COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°211
DU : 15 Mai 2024
N° RG 23/00340 - N° Portalis DBVU-V-B7H-F6XR
FK
Arrêt rendu le quinze Mai deux mille vingt quatre
décision dont appel : Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CUSSET, décision attaquée en date du 23 Janvier 2023, enregistrée sous le n° 20/00156
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
S.A.R.L. ALLIER COURTAGE
immatriculée au RCS de Montluçon sous le numéro 529 097 818
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentant : Me François xavier DOS SANTOS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
Mme [W] [I]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS
S.A.R.L. [I]
immatriculée au RCS de Clermont-ferrand sous le numéro 501 661 912
[Adresse 9]
[Localité 6]
Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS
La société ATLANTIS 63 immatriculée au RCS de Clermont-ferrand sous le numéro 485 356 422 dont le siège social est [Adresse 8], représentée par Maître [C] [R] de la SELARL [R], immatriculée au RCS de Clermont-ferrand sous le numéro 50 413 555, désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la société ATLANTIS 63 par jugement du Tribunal de Commerce de CLERMONT-FERRAND en date du 14/04/2022 demeurant en cette qualité [Adresse 4]
Non représentée, assignée à personne morale (personne habilitée)
CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE)
société anonyme d'un Etat membre de la CE immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 844 115 030
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentants : Me Henri ARSAC de la SCP ARSAC, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et Me Céline LEMOUX de la SELEURL CL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
DEBATS : A l'audience publique du 06 Mars 2024 Monsieur KHEITMI a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 15 Mai 2024.
ARRET :
Prononcé publiquement le 15 Mai 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure - demandes et moyens des parties :
La société par actions simplifiée (SAS) Aristophil ayant pour objet l'achat, la vente, l'expertise et le conditionnement de lettres historiques et de manuscrits, a constitué plusieurs indivisions portant sur des ensembles de lettres, manuscrits et objets anciens.
Les produits créés par la SAS Aristophil étaient notamment distribués par une société Atlantis 63, qui a elle-même conclu un contrat avec la SARL Allier Courtage, qualifiée d'« apporteur d'affaires ».
La SARL Allier Courtage a proposé au cours de l'année 2012, à Mme [W] [I] et à l'EURL [I], des investissements sous la forme d'achats de parts dans certaines des indivisions créées par la SAS Aristophil.
Suivant actes sous seing privé des 10 avril 2012, 13 septembre 2013 et 27 mars 2014, établis à la suite de ces propositions, l'EURL [I] a fait l'acquisition auprès de la SAS Aristophil de vingt parts de l'indivision '[O] [E]' pour un prix de 100 000 euros, et Mme [I] a acquis seize parts de l'indivision 'Correspondances des arts et des lettres' au prix de 24 000 euros, et deux parts de l'indivision « Florilège de Grands Manuscrits », pour le prix de 5 000 euros.
Aux mêmes dates, Mme [W] [I] et l'EURL [I] ont conclu avec la société Aristophil des contrats de garde et de conservation d'une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction pendant cinq ans, comportant la promesse unilatérale des indivisaires de revendre à la société Aristophil les parts qu'elles avaient acquises, le prix de rachat ne pouvant être inférieur au prix de vente initial, majoré de 8 ou de 8,50 % par an selon les contrats.
Le 16 février 2015, le tribunal de commerce de Paris a prononcé le redressement judiciaire de la SAS Aristophil, puis sa liquidation judiciaire le 5 août 2015.
Par actes d'huissier des 6 et 7 février 2020, Mme [W] [I] et l'EURL [I] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Cusset les sociétés Atlantis 63 et Allier Courtage, ainsi que la société CNA Insurance Company Limited assureur responsabilité de ces deux sociétés, afin de les voir condamner à les indemniser de leur préjudice.
Le 14 avril 2022, la société Atlantis 63 a été placée en liquidation judiciaire, suivant jugement du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand.
Par jugement du 23 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Cusset, statuant sur l'action de Mme [I] et de l'EURL [I], a :
- condamné in solidum la société Allier Courtage, et la société CNA Insurance Company Limited en sa qualité d'assureur de la société Atlantis 63, à payer à l'EURL [I] les sommes de 40 000 et de 6 000 euros, et à Mme [I] celles de 11 600 et de 1 522,50 euros en réparation de leurs préjudices financiers, avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2019, et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 ancien du code civil ;
- dit que la condamnation de la société CNA Insurance Company Limited s'exécutera dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicables à toutes les condamnations prononcées contre quelque tiers que ce soit, au titre des réclamations formulées au titre de la police FN 1925 au cours de l'année 2019, et après application de la franchise contractuelle de 3 000 euros par sinistre ;
- condamné la société CNA Insurance Company Limited à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de la société Allier Courtage, après application d'une franchise de 2 .000 euros par sinistre ;
- condamné in solidum les sociétés Allier Courtage et CNA Insurance Company Limited à payer à l'EURL [I] et à Mme [I] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le tribunal a notamment énoncé, dans les motifs du jugement, qu'aucune mention des actes contractuels proposés n'attirait l'attention des acquéreuses sur le risque de surévaluation des biens indivis formant l'objet de l'acquisition, les biens n'étant expertisés que par la société Aristophil elle-même ; qu'il existait déjà, dans les ventes en cause, de signaux propres à alerter le public et les professionnels sur la situation de la société Aristophil, et que la SARL Allier Courtage ne justifiait pas avoir donné aux acquéreuses des informations adaptées à la complexité du montage et à leur manque de connaissances juridiques.
