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28/06/2023 | FRANCE | N°21/01712

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre commerciale, 28 juin 2023, 21/01712


COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale















ARRET N°280



DU : 28 Juin 2023



N° RG 21/01712 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FUZ4

FK

Arrêt rendu le vingt huit Juin deux mille vingt trois



Sur APPEL d'une décision rendue le 01 juillet 2021 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2021 - 002243)



COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

M

me Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire



En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier plac...

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°280

DU : 28 Juin 2023

N° RG 21/01712 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FUZ4

FK

Arrêt rendu le vingt huit Juin deux mille vingt trois

Sur APPEL d'une décision rendue le 01 juillet 2021 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2021 - 002243)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors du prononcé

ENTRE :

La société NEX ALLIANCE INTERNATIONAL

SARL immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n° 495 246 81 00022

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

(postulant) et la SAS HDV AVOCATS, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (plaidant)

APPELANTE

ET :

La société MABEO INDUSTRIES

SAS à associé unique immatriculée au RCS de Bourg-en-Bresse sous le n° 332 564 954 00272

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentants : la SELARL LEXAVOUE, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Fabien LEFEBVRE, avocat au barreau de LYON (plaidant)

INTIMÉE

DEBATS : A l'audience publique du 05 Avril 2023 Monsieur KHEITMI a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 07 Juin 2023, délibéré prorogé au 28 juin 2023.

ARRET :

Prononcé publiquement le 28 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige :

Suivant un bon de commande du 10 avril 2020, la SAS Mabéo Industries (la SAS Mabéo), dont le siège est à [Localité 1], a passé commande à la SARL Nex Alliance International (la SARL Nex), ayant siège à [Localité 4], de 200 000 boîtes de gants jetables en nitrile, pour le prix de 1 520 000 euros hors taxe ; la société acquéreuse a versé à la société vendeuse, le 14 avril 2020, un acompte de 1 216 000 euros sur le prix de cette commande.

Le 17 avril 2020, la SAS Mabéo a envoyé à la SARL Nex un second bon de commande, portant sur 400 000 boîtes de gants nitrile, au prix de 3 360 000 euros ; il était convenu que cette commande ne s'ajoutait pas à la première, mais la remplaçait ; la SAS Mabéo a versé un deuxième acompte, d'un montant de 1 472 000 euros ; elle en a payé un troisième de 300 000 euros le 12 juin 2020, portant le montant total des versements à 2 988 000 euros.

Sur les 400 000 boîtes commandées, seules 25 500 ont été livrées à la SAS Mabéo selon celle-ci (ou 26 070 boîtes selon la SARL Nex).

La SAS Mabéo a relancé la SARL Nex, qui en réponse l'a informée des difficultés qu'elle rencontrait avec son fournisseur à Singapour, l'entreprise Fitlion, et des difficultés générales d'approvisionnement pour ce type de marchandises ; la SAS Mabéo a envoyé le 21 septembre 2020 une lettre recommandée à la SARL Nex, la mettant en demeure de lui livrer dans les quarante-huit heures la totalité du reste des gants commandés, faute de quoi elle considérerait le contrat comme résolu et demanderait la restitution des acomptes.

La SAS Mabéo a saisi le président du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand d'une requête aux fins de saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la SARL Nex, requête à laquelle il a été fait droit suivant ordonnance du 12 octobre 2020, à hauteur de 2 708 544 euros, montant des acomptes versés après déduction du prix des boîtes déjà livrées.

Par une première assignation du 5 novembre 2020, la SAS Mabéo a fait assigner en référé d'heure à heure la SARL Nex devant le président du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, en paiement d'une provision ; cette juridiction a fait droit à la demande principale suivant ordonnance du 24 novembre 2020, pour la somme principale de 2 652 624 euros ; sur l'appel interjeté par la SARL Nex, la cour d'appel de Riom a confirmé cette ordonnance par un arrêt du 28 avril 2021.

Et le 1er avril 2021, la SAS Mabéo a fait assigner à bref délai la SARL Nex devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, aux fins de voir prononcer la résolution du contrat de vente conclu entre les parties sur les 400 000 boîtes de gants, et de voir condamner la SARL Nex à lui verser la somme principale de 2 652 624 euros, en restitution des acomptes versés après déduction du prix des gants livrés, et une somme de 795 787,20 euros à titre de dommages et intérêts.

