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28/06/2023 | FRANCE | N°21/01730

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre commerciale, 28 juin 2023, 21/01730


COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale















ARRET N°281



DU : 28 Juin 2023



N° RG 21/01730 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FU3E

FK

Arrêt rendu le vingt huit Juin deux mille vingt trois



Sur APPEL d'une décision rendue le 28 juin 2021 par le Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n° 18/03231 ch1 cab1)



COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

M

me Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire



En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier plac...

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°281

DU : 28 Juin 2023

N° RG 21/01730 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FU3E

FK

Arrêt rendu le vingt huit Juin deux mille vingt trois

Sur APPEL d'une décision rendue le 28 juin 2021 par le Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n° 18/03231 ch1 cab1)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors du prononcé

ENTRE :

M. [G] [X]

né le 30 août 1972 à CHAMALERES (63)

demeurant [Adresse 6]

[Localité 8]

et

Mme [K] [V] [WC]

née le 06 mai 1979 à [Localité 3] (63)

demeurant [Adresse 6]

[Localité 8]

les 2 appelants représentés par la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTS

ET :

M. [KG] [M]

né le 20 janvier 1964 à [Localité 4] (63)

demeurant [Adresse 9]

[Localité 8]

Représentant : Me Hervé MILITON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/009354 du 01/10/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)

Mme [E] [MP]

née le 31 juillet 1978 à [Localité 4] (63)

demeurant [Adresse 5]

[Localité 8]

Représentant : Me Hervé MILITON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMÉS

La société MANDATUM prise en la personne de Maître [YL] [CA]

SELARL immatriculée au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le n° 804 860 344 00014

[Adresse 1]

[Localité 2]

agissant ès qualités de mandataire judiciaire de [KG] [M], né le 20 janvier 1964 à [Localité 4] (63), demeurant [Adresse 9]

Représentant : Me Hervé MILITON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTERVENANTE VOLONTAIRE

DEBATS : A l'audience publique du 05 Avril 2023 Monsieur KHEITMI fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 07 Juin 2023, délibéré prorogé au 28 juin 2023.

ARRET :

Prononcé publiquement le 28 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

21 - 1730 [X] - [WC] ' Epoux [M]

Exposé du litige :

Suivant un acte authentique du 31 juillet 2012, M. [G] [X] et Mme [K] [WC] ont donné à bail commercial, à M. [R] [PL] et à Mme [EP] [C], des locaux à usage de commerce et d'habitation situé dans un bâtiment collectif à [Localité 8] (Puy-de-Dôme). La partie commerciale des locaux était destinée à une activité de bar, tabac, presse, jeux et épicerie, le bail était conclu pour une période de neuf ans à compter du 1er août 2012. 

Suivant un autre acte authentique du 13 mai 2013, M. [PL] et Mme [C] ont cédé leur fonds à M. [KG] [M] et à Mme [E] [MP] épouse [M], avec l'agrément des bailleurs.

M. [X] et Mme [WC], se plaignant de difficultés causées par les preneurs, telles que nuisances sonores, non respect des horaires, et injures ou menaces contre d'autres occupants du bâtiment, les ont fait assigner le 6 août 2018 devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, en demandant la résiliation du bail.

Le 24 janvier 2019, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a ouvert une procédure de redressement judiciaire envers M. [M] ; M. [X] et Mme [WC] ont fait assigner le mandataire judiciaire la SELARL Mandatum le 3 avril 2019, instance qui a été jointe à celle qu'ils avaient engagée contre M. et Mme [M].

Le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, statuant par jugement contradictoire du 28 juin 2021, a débouté M. [X] et Mme [WC] de leurs demandes, débouté M. [M] d'une demande reconventionnelle de dommages et intérêts qu'il avait présentée, et condamné M. [X] et Mme [WC] aux paiement des dépens, ainsi que d'une somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a énoncé dans les motifs du jugement que, si les faits reprochés par les bailleurs apparaissaient établis, ces faits ne justifiaient pas la qualification de manquements graves susceptibles de fonder la résiliation du bail aux torts des preneurs, dès lors que les manquements reprochés étaient en lien avec les relations difficiles des parties, et qu'en toute hypothèse il ne pouvait être exigé d'un débit de boissons en milieu rural des soirées silencieuses pendant les fins de semaine.

