COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°253
DU : 22 Mai 2024
N° RG 23/00409 - N° Portalis DBVU-V-B7H-F65K
ACB
Arrêt rendu le vingt deux Mai deux mille vingt quatre
décision dont appel : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de Clermont-Ferrand, décision attaquée en date du 07 Janvier 2014, enregistrée sous le n° 12/04541
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Anne Céline BERGER, Conseiller
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
OGEC AUVERGNE [5]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentants : Me Sandrine LEGAY de la SELARL AUVERJURIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et Me Gérard LEGRAND de la SELAS Fiducial Legal by LAMY, avocat au barreau de LYON
APPELANT
ET :
M. [J] [R]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
et
S.A.R.L. AUVERGNE AUDIT LEGAL (AUV'AL) venant aux droits de la société ADM CONSEIL
immatriculée au RCS de Cusset sous le numéro 194 408 354
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
Représentant : Me Jean-michel DE ROCQUIGNY de la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉS
DEBATS : A l'audience publique du 13 Mars 2024 Madame BERGER a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 15 Mai 2024.
ARRET :
Prononcé publiquement le 22 Mai 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits, procédure et prétentions des parties :
Les associations OGEC du [3], OGEC d'[2], OGEC de [6] et AEL [4] avaient chacune vocation à assurer en toute indépendance la gestion d'établissements catholiques d'enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat.
Le 20 février 2002 l'association AEL [4] a absorbé l'association OGEC d'[2].
Un rapprochement entre les autres associations a également été opéré et a abouti à la création, le 16 juillet 2008, de l'AEL Auvergne [5], désormais dénommée OGEC Auvergne [5].
Le 24 mars 2009, un traité d'apport partiel d'actif a été régularisé entre l'AEL [4] et l'AEL Auvergne [5] aux termes duquel l'AEL [4] a procédé à l'apport de la branche complète et autonome de son activité d'enseignement.
A l'occasion de l'arrêté des comptes de l'exercice clos au 30 août 2009 de l'AEL [4], l'existence d'opérations susceptibles de présenter des anomalies a été révélée.
En février 2010, le directeur de l'établissement, M. [M], a été licencié pour faute grave et une plainte avec constitution de partie civile a été déposée devant le doyen des juges d'instruction de Clermont-Ferrand du chef d'abus de confiance.
Estimant que M. [J] [R] et la SARL ADM Conseil, commissaires aux comptes de l'AEL Auvergne [5] et de l'AEL [4] ont manqué à leurs obligations, l'OGEC Auvergne [5] les a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand par acte d'huissier de justice du 15 novembre 2012.
Par jugement du 4 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand a :
- déclaré l'action de l'association OGEC Auvergne [5] irrecevable;
- débouté M. [R] et la SARL ADM Conseil de leur demande de dommages-intérêts ;
- condamné l'OGEC Auvergne [5] à payer à M. [R] et à la SARL ADM Conseil la somme de 1 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné l'OGEC Auvergne [5] aux entiers dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 12 mars 2014, l'association OGEC Auvergne [5] a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt contradictoire du 7 octobre 2015, la cour d'appel de Riom a :
- confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'action de l'association OGEC Auvergne [5] irrecevable en ce qui concerne les manquements reprochés aux commissaires aux comptes à l'occasion du traité d'apport partiel d'actif du 24 mars 2009 ;
- réformé le même jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en réparation dirigée par l'association OGEC Auvergne [5] à l'encontre de M. [R] et de la SARL ADM Conseil au titre du préjudice résultant des détournements imputés à M. [I] [M] ;
- sursis à statuer sur la demande présentée à ce titre de même que sur la demande en paiement de dommages et intérêts formée par M. [R] et de la SARL ADM Conseil dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction répressive sur les détournements imputés à M. [M] et qui font l'objet de l'information portant le n° 1/10/13 ouverte devant le juge d'instruction de Clermont-Ferrand ;
- dit que l'affaire sera retirée du rôle et qu'elle y sera réinscrite à l'initiative de la partie la plus diligente ;
- rappelé qu'il appartiendra aux parties de requérir un nouveau sursis à statuer si le terme fixé n'était pas atteint dans le délai de péremption de l'action civile ;
- réservé les dépens et les demandes présentées au titre des frais irrépétibles.
