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18/01/2023 | FRANCE | N°21/01458

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre commerciale, 18 janvier 2023, 21/01458


COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale















ARRET N°



DU : 18 Janvier 2023



N° RG 21/01458 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FUD2

CV

Arrêt rendu le dix huit Janvier deux mille vingt trois



Sur APPEL d'une décision rendue le 21 mai 2021 par le Tribunal de commerce de MONTLUCON



COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Monsieur Christophe VIVET, Président de chambre<

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Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller



En présence de : Mme Pauline LACROZE, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel du prononcé



ENTRE :



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COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 18 Janvier 2023

N° RG 21/01458 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FUD2

CV

Arrêt rendu le dix huit Janvier deux mille vingt trois

Sur APPEL d'une décision rendue le 21 mai 2021 par le Tribunal de commerce de MONTLUCON

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Monsieur Christophe VIVET, Président de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

En présence de : Mme Pauline LACROZE, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel du prononcé

ENTRE :

La BANQUE NUGER

SA à directoire et conseil de surveillance immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n° 855 201 463 00335

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : la SCP HUGUET-BARGE-CAISERMAN-FUZET, avocats au barreau de CUSSET/VICHY

APPELANTE

ET :

Mme [Z] [F]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentant : Me Oceane POCHAT, avocat au barreau de MONTLUCON

INTIMÉE

DÉBATS :

Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 17 Novembre 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Monsieur VIVET, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRET :

Prononcé publiquement le 18 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE

La SARL Pôle-Arts 58 a été fondée par acte sous seing privé du 31 janvier 2014 aux fins d'acquisition d'un fonds de commerce de librairie-papeterie à [Localité 5] (Nièvre), par M.[E] [D], Mme [Z] [F] et la SARL Librairie Papeterie des Ecoles, à qui ont été attribuées respectivement 1400 parts, 500 et 100 parts, sur 2.000 parts constituant le capital social. M.[D] a été désigné gérant.

Le 12 février 2014, la SARL Pôle-Arts 58 (la société) a ouvert un compte professionnel dans les livres de la SA Banque Nuger (la banque).

La SA Banque Nuger a ensuite consenti à la SARL Pôle Arts 58 deux prêts, le premier par acte sous seing privé du 16 avril 2014, d'un montant de 17.900 euros au taux de 3,75 %, remboursable en 60 mensualités, le second par acte sous seing privé du 04 août 2015 d'un montant de 70.000 euros au taux de 1,93 % remboursable en 60 mensualités. Ce dernier prêt était garanti par un nantissement de fonds de commerce et par le cautionnement solidaire et indivisaire de M. [D], dans la limite de 50 %.

Par acte sous seing privé du 13 février 2016, Mme [Z] [F] s'est portée caution personnelle et solidaire, pour une durée de dix ans, de toutes sommes dues par la société SARL Pôle Arts 58 à la SA Banque Nuger, à hauteur de 91.000 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard.

Le 03 mars 2016, la société SARL Pôle Arts 58 a souscrit un billet à ordre d'un montant de 35.000 euros, avec échéance au 03 avril 2016.

Par jugement prononcé le 16 mars 2016, le tribunal de commerce de Nevers a placé sous procédure de sauvegarde judiciaire la société SARL Pôle Arts 58.

La SA Banque Nuger a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire par lettre du 19 avril 2016, exposant que la société était débitrice envers elle des sommes de 34.185,84 euros au titre du solde débiteur du compte courant, 11.431,27 euros au titre du prêt du 16 avril 2014, 62.176.81 euros au titre du prêt du 04 août 2015 et 35.000 euros au titre du billet à ordre du 03 avril 2016.

La banque a informé Mme [Z] [F] par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 20 avril 2016, en sa qualité de caution solidaire, de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, la mettant en demeure de s'acquitter des sommes dues par la société.

Le tribunal de commerce de Nevers, par jugement du 20 avril 2016, a converti la procédure de sauvegarde en procédure de redressement judiciaire, puis par jugement du 15 juin 2016 a converti cette dernière en procédure de liquidation judiciaire.

Par LRAR du 26 juillet 2016, la SA Banque Nuger a mis en demeure Mme [Z] [F], en sa qualité de caution solidaire, de lui verser la somme de 34.185,84 euros au titre du compte courant professionnel de la société.