M. [X] et Mme [WC], par une déclaration reçue au greffe de la cour le 29 juillet 2021, ont interjeté appel de ce jugement, dans ses dispositions leur faisant grief.

Les appelants réitèrent devant la cour leurs demandes, tendant à la résiliation du bail et à l'expulsion des preneurs. Ils demandent en outre la condamnation de M. et de Mme [M] à leur verser 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral, et 450 euros par mois à compter du 5 septembre 2020 et jusqu'à la complète libération des lieux, au titre de leur préjudice financier. Ils reprochent aux premiers juges de ne pas avoir pris la mesure de la répétition et de la gravité des troubles provoqués par les preneurs, dont ils qualifient le comportement de particulièrement agressif et hostile. Ils rappellent que la destination contractuelle des lieux loués ne se limite pas à l'activité de bar, que les preneurs sont tenus en tous cas selon le bail de ne rien faire qui puisse troubler la tranquillité de l'immeuble, ou créer de trouble ou de nuisance pour les autres occupants. Ils produisent, pour établir les nuisances en cause, une lettre d'une habitante de [Localité 8] Mme [W] [GM], adressée à la sous-préfecture d'[Localité 4] et relatant le bruit anormal provoqué chaque fin de semaine par M. [M], et le refus de celui-ci d'y mettre un terme, en dépit des observations qu'elle lui a faites et d'une doléance qu'elle a adressée au maire de la commune. M. [X] et Mme [WC] produisent en outre plusieurs attestations d'autres riverains, ou de personnes de leur entourage, qui témoignent des mêmes nuisances sonores, et un constat d'huissier qu'ils ont fait établir le 10 mai 2019. Ils précisent que M. [M] s'est montré menaçant et injurieux à leur encontre, au point qu'ils ont changé de domicile, pour s'installer en-dehors de la commune de [Localité 8].

M. et Mme [M], ainsi que la SELARL Mandatum représentée par Me [YL] [CA], intervenant volontairement en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de M. [M], concluent à la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a rejeté leurs demandes de dommages et intérêts. Ils soulignent que M. [X] et Mme [WC], qui lors de la vente du fonds en 2013 ne résidaient pas sur la commune de [Localité 8], ont choisi d'emménager en mars 2016 dans la partie habitation des locaux faisant l'objet du bail, et que les difficultés ne sont apparues que pendant la période où ils ont résidé dans l'immeuble, M. [X] et Mme [WC] ayant déposé plainte contre eux quelques jours seulement après leur installation. Les preneurs confirment que les bailleurs ont ensuite quitté le territoire de la commune, en août 2020, sans déclarer leur nouvelle adresse dans le cadre de la procédure, et que depuis leur départ aucune plainte ni aucune visite des gendarmes ne sont intervenues. M. et Mme [M] soulignent les difficultés provoquées par les bailleurs, qui ont tardé à faire poser un compteur d'eau séparé, et se refusent toujours à faire établir des factures d'eau au nom de M. et Mme [M], qui ne peuvent donc récupérer la TVA sur ces factures : ils demandent que les bailleurs soient condamnés sous astreinte à leur faire délivrer des factures conformes, ainsi que des quittances de loyers, pour la période écoulée depuis mai 2013.

M. et Mme [M] font valoir que M. [X] et Mme [WC] agissent dans l'intention de se débarrasser de leurs locataires pour vendre l'immeuble ; qu'ils manquent à leur obligation d'assurer les travaux qui leur incombent, malgré les réclamations que leur a faites M. [M] ; que la partie habitation qu'ils ont occupée de 2016 à 2020 est très mal isolée, ce qu'ils savaient lorsqu'ils s'y sont installés. Ils contestent les nuisances qui leur sont reprochées, font état de provocations et de menaces de mort de M. et Mme [M], critiquent les attestations qu'ils produisent, et versent eux-mêmes aux débats plusieurs autres attestations, tendant à établir qu'ils ont fait un usage normal des lieux loués, et que leur établissement constitue un lieu d'animation apprécié dans le village.