Par arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Riom en date du 4 juillet 2019, M. [M] a été déclaré coupable d'abus de confiance commis entre le 21 janvier 2007 et le mois de décembre 2009 au préjudice de l'association OGEC Auvergne [5]. La constitution de l'OGEC Auvergne [5] a été déclarée recevable.
Par jugement du 10 mars 2020 rendu par défaut à l'encontre de M. [M], le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand a condamné ce dernier à payer à l'association OGEC Auvergne [5] la somme de 719'784,80 euros. Celui-ci a formé opposition à ce jugement.
Par ordonnance du 26 novembre 2020, le juge de la mise en état de la chambre commerciale de la cour d'appel de Riom, statuant sur incident, a :
- ordonné le sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué dans le cadre de la procédure sur intérêts civils pendante entre l'OGEC Auvergne [5] et M. [M] par une décision non susceptible de recours suspensif ;
- ordonné le retrait du rôle,
- dit qu' à l'expiration du sursis l'instance sera reprise à l'initiative de la partie la plus diligente;
- réservé les dépens et demandes en indemnités pour frais irrépétibles.
Par arrêt du 1er juin 2022, la cour d'appel de Riom a condamné M. [M] à payer à l'association OGEC Auvergne [5] la somme de 871 693,42 euros.
Par voie de conclusions en date du 22 février 2023, l'association OGEC Auvergne [5] a sollicité la réinscription de l'instance au rôle.
Par conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 9 novembre 2023, l'association OGEC Auvergne [5], au visa des articles L.612-1, L.823-10 et suivants et L.822-17 du code de commerce, demande à la cour de :
- juger que M.[R] et la société Auvergne Audit Légal (AUV'AL) venant aux droits de la SARL ADM Conseil ont manqué aux obligations leur incombant en leur qualité de commissaire aux comptes de l'association OGEC Auvergne [5], notamment, en ce qu'ils ont fait preuve de carence, en n'effectuant aucune diligence qui aurait permis de faire échec à l'appropriation injustifiée de fonds ;
- condamner M. [R] et la société Auvergne Audit Légal (AUV'AL) venant aux droits de la SARL ADM Conseil à l'indemniser de l'ensemble de ces sommes, à hauteur de la somme de 871.693,42 euros correspondant à
'163.346,81 euros correspondant aux détournements se rapportant aux rémunérations et primes octroyés par M. [M] en sa qualité de directeur du lycée [4] ;
' 604.497,81 euros correspondant aux détournements commis au titre des rémunérations et primes octroyés par M. [M] en qualité de directeur de l'internat de la résidence de la Salle ;
' 95.348,80 euros correspondant aux détournements résultant d'achats et frais engagés à des fins strictement personnelles par M. [M] et supportés par l'OGEC Auvergne [5] ;
- lui donner acte de ce qu'elle a recouvré une somme de 761.508,61euros, en
réparation du préjudice subi, auprès de M. [M] ;
- en conséquence, condamner M. [R] et la société Auvergne Audit Légal (AUV'AL) venant aux droits de la SARL ADM Conseil à lui payer la somme résiduelle de 112.184,81euros, en principal, outre intérêts et sauf à parfaire ;
- condamner M. [R] et la société Auvergne Audit Légal (AUV'AL) venant aux droits de la SARL ADM Conseil à payer à l'OGEC Auvergne [5] une somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [R] et la société Auvergne Audit Légal (AUV'AL) venant aux droits de la SARL ADM Conseil aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Sandrine Legay, avocat au barreau de Riom sur son affirmation de droit.