Par déclaration du 24 février 2023, la SARL Allier Courtage a interjeté appel de cette décision.
La SARL Allier Courtage demande à la cour d'infirmer le jugement, et de rejeter toutes les demandes de Mme [I] et de l'EURL [I].
Elle fait valoir qu'il convient, pour vérifier les fautes qui lui sont reprochées, de se situer à la date des contrats en cause, à une période où les produits vendus par la société Aristophil ne faisaient l'objet d'aucune critique, et où les investisseurs étaient en recherche de nouveaux placements, à la suite de la crise financière de 2008 ; que le montage juridique de l'acquisition d''uvres en indivision a fait l'objet d'un acte notarié, sans que la responsabilité du notaire ait été recherchée ; et que la SARL Allier Courtage s'est limitée pour sa part à transmettre aux acquéreurs potentiels les « éléments de langage » donnés par Aristophil et par Atlantis 63, sans pouvoir modifier le contenu des contrats proposés.
La société appelante souligne qu'il n'existait aucun lien contractuel entre elle-même, Mme [I] et l'EURL [I], et qu'il appartenait à celles-ci, dès lors qu'elles contestent les contrats qu'elles ont signés avec la SAS Aristophil, d'agir contre cette société pour en demander l'annulation. Elle se défend d'avoir commis une faute : elle n'avait d'obligation contractuelle qu'envers son donneur d'ordre la société Atlantis 63, mandataire de la société Art Courtage, qui agissait elle-même pour le compte de la société Aristophil, et elle a respecté les termes de son mandat ; elle affirme qu'elle n'était pas tenue, en sa qualité d'intermédiaire, d'une obligation générale d'information envers les clients potentiels, et n'avait aucune obligation de conseil envers Mme [I] ou l'EURL [I], qui ne l'avaient pas chargée d'une mission de gérer leur patrimoine ; elle avait pour mission de trouver des investisseurs solvables pour la société Art Courtage, ce qu'elle a fait, les acquéreuses ayant d'ailleurs toute possibilité d'appréhender par elles-mêmes les aléas de l'investissement proposé.
La SARL Allier Courtage relève d'autre part que Mme [W] [I] et l'EURL [I] ne justifient pas d'un préjudice certain : elles ne prouvent pas qu'elles ont déclaré leur créance contre la société Aristophil, de sorte leur préjudice prétendu se révèle inexistant, la perte de cette créance résultant du défaut de déclaration ; et elles sont toujours propriétaires des parts qu'elles ont acquises, et dont la valeur de revente n'est pas connue. A titre subsidiaire, pour le cas où sa responsabilité serait néanmoins confirmée, la SARL Allier Courtage demande à être garantie de toute condamnation par la CNA Insurance Company Limited.
Mme [W] [I] et l'EURL [I] concluent à la confirmation du jugement, sauf sur le montant des indemnités, qu'elles demandent à voir fixer à des montants plus élevés que ceux fixés par le tribunal.
Elles exposent que la SARL Allier Courtage, et son donneur d'ordre la société Atlantis 63, étaient leurs conseillers en gestion de patrimoine, tenues en cette qualité à des obligations personnelles d'information et de conseil ; qu'elles ont manqué à leurs obligations, en leur faisant acquérir les parts en cause sans aucune réflexion ou vérification, alors que les contrats de vente comportent des lacunes, sur la désignation précise des collections indivises, et la valeur de chacun des biens les composant ; que la SARL Allier Courtage a induit en erreur les acquéreuses en leur faisant croire que la société Aristophil s'engageait à leur racheter les parts, alors qu'il ne s'agissait pour cette société que d'une simple faculté ; et qu'elle a omis de tenir compte d'alertes données sur les produits Aristophil, tels que les avis défavorables de la compagnie des conseillers en gestion de patrimoine, et de l'association UFC-Que Choisir.
Mme [I] et l'EURL [I] exposent qu'après plusieurs années de ventes aux enchères elles n'ont pu obtenir restitution que de faibles parts de leurs investissements, à concurrence de 2 à 7 % des capitaux placés, et qu'elles ont droit à réparation pour la totalité de ces capitaux. À défaut, pour le cas où la cour considérerait que leur préjudice n'est constitué que d'une perte de chance, elles demandent à voir fixer cette perte à 85 % des sommes qu'elles ont versées.