Ils demandent à la cour de rejeter les demandes de M. [X] et Mme [WC], et de les condamner à leur verser 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance résultant des manquements des bailleurs, et 3 622,47 euros au titre de leur préjudice financier consécutif à un dégât des eaux.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 février 2023.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées en cause d'appel, le 14 janvier et le 11 avril 2022.

Motifs de la décision :

Sur la demande de résiliation du bail :

Selon l'article 1728 du code civil, le preneur est tenu d'user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail. L'acte de bail du 31 juillet 2012 précise la destination des lieux loués, comprenant l'activité de bar, et contient d'ailleurs un paragraphe « Jouissance des lieux », selon lequel le preneur doit user des lieux en se conformant à l'usage et au règlement de l'immeuble s'il existe, et ne rien faire qui puisse en troubler la tranquillité ni apporter un trouble de jouissance quelconque ou des nuisances aux autres occupants.

L'article 1729 du code civil dispose que si le preneur n'use pas de la chose louée raisonnablement ou l'emploie à un autre usage que celui auquel elle est destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, selon les circonstances, faire résilier le bail. Il appartient aux juridictions d'apprécier si les manquements du preneur sont d'une gravité suffisante pour fonder la résiliation du bail (Cass. Civ. 3ème 10 novembre 2009, pourvoi n°08-21.874).

M. [X] et Mme [WC] produisent aux débats diverses pièces, parmi lesquelles le procès-verbal d'un rappel à la loi notifié à M. [M] le 3 juillet 2017 par un délégué du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, pour des faits de troubles à la tranquillité d'autrui par agressions sonores, commis à Sugères entre le 17 et le 27 mars 2017 ; injonction était faite à M. [M] de s'abstenir de toute nouvelle infraction, et de payer à M. [X] une somme de 100 euros en réparation de son préjudice.

Les appelants produisent les procès-verbaux d'enquête dressés par les gendarmes de [Localité 7], et ayant abouti à la médiation pénale du 3 juillet 2017 ; il y apparaît que les gendarmes ont constaté, en se présentant sur les lieux le 17 octobre 2016 à 1 h 30 du matin, que M. [M] avait mis la musique dans son établissement à un niveau sonore très élevé, et qu'il a ensuite baissé le volume sur la demande des gendarmes, à qui il a déclaré : « Çà tombe bien, je vous attendais. De toute façon je suis revenu pour l'emmerder. J'en ai ras le bol, je vais le tuer ». M. [X] et Mme [WC] ont déposé plainte pour menaces de mort et pour nuisances sonores. M. [M], selon le procès-verbal de synthèse des gendarmes, a reconnu les faits, en se plaignant de l'attitude de M. [X] et Mme [WC] qui, depuis leur installation dans le logement situé au-dessus du bar, « n'arrêtaient pas de se plaindre du bruit » créé par les clients ou la musique de l'établissement, et faisaient appel de manière répétée aux gendarmes. Ceux-ci mentionnent que le commerce de M. [M] a fait l'objet, à de nombreuses reprises au cours de l'année 2016, de procédures pour tapage nocturne et non respect des heures légales de fermeture (pièce n°4 des appelants).

M. [X] et Mme [WC] versent aux débats un procès-verbal de constat d'huissier du 10 mai 2019, dans lequel Me [F] [NC] mentionne que le niveau sonore de la musique et des voix provenant du bar atteint par moments, dans le logement situé au-dessus du commerce et au cours de la soirée, 51 DB fenêtre fermée, et 78 DBC fenêtre ouverte. L'huissier mentionne en outre, à 23 h. 30, des propos injurieux et menaçants destinés aux occupants du logement.