L'appelante fait valoir que M. [R] et la SARL ADM Conseil ont manqué à leurs obligations professionnelles en ne contrôlant pas la régularité, la sincérité et la fidélité des documents comptables afin de s'assurer de l'absence d'anomalies et en s'abstenant de procéder à un minimum d'investigations en s'assurant de l'existence des supports et autorisations préalables à tout versement de prime et augmentations versées à M. [M]. Elle souligne que les différents détournements opérés par l'association OGEC Auvergne [5] l'ont été au mépris d'un ensemble contractuel qui aurait dû alerter le commissaire aux comptes dès lors qu'ils étaient sans cohérence avec le contrat de travail de M. [M], son statut de chef d'établissement, les dispositions applicables aux associations et les statuts des associations dont il assurait la direction qui prévoyaient le respect de votes par le conseil d'administration et l'assemblée générale. L'association OGEC Auvergne [5] sollicite donc l'indemnisation de son préjudice et rappelle, à cet égard, que la responsabilité professionnelle de commissaires aux comptes ne présente pas de caractère subsidiaire.
Par conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 12 février 2024, M. [R] et la société Auvergne Audit Légal (AUV'AL) venant aux droits de la SARL ADM Conseil demandent à la cour de :
- confirmer le jugement querellé en ce qu'il avait débouté Auvergne [5] de toutes demandes, fins et conclusions, à leur encontre ;
- y ajoutant, de condamner l'association OGEC Auvergne [5] au paiement d'une indemnité de 10.000 euros supplémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'association OGEC Auvergne [5] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [R] et la société Auvergne Audit Légal soutiennent qu'ils n'ont commis aucune faute ou négligence et qu'ils ont parfaitement rempli les devoirs de leur charge dans les limites que leur a imposé leur mandant. A titre subsidiaire, ils relèvent que l'association OGEC Auvergne [5] n'a pas épuisé tous les recours à l'encontre de M. [M] et qu'il n'est ainsi pas justifié que la somme résiduelle ne serait pas susceptible d'être recouvrée auprès de ce dernier.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 15 février 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la responsabilité de M. [R] et la SARL ADM Conseil :
- sur l'étendue du mandat confié à M. [R] et à la SARL ADM Conseil :
L'OGEC Auvergne [5] affirme que M. [R] et la SARL ADM Conseil avaient, depuis le 22 décembre 1999, la qualité de commissaire aux comptes au sein de l'AEL Auvergne [5] (désormais OGEC Auvergne [5]), de l'AEL [4] et également de l'association résidence de la Salle.
De leur côté, les intimés affirment que leur mandat, au moment des fait litigieux, ne concernait que l'OGEC Auvergne [5] et l'AEL [4].
Aucun contrat n'est versé aux débats pour établir l'étendue du mandat confié à M. [R] et la SARL ADM Conseil.
Les factures produites aux débats étaient adressées par la SARL ADM Conseil à l'OGEC Auvergne [5] en 2008 et jusqu'au mois de juin 2009 à ' [4]-gestion scolaire' puis à compter de juillet 2009 à' ensemble scolaire [5]'.
Enfin, le rapport établi le 31 mai 2010 par la SARL ADM Conseil ne concerne que l'AEL Auvergne [5].
Dès lors, il n'est ainsi pas établi par l'appelante, qui en supporte la charge de la preuve, que M. [R] et la SARL ADM Conseil avaient également la qualité de commissaire aux comptes de l'association résidence de la Salle
- sur les manquements reprochés à M. [R] et la société Auv'al venant aux droits de la SARL ADM Conseil :
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui
un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
L'article L. 822-17 du code de commerce dispose que les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions.
Au regard de ces textes, il incombe à l'OGEC Auvergne [5], qui invoque la faute du commissaire aux comptes, de démontrer celle-ci et le lien de cette faute avec le préjudice résultant des détournements commis à son détriment.
Aux termes des articles L.823-9, L.823-10 et L.823-12 du code commerce, les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leur appréciation, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de l'exercice. Ils ont pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur. Ils doivent signaler les irrégularités et inexactitudes à l'organe compétent et les faits délictueux dont ils ont connaissance au procureur de la République.
