COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 21 Septembre 2022
N° RG 21/00238 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FRAU
VD
Arrêt rendu le vingt et un Septembre deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 17 Juillet 2020 par le Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n°18/03952 Ch1 c1)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Virginie DUFAYET, Conseiller
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors du prononcé
ENTRE :
Mme [V] [Y]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et la SELARL AUVERJURIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (plaidant)
APPELANTE
ET :
M. [K] [P]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Patrick THEROND-LAPEYRE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉ
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 02 Juin 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame CHALBOS, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET :
Prononcé publiquement le 21 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Virginie THEUIL-DIF, Conseiller, pour le Président empêché, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Suivant exploit d'huissier en date du 12 octobre 2018, Mme [V] [Y] a fait assigner M. [K] [P] devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand aux fins de le voir condamner, sur le fondement de l'article 1134 du code civil, à lui payer la somme de 10 000 euros, outre 2 000 euros de dommages et intérêts et intérêts légaux.
A l'appui de sa demande, elle a exposé avoir prêté cette somme de 10 000 euros à son ex-concubin et produit une reconnaissance de dette, outre une sommation interpellative demeurée vaine.
Par jugement du 17 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a :
- débouté Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté M. [P] de sa demande de condamnation de Mme [Y] pour procédure abusive ;
- condamné Mme [Y] à payer à M. [P] une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [Y] aux dépens.
A l'appui de sa décision, le tribunal a relevé que pour fonder sa demande, Mme [Y] se prévalait d'une reconnaissance de dette ne répondant pas aux exigences de l'article 1376 et ne constituant qu'un commencement de preuve par écrit, complété par aucun autre élément de preuve. Il a notamment relevé que si la preuve du virement d'une somme de 10 000 euros de son compte au profit de M. [P] attestait de la remise de fonds, ce virement ne démontrait pas l'existence d'un prêt.
Suivant déclaration électronique en date du 29 janvier 2021, Mme [Y] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 19 octobre 2021, Mme [Y] demande à la cour, au visa des anciens articles 1134 et 1326, de :
- réformer le jugement ;
- condamner M. [P] à lui payer la somme de 10 000 euros en principal, outre les intérêts de retard à compter du 29 avril 2016, date de la sommation interpellative et ce jusqu'au complet paiement ;
- condamner M. [P] au paiement d'une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts afin de réparer le préjudice qu'elle subit ;
- débouter M. [P] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner M. [P] à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
A l'appui de ces demandes, elle expose tout d'abord que la reconnaissance de dette qu'elle produit doit être examinée au visa des dispositions alors applicables à sa date, soit l'article 1326 ancien du code civil. Elle estime que la reconnaissance de dettes répond aux exigences de ce texte, qu'elle est en outre très claire dans le texte et que la comparaison de signature est probante. En cause d'appel, elle produit de nouvelles pièces : courriers et attestations. Elle sollicite le rejet de la demande de compensation formulée par M. [P] et rappelle que la plainte de ce dernier à son encontre pour faux a été classée sans suite.
Suivant conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 22 juillet 2021, M. [P] demande à la cour de :
- confirmer le jugement ;
- débouter Mme [Y] de toutes ses demandes accessoires en cause d'appel : dommages et intérêts et article 700 ;
- recevoir M. [P] en ses demandes reconventionnelles ;
- confirmer sur ce plan le jugement dont appel en toutes ses dispositions et y ajoutant condamner Mme [Y] à lui payer les sommes suivantes :
- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens ;
- même si cela n'a aucune valeur juridique, donner acte à M. [P] de ce qu'il se réserve le droit de déposer plainte avec constitution de partie civile pour faux et usage de faux à l'encontre des protagonistes du dossier : Mme [Y] et ses prétendus témoins.
M. [P] maintient son argumentation selon laquelle :
- il n'a jamais rédigé ni signé la moindre reconnaissance de dette envers Mme [Y];
- la somme de 10 000 euros qu'elle lui a versée constitue une compensation de diverses dépenses qu'il a assumées pour le couple ;
- les nouveaux documents produits en cause d'appel sont soit insuffisants, soit mensongers.
Il sera renvoyé aux écritures respectives des parties pour l'examen complet de leurs prétentions et moyens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 30 mai 2022.
Motivation de la décision
A titre liminaire, il sera relevé qu'il n'est pas contesté par les parties que M. [P] a bien bénéficié de la part de Mme [Y] d'un chèque d'un montant de 10 000 euros qu'il en encaissé sur son compte, cependant il prétend qu'il ne s'agissait pas d'un prêt.
En vertu des dispositions de l'article 1326 du code civil dans sa version applicable à l'espèce, l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres.
En guise de reconnaissance de dette, Mme [Y] produit une pièce dactylographiée vraisemblablement sur ordinateur, adressée à elle par M. [P], portant la date du samedi 13 juin 2015, en objet la mention 'RECONNAISSANCE DE DETTE' et rédigée comme suit:
' Je, [K] [P] né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 6], habitant au [Adresse 7], reconnais devoir à ma chérie ([A]) [V] [Y] né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 5] et habitant parfois chez moi à [Localité 8] (pas assez souvent à mon gout) et à [Adresse 4] au [Adresse 4], dix mille euros (10000 euros) qu'elle me prête aujourd'hui (13 juin 2015) pas chèque N°0870764 de son compte du crédit agricole.
J'en ai juste besoin pour un apport suite à mon changement de banque (je vais mettre 7000 euros sur un LEP ET 3000 euros sur un livret A qu'est ce t'en pense') comptes que j'ouvre au crédit mutuel à [Localité 8]).
Dès que mon compte courant est transféré au crédit mutuel je lui rendrai ces dix mille euros.