Par acte d'huissier du 15 juin 2018, la SA Banque Nuger a assigné Mme [Z] [F] devant le tribunal de commerce de Montluçon en paiement de la somme de 91.000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2016 et de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [F] s'est opposée aux demandes et a demandé au tribunal de condamner la banque à lui payer la somme de 131.000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 21 mai 2021, le tribunal de commerce de Montluçon a statué comme suit :

- dit qu'en application de l'article L.632-1 du code de commerce, la caution obtenue auprès de Mme [Z] [F] était frappée de nullité,

- déboute en conséquence la SA Banque Nuger de sa demande de paiement de la somme de 91.000 euros au titre de l'engagement de caution,

- déboute Mme [Z] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice financier et préjudice moral,

- condamne la SA Banque Nuger à verser à Mme [Z] [F] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- ordonne l'exécution provisoire du jugement.

Le tribunal a jugé qu'il ressortait de l'examen de la date et des opérations de crédit que la banque avait laissé filer dès le premier janvier 2016 le découvert consenti à la société, et qu'elle avait pendant cette période obtenu la caution de Mme [F] par erreur et sans contrepartie, la liquidation judiciaire étant prononcée à peine quatre mois après le cautionnement. Le tribunal a considéré, au visa de l'ancien article 1110 du code civil et en rappelant que l'erreur était cause de nullité de la convention lorsqu'elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet, que l'engagement de caution du 13 février 2016 était frappé de nullité, et en conséquence a débouté la banque de sa demande en paiement. Le tribunal a rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [F] au motif qu'elle ne pouvait ignorer totalement les difficultés de la société, malgré le comportement de la banque.

Par déclaration d'appel du 02 juillet 2021, la SA Banque Nuger a relevé appel du jugement.

Par ses conclusions récapitulatives déposées et notifiées par voie électronique le 4 octobre 2022, la banque présente les demandes suivantes à la cour, au visa des articles 2288 et suivants, 1134 ancien devenu 1103 et 1104, 1109 ancien et suivants devenus 1130 et suivants du code civil, L.632-1 et suivants du code de commerce, L.332-1 du code de la consommation :

- débouter Mme [Z] [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement du 21 mai 2021 en ce qu'il a prononcé la nullité de l'engagement souscrit par Mme [F], l'a en conséquence déboutée de sa demande en paiement de la somme de 91.000 euros, et l'a condamnée à verser à Mme [F] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- réformer le jugement dont appel, et statuant à nouveau :

- condamner Mme [F] à lui payer et porter la somme de 91.000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2016, en application de son engagement de caution solidaire indivisible de portée générale du 13 février 2016,

- condamner Mme [F] à lui payer et porter la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- en tout état de cause, condamner Mme [F] à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses demandes, la banque soutient que ni le tribunal ni Mme [F] n'ont caractérisé l'erreur vice du consentement, et que cette erreur ne peut avoir pour origine l'ouverture de la procédure collective quatre mois après l'engagement, la validité du consentement devant être appréciée au moment de la formation du contrat. La banque conteste l'existence d'une quelconque erreur, relevant que le contenu de l'engagement de caution était clair et défini quant à sa nature, sa portée et son étendue, et que Mme [F], qui supporte la charge de la preuve sur ce point, ne démontre pas l'erreur. Elle soutient que Mme [F] ne justifie pas de l'existence d'un quelconque vice du consentement, et affirme qu'elle était parfaitement avertie et avait connaissance de la nature et de la portée de son engagement, en ce qu'elle s'engageait à garantir la société de tous ses engagements dans la limite de 91.000 euros.

La banque conteste ensuite l'absence de contrepartie à l'engagement de caution du 13 février 2016, faisant état à ce titre d'une convention d'ouverture de crédit de 40.000 euros consentie le 05 février 2016 à la société. Elle soutient que la prétendue absence de contrepartie ne saurait avoir le moindre effet sur l'erreur vice du consentement.

La banque soutient que Mme [F] avait pleinement conscience de la situation de la société, étant associée et disposant de pouvoirs de représentation et de signature sur le compte bancaire, et qu'elle était en mesure d'évaluer le risque qu'elle prenait en apportant sa garantie.