La SARL Nex a contesté ces demandes, en faisant valoir principalement qu'il n'avait pas existé de contrat de vente entre les parties, que d'autre part la SAS Mabéo avait commis des fautes en s'immisçant dans les affaires de la SARL Nex, notamment en enjoignant à un organisme bancaire d'effectuer un paiement à la société Fitlion, et en faisant pratiquer une saisie sur les comptes de la SARL Nex, ce qui a privé celle-ci de ses moyens d'action.

Le tribunal de commerce, suivant jugement contradictoire du 1er juillet 2021, a :

- prononcé la résolution du contrat de vente conclu entre les deux sociétés ;

- condamné la SARL Nex à payer à la SAS Mabéo la somme de 2 652 624 euros en restitution des acomptes sous déduction du prix des gants livrés, mais a débouté la SAS Mabéo de sa demande de dommages et intérêts ;

- condamné la SARL Nex à payer à la SAS Mabéo une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La SARL Nex, par une déclaration reçue au greffe de la cour le 27 juillet 2021, a interjeté appel de ce jugement, dans ses dispositions lui faisant grief.

La société appelante demande à la cour d'infirmer pour partie le jugement, et de rejeter toutes les demandes de la SAS Mabéo.

Elle conteste, à nouveau en appel, l'existence d'un contrat de vente conclu entre les deux sociétés, et expose que pour ce ce seul motif les demandes adverses doivent être rejetées.

La SARL Nex reproche ensuite à la SAS Mabéo, qui est une entreprise importante de plusieurs centaines de salariés, de l'avoir choisie elle-même, petite société alors en sommeil et n'ayant aucun salarié, pour lui passer la commande en cause avec les risques qu'elle comportait, dans le contexte d'une forte demande et d'une pénurie affectant le marché mondial ; elle lui reproche divers manquements, lors des relations entre les deux parties : l'absence de rédaction d'un acte contractuel ; une immixtion dans les affaires de la SARL Nex, notamment dans la gestion de ses comptes bancaires, dans le but d'opérer des virements au profit de fournisseurs installés à Singapour, ce qui a provoqué la perte des capitaux versés ; les saisies que la SAS Mabéo a fait pratiquer contre elle, et qui l'ont privée de moyens d'actions contre l'entreprise fournisseuse. Elle fait valoir que par ses fautes, la société adverse a contribué à son propre préjudice. Elle conteste enfin la demande de dommages et intérêts formée par cette société, en relevant que celle-ci ne rapporte pas la preuve d'un dommage.

La SAS Mabéo conclut à la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il l'a déboutée des sa demande de dommages et intérêts, qu'elle réitère pour la somme de 795 787,20 euros.

Elle maintient qu'un contrat a bien été conclu entre les parties, dans les termes fixés par les bons de commandes, les acomptes versés, les messages échangés entre les deux sociétés, et les factures pro forma, manifestant leur accord de volontés sur tous les éléments de l'opération ; que la SARL Nex s'est montrée défaillante dans l'exécution de ses obligations, et qu'elle ne pourra plus les exécuter, ne disposant plus des fonds nécessaires. La SAS Mabéo se défend de toute faute de sa part : elle n'a appris qu'en cours de procédure que la SARL Nex était « en sommeil » à la période où elles ont contracté ; la SARL Nex seule s'est mise en difficultés avec son fournisseur de Singapour, la société Fitlion PTE Ltd, qui est aujourd'hui en liquidation, et à laquelle la SARL Nex a versé des fonds sans sécuriser la transaction ; la SAS Mabéo n'a commis pour sa part aucune immixtion, et s'est limitée à saisir un avocat de Singapour, afin de s'informer sur la situation du fournisseur.

Formant appel incident, la SAS Mabéo demande à la cour de condamner la société appelante à lui verser 795 787,20 euros au titre du préjudice qu'elle a subi, par la perte de marge sur la revente des marchandises qu'elle aurait dû recevoir.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 février 2023.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées avant la clôture le 20 janvier et le 13 avril 2022.