La SA CNA Insurance Company (Europe), ci-après désignée la SA CNA Insurance, conclut à la réformation du jugement, et au rejet de toutes les demandes de Mme [I] et de l'EURL [I] formées contre elle en sa qualité d'assureur de la société Atlantis 63, au premier motif que celle-ci n'a joué aucun rôle dans la souscription des investissements litigieux, et qu'elle n'était d'ailleurs tenue d'aucune obligation envers les souscripteurs : seule la SARL Allier s'est trouvée en contact avec ceux-ci, elle était seule débitrice d'une obligation d'information à leur égard. La SA CNA Insurance conteste ensuite l'existence d'une faute quelconque dans l'information donnée à Mme [I] et à l'EURL [I], et d'un quelconque préjudice qu'elles aient subi. À titre subsidiaire, pour le cas où sa garantie serait néanmoins retenue, en sa qualité d'assureur soit de la société Atlantis 63 soit de la SARL Allier Courtage, elle demande que cette garantie soit limitée par application d'une franchise de 2 000 euros par assurée pour la responsabilité de la SARL Allier Courtage, et par application, pour la responsabilité de la société Atlantis 63, d'une franchise de 3 000 euros par assuré, et d'un plafond collectif de garantie de 2 000 000 euros, les réclamations formées par les personnes ayant investi dans des collections vendues par la SAS Aristophil constituant, selon la SA CNA Insurance, un seul et unique sinistre.
La SELARL [R], assignée le 25 avril 2023 en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Atlantis 63, et à qui la SARL Allier Courtage a fait signifier ses conclusions le 6 octobre 2023, ne s'est pas fait représenter devant la cour.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 février 2024.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties représentées, à leurs dernières conclusions déposées le 29 septembre 2023, et les 24 et 31 janvier 2024, sous réserve de ce qui sera prononcé sur la recevabilité des conclusions de Mme [I] et de l'EURL [I].
Motifs de la décision :
I ' Sur la recevabilité des conclusions des intimées :
La SARL Allier Courtage conclut à l'irrecevabilité des conclusions signifiées par Mme [I] et par l'EURL [I] le 13 juillet 2023, au motif que celles-ci ne justifient pas les avoir fait signifier à la SELARL [R] ès-qualités pour la date limite du 18 août 2023, alors que, selon la SARL Allier Courtage, cette signification leur était imposée à peine d'irrecevabilité, en application des articles 911 du code de procédure civile et des articles auxquels il renvoie.
Cependant et comme le répliquent Mme [I] et l'EURL [I], un intimé n'est pas tenu de signifier ses conclusions à un co-intimé défaillant, s'il ne formule aucune prétention contre celui-ci, sauf en cas d'indivisibilité entre les parties, ou lorsqu'il sollicite confirmation du jugement contenant des dispositions qui lui profitent et qui nuisent au co-intimé défaillant (C. Cass, avis du 2 avril 2012, n° 12-00.002 et 12-00.003).
Mme [I] et l'EURL [I] ne formulent aucune demande contre la SELARL [R], assignée en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SAS Atlantis ; elles demandent confirmation partielle du jugement, mais celui-ci n'a prononcé aucune disposition à l'encontre de la SELARL [R] ès-qualités ; et il n'apparaît pas que le litige soit indivisible entre les parties ; l'exception d'irrecevabilité soulevée par la SARL Allier Courtage n'est pas fondée et sera rejetée, de sorte que les conclusions déposées par Mme [I] et par l'EURL [I] sont pleinement recevables.
II ' Sur les fautes reprochées aux sociétés Atlantis 63 et Allier Courtage :
Les parties s'opposent sur l'existence, entre d'une part Mme [I] et l'EURL [I], et la SARL Allier Courtage d'autre part, d'une mission de gestionnaire de patrimoine, mission contestée par cette dernière société, au motif qu'aucun contrat n'a été conclu entre elles.
L'article L. 541-1 I du code monétaire et financier, pris dans sa rédaction en vigueur à la date des contrats en cause, définit les conseillers en investissements financiers comme des personnes exerçant à titre de profession habituelle des activités de conseil, dans différents domaines énumérés par cet article, tels que la réalisation d'opérations sur biens divers définis à l'article L. 550-1 du même code.
Il n'apparaît pas que la SARL Allier Courtage, qui a conclu un contrat d' « apporteur d'affaires » avec la société Altantis 63, exerce ou ait exercé une activité habituelle de conseil ; et il n'apparaît pas non plus que Mme [I] ou l'EURL [I] aient conclu à un moment quelconque, sous une forme quelconque, une convention avec la SARL Allier Courtage pour que celle-ci exerce à leur égard une activité de conseiller financier ; le « Contrat de vente de parts d'indivision », établi le 27 mars 2014 entre la SAS Aristophil et Mme [I], mentionne certes en première page qu'il est conclu « en présence de Allier Courtage », mais en la qualité d'intermédiaire, et sans d'ailleurs qu'un représentant de la SARL Allier Courtage ait signé l'acte contractuel en cette qualité (pièce n° 3-7 des intimées) ; cette seule mention ne suffit pas à conférer à cette société la qualité de conseiller en investissements financiers, au sens de l'article cité.
La SARL Allier Courtage, « apporteur d'affaires » pour la société Atlantis 63, et dépourvue de tout lien contractuel avec les acquéreuses, était donc un intermédiaire, comme elle le déclare en page 22 de ses écritures ; elle était tenue en cette qualité, dès lors qu'elle était en relation directe avec les éventuels acquéreurs, de remplir les obligations d'informations précontractuelles de l'article L. 111-1 du code de la consommation, selon lequel tout professionnel vendeur de biens doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien. En cas de litige, il appartient au vendeur de prouver qu'il a exécuté ses obligations (même article). Celles-ci s'imposaient à la SARL Allier Courtage en sa qualité de mandataire du vendeur, étant en relation avec les clients potentiels, de leur adresser l'information prévue par la loi, quand bien même les contrats proposés étaient conclus directement entre le vendeur (la SAS Aristophil) et les acquéreurs.