Le commissaire aux comptes a l'obligation de constituer un dossier. La norme d'exercice professionnel relative à la documentation de l'audit des comptes, homologuée par arrêté du 10 avril 2007 (JORF du 3 mai 2007), indique que « le commissaire aux comptes fait figurer dans son dossier les documents qui permettent d'étayer l'opinion formulée dans son rapport et qui permettent d'établir que l'audit des comptes a été réalisé dans le respect des textes légaux et réglementaires et conformément aux normes d'exercice professionnel ». Sur la forme, la norme précise notamment que la documentation doit être formalisée sur un support papier, un support électronique ou tout support permettant de conserver l'intégralité des données lisibles pendant la durée légale de conservation des dossiers. Le contenu du rapport du commissaire appelé à statuer sur les comptes est fixé par décret en Conseil d'Etat. L'article R.823-7 précise les mentions requises dans ce rapport.
L'OGEC Auvergne [5] soutient que M. [R] et la SARL ADM Conseil n'ont pas satisfait à leurs obligations eu égard aux agissements de M. [M] en ne procédant à aucune vérification quant à l'existence et au contenu de toute convention permettant ainsi à M. [M] de s'octroyer une double voire triple rémunération, en ne procédant pas à un minimum d'investigations quant à son contrat de travail et en ne s'assurant pas de l'existence des supports et autorisations préalables à tout versement de prime ou augmentation. Elle met en exergue le fait que les intimés ne démontrent aucun contrôle, aucune vérification et l'absence de communication du dossier de contrôle qui constitue un impératif légal.
De leur côté, M. [R] et la société Auv'al venant aux droits de la SARL ADM Conseil font valoir qu'au moment des faits litigieux c'était le service comptable de l'OGEC qui effectuait l'enregistrement des documents, celle-ci ne s'étant pas assurée avant 2009 du concours d'un expert-comptable extérieur. Ils récusent avoir pu commettre dans l'exercice de leurs fonctions de commissaire aux comptes des négligences ayant pu permettre l'accomplissement des malversations dont M. [M] s'est rendu coupable.
Sur ce ,
La cour observe qu'il ressort de l'arrêt de la chambre correctionnelle du 4 juillet 2019 que l'OGEC Auvergne [5] n'avait plus d'expert-comptable à partir de 1999 et qu'aucun contrôle interne n'avait été mis en place. En outre, l'association la résidence de la Salle n'avait pas de comptabilité propre.Elle émettait une note de frais non détaillée produite dans les comptes de l'AEL et figurant à la ligne « fonction logistique ».
Il est certain que cette situation comptable des deux structures, tenues en fait par M. [M], a permis la dissimulation et la poursuite des abus de ce dernier en matière salariale étant rappelé que le commissaire aux comptes n'a pas pour mission de présenter ou établir des comptes mais doit en vérifier la conformité par rapport aux règles légales. Si M. [R] et la SARL ADM Conseil ne peuvent être tenus pour responsables des déficiences internes concernant la tenue ou le contrôle de la comptabilité, néanmoins, cette absence d'expert-comptable n'est pas suffisante pour exonérer M. [R] et la société Auv'al venant aux droits de la SARL ADM Conseil de toute responsabilité et il convient d'examiner, pour chaque chef de préjudice, si M. [R] et la SARL ADM Conseil, au vu des comptes présentés par l'OGEC Auvergne [5] (et avant le traité de fusion du 24 mars 2009 par l'AEL [4] et l'AEL Auvergne [5] ), étaient en mesure d'appréhender les malversations commises par le directeur.
'' sur la rémunération du directeur, salaires et primes :
Il ressort des pièces produites que M. [M] percevait deux salaires, d'une part, en sa qualité de directeur de l'AEL Auvergne [5] et, d'autre part, en sa qualité de responsable de la résidence de la Salle .
S'agissant de sa rémunération en sa qualité de directeur de l'AEL, les pièces produites établissent que le salaire de M. [M] évoluait de la façon suivante à partir de 2002 (pièce 43) :
- 2002 : 89 475 euros net imposable
- 2003 : 89 617 euros (-128 euros)
- 2004 : 88 071 euros (- 1546 euros)
- 2005 : 97 149 (+ 9078 euros)
- 2006 : 100 335 euros (+3 186 euros)
- 2007 : 75 229 euros (- 25 106 euros)
- 2008 : 117 265 euros (+ 42 036 euros)
- 2009 : 107 729 euros (- 9 536 euros)
Ainsi, comme relevé par l'arrêt du 4 juillet 2019 de la chambre des appels correctionnels, il en résulte une augmentation de 30 % entre 2002 et 2008 et des variations à la hausse ou à la baisse totalement incohérentes.