Ils produisent en copie plusieurs attestations, établies dans les formes de l'article 202 du code de procédure civile, de février à juillet 2019 pour la plupart, en décembre 2018 et en février 2020 pour deux d'entre elles, par des voisins, ou par des parents et amis de M. [X] ou de Mme [WC], venus leur rendre visite. Parmi ces témoins, M. [GZ] [Y], qui déclare résider à 20 mètres environ du Café de la Place à [Localité 8], fait état des nuisances qu'il subit très régulièrement, du fait de la musique très forte provenant de cet établissement, et des éclats de voix de clients en terrasse, qui profèrent aussi des injures à l'encontre de M. [X]. Ce témoin relate une scène de violences verbales commises par M. [M] à l'encontre de M. [X], la nuit du 8 au 9 juin 2019. Il ajoute que les nuisances se répètent depuis plusieurs années, en dépit des signalements faits auprès du maire et des plaintes déposées à la gendarmerie (pièces n°7 et 20).

Une lettre censée écrite par une autre voisine, Mme [W] [GM], au sous-préfet d'[Localité 4] le 17 novembre 2016, produite en copie non signée, et qui n'est authentifiée d'aucune manière, ne constitue pas une pièce probante.

Les autres témoins rapportent qu'ils ont constaté, au cours de leurs séjours au foyer de M. [X] et de Mme [WC], les nuisances sonores causées par le volume excessif de la musique provenant du bar, et par les éclats de voix des clients ; ces nuisances sont attestées soit de manière ponctuelle (le dimanche 28 avril 2019, le dimanche 20 février 2020, ou « un week-end » : témoignages de Mmes [IW] [GA], [L] [ED], de MM. [P] [U], [IJ] [J]), soit de manière répétée : plusieurs week-ends selon M. [D] [A], M. [AI] [VP] et Mme [RJ] [VP]. La mère de M. [X], Mme [O] [N], déclare qu'elle a eu plusieurs fois l'occasion de passer la nuit à son domicile, et qu'il lui était impossible de s'endormir avant la fermeture du bar : le bruit se propageait à l'ensemble du bâtiment jusqu'au grenier, la musique était si forte qu'elle pouvait entendre distinctement les paroles des chansons. Mme [N] précise qu'elle a aussi été dérangée par les forts éclats de voix de clients en terrasse, sans que le patron intervienne pour les inciter à la modération et au respect du voisinage.

Mme [N] atteste aussi qu'elle a été témoin, à une date non précisée, des propos tenus par M. [M], qui faisait état auprès d'une tierce personne de son projet de créer dans les lieux un restaurant avec des amis, et qui ajoutait : «Çà se dégage pour moi, je vais les faire craquer, ils vont me brader leur bâtiment ». Elle témoigne enfin de la dégradation de la santé psychique et physique de son fils (et de celle de sa belle-fille et de leur enfant), personne qu'elle qualifie de calme et tranquille, obligée désormais de suivre un traitement anti-dépresseur et anxiolytique, qu'elle « n'avait jamais pris de sa vie ». M. [X] et Mme [WC] justifient en effet de ce traite ment, par la production d'ordonnances ou de certificats médicaux d'octobre et de novembre 2018, de mai 2019 et de septembre 2020. Ils justifient en outre qu'ils ont pris un nouveau logement, suivant un bail d'habitation qu'ils ont conclu à effet du 5 septembre 2020, en un lieu non précisé (l'adresse est dissimulée sur la copie du bail qu'ils produisent).