La SARL Allier Courtage et la SA CNA Insurance soutiennent que Mme [I] a reconnu, en signant les contrats de garde et de conservation, qu'elle avait reçu une information exhaustive ; cependant la mention figurant sur ces contrats ne portait que sur les termes mêmes du contrat (« Je certifie avoir pris connaissance ce jour du contrat de garde et de conservation ci-dessus et d'en avoir reçu un exemplaire »), non sur la consistance exacte des biens indivis objet de l'acquisition, ou sur les modalités de leur évaluation ; il en est de même pour les contrats de vente, où l'acquéreuse s'est limitée à reconnaître qu'elle avait « pris connaissance de la convention d'indivision », dont faisaient l'objet les biens en cause. Par ailleurs les déclarations faites par Mme [I], sur le fait qu'elle reconnaissait être informée du risque de perte en capital de son investissement (pièce n°9 de la SARL Allier Courtage), ne dispensaient nullement la société intermédiaire de son obligation de lui donner toutes les informations prévues à l'article L. 111-1 du code de la consommation.
La société appelante ne produit pas d'autre document d'information précontractuelle qu'une pièce intitulée « Les garanties Aristophil », éditée à l'en-tête de la société du même nom, et comportant sur plusieurs pages une présentation des biens mis en vente par cette société, avec la liste et le prix de vente de certaines des collections proposées ; ce document comporte, en page 6, des informations sur les expertises : il y est précisé que les expertises portent notamment sur l'authenticité d'un document, son origine, son importance historique et son signataire ; que les expertises sont réalisées « à plusieurs niveaux », les experts étant « en général » agréés par les tribunaux ou les cours d'appel, chaque document étant ensuite « de nouveau vérifié par nos experts et rédacteurs internes ». Un autre chapitre de la même page traite des transactions, souligne qu'un tiers des ventes s'effectue aux enchères, et que l'on peut en déduire « une tendance des prix et de leur évolution » ; il énonce que les prix et cotations « peuvent enregistrer des stagnations passagères, mais jamais de grandes baisses spectaculaires comme sur d'autres marchés ». Il est encore énoncé, en page 15 du même document, que « la valeur d'acquisition des Lettres et Manuscrits » est couverte par une assurance spéciale Lloyd's.
Il n'apparaît cependant, sur ce document d'information générale que Mme [I] reconnaît avoir reçu, aucune donnée sur le contenu précis des collections dans lesquelles il lui était proposé d'acquérir des droits indivis, soit par elle-même soit par l'EURL qu'elle dirigeait : les collections '[O] [E]', 'Correspondances des arts et des lettres' et « Florilège des grands manuscrits » ne sont pas mentionnées sur ce document ; les actes contractuels eux-mêmes, qu'il s'agisse des actes de vente ou de ceux portant sur la garde et la conservation des biens, ne contenaient pas non plus de telles informations : ils se limitaient à annoncer la valeur globale de chaque indivision (14 000 000, 11 100 000 et 10 000 000 d'euros, respectivement), à préciser le nombre de parts composant chaque indivision, leur valeur unitaire, et le nombre de parts vendues à Mme [I] ou à sa société.
Les contrats de vente faisaient certes référence, en leurs paragraphes I et II intitulés « Objet du contrat » et « Désignation », à une liste et à une désignation des pièces appartenant à chacune des indivisions, et qui auraient été annexées aux actes de vente, mais Mme [I] et l'EURL [I] exposent que les annexes annoncées n'étaient pas jointes aux actes de vente, et la SARL Allier Courtage ne produit pas de preuve contraire : elle ne produit pas ces listes et désignations, qui ne figurent pas non plus en annexe des conventions notariées d'indivision, versées aux débats. D'ailleurs ces annexes à des actes contractuels eux-mêmes ne sauraient constituer une information préalable à la conclusion du contrat, exigée à l'article L. 111-1 du code de la consommation.
Les intimées affirment d'autre part, sans être contredites par la SARL Allier Courtage, que la valeur des biens vendus n'était nullement garantie par le Lloyd's, comme le prétendait le document d'information précontractuelle qui leur a été remis : la garantie de cette société ne portait que sur les risques de vol ou de détérioration.
La SARL Allier Courtage, intermédiaire en relation avec le public, tenue de remplir les obligations susdites, et à qui il incombe de prouver qu'elle a satisfait à ses obligations, ne justifie pas d'une information précontractuelle donnée à Mme [I] et à sa société, information qui aurait dû comporter la liste et la désignation précises des documents appartenant aux indivisions dont elles acquéraient les parts, ainsi que des avis d'expert, ou des autres modes d'évaluation sur lesquels se fondait l'estimation annoncée de la valeur de ces biens ; en omettant de communiquer aux acquéreuses ces informations, nécessaires et déterminantes, et aussi en transmettant une information qui s'est révélée fausse (la garantie de valeur donnée par la Lloyd's), la SARL Allier Courtage a manqué à ses obligations légales, et sa faute a concouru au préjudice allégué par les intimées.
