauche implantée le 4 février 2015 était affectée d'un défaut et n'a ainsi pas présenté la sécurité à laquelle Mme [I] pouvait s'attendre ce qui a entraîné sa rupture prématurée.

La circonstance que la prothèse soit en conformité avec les normes de mise en circulation est indifférente au regard des textes précités, d'autant que cela n'exclut pas un défaut de fabrication isolé non perçu lors du contrôle qualité.

De même, le fait que la notice mentionne que les implants ont une durée de vie limitée devant conduire à retirer ou remplacer l'implant, ou le fait que Mme [I] a indiqué avoir été correctement informée des modalités et risques encourus lors de la mise en place de l'implant par son médecin, n'a pas de conséquence sur la constatation que la prothèse mammaire gauche s'est rompue dans un délai inhabituellement court en n'offrant pas la sécurité à laquelle la patiente pouvait légitimement s'attendre, répondant dès lors à la définition de la défectuosité d'un produit. En effet, Mme [I] pouvait s'attendre légitimement à garder ses prothèses mammaires pendant plus de trois ans.

Faute pour la SAS Abbvie de rapporter la preuve que la rupture est imputable au fait de la victime ou d'un tiers, et la preuve d'un des cas d'exonération prévus par l'article 1386-11 ancien du code civil, elle est responsable de plein droit des préjudices subis par Mme [I] à la suite de cette rupture, et sera tenue d'indemniser l'intégralité du préjudice en résultant.

- Sur la réparation des préjudices de Mme [I]

- sur les préjudices extra-patrimoniaux temporaires

le déficit fonctionnel temporaire

Il inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.

L'évaluation des troubles dans les conditions d'existence tient compte de la durée de l'incapacité temporaire, du taux de cette incapacité, des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité.

Mme [I] sollicite une somme de 667,50 euros, en retenant une base d'indemnisation de 900 euros par mois et les périodes retenues par l'expert.

La SAS Abbvie conclut que l'indemnité relative au déficit fonctionnel temporaire est en principe calculée sur la base de la moitié du SMIC net en 2022, soit la somme de 650 euros par mois, et elle aboutit après calcul, à une somme totale de 482,08 euros.

La date de consolidation de la victime a été fixée au 14 décembre 2018.

L'indemnité de Mme [I] sera établie sur une base de 30 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire total.

L'expert a retenu les périodes suivantes :

- DFT total : du 28 au 30 octobre 2018, soit 3 jours ;

- DFT partiel de 50 % : du 31 octobre au 30 novembre 2018, soit 31 jours ;

- DFT partiel de 25 % du 1er décembre au 14 décembre 2018, soit 14 jours.

Une indemnité de 660 euros (90 + 465 + 105) sera allouée à ce titre.

les souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, hospitalisations qu'elle a subis depuis l'accident jusqu'à la consolidation.

Mme [I] sollicite une somme de 5 000 euros en raison selon elle, des séquelles et du préjudice moral qu'elle a subi.

La SAS Abbvie soutient que ce préjudice doit être évalué selon l'unique période du jour de l'accident jusqu'au jour de sa consolidation ; qu'ainsi l'unique période à prendre en compte serait celle de mai à novembre 2018, période prise en compte par l'expert dans son rapport préliminaire ; qu'aucun document justificatif n'est versé aux débats attestant de l'apparition de ces douleurs en juin 2017.

Il convient dans un premier temps de rappeler que ce poste concerne la période se situant avant la consolidation, soit avant le 14 décembre 2018. Dans ces conditions, la pièce n°38 datée du 31 janvier 2024 faisant état d'une éventuelle fibromyalgie est sans lien avec ce poste de préjudice.

Dans la partie relative au rappel des faits, l'expert a indiqué qu'en juin 2017, une symptomatologie douloureuse localisée au sein gauche dans les quadrants latéraux, à type de décharge électrique était apparue ; que les douleurs avaient évolué rapidement et s'étaient étendues vers la partie supérieure du sein et l'épaule gauche (douleurs proxystiques majorées par l'antépulsion ou l'élévation du bras) ; que ces douleurs se modifiaient encore pour prendre la forme de brûlure intéressant les quadrants supérieurs et inférieurs ; que le sein était encore morphologiquement normal.

En mai 2018, un gonflement du sein gauche accompagné par des algies était apparu.

Mme [I] avait consulté son médecin traitant en juin 2018 qui avait prescrit un bilan paraclinique : une échographie réalisée le 23 août 2018 et une IRM réalisée le 31 août 2018 ; que ces examens permettaient de suspecter une rupture de l'implant gauche (rupture intracapsulaire avec épanchement).

L'intervention chirurgicale a été réalisée le 29 octobre 2018. Elle a été en arrêt de travail jusqu'au 14 décembre 2018, et ce, en relation avec la symptomatologie douloureuse qui a diminué puis disparu en fin d'année 2018.

L'expert a conclu sur ce poste de préjudice en ces termes :

'- de juin 2017 à mai 2018 : 0,5

- de juin 2018 au 29 octobre 2018 : 1

- du 30 octobre au 14 décembre 2018 : 0,5".

Lors de l'examen de la responsabilité de la SAS Abbvie, il a été mentionné que la date de la rupture n'était pas clairement établie, mais qu'a minima, elle pouvait être fixée au mois de juin 2018. Il n'est en effet versé aucune pièce médicale attestant de ces douleurs avant cette date, Mme [I] ayant elle-même écrit dans un courrier du 18 septembre 2018 adressé au fabricant des prothèses que ' début juillet 2018 des douleurs sont apparues au niveau du sein droit et gauche puis au niveau du bras droit, début août un gonflement du sein gauche est survenu'.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, les souffrances physiques et morales endurées jusqu'à la consolidation seront indemnisées à hauteur de 2 500 euros.

le préjudice esthétique temporaire

L'expert a retenu l'existence de ce poste de préjudice du mois de mai au 30 octobre 2018 et l'a chiffré à 0,5 sur 7.