M. et Mme [M], et la SELARL Mandatum ès-qualités, versent pour leur part les pièces suivantes aux débats :

- la copie d'une lettre recommandée du 18 octobre 2016, envoyée par l'avocat de M. [M] à M. [X] et Mme [WC], en réponse à une précédente lettre de ceux-ci : M. [M] leur fait rappeler qu'ils lui ont consenti un bail en connaissant parfaitement l'activité qu'il devait y exercer, alors qu'ils n'habitaient pas au même endroit, puisqu'ils n'y ont emménagé qu'en mars 2016 ; il fait valoir, entre autres, en ce qui concerne des plaintes précédentes, qu'il n'a eu « à répondre que d'une seule problématique en juin 2016 », à l'occasion de la demi-finale du championnat de France de rugby, que les doléances de M. [X] et Mme [WC] lui apparaissent comme une mesure de rétorsion à une démarche qu'il avait faite pour la prise en charge par les bailleurs d'infiltrations survenues en juillet 2013, et que ces doléances, que M. [M] qualifiait de fallacieuses, avaient pour but de le pousser à abandonner son activité, afin de « faciliter très certainement la vente de l'immeuble », projetée depuis juillet 2015 ;

- une attestation du maire de la commune M. [S] [Z], le 8 février 2017 : M. [M] a retiré, le 26 janvier 2017, l'amplificateur et les enceintes reliées au téléviseur installé dans le local du bar ;

- une lettre recommandée de M. [X] et Mme [WC] à M. [M] le 16 février 2017, lui notifiant qu'il avait manqué à ses obligations, en causant des nuisances sonores les 10, 11 et 12 janvier précédents, et le mettant en demeure d'éviter pour l'avenir des manquements similaires, faute de quoi ils engageraient une procédure pour faire résilier le bail ;

- le procès-verbal d'une plainte déposée le 16 avril 2017 par Mme [M], à l'encontre de M. [X] pour des menaces : elle relate que celui-ci, en manipulant un bâton, a dit en sa présence : « ' je vais les envoyer au cimetière ». La scène est confirmée par un témoin, Mme [F] [CG] ;

- un protocole d'accord en vue d'une médiation pénale, signé le 23 mai 2017 par M. [X], Mme [WC], Mme [M] et le maire M. [Z] ; il y est mentionné, outre la plainte pour menaces de mort déposée par Mme [M], une plainte de M. [Z] contre Mme [WC] pour injures et violences contre un dépositaire de l'autorité publique ; il est précisé dans ce procès-verbal que la situation restait extrêmement tendue, que Mme [WC] réitérait néanmoins ses excuses, qu'elle-même et M. [X] étaient avisés des sanctions pénales encourues, que les parties s'engageaient à ne plus provoquer d'incident, et étaient informées que toute nouvelle infraction donnerait lieu à des poursuites, qui pourraient aussi porter sur les faits visés par le protocole d'accord ;

- douze attestations, établies en octobre 2018 et en février 2020, soit par des habitants de la commune de [Localité 8], soit par d'autres personnes fréquentant la commune, et qui témoignent notamment que, même lorsqu'ils sont voisins de l'établissement de M. [M], ils n'ont jamais constaté de nuisances sonores, ou d'autres inconvénients résultant du fonctionnement du bar (M. [SI] [B] : « Je suis habitant du bourg, voisin direct du Café de la Place. Je certifie n'avoir jamais été dérangé par les bruits, ni par le voisinage du bar et de sa clientèle » ; Mme [T] [I] : « Le Café de la place n'occasionne aucune nuisance d'aucune sorte. Je précise que je suis une voisine très directe ['] et que je n'ai à déplorer aucun tapage, diurne ou nocturne ») ; plusieurs de ces témoins expriment leur satisfaction de la présence de cet établissement, qu'ils qualifient de lieu de convivialité, apportant au village une animation bienvenue, et un point de vente produits d'usage courant (pain et journal) : pièces n°18 à 30 des intimés ;

- l'attestation de M. [H] [KT], ancien maire de [Localité 8], et habitant de la commune : M. [X], après qu'il ait acheté le bâtiment, qui présente une valeur architecturale certaine, lui a fait part de ses projets (épicerie bio, centre culturel, chambres d'hôtes), et a entrepris seul des travaux disproportionnés, auxquels il a dû mettre un terme en raison des difficultés, laissant les murs et le sol à l'état de gravats, de sorte qu'il n'y avait pour lui « plus d'autre solution que d'aménager le petit appartement de l'ancienne épicerie juste au-dessus du bar de M. [M] ». M. [KT] exprime sa très grande satisfaction de ce que la vie du bourg est redevenue florissante, grâce notamment à l'installation et à l'activité de M. [M], qui a « une aura toute particulière auprès des jeunes, surtout ceux appartenant à certaines associations sportives ». « Si M. [M] a pu, dans certaines circonstances, avoir des débordements au niveau bruit et horaires, les rappels de gendarmerie ont permis de respecter les normes en vigueur dans ce type d'activité » (l'attestation est datée du 15 avril 2020) ;