Il apparaît de plus que la société intermédiaire a donné elle-même une information fausse aux acquéreuses : dans une lettre du 11 août 2015, le gérant de cette société M. [V] [J], après avoir fait état de la liquidation judiciaire de la SAS Aristophil, a énoncé : « Aristophil s'engageait par une promesse d'achat à la reprise de vos collections », affirmation fausse, puisque dans les contrats de vente cette société s'était réservé, par un paragraphe VI intitulé Promesse de vente, le droit mais non l'obligation de racheter les parts indivises vendues, à un prix augmenté de 43,75 % par période de cinq ans : cette lettre du 11 août 2015, bien que postérieure aux ventes, confirme que la SARL Allier Courtage n'a pas rempli son obligation d'informer complètement et loyalement Mme [I] et l'EURL [I], sur les caractéristiques essentielles des biens qu'elle leur proposait d'acquérir.
La SA CNA Insurance conteste toute faute de son assurée la société Atlantis 63, aux motifs que celle-ci n'avait donné aucun mandat à la SARL Allier Courtage, et qu'elle s'est limitée à un rôle d' « interface » entre les sociétés Aristophil ou Art Courtage et Allier Courtage, sans avoir aucun contact avec les clients potentiels, de sorte qu'elle n'était pas tenue à leur égard de l'obligation d'information.
La SAS Art Courtage, elle-même désignée par la SAS Aristophil, a conclu le 31 décembre 2012 avec la société Atlantis 63 un contrat intitulé Contrat de courtage, selon lequel la SAS Art Courtage confiait à la société Atlantis 63 la mission de « promouvoir la souscription des produits de la société Aristophil », en lui « indiquant les nouveaux clients ». Il est encore indiqué dans cet acte contractuel que « le courtier aura la qualité de courtier libre », se limitant à mettre en contact la société Aristophil avec les clients éventuels, mais aussi que cette société pourra solliciter le courtier « pour effectuer un certain nombre d'opérations », et qu'il « interviendra alors en qualité de mandataire pour le compte de la société » Art Courtage (pièce n°2 de la SARL Allier Courtage, page 2). Il est encore stipulé que, « en sa qualité de mandataire, le Courtier dressera tout contrat au nom et pour le compte de la Société » mandante (page 5), et qu'il pourra d'autre part, avec l'autorisation préalable de la société mandante, « recruter des Mandataires et/ou courtiers rémunérés par lui et placés sous sa seule responsabilité » (page 7 de l'acte contractuel du 31 décembre 2012). Le même acte stipule même une obligation pour le Courtier de recruter des courtiers délégués ou mandataires, en s'assurant qu'ils respectent les prescriptions légales et réglementaires applicables à l'exercice de leur activité (pages 7 et 8).
La société Atlantis 63 a elle-même conclu avec la SARL Allier Courtage le «Contrat d'apporteur d'affaires » du 28 mars 2011, dans lequel la première de ces sociétés était désignée comme « le mandant », la seconde comme « l'apporteur d'affaires » ; ce contrat avait l'objet suivant : «le mandant confie à l'apporteur d'affaires, conformément aux dispositions de l'article L. 134-1 du code de commerce, la négociation et la vente des produits suivants ['] : Conventions Amadeus et Indivisions Coralys ».
Il apparaît enfin que les contrats de vente conclus entre la SAS Aristophil et Mme [I] ou l'EURL [I] ont été signés, au nom de la SAS Aristophil, par « le vendeur ou son mandataire autorisé », selon la mention pré-imprimée de ces contrats, en la personne de M. [J], gérant de la SARL Allier Courtage (dont la signature se retrouve sur les lettres qu'il a envoyées aux acquéreuses : pièces n°7 à 10 de la SARL Allier Courtage).
Il résulte de ces éléments que les contrats conclus entre la SAS Art Courtage et la société Atlantis 63 d'une part, cette dernière société et la SARL Allier Courtage d'autre part, quelle qu'ait été leur dénomination, comportaient l'un et l'autre non seulement un mandat de recherche de clients, mais aussi un mandat de négocier et de conclure des actes de ventes ; par suite, la faute commise par la SARL Allier Courtage apparaît partagée avec celle de son mandant direct, la société Atlantis 63 : il incombait également à celle-ci, dans le cadre du mandat qu'elle a donné à la SARL Allier Courtage, de s'assurer que son mandataire agissait conformément à la loi, de mettre son mandataire en mesure d'exercer son mandat (article L. 134-4 du code de commerce), et de lui communiquer les éléments d'informations nécessaires à l'exercice de ce mandat, en exigeant de son propre mandant (la SAS Aristophil, par l'intermédiaire de la société Art Courtage) la transmission de ces mêmes informations, afin qu'elles soient portées à la connaissance des acquéreurs potentiels. La société Atlantis 63, en ne prenant aucune disposition en ce sens, a elle aussi manqué à ses obligations.