Motifs de la décision :

Ainsi que l'a justement énoncé le tribunal, dans des motifs du jugement que la cour adopte expressément, la vente conclue entre les parties se trouve pleinement établie, dans son existence même et dans son contenu, par les bons de commande qu'a émis la SAS Mabéo les 10 et 17 avril 2020, les factures pro forma qu'a établies la SAS Mabéo aux mêmes dates et qui visent les bons de commande, les acomptes versés et les messages échangés entre les deux sociétés, dont il ressort que les parties se sont accordées sur livraison par l'une à l'autre, pour le 25 mai 2020 en un lieu précis, des 400 000 boîtes de gants nitrile visées sur le bon de commande récapitulatif du 17 avril 2020, pour le prix de 3 336 000 euros (pièces n°5 à 12 produites par la SAS Mabéo elle-même). Étant rappelé qu'entre commerçants la preuve d'un acte de commerce peut être établie par tout moyen sauf disposition contraire (article L. 110-3 du code de commerce), la SAS Mabéo rapporte la preuve d'un accord de volontés ayant créé des obligations entre les parties, au sens des articles 1101 et 1113 du code civil.

La SAS Mabéo n'était pas tenue d'établir et de proposer à la société co-contractante la signature d'un acte contractuel qui aurait contenu de plus amples précisions sur les obligations réciproques des parties : il est habituel qu'entre sociétés commerciales, y compris pour des transactions de l'importance de celle en cause, l'accord de volontés se forme au vu de simples bons de commandes, et les échanges intervenus entre les deux sociétés dans le cas particulier contenaient toutes les précisions nécessaires sur les marchandises commandées, le prix et le délai de livraison, pour fixer les obligations réciproques des parties. Les factures pro forma établies par la SARL Nex visaient de plus l'INCOTERM DDP Lyon, qui met à la charge du vendeur tous les frais et risques, jusqu'à la livraison des marchandises commandées. C'est à la SARL Nex elle-même, si elle l'estimait opportun, vu les difficultés qu'elle pouvait rencontrer, de formuler des réserves ou des restrictions lors des échanges qu'elle a eus avec la SAS Mabéo, et d'exiger le cas échéant la rédaction d'un acte contractuel : le vendeur est tenu de s'expliquer clairement à quoi il s'oblige (article 1602 du code civil). Aucune faute n'est donc établie de ce chef à l'encontre de la SAS Mabéo.

La SARL Nex est d'ailleurs particulièrement mal venue de reprocher à la SAS Mabéo de l'avoir choisie, sans s'assurer de ses capacités à honorer ses engagements : c'est à la SAS Mabéo qu'il appartenait de connaître ses propres limites, et de ne contracter que des obligations qu'elle estimait être en mesure d'exécuter, au regard de ses possibilités, et des difficultés prévisibles. Aucune faute ne peut être reprochée pour ce motif à la SAS Mabéo, quelle qu'ait été d'ailleurs l'importance respective des deux sociétés, et des moyens que chacun d'elles pouvait mettre en oeuvre.

Il est incontesté d'autre part que seule une petite partie des marchandises commandées a été livrées : 26 070 boîtes selon la SARL Nex, sur les 400 000 boîtes commandées, et que ce défaut majeur d'exécution justifie objectivement la résolution de la vente en application l'article 1224 du code civil, sauf à examiner les fautes que reproche la SARL Nex à la SAS Mabéo, et qui seraient à l'origine du défaut de livraison.

La SARL Nex précise que la SAS Mabéo avait pleine connaissance de la destination des fonds qu'elle lui avait versés à titre d'acompte, et en particulier du fait qu'ils avaient été transférés à son propre fournisseur ; elle lui reproche d'avoir, à la suite des difficultés rencontrées avec ce fournisseur Fitlion Holding, fait injonction à la SARL Nex de commencer des démarches auprès de l'ambassade de France à Singapour, et d'avoir surtout pris contact avec un intermédiaire qu'avait choisi la SARL Nex, M. [X] [U], et avec l'une des banques de la SARL Nex, la société Qonto, afin que des versements interviennent de la SARL Nex vers des fournisseurs singapouriens, causant ainsi la perte de ces fonds, et le préjudice dont se plaint la SAS Mabéo.