Si jamais j'en ai besoin pour les travaux de ma maison, je m'engage à les lui rendre au plus tard dans un an puisque elle me donne son accord.
Merci ma chérie
Fait en double exemplaire.'
Au bas de cette pièce figure la mention 'M [K] [P].' avec une signature en dessous.
M. [P] nie être l'auteur et le signataire de ce document et prétend que la somme n'a pas été prêtée mais donnée en compensation d'autres charges et dépenses assumées par lui.
Ainsi que l'a retenu le premier juge, cet écrit ne répond pas aux exigences de l'article 1326 précité puisque d'une part la somme n'est pas écrite de façon manuscrite, d'autre part et surtout M. [P] ne reconnaît pas l'avoir signé.
Il est constant que dans un tel cas, il appartient au juge de procéder lui-même à l'examen de l'écrit litigieux, à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte.
En l'espèce, la comparaison entre la signature figurant sur l'acte et celle figurant sur la sommation interpellative du 29 avril 2016 ne permet pas de conclure de façon certaine à une identité de signature, étant précisé que la signature de M. [P] n'est pas d'une grande complexité sur le plan de la calligraphie.
Il s'ensuit que l'acte dont se prévaut Mme [Y] ne vaut qu'à titre de commencement de preuve par écrit.
Pour compléter un commencement de preuve par écrit, les juges du fond doivent se fonder sur les éléments extérieurs à l'acte lui-même.
Mme [Y] verse ainsi au débat en cause d'appel :
- une attestation rédigée par Mme [H] [Y], épouse de son frère
- une attestation rédigée par M. [G] [Y], son frère
- une attestation rédigée par M. [C] [R], ami
- une attestation rédigée par Mme [N] [F] [R], amie
- une attestation rédigée par Mme [T] [L], amie
- une attestation rédigée par Mme [J] [Y], soeur.
Dans leur attestation respective, M. [C] [R], Mme [N] [F] [R] et Mme [T] [L] témoignent d'un repas commun mi-juin 2015 avec Mme [Y] et M. [P] au domicile de ce dernier à [Localité 8] au cours duquel le prêt de la somme de 10 000 euros a été évoqué et M. [P] a établi une reconnaissance de dette sur ordinateur. Mme [L] précise que ce repas était un déjeuner qui a eu lieu le 13 juin 2015. Mme [F] [R] évoque également un déjeuner.
Mme [H] [Y] et M. [G] [Y] attestent quant à eux de l'existence de ce prêt d'argent.
Mme [J] [Y] évoque des dîners communs réguliers avec son frère, sa soeur et leurs conjoints et le fait que courant juin 2015, le prêt de la somme de 10 000 euros a été évoqué, ainsi que la présence d'une reconnaissance de dette.
Mme [Y] verse également au débat un courrier qui aurait été adressé par Mme [H] [Y], épouse de son frère, à M. [P] le 15 décembre 2015 et aux termes duquel elle lui indique notamment ceci : '(...) j'ai pu constater que tu n'avais toujours pas versé, sur le compte bancaire de [A], la somme de 10 000 (dix mille) euros qu'elle t'a prêté au mois de juin 2015. Je t'invite à la faire dès réception de ce courrier et dans les meilleurs délais.' Mme [Y] produit la preuve de l'envoi de ce courrier en recommandé avec accusé de réception, bien que la date ne soit pas visible sur cette pièce à l'exception du jour du dépôt qui était bien le 15 du mois, sans autre précision lisible.
De son côté, M. [P] indique notamment que :
- le 13 juin 2015 il n'y a eu aucun déjeuner, ni dîner avec quiconque à son domicile,
- ce jour là sa fille participait à une marche à [Localité 8] dans l'après-midi (les 13 kilomètres thiernois) pour laquelle il l'a véhiculée et préalablement déjeuné avec elle et Mme [Y].
Sa fille [B] [P] a rédigé une attestation en ces termes :
'Le 13 juin 2015 avait lieu les '13 kilomètres Thiernois', à [Localité 8]. A cette occasion, je me suis rendu sur place afin de profiter de l'événement avec deux amies. Mon papa m'a conduite aux abords du lieu en début d'après-midi, après que nous ayons mangé avec tous les trois ([V] [Y], mon père et moi). Ce jour-là il n'y a pas eu un quelconque repas de famille, ni le midi, ni le soir. (...)'.
Cette attestation vient donc contredire celles produites par Mme [Y].
En outre, il peut être relevé que lors de la sommation interpellative du 29 avril 2016, il n'était pas fait état de l'existence d'une reconnaissance de dette écrite, la sommation étant rédigée en ces termes : 'Vous ne saurez nier ni disconvenir que la requérante vous a remis en chèque d'un montant de 10 000 euros en date du 13 juin 2015' ce à quoi M. [P] a répondu par l'affirmative.
A la phrase 'Il s'agissait d'un prêt, aussi la requérante souhaite que vous lui remboursiez cette somme', il a répondu 'Il ne s'agit pas d'un prêt mais d'une compensation du fait que depuis NOV 2013, je l'héberge gratuitement payant toutes les factures. Il est nécessaire de faire les comptes incluant la valeur des véhicules'. Il a ainsi toujours nié que cette somme ait pu être un prêt.
Au total, Mme [Y] ne parvient pas plus en cause d'appel qu'en première instance à rapporter la preuve que cette somme était un prêt, de sorte que la décision querellée sera confirmée en toutes ses dispositions.
L'abus du droit d'agir en justice de la part de Mme [Y] n'étant pas caractérisé, M. [P] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Mme [Y] succombant en son appel en supportera les dépens et sera condamnée à verser à M. [P] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Déboute M. [K] [P] de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne Mme [V] [Y] à payer à M. [K] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne Mme [V] [Y] aux dépens d'appel.
Le greffier Le président