COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 15 Mars 2023
N° RG 21/01485 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FUF7
VD
Arrêt rendu le quinze Mars deux mille vingt trois
Sur APPEL d'une décision rendue le 08 juin 2021 par le Tribunal de commerce d'AURILLAC (RG n° 2021/J00012)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Virginie DUFAYET, Conseiller
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE CENTRE FRANCE
Société coopérative à capital et personnel variables immatriculée au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le n° 445 200 488 00010
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(postulant) et la SCP MOINS, avocats au barreau d'AURILLAC (plaidant)
APPELANTE
ET :
M. [F] [D]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Mme [P] [D] épouse née [V]
[Adresse 4]
[Localité 1]
La société SOLEIL SUR [Adresse 4]
SARL immatriculée au RCS d'Aurillac sous le n° 512 641 994 00011
[Adresse 4]
[Localité 1]
Les 3 intimés tous représentés par Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Corinne SERMADIRAS, avocat au barreau d'AURILLAC (plaidant)
INTIMÉS
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 19 Janvier 2023, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame DUFAYET, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET :
Prononcé publiquement le 15 Mars 2023 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Par acte en date du 10 mars 2020, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre France (CRCAMCF) a assigné en paiement devant le tribunal de commerce d'Aurillac d'une part la SARL Soleil sur [Adresse 4] en paiement des sommes dues au titre de deux prêts, d'autre part Mme [P] [V] épouse [D] et M. [F] [D] en leur qualité de cautions solidaires desdits prêts.
Par jugement du 8 juin 2021, le tribunal de commerce a :
- condamné la SARL Soleil sur [Adresse 4] à payer à la CRCAMCF les sommes de :
- 183 694,67 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,45% du 20 octobre 2020 jusqu'au paiement intégral ;
- 22 940,19 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,45% du 20 octobre 2020 jusqu'au paiement intégral ;
- 2 780,04 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,45% du 20 octobre 2020 jusqu'au paiement intégral ;
- débouté la CRCAMCF de sa demande de condamnation solidaire de Mme [P] [D] et de M. [F] [D] ;
- condamné la SARL Soleil sur [Adresse 4] à payer à la CRCAMCF la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;
- condamné la SARL Soleil sur [Adresse 4] aux dépens.
La CRCAMCF a interjeté appel de cette décision par déclaration électronique en date du 6 juillet 2021.
Dans ses dernières conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 24 octobre 2022, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1193, 2288 et suivants du code civil, anciens 1203, 2288 et suivants, 2290, 2298, 2302 et suivants du code civil, de :
- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation solidaire de Mme [D] et de M. [D] ;
- statuant à nouveau, à titre principal condamner solidairement avec la SARL Soleil sur [Adresse 4], Mme [P] [V] épouse [D] et M. [F] [D], en leurs qualités de cautions solidaires, à lui payer chacun, dans la limite de leur engagement, les sommes suivantes :
- 26 270 euros, avec intérêts au taux contractuel du 20 octobre 2020 au jour du règlement intégral, au titre du prêt de 262 700 euros n°00000195865 ;
- 17 500 euros avec intérêts au taux contractuel du 20 octobre 2020 au jour du règlement intégral, au titre du prêt de 35 000 euros n°00000421292 ;
- à titre subsidiaire :
- condamner Mme [P] [V] épouse [D], en sa qualité de caution, solidairement avec la SARL Soleil sur [Adresse 4], aux mêmes sommes, dans la limite de son engagement ;
- condamner M. [F] [D], en sa qualité de caution, solidairement avec la SARL Soleil sur [Adresse 4], aux mêmes sommes, dans la limite de son engagement ;
- en tout état de cause condamner in solidum la SARL Soleil sur [Adresse 4] et les époux [D] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de maître Rahon.
Dans leurs dernières conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 8 novembre 2022, la SARL Soleil sur [Adresse 4] et les époux [D] demandent à la cour de :
- débouter la CRCAMCF de l'ensemble des ses demandes ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la CRCAMCF de sa demande de condamnation solidaire des époux [D] ;
- condamner la CRCAMCF à payer aux époux [D] la somme de 1 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de maître Gutton pour ceux dont elle aurait fait l'avance sans être provisionnée.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l'exposé complet de leurs prétentions et moyens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 novembre 2022.