Celle-ci répond qu'après avoir constaté un retard dans la livraison des marchandises, elle a demandé des explications au dirigeant de la SARL Nex M. [H] [B], et que c'est celui-ci qui lui a demandé d'envoyer à sa banque la société Qonto un message pour faire accélérer le virement des fonds au fournisseur ; que la SAS Mabéo n'a jamais accepté en connaissance de cause le risque de perdre les acomptes, et que c'est la SARL Nex qui par la suite, vu le défaut de livraison, a prétendu qu'elle était en mesure d'en obtenir la restitution ; qu'ayant appris en janvier 2021 qu'une société Fitlion était placée en liquidation, la SAS Mabéo a pris un avocat à Singapour pour vérifier si, comme le prétendait la SARL Nex, il s'agissait d'une autre société que celle qui devait lui fournir les marchandises ; que cette affirmation s'est révélée fausse, la SARL Nex ayant d'ailleurs déclaré sa créance à la liquidation de cette société. La SAS Mabéo reproche à la SARL Nex de ne pas avoir « sécurisé » la transaction avec le fournisseur singapourien, en versant les fonds sans la garantie de l'existence des marchandises qui devaient être livrées.

Les pièces produites de part et d'autre permettent de résumer comme suit les échanges entre les parties, et les autres faits survenus après la conclusion du contrat :

- dans un message du 15 mai 2020, la SARL Nex déclare à la SAS Mabéo : « ' nos équipes travaillent d'arrache-pied 24/24h 7/7j pour la réalisation de cette commande de 400 000 boîtes de gants ['] Nous avons il est vrai un peu sous-estimé la situation Covid-19 qui ne facilite pas le travail et qui nous demande de travailler avec de très grandes précautions [...] nos processus de vérifications sont très importants et nous avons l'assurance d'une source fiable et très professionnelle. ['] Nous avons à ce jour sécurisé la fourniture des 400 000 boîtes [...] Nous avons à ce jour l'assurance de livrer des gants de qualité dans un délai très court au vu des quantités» (pièce n°14 de la SARL Nex) ;

- le 22 mai 2020, la SARL Nex conclut un contrat de vente avec la société Fitlion Pte. Ltd. ayant siège à Singapour et représentée par M. [Z] [K], pour la fourniture de 400 000 boîtes de gants, à livrer les 28 mai, 4 et 17 juin 2020 ;

- le 5 juin 2020, la SARL Nex fait connaître à la SAS Mabéo les difficultés qu'elle a éprouvées pour le transfert à la société fournisseuse des acomptes prévus dans leur contrat ; il en résulte que le virement prévu a été réalisé en définitive le 2 juin 2020 ; deux virements apparaissent au débit sur le relevé de compte de dépôt de la SARL Nex, aux dates du 20 et du 28 mai 2020, pour les somme de 1 000 000 et de 1 713 200 euros (pièce n°22 de cette société) ;

- les 9, 11 et 12 juin 2020, M. [X] [U] et les deux sociétés Mabéo et Nex échangent des messages sur l'envoi de marchandises et sur l'envoi d'une facture pro forma du 10 juin 2020, mentionnant l'acompte à payer de 300 000 euros ;

- le 17 juin 2020, la SAS Mabéo se plaint auprès de la société Qonto du « manque de réactivité » de cette société, qui, à cause du défaut de remise d'un document dénommé MT103, lui a fait perdre le bénéfice de l'envoi de 150 000 boîtes de gants ; la société Qonto lui répond le même jour en regrettant les délais de virement, et en l'informant qu'elle a relancé son prestataire bancaire, et qu'elle attend de lui une réponse rapide ; le lendemain 18 juin, la SARL Nex rappelle à nouveau la société Qonto à ses engagements, et l'avertit que si les opérations devaient échouer à cause du non paiement des fournisseurs, elle se verrait dans l'obligation d'agir contre cette société (pièces n°24 et 25 de la société appelante) ;

- le 19 juin 2020, la SARL Nex informe la SAS Mabéo que « le fournisseur Rubberex [leur] enverra la totalité sous 2 semaines à réception du virement », mais que le fournisseur Fitlion n'a « toujours pas reçu les fonds » ;

- le 25 août 2020, la SARL Nex informe la SAS Mabéo des difficultés qu'elle rencontre avec son fournisseur pour l'envoi de 96 800 boîtes : ce fournisseur s'engage à livrer les marchandises pour le jeudi suivant, et la SARL Nex précise qu'elle a pris contact avec le pôle économique de l'ambassade de France, en vue d'une éventuelle action juridique contre ce fournisseur ;