Mme [I] sollicite une somme de 2 000 euros à ce titre, faisant valoir que sur le plan morphologique, elle a eu à subir le gonflement de son sein gauche à partir de mai 2018 jusqu'au 30 octobre 2018, date de l'ablation et de changement des implants ; que ce gonflement a occasionné une différence visuelle de volume entre les deux seins.

La SAS Abbvie conteste l'existence de ce poste de préjudice dès lors qu'aucune photo n'a été communiquée par la victime.

Il s'agit toutefois de l'un des symptômes ayant conduit Mme [I] à se rendre chez son médecin traitant, outre les douleurs ressenties. L'existence de poste de préjudice n'est pas discutable malgré l'absence de photographie. Une somme de 1 000 euros sera octroyée à ce titre.

- sur les préjudices extra-patrimoniaux permanents

le préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice répare l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

La jurisprudence des cours d'appel ne limite pas l'indemnisation du préjudice d'agrément à l'impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisirs exercée antérieurement à l'accident. Elle indemnise également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités, ainsi que l'impossibilité psychologique de pratiquer l'activité antérieure.

L'appréciation se fait in concreto, en fonction des justificatifs, de l'âge, du niveau sportif.

Mme [I] sollicite une somme de 7 000 euros. Elle expose qu'avant la période de juin 2017, elle exerçait la marche d'agrément à raison de deux trajets par jour pendant 5 jours par semaine afin d'amener son fils à l'école ; qu'elle pratiquait également le footing toutes les semaines ; qu'elle s'occupait de son enfant âgé de 4 ans ; qu'à partir de juin 2017, elle a été privée de tout cela.

La SAS Abbvie conclut au rejet de cette demande : elle fait valoir que la marche pour récupérer son enfant à l'école et la tâche quotidienne de s'occuper de ce dernier ne relèvent pas du préjudice d'agrément puisqu'il ne s'agit pas d'activité sportive ou de loisirs ; qu'en outre la seule preuve produite est une attestation sur l'honneur établie par Mme [I] elle-même.

L'expert a retenu un préjudice d'agrément en indiquant 'marche d'agrément de juin 2017 à décembre 2018".

Néanmoins, le préjudice d'agrément est un préjudice post-consolidation : Mme [I] explique avoir été privée de son activité de marche ou de footing, ou encore de pouvoir s'occuper de son petit garçon sur la période antérieure à sa consolidation fixée au 14 décembre 2018. Cette simple constatation suffit à rejeter la demande.

La demande sera rejetée.

le préjudice sexuel

Ce préjudice recouvre trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : l'aspect morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels, le préjudice lié à l'acte sexuel (libido, perte de capacité physique, frigidité), et la fertilité (fonction de reproduction).

Mme [I] sollicite l'octroi d'une somme de 8 000 euros. Elle fait valoir qu'elle a subi une altération de la libido de juin 2017 à décembre 2018 soit pendant plus de 18 mois, qu'elle n'avait pas de désir ou d'envie sexuelle ; que les relations avec son époux ont été fortement perturbées pendant cette période.

La SAS Abbvie observe que les relations avec son époux auraient été perturbées a priori de mai à octobre 2018, correspondant à la période du gonflement de sa poitrine, soit durant cinq mois ; qu'en outre, un seul aspect de la fonction sexuelle aurait été touché, à savoir l'altération de la libido. Elle conclut à une demande d'indemnisation disproportionnée.

L'expert a retenu l'existence de ce préjudice en mentionnant 'altération de la libido de juin 2017 à décembre 2018".

Toutefois, ici encore, les explications de Mme [I] conduisent à conclure que les préjudices dont elle se plaint concernent la période antérieure à la consolidation.

La Cour de cassation a rappelé que le poste de préjudice de déficit fonctionnel temporaire, qui répare la perte de qualité de vie de la victime et des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique, intègre le préjudice sexuel subi pendant cette période (Civ., 2ème, 11 décembre 2014, n° 13-28.774), et le préjudice d'agrément temporaire (Civ.,2ème, 5 mars 2015, n° 14-10.758). La cour a retenu une indemnisation du poste de déficit fonctionnelle sur la base de 30 euros par jour, afin de tenir compte de ces éléments.

La demande formée en tant que telle au titre du poste 'préjudice sexuel' sera donc rejetée.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant principalement à l'instance, la SAS Abbvie sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui incluront les frais d'expertise judiciaire et de référé.

Elle sera en outre condamnée à payer une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles en application des dispositions de l'article 700 du code civil.

PAR CES MOTIFS,

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt de défaut et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau :

Déclare recevables les demandes d'indemnisation formées par Mme [V] [T] épouse [I] fondées sur la responsabilité du fait des produits défectueux ;

Déclare la SAS Abbvie ayant absorbé la SASU Allergan France dans le cadre d'une fusion avec effet au 1er novembre 2022, responsable de la rupture prématurée de la prothèse mammaire gauche implantée sur la personne de Mme [V] [T] épouse [I] le 4 février 2015 ;

Condamne la SAS Abbvie à payer à Mme [V] [T] épouse [I] les sommes suivantes au titre du préjudice en résultant :

- déficit fonctionnel temporaire : 660 euros ;

- souffrances endurées : 2 500 euros ;

- préjudice esthétique temporaire : 1 000 euros ;

soit un total de 4 160 euros ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la SAS Abbvie à payer à Mme [V] [T] épouse [I] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Abbvie aux dépens de première instance et d'appel, qui incluront les frais d'expertise judiciaire et de référé.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 23/01071
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;23.01071 ?
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