Motivation de la décision :
A titre liminaire il est indiqué que l'appel ne porte que sur la nature de l'engagement de caution des époux [D]. La décision est définitive en ce qu'elle a condamné la SARL Soleil de [Adresse 4] à paiement, aucune des parties ne contestant ces dispositions de la décision.
Plus précisément encore, l'appel ne porte que sur le point de savoir si les cautions se sont portées cautions solidaires entre elles, étant rappelé que leur solidarité avec la SARL n'est pas contestée.
En effet, pour débouter la CRCAMCF de ses demandes, le tribunal a écrit ceci :
'La CRCAMCF justifie des contrats de cautionnement solidaire avec la SARL Soleil sur [Adresse 4] signés par Mme [D] d'une part et M. [D] d'autre part, s'engageant chacun dans la limite de 26 270 euros au titre du prêt de 262 700 euros et 17 500 euros au titre du prêt de 35 000 euros et des informations annuelles faites aux cautions.
Toutefois, elle demande dans son dispositif la condamnation solidaire des cautions au paiement des sommes de 26 270 euros et 17 500 euros alors que s'il y a bien solidarité avec la société, il n'y a pas de solidarité entre elles, conformément aux dispositions contenues page 6 du contrat de prêt 'en cas de cautionnements multiples et partiels, les divers engagements de caution destinés à garantir le prêt sont cumulatifs et non alternatifs, ainsi le prêteur pourra actionner chacune des cautions à hauteur de son engagement total tant que le crédit cautionné ne sera pas intégralement soldé'.'
L'appelante indique que le tribunal a fait une fausse interprétation de ses demandes en considérant qu'il était sollicité la solidarité des cautions entre elles.
Elle indique que même dans ce cas, cela ne justifie pas la décision rendue car le tribunal a retenu à tort que les cautions ne pouvaient pas être solidaires entre elles, mais uniquement à l'égard de la débitrice principale.
Elle rappelle que selon la jurisprudence (Cass. Civ 1ère 27 juin 1984), il résulte de la combinaison des articles 2298, 2302, 2303 et ancien 1203 du code civil que, lorsque plusieurs personnes se sont rendues cautions solidaires d'un même débiteur, pour une même dette, elles sont obligées chacune, l'une à l'égard de l'autre, à toute la dette et ne peuvent, sauf convention contraire, opposer au créancier qui les poursuivait solidairement le bénéfice de division.
Elle ajoute que l'acte de caution en page 6 est très clair à cet égard et que le tribunal a fait une interprétation erronée de la clause qu'il cite. Celle-ci ne signifie pas que chacune des cautions n'est pas tenue solidairement à l'égard des autres, mais que l'engagement de chaque caution doit s'ajouter pour garantir le crédit et que le prêteur est libre de choisir la ou les cautions qu'il souhaite actionner pour recouvrer sa créance.
En outre, en matière commerciale, la solidarité se présume.
Les intimés font valoir que la solidarité ne se présume pas aux termes des dispositions du code civil. En outre, la solidarité entre cautions n'est pas prévue par le contrat, mais seulement la solidarité entre chaque caution et l'emprunteur. Le fait qu'ils soient mariés sous le régime de la communauté légale est indifférent.
Sur ce, il résulte de l'article 2302 du code civil que lorsque plusieurs personnes se sont rendues cautions d'un même débiteur pour une même dette, elles sont obligées chacune à toute la dette.
Cependant, lorsque deux personnes se sont portées cautions solidaires d'un débiteur par acte séparé, chacune pour un montant limité, le créancier se trouve garanti à hauteur du cumul des deux plafonds, dès lors que les actes prévoyaient que le cautionnement s'ajoutait aux autres garanties fournies par tous tiers (Cass. Civ. 1ère 8 octobre 1996).
Par ailleurs, si le cautionnement en question est bien de nature commerciale, les consorts [D] s'étant portés cautions du prêt souscrit par la SARL dont ils sont gérants ainsi que cela ressort de la première page du contrat de prêt, la présomption de solidarité qui s'attache aux cautionnements de nature commerciale n'est pas irréfragable et la preuve contraire peut être rapportée, qu'il s'agisse de la solidarité envers l'emprunteur, ou entre les cautions.
En l'espèce, et pour les deux contrats, la partie relative au cautionnement se trouve en page 6 de l'acte de prêt et est rédigée ainsi pour ce qui intéresse le présent litige :
'CAUTIONNEMENT SOLIDAIRE
(...)