Sur la demande subsidiaire de Mme [F], la banque conteste la disproportion de l'engagement de caution qu'elle invoque, soutenant que la fiche de renseignements remplie fait état d'une épargne de 150.000 euros, d'un bien immobilier non grevé de garanties d'une valeur de 70.000 euros et de revenus annuels de 22.000 euros au titre de son mandat social dans la SARL Librairie des écoles. La banque soutient donc que l'engagement de 91.000 euros était inférieur à la moitié d'un patrimoine qu'elle évalue à 220.000 euros, et que Mme [F] ne démontre ni l'existence d'une disproportion évidente, ni que son patrimoine actuel ne lui permette de faire face à son engagement.

Sur l'appel incident et la demande de dommages et intérêts de Mme [F], la banque expose que celle-ci ne démontre pas l'existence du soutien abusif qu'elle invoque et n'a d'ailleurs pas engagé d'action en ce sens, et qu'elle ne peut invoquer un défaut d'information, devant être considérée comme une caution avertie, au regard de sa situation professionnelle. Elle soutient que les préjudices allégués ne sont pas démontrés et ne lui sont pas imputables.

Par conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 15 décembre 2021, Mme [Z] [F] présente les demandes suivantes à la cour, au visa des articles 2288, 1134 ancien, 1109 ancien et suivants du code civil, et L. 332-1 du code de la consommation :

- déclarer la SA Banque Nuger mal fondée en son appel et en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du cautionnement souscrit et débouté la SA Banque Nuger de l'ensemble de ses demandes, et en ce qu'il a condamné celle-ci à lui payer une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi outre les dépens,

- subsidiairement, si la cour ne faisait pas droit à la demande en nullité de cautionnement, dire celui-ci inopposable à Mme [F] pour disproportion manifeste et débouter la banque de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- et faisant droit à son appel incident, réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle, et statuant à nouveau :

- condamner la SA Banque Nuger à lui verser la somme de 131.000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de sa position, Mme [F] soutient que, lorsque son cautionnement a été sollicité le 13 février 2016, la société se trouvait déjà en cessation de paiements, puisque le tribunal en a fixé la date au 05 janvier 2016, et que la procédure de sauvegarde a été ouverte le 16 mars 2016, un mois après le cautionnement, et la liquidation prononcée le 15 juin 2016. Elle affirme que la banque connaissait parfaitement la situation de la société avec qui elle était en relation d'affaires depuis sa constitution, et à qui elle avait consenti un prêt de 17.900 euros le 16 avril 2014, un prêt de trésorerie de 70.000 euros le 04 août 2015, et un billet à ordre de 35.000 euros le 03 mars 2016, quelques jours avant le dépôt de bilan.

Mme [F] relève que, selon la déclaration de créance de la banque, la société était débitrice des sommes de 34.185,84 euros au titre du solde débiteur du compte courant, 11.431,27 euros au titre du prêt du 16 avril 2014, 62.176.81 euros au titre du prêt du 04 août 2015 et 35.000 euros au titre du billet à ordre du 03 avril 2016. Elle soutient que la banque connaissait donc l'état de cessation de paiement de la société et s'est ménagée en sa personne un débiteur solvable en obtenant une caution pour tous engagements et sans nouveau financement. Elle soutient donc que son consentement a été vicié et que la banque a en outre commis un dol viciant de plus fort son consentement en ce que, à la date de souscription du cautionnement, d'une part la société était débitrice de plus de 73.000 euros au titre des prêts consentis et d'autre part le déficit du compte courant s'était aggravé en un mois, passant de 11.489,21 euros à 76.461,76 euros, alors que la banque avait consenti six mois plus tôt un prêt de 70.000 euros destiné à pallier les difficultés de trésorerie et qu'elle avait, quelques jours avant la souscription du cautionnement, rejeté les lettres de change relevé présentées sur le compte. Mme [F] demande donc la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré le cautionnement nul pour vice du consentement.

A titre subsidiaire, Mme [F] demande que le cautionnement lui soit déclaré inopposable sur le fondement de l'article L.332-1 du code de la consommation, en raison de son caractère disproportionné à ses biens et revenus à la date de la souscription. Elle indique qu'à cette date, en 2016, elle percevait des revenus annuels de 12.500 euros, et était propriétaire d'un appartement acquis un an plus tôt en 2015, à l'aide d'un financement consenti par la même banque, dont la valeur de 70.000 euros était égale au montant du prêt de 69.804 euros, et de 25% des parts d'une SARL Librairie des écoles, dont la valeur était nulle, ce dont la banque était informée, ayant consenti à cette société un prêt de trésorerie de 180.000 euros le 28 mars 2015. Elle expose qu'elle était par ailleurs caution à hauteur de 82.750 euros, dont 58.500 euros envers la banque Nuger.