C'est donc à bon droit que le tribunal a retenu l'existence de fautes conjointes des deux sociétés Allier Courtage et Atlantis 63 ; la responsabilité de ces sociétés ne peut être engagée cependant, sur le fondement des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, que si les fautes constatées ont causé un préjudice à Mme [I] et à l'EURL [I].
III ' Sur les préjudices :
Le tribunal a retenu l'existence d'une perte de chance de ne pas contracter, causée par les manquements des sociétés Allier Courtage et Atlantis 63, et a fixé cette perte de chance à 50 %, sur la base de 80 % de la valeur d'achat, ce dernier pourcentage étant lui-même déterminé au vu notamment du prix de revente des collections Aristophil, lors de ventes aux enchères effectuées depuis l'ouverture de la procédure collective à l'égard de cette société, prix de revente qui s'établissait selon le tribunal en moyenne à 20 % de la valeur de vente initiale (page 13 du jugement).
La SARL Allier Courtage conteste le préjudice allégué par Mme [I] et par l'EURL [I], aux motifs que celles-ci n'ont pas déclaré leur créance à la procédure de redressement judiciaire puis de liquidation judiciaire de la SAS Aristophil, et qu'elles restent propriétaires de leurs parts dans les indivisions en cause, parts dont la valeur n'est pas connue à ce jour.
Cependant la déclaration d'une créance à l'encontre de la SAS Aristophil ne pouvait se concevoir que dans l'hypothèse d'un titre de créance contre cette société, en raison notamment de l'annulation ou de la résolution des ventes, impliquant les restitutions réciproques de la chose vendue et du prix versé ; or ni Mme [I] ni l'EURL qu'elle dirige n'ont demandé l'annulation ou la résolution des achats qu'elles avaient conclu avec la société Aristophil, et elles n'invoquent aucun quelconque titre de créance contre cette société, de sorte qu'elles n'étaient pas tenues de déclarer de créance dans la procédure collective ; Mme [I] et l'EURL [I] n'en restent pas moins recevables à agir en réparation des préjudices qu'elles ont pu subir à cause de la carence des sociétés intermédiaires dans leur obligation d'information, préjudice qui doit être examiné en considération des pertes constatées, au regard du prix d'achat payé par les acquéreuses, et du lien de ces pertes avec les manquements commis par la SARL Allier Courtage et la société Atlantis 63.
Mme [I] et l'EURL [I] demandent en premier chef que leur préjudice principal soit fixé à 90 % des sommes qu'elles ont investies : elles exposent que les biens appartenant aux collections Aristophil sont vendus aux enchères depuis le 20 décembre 2017, qu'en 2022 chacun des documents a été mise en vente au moins une fois, que seules certains d'entre eux ont trouvé un acquéreur, et que ceux qui ont pu être vendus l'ont été pour un prix très inférieur à celui auquel la SAS Aristophil les avait cédés : entre 84 et 92 % de ce prix en moyenne. Mme [I] et l'EURL [I] précisent qu'elles ont elles-mêmes pu recevoir les sommes suivantes, lors de la vente aux enchères des collections dont elles possédaient des parts indivises : 1 872,32 euros pour la collection « [O] [E] » (dont l'EURL [I] avait acquis des parts au prix de 100 000 euros), 1 580,72 euros pour celle intitulée « Correspondances des Arts et des Lettres » (pour un investissement de 24 000 euros), et 285,68 euros lors de la revente de la collection « Florilège de Grands Manuscrits », dans laquelle Mme [I] avait investi 5 000 euros. Elles font valoir qu'elles ne pourront, pas plus que les autres acquéreurs de produits Aristophil, recouvrer plus de 10 % des sommes qu'elles ont investies, et demandent réparation à hauteur de ce montant.
Cependant et comme l'a énoncé à bon droit le tribunal, le préjudice, causé par les manquements des sociétés mandataires à leurs obligations d'information, consiste en une perte de chance de ne pas contracter ; il n'est donc pas équivalent à la somme des pertes, mais à une fraction de cette somme. Mme [I] et l'EURL [I] produisent aux débats des justificatifs des ventes aux enchères opérées en 2017, 2018, 2019 et 2020, à la diligence de Me [F] [D] administrateur judiciaire, ventes qui ont effectivement procuré les sommes qu'elles détaillent (pièces n° 3-15a) ; il est à souligner cependant que ces pièces ne précisent pas la proportion des documents déjà mis en vente, au regard de la totalité de ceux qui composaient chacune des trois indivisions en cause, et que détenait la SAS Aristophil en vertu des contrats de garde et de conservation ; Mme [I] et l'EURL [I] reconnaissent que « les invendus passeront en vente en 2023 », de sorte qu'il n'est pas exclu qu'elles perçoivent, ou qu'elles ont même déjà perçu de nouveaux dividendes, à la suite de nouvelles ventes aux enchères intervenues après l'année 2020. Les pièces produites ne permettent pas non plus de vérifier la différence qui existerait, pour ces trois collections dont les intimées ont acquis des parts, entre le prix auquel les documents concernés ont été revendus aux enchères, et le prix auxquels ils avaient été estimés, lorsque Mme [I] et par l'EURL [I] ont acheté des parts d'indivision.