- la copie d'une lettre recommandée envoyée par M. [M] à M. [X] et à Mme [WC] en date du 25 juin 2020, pour leur demander de lui remettre des quittances de loyer et de faire poser des compteurs d'eau séparés. Il apparaît que les bailleurs ont établi ensuite, à la date unique du 3 novembre 2020, une série de quittances de loyer au nom de M. [M], pour la période écoulée de septembre 2015 à novembre 2020 (leur pièce n°25).

Ces éléments de preuve, versés aux débats de part et d'autre, démontrent que M. et Mme [M] ont commis, ou laissé commettre par des clients de leur établissement, des nuisances sonores à plusieurs reprises, au cours des années 2016 à 2020, et que M. [M] a prononcé des menaces à l'encontre de M. [X], comme l'ont constaté les gendarmes en octobre 2016, M. [M] s'étant montré provocant en leur présence, lorsqu'il a augmenté le volume sonore et déclaré aux gendarmes qu'il « allait tuer » M. [X].

La tension entre les parties n'est apparue cependant qu'après que M. [X] et Mme [WC] se sont installés dans le logement qui, situé juste au-dessus du débit de boissons et dans un bâtiment ancien, n'était certainement pas isolé de manière satisfaisante, en particulier du bruit provenant du local sous-jacent ; la décision des bailleurs d'emménager en ce lieu comportait pour eux un risque évident de nuisances, et de difficultés avec les exploitants du local. Les altercations entre les parties ne se sont pas reproduites après le départ des bailleurs, intervenu en septembre 2020 selon leur bail d'habitation : aucun des témoignages présentés par les appelants n'est postérieur à ce départ. D'ailleurs les nombreux témoignages en sens inverse présentés par M. et Mme [M], y compris de voisins proches, conduisent à nuancer la gravité des nuisances en cause. L'attitude parfois menaçante de M. et Mme [M] peut s'expliquer en partie, comme l'a énoncé à juste raison le tribunal, par les relations difficiles entre les parties ; et l'origine de ces difficultés réside elle-même partiellement dans des manquements des bailleurs à leurs obligations : ils ont délivré les quittances de loyers avec un retard de plusieurs années, et ont aggravé les tensions par leurs propre attitude menaçante, ainsi qu'il ressort notamment du protocole d'accord du 23 mai 2017.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le tribunal a énoncé à bon droit que les fautes commises par les preneurs n'étaient pas d'une gravité suffisante pour fonder la résiliation du bail. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les autres chefs de litige :

M. et Mme [M], et la SELARL Mandatum ès-qualités, demandent la condamnation des bailleurs à leur délivrer des factures d'eau conformes au code général des impôts, pour toute la période écoulée depuis mai 2013 ; ils précisent que M. [M] n'a pas été en mesure de récupérer la TVA. Cependant et comme l'a reconnu M. [M] dans une lettre qu'il leur a envoyée le 25 juin 2020, M. [X] et Mme [WC], en leur qualité de particuliers, ne sont pas soumis à la TVA et ne peuvent donc pas émettre eux-mêmes des factures comportant cette taxe. M. [X] et Mme [WC] ont d'ailleurs établi et adressé à M. [M] des documents annuels intitulés « facturation eau» et « facturation assainissement », reprenant les éléments facturés par le service des eaux avec la répartition des différents éléments facturés entre leur propre habitation et le local commercial (abonnement, consommation, taxes diverses), et l'indication de la TVA. Les intimés ne justifient pas que ces documents n'ont pas permis à M. [M] de récupérer la TVA, étant observé que ces factures ont déjà fait l'objet d'un débat devant le juge commissaire au redressement judiciaire de M. [M], qui a relevé, dans une ordonnance du 8 septembre 2020, que celui-ci ne pouvait contester les factures d'eau, pour lesquelles étaient versés « l'ensemble des justificatifs » (pièce n°24 des appelants). La demande des intimés sur ce point n'est pas fondée et sera rejetée.