Mme [F] soutient donc que le cautionnement était disproportionné, comme s'élevant à 14 ans de ses revenus et en l'absence d'un patrimoine significatif, et que la fiche patrimoniale produite par la banque a été établie un an avant la conclusion du cautionnement. Elle admet que cette fiche indique que la valeur des parts de la SARL Librairie des écoles et d'un portefeuille d'actions en indivision s'élève au total à 150.000 euros, chiffre qu'elle affirme illusoire, mais considère que, même à retenir ce chiffre, le cautionnement de 91.000 euros reste disproportionné au regard du fait qu'elle s'était d'ores et déjà engagée à hauteur de 82.750 euros envers la même banque, ce dont il se déduisait qu'elle ne pouvait répondre sur son patrimoine de la somme totale de 173.750 euros. Elle expose que le contrat d'assurance-vie dont se prévaut la banque a été conclu après la souscription du cautionnement, en juin 2016, suite à la perception d'un héritage, et que son montant se limite aujourd'hui à 29.357,69 euros.

Sur son appel incident, elle soutient que la banque a commis des fautes en ne respectant pas son devoir d'information, en omettant de la mettre en garde au regard de ses capacités financières et du risque d'endettement, et en soutenant abusivement la société qui aurait dû être placée en procédure collective en août 2015. Mme [F] soutient qu'en raison de ces fautes elle a consenti le cautionnement et s'est trouvée placée en surendettement, entraînant en outre des répercussions psychologiques. Elle demande à être indemnisée de ces préjudices à hauteur de 131.000 euros, soit 99.000 euros au titre du préjudice financier et 32.000 euros au titre du préjudice moral.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé complet de leurs demandes et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 novembre 2022 et l'affaire appelée à l'audience du 17 novembre 2022.

MOTIFS

Sur la validité de l'engagement de caution

L'article 1108 ancien du code civil dispose que quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention, dont en particulier le consentement de la partie qui s'oblige.

L'article 1110 ancien du code civil dispose que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

En l'espèce, le tribunal, par le jugement critiqué, a retenu, sur le fondement de l'article 1110 ancien du code civil applicable à la date de l'engagement contesté, que la banque avait obtenu le cautionnement par erreur et sans contrepartie. La banque soutient que le tribunal n'a pas caractérisé précisément l'erreur retenue, ce que Mme [F] admet, demandant à la cour de compléter en droit la motivation « un peu elliptique » du tribunal.

Il est néanmoins possible de comprendre, au regard de l'exposé que le tribunal fait des éléments du litige, qu'il a considéré que l'erreur sur la substance même de la chose découlait du fait que la banque avait sollicité la caution sans établir une nouvelle fiche de renseignement patrimoniale et en se fondant sur une fiche établie le 12 janvier 2015, que, à la date de la souscription du cautionnement, la situation de la société était compromise du fait que la banque avait « laissé filer dès le premier janvier 2016 le découvert non consenti à la société », et que l'engagement de caution concernait exclusivement des accords de financement pré-existants, et constituait donc uniquement une nouvelle garantie pour la banque, sans réelle contrepartie explicite.

Mme [F] soutient en substance que l'erreur dont elle se prévaut est caractérisée par le fait que son engagement a été vicié en ce qu'elle l'a donné au profit d'une société qui se trouvait, au moment de l'engagement de caution, en état de cessation de paiement, alors qu'elle n'avait entendu garantir que son éventuelle insolvabilité future. La banque soutient quant à elle que Mme [F] s'est engagée en toute connaissance de cause et qu'aucune erreur n'a entaché son consentement.

Il ressort des éléments du débat que Mme [F] ne peut être considérée comme ayant été tiers à la société cautionnée, puisqu'il est constant qu'elle était détentrice du quart des parts sociales et qu'elle était désignée comme représentante légale de la société, au même titre que le gérant M.[D], dans le document contractuel du 12 février 2014 portant ouverture du compte professionnel de la société dans les livres de la banque, et sur la fiche signée par ses soins le même jour, recueillant les signatures des représentants légaux de la société. Il se déduit de ces éléments que Mme [F] avait accès aux éléments bancaires relatifs à la situation de la société et était donc en mesure d'évaluer sa viabilité.