Les ventes déjà réalisées aux enchères, jusqu'à l'année 2020, ont procuré à Mme [I] et à l'EURL [I] des dividendes équivalant à environ 2 % du prix d'achat pour l'indivision « [O] [E] », 6,58 % et 5,70 % de ce même prix, pour les deux autres indivisions ; d'autre part, les ventes réalisées en 2020, sur l'ensemble des indivisions vendues par la SAS Aristophil, ont procuré des sommes équivalant en moyenne à 8 % de leur prix d'achat par les acquéreurs ayant contracté avec la SAS Aristophil (pièce n° 2-10 des intimées).
Compte tenu de ces éléments, et de la possibilité qui reste offerte à Mme [I] et à l'EURL [I] d'obtenir de nouveaux versements après 2020, il apparaît que c'est à bon droit que le tribunal a fixé à 80 % la perte d'investissement qu'elles ont subie.
L'obligation de réparation, qui incombe aux sociétés intermédiaires, porte comme déjà énoncé non pas sur cette perte elle-même, mais sur la perte de chance de ne pas contracter avec la SAS Aristophil, qui est résultée directement des carences de ces sociétés à remplir leur obligation d'information ; le tribunal a estimé cette perte de chance à 50 % ; la cour considère, eu égard à l'attitude d'un investisseur normalement attentif et prudent, que si les sociétés Allier Courtage et Atlantis 63 avaient rempli loyalement et complètement leur obligation d'information précontractuelle, les acquéreuses auraient eu une chance, supérieure à 50 %, de renoncer à contracter. Cette perte de chance sera fixée, au vu des éléments ci-avant exposés, à 75 %.
Le montant des dommages et intérêts alloués à ce titre sera modifié en ce sens : pour l'EURL [I] : 100 000 x 80 % x 75 % = 60 000 euros ; pour Mme [I] : (24 000 + 5 000) x 80 % x 75 % = 17 400 euros.
Le tribunal a par ailleurs alloué à bon droit, outre la perte de valeur des fonds investis, une somme en réparation de la perte de possibilité de gains, qu'ont subie les acquéreuses par le fait que, si elles n'avaient pas contracté avec la SAS Aristophil, elles auraient pu placer leurs capitaux sur des supports productifs d'intérêts ; le tribunal a calculé cette perte de possibilité de gains, en considération d'un rendement moyen de 1,50 % l'an ; ce calcul est critiqué par la SARL Allier Courtage, qui souligne que la moyenne des taux d'intérêt du livret A, pour les années 2012 à 2020, a été en réalité inférieur à 1,50 %. Il convient de fixer la réparation de ce préjudice en se fondant sur la moyenne des taux pratiqués, pendant les années 2012 à 2024, pour les livrets A et les autres livrets dits défiscalisés (livret Bleu et livret de développement durable et solidaire), soit un taux moyen de (2,25 + 1,58 + 1,15 + 0,90 + 0,75 + 0,75 + 0,75 + 0,75 + 0,52 + 0,50 + 1,38 + 2,92 + 3) : 13 = 1,32 %. Par application de ce taux d'intérêt moyen, et de la perte de chance fixée à 75 %, la perte de gain en cause sera fixée, pour l'EURL [I] et sur la base de douze ans (de 2012 à 2024), à 100 000 x 1,32 % x 12 x 75 % = 11 880 euros ; cette perte sera fixée pour Mme [I], sur la base de dix années, à 29 000 x 1,32 % x 10 x 75 % = 2 871 euros. Le jugement sera encore réformé, sur le montant de ces indemnités.
Sur les demandes de garantie formées contre la SA CNA Insurance :
1) Contrat n° FN 5989 :
La police FN 5989 a été souscrite par la SARL Allier Courtage pour garantir sa responsabilité ; le tribunal a condamné, en vertu de ce contrat, la SA CNA Insurance à garantir la SARL Allier Courtage des condamnations prononcées contre celle-ci, après application de la franchise de 2 000 euros par sinistre ; Mme [I] et l'EURL [I] demandent la confirmation du jugement sur ce point, la SARL Allier Courtage demande la garantie de la SA CNA Insurance, et celle-ci demande à la cour de juger qu'elle ne saurait être tenue qu'après déduction d'une franchise de 2 000 euros par demanderesse ; ainsi que l'a précisé à bon droit le tribunal dans les motifs du jugement, la dite franchise doit s'appliquer distinctement pour chacune des demanderesses, victime chacune d'un préjudice propre ; il n'existe donc aucun litige tenant à l'application de ce premier contrat, le jugement sera confirmé de ce chef, sauf à préciser que la franchise de 2 000 euros s'applique distinctement pour Mme [I] et pour l'EURL [I].
2) Contrat n°FN 1925 :
La SA CNA Insurance, à l'encontre de laquelle Mme [I] et l'EURL [I] exercent une action directe, ne conteste pas qu'elle garantit la responsabilité civile professionnelle de la société Atlantis 63, en vertu de la police n° FN 1925, qui avait été souscrite par la société Art Courtage pour elle-même et pour ses mandataires, parmi lesquels la société Atlantis 63 ; la SA CNA Insurance demande à la cour de juger que toutes les réclamations formées par des personnes ayant acquis des produits Aristophil par l'intermédiaire de la société Art Courtage ou de ses mandataires, constituent ensemble un sinistre unique (sinistre sériel), soumis au plafond de garantie de 2 000 0000 d'euros prévu au contrat, en vigueur à la date de la première de ces réclamations présentée le 6 février 2015.