Or, la procédure pénale a mis en évidence que les augmentations d'indice qui ont été accordées à M. [M] par les directeurs successifs de l'OGEC étaient uniquement signées de lui et du président de l'association mais sans le visa de l'autorité de tutelle (obligatoire en application du statut du chef d'établissement du second degré de l'enseignement catholique en date d'octobre 1999) et les documents produits en tout état de cause n'expliquaient pas les augmentations opérées de façon cohérente.
De même, il apparaît que des « primes exceptionnelles » très importantes ont été versées au directeur entre 2002 et 2009 (pièce 43) : en effet M. [M] a perçu entre 2002 et 2009 la somme globale nette de 89 500 euros nets en primes soit :
- août 2002 : 4 500 euros (aucun document justificatif)
- août 2003 : 5 000 euros (aucun document justificatif)
- juillet 2006 : 10 000 euros (document signé par M. [K], président de
l'OGEC)
- octobre 2008 : 15 000 euros (document signé par M. [K])
- décembre 2008 : 25 000 euros ( document de M. [K] du 16 octobre 2009 pour 10000 euros)
- mars 2009 : 15 000 euros (document signé par M. [K])
- juin 2009 : 15 000 euros (document signé par M. [K]).
De la même façon, la procédure pénale a établi que seul le conseil d'administration pouvait décider des primes versées au directeur sur sa proposition, conformément à son contrat et à son statut.
Dès lors, au regard de l'évolution de la rémunération du directeur, il appartenait au commissaire aux comptes de vérifier si les augmentations ainsi relevées étaient faites en conformité avec, d'une part, son contrat de travail et, d'autre part, les statuts des associations dont il assurait la direction qui prévoyait le respect de votes par le conseil d'administration et l'assemblée générale.
Or, hormis le dossier de contrôle établi pour l'exercice clos le 31 août 2009 suite aux difficultés relevées, M. [R] et la société Auv'al venant aux droits de la SARL ADM Conseil ne produisent aux débats aucune pièce établissant les contrôles, vérifications et sondages réalisés pour contrôler les comptes.
Au surplus, l'article 20 de la loi 2006-56 du 23 mai 2006 impose aux associations dont le budget est supérieur à 150 000 euros et qui perçoivent un montant de subventions supérieur à 50 000 euros de publier la rémunération des trois plus hauts cadres et des avantages qui leur sont consentis en nature. Il appartenait ainsi à M. [R] et la SARL ADM Conseil de certifier l'exactitude du montant global des rémunérations versées aux personnes les mieux rémunérées, ce dont il n'est pas justifié.
Il est ainsi justifié de négligences fautives de leur part.
' sur la rémunération du directeur en sa qualité de responsable de la résidence de la Salle'':
Il a été rappelé que M. [R] et la SARL ADM Conseil n'avaient pas pour mission de contrôler les comptes de cette association. Néanmoins il ressort des pièces produites que la résidence de la Salle facturait les charges d'internat à l'AEL dans une ligne intitulée ' fonctions logistiques'. Or, la rémunération de M. [M], en cette qualité, entre 1999 et 2009 a très fortement augmenté, son salaire annuel étant passé de 28 163 euros à 113 409 euros soit une augmentation de 450 % avec des augmentations très importantes à partir de 2003 atteignant 70'843 euros annuels en 2006, 107 281 euros en 2007, 138 901 euros en 2008 pour redescendre en 2009 à 113 409 euros. Par ailleurs, outre ce salaire, il a perçu des primes en sa qualité de directeur d'internat de 70 000 euros entre juin 2007et juin 2009.