- le 21 septembre 2020, la SAS Mabéo met en demeure, par une lettre recommandée de son avocat, la SARL Nex de lui livrer dans les 48 heures l'ensemble des marchandises commandées, et de lui justifier de l'utilisation des acomptes qu'elle lui a versés ;

- la SARL Nex, dans un courriel du 23 septembre suivant, lui rappelle ses difficultés avec la société Fitlion qui n'a pas respecté ses engagements, et l'informe qu'elle a demandé à cette société, le 9 septembre et conformément à l'article 11.3 de l'acte contractuel établi entre elles, de lui restituer les sommes qu'elle lui a versées, soit 2 421 071,86 euros ; que malgré cette demande aucun remboursement n'est intervenu, et que seule une promesse de versement lui a été faite, pour fin septembre au plus tard ; que la SARL Nex a d'ailleurs fait choix d'un avocat à Singapour. Les termes de ce message sont rappelés dans une lettre du 2 octobre 2020, de l'avocat de la SARL Nex à celui de la SAS Mabéo, qui précise que l'avocat désigné à Singapour doit engager la procédure adéquate contre la société Fitlion, « qui est seule à l'origine des difficultés » ;

- le 28 septembre 2020, la SAS Mabéo demande à la SARL Nex de lui justifier du destinataire d'un virement que cette dernière société a réalisé le 21 mai précédent, pour la somme de 1 000 000 euros ; la SARL Nex lui apporte ce justificatif par courriel en réponse du même jour, et lui expose que « le dossier se présente bien car » elle a pensé à préserver les intérêts des deux sociétés au moyen de « ce contrat » (a priori celui conclu le 22 mai précédent entre la SARL Nex et la société Fitlion Pte. Ltd.) ;

- dans un nouveau message du 5 octobre 2020 à la SAS Mabéo, la SARL Nex lui présente différentes actions possibles : dépôt d'une plainte « contre FITLION et TIM », assignation des mêmes personnes devant la Haute Cour de Singapour afin d'obtenir une saisie conservatoire, ou envoi d'une mise en demeure à Fitlion, puis demande de liquidation de cette société ;

- le 12 octobre 2020, comme déjà énoncé, la SAS Mabéo obtient du président du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand le prononcé d'une ordonnance l'autorisant à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes de la SARL Nex, pour sûreté de sa créance évaluée provisoirement à 2 708 544 euros ; et sur assignation délivrée par la SAS Mabéo, le juge des référés du tribunal de commerce, suivant ordonnance du 2 novembre 2020, condamne la SARL Nex à lui verser une provision de 2 708 544 euros, condamnation ensuite confirmée par la cour d'appel le 28 avril 2021 ;

- le 28 janvier 2021, la SARL Nex envoie à la SAS Mabéo un long message, pour rappeler une réunion tenue le 17 décembre 2020 entre les représentants des deux sociétés, ayant abouti avec « la bonne initiative, éclairée, de réunir leur deux structures dans un but commun ['] afin d'avoir la meilleure issue dans cette affaire » ; il l'informe du dernier état des démarches faites auprès du fournisseur singapourien, puis regrette les actions engagées par la SAS Mabéo contre la SARL Nex, notamment la saisie conservatoire, qui selon le gérant de la SARL Nex nuit aux actions qu'elle exerce elle-même contre son propre fournisseur. La SARL Nex se déclare victime « de ce qui semble être une grande fraude liée au Covid-19 », lui demande de lever la saisie afin qu'elle puisse continuer les poursuites à Singapour et « récupérer 250 000 euros » ; elle se propose d'autre part de « mener une action contre la Caisse d'épargne car ils sont à l'origine de toute cette mésaventure par le fait d'avoir bloqué les fonds pendant plus de trois semaines », alors que les marchandises étaient disponibles.