Cependant, une prestation d'intermédiaire et de mandataire, telle que réalisée par la société Atlantis 63 par elle-même ou sous sa responsabilité par ses mandataires comme la SARL Allier Courtage, comportait une obligation d'information envers les acquéreurs potentiels de produits vendus par la SAS Aristophil, et cette obligation était par nature individualisée, selon chacune des indivisions proposée à la vente, et selon la situation propre à chacun des clients ; or cette obligation spécifique exclut l'existence d'une cause technique unique, caractérisant un litige global ou sériel qui s'étendrait à toutes les ventes de produits Aristophil, au sens de l'article L. 124-1-1 du code des assurances, ou de l'article 1.17 des Conditions spéciales de la police en cause. C'est à bon droit que le tribunal a écarté l'application de ces dispositions.
La SA CNA Insurance demande à la cour, si elle ne retient pas l'existence d'un sinistre sériel, de juger que la police n° FN 1925 a cessé de produire ses effets le 31 décembre 2014 date de sa résiliation, que la réclamation de Mme [I] et de sa société doit se rattacher à la période subséquente de cinq ans prévue à l'article L. 124-5 du code des assurances, et de constater qu'elle a d'ores et déjà payé ou séquestré, au titre de la période subséquente, des condamnations pour un montant de 2 000 000 d'euros, égal au plafond de garantie, de sorte qu'il convient de débouter Mme [I] et l'EURL [I] de leurs demandes de garantie.
Ainsi que l'a énoncé le tribunal, la SA CNA Insurance ne justifie pas d'une résiliation faite à son initiative dans les formes prévues à l'article 2.4 des Conditions générales (lettre recommandée adressée au dernier domicile du souscripteur) : elle se limite à produire un « Avenant n°1 » à effet du 31 décembre 2014, qui mentionne la résiliation « d'un commun accord entre les parties » de la police n° FN 1925, mais avec la seule signature et le cachet commercial de la SA CNA Insurance elle-même, sans la signature du souscripteur ni la preuve que ce document lui a été envoyé en recommandé. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de cette société, de prononcer que la police en cause a cessé de produire ses effets à la date susdite.
Le tribunal, dans une analyse pertinente que la cour adopte, a énoncé que la SA CNA Insurance, selon les termes de la police, était tenue à garantie dans la limite d'un plafond annuel de 2 000 000 d'euros, pour tous les sinistres relevant de la responsabilité professionnelle de la société Art Courtage et de ses mandataires, la règle étant celle d'un épuisement de la garantie lorsque le plafond annuel est atteint. La SA CNA Insurance demande à la cour de constater l'épuisement du plafond, au motif qu'elle a déjà payé une somme globale de 2 000 000 d'euros, au titre des réclamations formées au cours de l'année 2019 au titre de la garantie en cause ; elle produit à titre de preuve divers jugements ou arrêts, qui comportent certes des condamnations de la SA CNA Insurance à garantir, en vertu de la police en cause, des condamnations à dommages et intérêts prononcées contre des intermédiaires ayant fait souscrire l'achat de produits Aristophil, par des acquéreurs ayant formulé des réclamations au cours de l'année 2019, comme l'ont fait Mme [I] et l'EURL [I] ; cependant la seule production de ces jugements ou arrêts (parmi lesquels celui présentement déféré à la cour) n'établit pas à elle seule le paiement des sommes indiquées, les décisions n'ayant pas a priori de caractère définitif. En l'absence de preuve des paiements allégués par la SA CNA Insurance, il convient de confirmer la disposition du jugement qui a prononcé que la condamnation de la société CNA Insurance Company Limited s'exécutera dans la limite du plafond de 2 000 000 euros, applicable à toutes les condamnations prononcées contre quelque tiers que ce soit, au titre des réclamations formulées au titre de la police FN 1925 au cours de l'année 2019, et après application de la franchise contractuelle de 3 000 euros par sinistre.
PAR CES MOTIFS, et par ceux non contraires des premiers juges :
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la SARL Allier Courtage et la SA CNA Insurance Company (Europe), en sa qualité d'assureur de la société Atlantis 63, à payer à l'EURL [I] les sommes de 40 000 et de 6 000 euros, et à Mme [W] [I] les sommes de 11 600 et de 1 522,50 euros au titre de leurs préjudices financiers, outre intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2019 ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne in solidum la SARL Allier Courtage et la SA CNA Insurance Company (Europe), en sa qualité d'assureur de la société Atlantis 63, à payer à l'EURL [I] les sommes de 60 000 et de 11 880 euros, et à Mme [W] [I] les sommes de 17 400 et de 2 871 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2019 ;
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions, et précise que les franchises de 2 000 et de 3.000 euros prévues aux contrats d'assurance s'appliqueront à chacune des demanderesses ;
Condamne in solidum la SARL Allier Courtage et la SA CNA Insurance Company (Europe) aux dépens d'appel, et à payer à Mme [I] ou à l'EURL une somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes.
Le Greffier La Présidente