Il appartient donc à Mme [F] de démontrer que, au moment de la souscription, elle avait fait de la solvabilité de la société la condition déterminante de son engagement de caution, ce qu'elle ne soutient en fait pas, ne s'expliquant pas sur les raisons pour lesquelles elle a souscrit cet engagement, se bornant à exposer que la banque recherchait une caution solvable, ce qui est manifeste. En l'absence de ces éléments, et de toute indication sur les éléments pris en compte par Mme [F] pour accepter de souscrire l'engagement demandé par la banque, il n'est pas précisé la nature exacte ni l'ampleur des éléments au sujet desquels l'erreur alléguée serait survenue.

Il appartient d'autre part à Mme [F] de démontrer qu'elle ignorait la situation réelle de la société cautionnée, et de préciser les éléments dont elle n'a pas eu connaissance au moment de l'engagement et qui l'auraient amené, si elle les avait connus, à renoncer à s'engager. Or, l'exposé de l'historique de la société permet de constater que Mme [F] était nécessairement informée des difficultés qu'elle traversait, puisque, ayant accès aux comptes ouverts auprès de la banque Nuger, elle n'a pu ignorer que cette dernière avait consenti le 04 août 2015 un prêt de trésorerie de 70.000 euros à la société, suite à quoi, le 23 décembre 2015, moins de deux mois avant l'engagement de caution contesté, Mme [F] s'était portée caution d'un prêt de 20.000 euros consenti par la banque CIC à la même société. Il s'en déduit que, le jour de l'engagement de caution, Mme [F] ne pouvait ignorer que la situation de la société était très dégradée, puisqu'au cours des six mois précédents, elle avait eu recours à des prêts de trésorerie s'élevant à 90.000 euros, somme importante au regard du capital social s'élevant à 20.000 euros. Mme [F] ne démontre donc pas plus qu'elle s'est engagée en ignorant la situation réelle de la société cautionnée.

En conséquence, le jugement critiqué n'ayant pas caractérisé le vice du consentement retenu pour prononcer l'annulation de l'engagement de caution, et Mme [F] n'en apportant pas la preuve, le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de l'engagement de caution de cette dernière.

Sur l'opposabilité de l'engagement de caution

L'article L.332-1 ancien du code de la consommation, applicable au contrat conclu avant le premier janvier 2022, dispose qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

En l'espèce, il incombe à Mme [F], qui demande que son engagement de caution lui soit déclaré inopposable en raison de son caractère manifestement disproportionné au regard de son patrimoine et de ses revenus, d'en apporter la preuve, la banque s'opposant à cette demande.

Contrairement à ce que soutient la banque qui affirme que les revenus de l'année 2016 ne peuvent être pris en compte en ce qu'ils étaient inconnus au moment de la conclusion de l'engagement le 16 février 2016, il appartient effectivement à Mme [F] de justifier de ses revenus pour l'année 2016, afin de permettre à la cour d'apprécier, en application du texte susvisé si, au moment de l'engagement, les revenus, au regard du patrimoine, étaient manifestement disproportionnés au montant de l'engagement.

Or, force est de constater que Mme [F], en guise de justificatifs de ses revenus pour 2016, se borne à produire le relevé de ses revenus versés par la SARL Librairie des écoles, soit 13.279 euros. En omettant ainsi de produire son avis d'imposition pour l'année 2016, elle ne justifie pas de l'ensemble de ses revenus, en conséquence de quoi elle ne peut démontrer le caractère manifestement disproportionné du montant du cautionnement, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la composition de son patrimoine. Mme [F] sera donc déboutée de sa demande d'inopposabilité de l'engagement de caution.

En conséquence, l'engagement de caution lui étant opposable, il sera fait droit à la demande de la banque tendant à ce que Mme [F] soit condamnée à lui payer la somme de 91.000 euros prévue contractuellement, le fait que les dettes de la société à l'égard de la banque s'élèvent à un montant supérieur à cette somme n'étant pas contesté. La somme produira intérêts à compter de la mise en demeure du 20 avril 2016.