Il ne ressort pas de ces éléments, et des autres pièces produites de part et d'autre, que la SAS Mabéo se soit immiscée dans les démarches de la SARL Nex auprès de ses fournisseurs : aucune preuve n'est établie, ni de l'injonction que la SAS Mabéo aurait faite à la SARL Nex de prendre attache avec l'ambassade de France, ni de contacts que la première de ces sociétés aurait pris directement avec M. [X] [U], à l'insu ou contre la volonté de la SARL Nex, ni non plus d'injonctions ou de pressions de la SAS Mabéo, pour obtenir le transfert de fonds à l'un des fournisseurs de Singapour. La seule intervention de la SAS Mabéo auprès d'une tierce personne s'est limitée, outre la demande d'information qu'elle reconnaît auprès d'un avocat de Singapour, au message qu'elle a envoyé le 17 juin 2020 à la société Qonto, pour lui reprocher le défaut de remise d'un document, qui lui a fait perdre le bénéfice de l'envoi d'une partie des marchandises ; or à la date de ce message, les sociétés Mabéo et Nex agissaient de concert et sans opposition entre elles, puisque la SARL Nex a elle-même, dans un message envoyé le lendemain 18 juin 2020, adressé un avertissement à la société Qonto, sans se plaindre d'une quelconque ingérence de la SAS Mabéo. Ce reproche d'immixtion n'apparaît pas davantage dans le courriel envoyée le 28 janvier 2021 par la SARL Nex à la SAS Mabéo ; il n'apparaît pas non plus dans la lettre du 2 octobre 2020, envoyée par l'avocat de la SARL Nex à celui de la SAS Mabéo, qui énonce que la société Fitlion « est seule à l'origine des difficultés ».

Aucune immixtion fautive n'est donc établie, à l'encontre de la SAS Mabéo ; à supposer même qu'une quelconque faute de cette nature soit démontrée, elle ne pourrait exonérer la SARL Nex de ses propres obligations que si elle avait eu pour conséquence d'empêcher la livraison des marchandises commandées ; or la SARL Nex n'apporte pas la preuve de ce lien de cause à effet ; dans son message du 28 janvier 2021, elle se déclarait victime d'une vaste fraude, et mettait aussi en cause l'attitude de la Caisse d'épargne, sans critiquer celle de la SAS Mabéo, sinon pour les actions en recouvrement qu'elle avait engagées contre la SARL Nex.

Sur ce dernier point, il est rappelé que les marchandises devaient être livrées pour le 25 mai 2020, que la SAS Mabéo avait versé d'importants acomptes à la SARL Nex, et qu'elle a attendu le 28 septembre 2020, après avoir envoyé une mise en demeure à celle-ci, pour saisir le président du tribunal de commerce d'une requête aux fins de saisie conservatoire ; il est encore rappelé qu'à la date de cette demande, la SARL Nex n'avait encore obtenu de son fournisseur que la promesse de restitution des fonds versés, promesse qui n'a pas été tenue. Dans de telles circonstances, la SAS Mabéo pouvait légitimement, pour sauvegarder ses intérêts vu les importants acomptes qu'elle avait versés, demander une saisie conservatoire et engager une procédure de référé. Cette dernière procédure a d'ailleurs prospéré en première instance puis en appel, démontrant le caractère non sérieusement contestable de sa créance, et le bien fondé de son action ; il ne peut être fait grief à la SAS Mabéo d'avoir usé des voies de droit pour préservation cette créance. Rien n'établit d'ailleurs que, si la saisie conservatoire des comptes de la SARL Nex n'avait pas été pratiquée, cette société aurait été en mesure d'obtenir la restitution des sommes qu'elle avait versées à son propre fournisseur.

La SARL Nex a donc manqué à l'obligation de résultat qu'elle avait contractée, de livrer la totalité des marchandises à la date convenue, et elle ne peut se prévaloir d'une faute de la société acquéreuse, qui aurait contribué à ce défaut d'exécution. Celui-ci présente une gravité suffisant à justifier la résolution du contrat, que le tribunal a prononcée à bon droit. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé cette résolution, et condamné par suite la SARL Nex à restituer les acomptes qu'elle a reçus.

La SAS Mabéo demande par ailleurs l'allocation de 795 787,20 euros de dommages et intérêts, en réparation de la perte de marge qu'elle dit avoir subie, par suite du défaut de livraison des marchandises ; cependant et comme l'a justement énoncé le tribunal, elle ne présente aucune preuve ni du taux de marge de 30 % qu'elle affirme dégager sur ce type de produits, ni de commandes qu'elle aurait obtenues pendant la période en cause, de sorte qu'elle ne permet pas à la juridiction de vérifier le montant de son préjudice prétendu. Il convient de confirmer encore le jugement de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition des parties au greffe de la cour ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Condamne SARL Nex Alliance International à payer à la SAS Mabéo une somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel ;

Rejette le surplus des demandes.

Le greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/01712
Date de la décision : 28/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-28;21.01712 ?
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