À cet égard, il convient de souligner que le frère [N] [S], représentant l'autorité de tutelle des frères des écoles chrétiennes, dans son courrier du 22 avril 2008 adressé à M. [K] et M. [M] s'étonnait de certains points budgétaires et s'interrogeait notamment sur l'importance du poste des 'fonctions logistiques' en hausse de 24,4 % sur l'exercice précédent (pièce 27). Il est ainsi démontré que l'anomalie relative à cette ligne 'fonctions logistiques' aurait due être décelée par un professionnel.
Or, force est de constater que les intimés ne justifient pas avoir recherché la cause de cette importante augmentation et alerté l'association sur ce point alors que l'importance du poste 'fonction logitique' de l'AEL et sa très forte augmentation à compter du 31 décembre 2007 auraient dû attirer l'attention du commissaire aux comptes et le conduire à l'accomplissement de diligences complémentaires.
Une faute de ce chef sera donc également retenue.
' s'agissant des autres détournements reprochés à M. [M] :
- sur les divers remboursements de frais :
Il est établi par la procédure pénale que M. [M] a présenté, entre 2007 et 2009
(période hors prescription) des fiches de frais de déplacement pour un total de 57 463,80 euros, qu'aucun de ces déplacements n'était justifié, les remboursements ou avances de ces sommes étant obtenus sur de simples fiches sans justificatif.
Or, force est de constater que les intimés ne justifient par aucune pièce des sondages réalisés afin de vérifier ces frais. Il s'agit d'une négligence fautive, M. [R] et la SARL ADM Conseil ne prouvant pas avoir prodigué dans l'exercice de leur mission les diligences minimales attendues d'un professionnel prudent, attentif et avisé.
- sur les retraits d'espèces :
La chambre des appels correctionnels de Riom a retenu que M. [M] a procédé à des dépenses sans justificatif et au prélèvement de sommes importantes entre 2007 et 2009 sans justifier des dépenses réalisées pour un montant de 6 000 euros.
Cependant, il ne peut être reproché au commissaire aux comptes une vérification de ces frais, lesquels ressortaient avant tout d'un contrôle comptable.
- les cotisations de retraite PREFON :
M. [M] s'est octroyé une rémunération complémentaire afin de prendre en charge son contrat de retraite PREFON. Ces frais étaient pris en charge par l'association la résidence de la Salle pour un montant détourné de 11'838 euros par le biais d'une augmentation salariale sur directeur de la résidence de la Salle .
Néanmoins, M. [R] et la SARL ADM Conseil n'étaient pas le commissaire aux comptes de cette structure et hormis le défaut d'alerte qui a été établi concernant l'augmentation très importante des frais figurant à la ligne 'fonctions logistiques', l'OGEC Auvergne [5] ne justifie pas que les intimés pouvaient connaître le détail de la rémunération de M. [M] pour déceler cette anomalie.
- sur le règlement de la taxe d'habitation :
M. [M] s'est fait rembourser à partir de 1990 la taxe d'habitation afférente à son logement de fonction, soit pour la période hors prescription une somme de 4 500 euros.
Eu égard à la mission du commissaire aux comptes qui intervient sur la base de sondages et au montant relativement peu important de ce poste (1 533 euros pour 2009) il n'est pas suffisamment établi que M. [R] et la SARL ADM Conseil ont commis une faute en ne mettant pas en exergue cet abus de confiance du directeur. Aucune faute de ce chef ne sera également retenue.
- sur l'usage abusif et la vente du véhicule de service :
L'OGEC Auvergne [5] disposait d'un véhicule de service ( véhicule Golf immatriculé en 2004) dont M. [M], directeur, a fait un usage abusif. Il a été également établi qu'il a ensuite vendu ce véhicule, sans autorisation, à son gendre le 22 octobre 2008 au prix de 8 000 euros alors que ce véhicule était estimé au minimum à 10 000 euros au regard de sa cote argus.
Force est de constater que l'usage abusif de ce véhicule ne pouvait être décelé par le commissaire aux comptes. M. [R] et la SARL ADM Conseil justifient pour l'exercice du 1er septembre 2008 au 31 août 2009 des diligences accomplies (rapport général et spécial) mais cette irrégularité n'a pas été relevée.