Chaque caution, après avoir pris connaissance des clauses et conditions du présent prêt :
- déclare se constituer caution solidaire de l'emprunteur avec le prêteur qui accepte, pour le remboursement des sommes dues en principal, intérêts, frais et accessoires, en vertu du présent acte et jusqu'à concurrence des sommes acceptées par chaque caution,
- renonce au bénéfice de discussion, c'est-à-dire qu'au cas où le prêteur serait le créancier d'une somme quelconque, il pourrait poursuivre indifféremment l'emprunteur et/ou l'une ou l'autre des cautions,
- renonce au bénéfice de division ce qui implique qu'au cas où le prêteur serait garanti par d'autres cautions, il pourrait réclamer toute créance à une seule des cautions, dans la limite de son engagement, sans avoir à poursuivre les autres cautions.
Chaque caution déclare :
(...)
- qu'en cas de cautionnements multiples et partiels, les divers engagements de caution destinés à garantir le crédit sont cumulatifs et non alternatifs, ainsi le prêteur pourra actionner chacune des cautions à hauteur de son engagement total tant que le crédit cautionné ne sera pas intégralement soldé,
(...)'
En outre, et pour les deux prêts, chacune des deux cautions a rédigé son propre engagement de caution sous son nom. Ils sont rédigés comme suit :
- pour le prêt de 262 700 euros : 'en me portant caution solidaire de la SARL Soleil sur [Adresse 4] dans la limite de la somme de 26 270 euros (vingt-six mille deux cent soixante-dix euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard pour la durée de 240 mois, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si la SARL Soleil sur [Adresse 4] n'y satisfait pas lui-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec la SARL Soleil sur [Adresse 4] je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement la SARL Soleil sur [Adresse 4].'
- pour le prêt de 35 000 euros : même formule mais dans la limite de la somme de 17 500 euros.
Ainsi, ces engagements individuels ne font nullement référence l'un à l'autre. Seule la solidarité avec l'emprunteur est mentionnée.
S'il en résulte que chaque caution s'est engagée solidairement envers l'emprunteur, aucune mention de l'acte de prêt et, plus important encore, de l'engagement de caution, ne fait référence à une quelconque solidarité entre cautions.
Au regard de ce qui a été rappelé ci-dessus et des dispositions du contrat relatif au caractère cumulatif des engagements de caution, il est également très clair que chaque caution s'est engagée pour les sommes limitatives stipulées à l'acte et que les cautions sont cumulatives et non alternatives, le créancier pouvant poursuivre chacune dans la limite du plafond conventionnellement fixé.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments d'une part que la présomption de solidarité entre les cautions est renversée ; d'autre part que le débat est relativement dénué d'intérêt car la stipulation d'une solidarité entre cautions ne peut avoir pour effet de les rendre débitrices d'une somme excédant la limite de leur engagement tel qu'il est porté dans la mention manuscrite portée sur l'acte (Cass. Civ. 1ère 1er juin 1999).
Chacune sera donc condamnée solidairement avec la SARL au paiement des sommes réclamées dans les limites rappelées, la solidarité entre elles étant écartée.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, bien que l'appelante triomphe principalement en son appel.
Les consorts [D] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Infirme, dans la limite de sa saisine, le jugement déféré ;
Y ajoutant :
Déboute la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre France de sa demande de condamnation des cautions solidairement entre elles ;
Condamne Mme [P] [V] épouse [D], en sa qualité de caution, solidairement avec la SARL Soleil sur [Adresse 4], à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Centre France, les sommes suivantes :
- 26 270 euros, avec intérêts au taux contractuel du 20 octobre 2020 au jour du règlement intégral, au titre du prêt de 262 700 euros n°00000195865 ;
- 17 500 euros avec intérêts au taux contractuel du 20 octobre 2020 au jour du règlement intégral, au titre du prêt de 35 000 euros n°00000421292 ;
Condamne M. [F] [D], en sa qualité de caution, solidairement avec la SARL Soleil sur [Adresse 4], à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Centre France, les sommes suivantes :
- 26 270 euros, avec intérêts au taux contractuel du 20 octobre 2020 au jour du règlement intégral, au titre du prêt de 262 700 euros n°00000195865 ;
- 17 500 euros avec intérêts au taux contractuel du 20 octobre 2020 au jour du règlement intégral, au titre du prêt de 35 000 euros n°00000421292 ;
Déboute la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Centre France de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum Mme [P] [V] épouse [D] et M. [F] [D] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de maître Rahon.
Le greffier, La présidente,