COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 21 Septembre 2022
N° RG 21/00232 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FRAE
FK
Arrêt rendu le vingt et un Septembre deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 10 Décembre 2020 par le Tribunal de Commerce de CLERMONT-FERRAND (RG N°2019 007436)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors du prononcé
ENTRE :
La société TRANSPORTS BLANQUET & FILS
SARL inscrite au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le numéro 424 749 505 00030
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentants : Me Julie RIGAULT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Raphaël MALLEVAL, avocat au barreau de LYON (plaidant)
APPELANTE
ET :
La société PROMOD
SAS immatriculée au RCS de Lille Métropole sous le numéro B 685 420 606 02588
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentants : Me Jean-michel DE ROCQUIGNY de la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Sandrine MINNE, avocat au barreau de LILLE (plaidant)
INTIMÉE
DEBATS : A l'audience publique du 01 Juin 2022 Monsieur KHEITMI a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 21 Septembre 2022.
ARRET :
Prononcé publiquement le 21 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Virginie THEUIL-DIF, Conseiller, pour le Président empêché, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige :
La SARL Transports Blanquet & Fils (la SARL Blanquet) exerce une activité de transports routiers de marchandises.
À la demande de la société PROXIDIS Express, commissionnaire en transports, la SARL Blanquet a effectué pendant l'année 2018 diverses livraisons de marchandises de son propre siège social à [Localité 4], vers différents magasins de la SAS PROMOD, qui avait contracté avec la société PROXIDIS Express.
La SARL Blanquet, n'ayant pas obtenu de la société PROXIDIS Express le paiement des factures qu'elle avait émises pour ces transports, en a ensuite demandé paiement à la SAS PROMOD, sans résultat ; la société PROXIDIS Express a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, puis de liquidation judiciaire suivant un jugement prononcé le 17 décembre 2018 par le tribunal de commerce de Lyon.
La SARL Blanquet a fait assigner, le 11 juillet 2019, la SAS PROMOD devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, en paiement d'une somme de 5 611,20 au titre des factures restées impayées.
Le tribunal de commerce, suivant jugement contradictoire du 10 décembre 2020, a dit que l'action de la SARL Blanquet était partiellement recevable, et qu'elle n'était pas prescrite, mais l'en a déboutée ; il a rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, et a condamné solidairement les deux parties aux dépens.
Le tribunal a notamment énoncé, dans les motifs du jugement, que la prescription avait été interrompue par une reconnaissance, faite par la SAS PROMOD, de payer certaines sommes pour les factures en cause, mais que l'action de cette société n'était pas fondée, les factures produites par la SARL Blanquet regroupant des prestations faites par différents clients dont la SAS PROMOD, de sorte qu'il était impossible de déterminer, au vu de ces factures, les sommes exactes dues par la SAS PROMOD.
La SARL Blanquet, par une déclaration reçue au greffe de la cour le 29 Janvier 2021, a interjeté appel de ce jugement.
La société appelante demande à la cour de confirmer le jugement sur la prescription, mais de l'infirmer sur le fond, et de condamner la SAS PROMOD à lui payer la somme principale de 5 611,20 euros, pour le prix des 334 livraisons qu'elle a effectuées de juin à septembre 2018, auprès de différents magasins exploités par la SAS PROMOD dans le département du Puy-de-Dôme.
La SARL Blanquet déclare fonder ses demandes sur l'article L. 132-8 du code de commerce, qui ouvre une action directe du voiturier contre le destinataire ; elle expose qu'elle est entrée en relation d'affaires avec la société PROXIMIS Express, commissionnaire de transports pour différentes enseignes de prêt-à-porter, parmi lesquelles la SAS PROMOD ; qu'elle a ainsi livré, pendant plusieurs années, des marchandises dans différents magasins de la SAS PROMOD, sans qu'aucune réserve n'ait été émise à la suite de ces livraisons. Elle estime rapporter la preuve du prix convenu, par le fait qu'elle facturait habituellement à la société PROXIMIS Express, sauf prestation supplémentaire, une somme de 14 euros pour chaque transport fait à destination de l'un des sites de la SAS PROMOD. Elle relève que ce prix n'a jamais fait l'objet de véritable contestation de la part de la SAS PROMOD, et que les factures dont elles demande paiement sont établies sur la base de ce prix. La SARL Blanquet demande en outre l'allocation d'une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice résultant de l'attitude dilatoire de la SAS PROMOD.
La SAS PROMOD, formant appel incident, conclut d'abord à l'infirmation du jugement sur la prescription : elle invoque l'article L. 133-6 du code de commerce, selon lequel l'action du voiturier est soumise à une prescription d'un an, et fait valoir que, l'assignation ayant été délivrée le 11 juillet 2019, la prescription est acquise pour les transports effectués avant le 11 juillet 2018, sans que le message qu'elle a envoyé à la SARL Blanquet en novembre 2019, pour lui demander des justificatifs, puisse être considéré comme une reconnaissance de son obligation. La SAS PROMOD conteste ensuite la qualité à agir de la SARL Blanquet, au motif que celle-ci ne justifie pas qu'elle a réalisé elle-même les transports en cause, alors que seul le transporteur réel bénéficie de l'action directe de l'article L. 132-8 du code de commerce. Elle conteste enfin le bien fondé de la principale demande adverse, en faisant valoir que la SARL Blanquet ne justifie pas d'une convention, à la période considérée, pour que le prix de chaque transport fait pour la SAS PROMOD soit facturé 14 euros au commissionnaire, et que les factures ne permettent pas, ainsi que l'a relevé le tribunal, d'isoler la partie du prix afférente aux livraisons faites à cette société.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 avril 2022.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées le 27 avril et le 5 juillet 2021.