Cependant, l'OGEC Auvergne [5] ne rapporte pas la preuve qu'un commissaire aux comptes diligent placé dans les mêmes circonstances aurait agi différemment des défendeurs. Il ne peut donc leur être fait grief de ne pas avoir alerté l'association de la vente litigieuse.
- sur les cours du soir :
Il ressort de la procédure pénale que M. [M] se faisait remettre depuis 2000 des sommes par un professeur de sciences physiques en contrepartie de cours du soir à des étudiants en médecine dispensés au sein de l'établissement, soit une somme totale de 13'560 euros. M. [M] encaissait ces sommes sur son compte personnel estimant qu'il assurait une responsabilité effective et qu'il rendait service.
Néanmoins, si la chambre des appels correctionnels a retenu un abus de confiance à l'encontre du directeur au regard de ce détournement d'argent, pour autant aucune faute ne peut être reprochée à M. [R] et à la SARL ADM Conseil, faute d'avoir pu avoir connaissance de ces encaissements réalisés sur le compte personnel de M. [M].
- sur le préjudice de l'association OGEC Auvergne [5] et le lien de causalité entre les fautes établies et les détournements constatés :
Il a été établi que M. [R] et la SARL ADM Conseil ont commis une faute dans l'exercice du mandat qui leur était confié en ne se conformant pas aux normes d'exercice professionnel. Ce défaut de vérification dans l'importance des rémunérations octroyées à M. [M] et dans les remboursements de frais au directeur a permis pendant de nombreuses années des abus importants. Un correct accomplissement de leurs devoirs professionnels aurait conduit à une découverte plus rapide des détournements et, à cet égard, le signalement des faits délictueux réalisés en décembre 2009 apparaît particulièrement tardif, des dysfonctionnements importants étant relevés dès l'année 2005.
A cet égard, il convient de relever que l'arrêt de la chambre des appels correctionnels du 4 juillet 2019 notait l'absence de dissimulation de la présentation des comptes annuels dans lesquels figuraient les rémunérations litigieuses et les remboursements de frais. M. [R] et la SARL ADM Conseil avaient donc tous les éléments pour s'interroger sur les anomalies constatées.
Il est établi par l'arrêt de la cour d'appel statuant sur intérêts civils du 1er juin 2022, que le préjudice subi par l'OGEC Auvergne [5] suite aux fautes directement imputables à M. [R] et à la SARL ADM Conseil s'établit comme suit:
- 163 346,81 euros au titre de la rémunération perçue par M. [M] au titre des salaires et primes en sa qualité de chef d'établissement du lycée [4] ;
- 604 497,81 euros au titre de la rémunération perçue par M. [M] au titre des salaires et primes en sa qualité de directeur d'internat ;
- 57 463,80 euros au titre des frais de déplacement
soit une somme totale de 825 308,42 euros.
L'OGEC Auvergne [5] justifie avoir recouvré la somme de 761 508,61 euros. Dès lors, le préjudice résiduel de l'OGEC Auvergne [5] imputable aux intimés s'élève à la somme de 63 799,81 euros. Ce préjudice est suffisamment établi. Au regard de l'importance de la somme recouvrée, l'OGEC justifie suffisamment des recours qu'elle a entrepris pour récupérer ce solde auprès de M. [M] et il ne peut lui être imposé de démontrer qu'aucune somme supplémentaire n'est susceptible d'être encaissée.
M. [R] et la société Auv'al venant aux droits de la SARL ADM Conseil seront donc condamnés à payer à l'OGEC Auvergne [5] la somme de 63 799,81 euros.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
M. [R] et la société Auv'al, qui succombent, seront condamnés aux dépens.
M. [R] et la société Auv'al seront également condamnés à payer à l'OGEC Auvergne [5] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Condamne M. [R] et la société Auv'al venant aux droits de la SARL ADM Conseil à payer à l'OGEC Auvergne [5] la somme de 63 799,81 euros en réparation de son préjudice ;
Condamne M. [R] et la société Auv'al venant aux droits de la SARL ADM Conseil à payer à l'OGEC Auvergne [5] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure pénale ;
Condamne M. [R] et la société Auv'al venant aux droits de la SARL ADM Conseil aux dépens.