Sur la demande de dommages et intérêts

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, Mme [F] demande que le jugement soit infirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts présentée sur le fondement de l'article susvisé, ce à quoi s'oppose la banque.

Comme le relève la banque, l'action tendant à engager la responsabilité du banquier suite à un manquement à son devoir de mise en garde ne repose pas sur l'article 1240 du code civil relatif à la responsabilité extra-contractuelle, mais sur l'article 1147 ancien du code civil devenu l'article 1231-1. Il n'y a donc pas lieu de déclarer irrecevable la demande, mais de l'examiner sur ce fondement juridique, qui a pu être débattu par les parties.

Pour mémoire, l'article 1147 ancien du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il sera rappelé que la banque est tenue, à l'égard de la caution non avertie, d'un devoir de mise en garde à raison de ses capacités financières et du risque de l'endettement né de l'octroi du prêt, cette obligation n'étant pas limitée au caractère manifestement disproportionné de son engagement au regard de ses biens et revenus (Com. 01 juillet 2020, n° 18-24.435).

Bien que Mme [F] ne démontre pas le caractère manifestement disproportionné de son engagement, il y a donc lieu d'examiner sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1147 ancien, et en premier lieu de rechercher si elle doit être considérée comme une caution avertie, comme le soutient la banque à l'appui de son opposition à la demande de dommages et intérêts. Mme [F] soutient qu'elle ne peut être considérée comme telle, en ce qu'elle n'était pas gérante de la société et ne détenait que 25% du capital. Or, la banque lui oppose que, à l'époque de son engagement, elle était par ailleurs gérante depuis 18 ans de la SARL Librairie-papeterie des écoles, exerçant la même activité que la SARL Pole-Arts 58, et elle-même titulaire de 5% des parts de cette dernière société.

Il ressort des éléments versés au débat que Mme [F], au moment de son engagement le 16 février 2016, exerçait depuis le 17 janvier 2006 au moins les fonctions de gérante de la SARL Librairie-papeterie des écoles, qui a généré en 2015 un chiffre d'affaires de 1.116.200 euros, et dont elle détient 49% du capital, que cette société était titulaire de 5% des parts de la société cautionnée, et que Mme [F] détenait elle-même 25% des parts. Il s'en déduit que, lorsqu'elle a souscrit l'engagement contesté, Mme [F] exerçait depuis dix ans au moins des fonctions de dirigeante de société dans le même domaine d'activité et dans la même région que ceux de la société cautionnée, et qu'elle disposait de l'accès aux comptes bancaires de cette société dont elle était associée minoritaire, et dirigeante de la société associée minoritaire de la société cautionnée. Elle doit en conséquence être considérée comme une caution avertie, en mesure d'évaluer les risques et avantages de son engagement de caution. En conséquence, la banque n'étant pas tenue à son égard d'un devoir de mise en garde, sa demande de dommages et intérêts pour violation de ce devoir allégué sera rejetée.

Le jugement s'étant borné à rejeter en équité la demande de dommages et intérêts, sans exposer de motivation, il y a lieu de préciser que la décision de ce chef sera confirmée par substitution de motifs.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

L'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l'espèce, Mme [F] étant partie perdante en appel, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, en conséquence de quoi le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la banque aux dépens de première instance, et donc en ce qu'il a condamné celle-ci à payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

De ce fait la demande présentée par Mme [F] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles en appel dont les frais d'avocat sera rejetée. L'équité n'impose pas de faire droit aux demandes présentées sur le même fondement par la banque au titre des frais exposés en première instance et en appel, qui seront donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après débats publics, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, mis à disposition au greffe

CONFIRME par substitution de motifs le jugement prononcé le 21 mai 2021 par le tribunal de commerce de Montluçon en ce qu'il a débouté Mme [Z] [F] de sa demande de dommages et intérêts,

INFIRME le jugement sur le surplus et,

Statuant à nouveau :

CONDAMNE Mme [Z] [F] à payer à la SA Banque Nuger la somme de 91.000 euros (quatre-vingt-onze mille euros), outre intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2016, en application de son engagement de caution du 13 février 2016,

CONDAMNE Mme [Z] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

DEBOUTE les parties de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/01458
Date de la décision : 18/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-18;21.01458 ?
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