Et il n'apparaît pas utile d'enjoindre aux bailleurs de délivrer aux preneurs les quittances de loyers pour toute la période écoulée depuis mai 2013, comme le demandent encore les intimés : celles afférentes à la période écoulée de septembre 2015 à novembre 2020 ont déjà été remises, avec retard ; M. [X] et Mme [WC] justifient qu'ils ont aussi envoyé les quittances de l'année 2021 et des quatre premiers mois de l'année 2022 (leurs pièces n°26 et 27) ; et il n'apparaît aucune discussion sur le paiement des loyers échus depuis lors, non plus que sur celui des échéances plus anciennes, concernant la période écoulée de mai 2013 à août 2015, ces dernières échéances étant, en toute hypothèse, prescrites. La demande de remise des quittances sera elle aussi rejetée.

La SELARL Mandatum ès-qualités demande enfin la condamnation de M. [X] et Mme [WC] à lui verser 3 622,47 euros en réparation d'une perte de chiffre d'affaires subie M. [M] par suite d'un dégât des eaux survenu en juillet 2013, et 5 000 euros de dommages et intérêts, pour la diminution de l'activité professionnelle de l'exploitant, résultée selon lui du comportement fautif des bailleurs. Il ne rapporte cependant aucune preuve que les difficultés rencontrées par M. [M], et qui ont donné lieu à son redressement judiciaire, sont résultées du comportement des bailleurs ; par ailleurs la perte de chiffre d'affaires de 3 622,47 euros ne ressort que d'une attestation non signée établie par M. [M] lui-même, donc sans valeur probante, et d'une autre attestation censée émaner de M. [US], « professionnel de l'expertise comptable », mais qui n'est pas non plus signée. Au surplus la perte de chiffre d'affaires alléguée serait résultée non des infiltrations elles-mêmes, mais de la réalisation de travaux nécessaires pour y remédier, et qui auraient contraint l'exploitant à fermer le local commercial du 26 octobre au 4 novembre 2015 ; or selon l'article 1724 du code civil, le preneur n'a droit, dans un tel cas, qu'à une réduction du prix du bail si les réparations durent plus de vingt-et-un jours, durée qui n'a pas été dépassée pour les travaux en cause. Ces demandes ont été rejetées à bon droit par le tribunal.

M. [X] et Mme [WC] demandent pour leur part la condamnation de M. et de Mme [M] à leur payer 5 000 euros au titre de leur préjudice moral, et 450 euros par mois à compter du 5 septembre 2020, en réparation du préjudice financier résultant de ce qu'ils ont dû quitter les lieux pour se reloger. Cependant et comme déjà énoncé, les nuisances sonores qu'ont subies les bailleurs sont résultées pour une part de la disposition des lieux, et de leur décision de s'installer dans un local situé au-dessus d'un débit de boissons, de surcroît dans un bâtiment ancien dont l'isolation phonique n'était pas assurée, avec les risques que comportait une telle décision. Il n'apparaît pas, dans de telles circonstances, que M. et Mme [M] aient causé par leur faute à M. [X] et Mme [WC] un préjudice ouvrant droit à réparation. Le jugement sera encore confirmé, en ce qu'il a rejeté ces demandes.

Il n'est pas contraire à l'équité de laisser à chacune des parties la charge des frais d'instance irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition des parties au greffe de la cour ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Condamne in solidum M. [X] et Mme [WC] aux dépens d'appel ;

Rejette le surplus des demandes.

Le greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/01730
Date de la décision : 28/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-28;21.01730 ?
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