Motifs de la décision :
Selon l'article L. 133-6 alinéa 2 du code de commerce, toutes les actions auxquelles peut donner lieu un contrat de transport, contre l'expéditeur ou le destinataire, sont prescrites dans le délai d'un an.
Les transports en litige ont été effectués du 1er juin 2018 au 1er août 2018, ainsi qu'il résulte des lettres de voiture que produit la société appelante, et sur lesquelles la SAS PROMOD a apposé son cachet de réception (pièce n°1).
La SARL Blanquet afait assigner la SAS PROMOD le 11 juillet 2019, la prescription est a priori encoure pour les transports faits avant le 11 juillet 2018, à moins qu'elle n'ait été interrompue ; la SARL Blanquet invoque, comme une reconnaissance de la dette qui aurait interrompu la prescription, un message électronique que lui a envoyé la SAS PROMOD le 6 novembre 2018, en réponse à une lettre de l'avocat de la SARL Blanquet du 5 novembre 2018, qui proposait à la SAS PROMOD d'examiner la possibilité d'un accord transactionnel, sur les factures que la société PROXIDIS Express avait laissées impayées.
Le message en réponse de la SAS PROMOD est ainsi rédigé : « ' je m'adresse à vous suite à votre lettre [']. / Si nous sommes tout à fait disposés afin [sic] de parvenir à une solution amiable dans cette affaire, vous comprendrez également qu'il n'est pas concevable pour nous de payer les créances prétendues sans un minimum de justificatifs. / Demeurant à votre disposition pour échanger, [...] ».
Cette formulation exprime la volonté de la SAS PROMOD d'accepter des discussions en vue d'un accord, mais nullement une reconnaissance de sa dette, comme l'indique sans équivoque la demande de pièces justificatives, avant que la SAS PROMOD puisse prendre position sur les « créances prétendues » ; c'est par erreur que le tribunal a considéré ce message comme une reconnaissance constituant une cause d'interruption, au sens de l'article 2240 du code civil ; aucun autre motif d'interruption de la prescription n'étant invoqué par la SARL Blanquet, il convient d'infirmer le jugement de ce chef, et de rejeter comme prescrite sa demande portant sur les seuls transports antérieurs au 11 juillet 2018.
Selon l'article L. 132-8 du code de commerce, la lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire, ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport.
Ainsi que l'expose la SAS PROMOD, l'action directe du voiturier n'est ouverte qu'à celui qui effectue personnellement la prestation de transport (en ce sens Cass. Com. 18 mars 2014, pourvoi n° 12-29.524). La SARL Blanquet produit les lettres de voiture de chacun des transports en cause, toutes établies sur des formulaires pré-imprimés qui la désignent comme le transporteur : la partie de chaque lettre de voiture indiquant le transporteur porte la mention : « Secteur 03 ' [Adresse 2] », et chacune a été approuvée, au moment de la réception des marchandises, par la SAS PROMOD, qui a ainsi admis qu'elle avait été livrée par cette société. C'est encore la SARL Blanquet qui a émis à son nom les factures mensuelles à l'adresse de la société PROXIDIS Express, ainsi que le relevé de ses tournées (pièces n° 2 et 2 ter) ; au regard de ces éléments de preuve précis et concordants, à l'encontre desquels la SAS PROMOD ne produit aucun élément contraire, la SARL Blanquet justifie qu'elle a effectué elle-même les transports. Elle a donc qualité à agir.
La SAS PROMOD conteste enfin le bien fondé de la demande, aux motifs que les factures adressées au commissionnaire PROXIDIS Express regroupaient d'autres transports, effectués pour d'autres destinataires, de sorte qu'il n'était pas possible d'y individualiser ceux réalisés pour la SAS PROMOD ; que d'autre part il n'existe pas de cohérence entre les lettres de voiture produites, la demande et le relevé des tournées, et enfin que la preuve n'est pas rapportée d'un accord existant à la période des dits transports, pour appliquer le tarif de 14 euros « par point livré ».
Cependant et comme le fait valoir la SARL Blanquet, la société PROXIDIS Express, après avoir reçu les factures puis une lettre recommandée de mise en demeure du 6 novembre 2018, n'a jamais contesté les tarifs appliqués : cette société avait même annoncé, le 25 septembre 2018, que le paiement interviendrait le 5 octobre suivant (pièces n° 2, 2 bis et 4 de la société appelante) ; la SARL Blanquet justifie de plus qu'elle avait notifié à la société commissionnaire, par un message du 4 août 2016, les nouveaux tarifs qu'elle entendait appliquer, et qui comportaient une somme de 14 euros pour la plupart des tournées (pièces n° 2 bis et 2 ter de la SARL Blanquet), notification qui n'apparaît pas avoir donné lieu à une quelconque contestation de la société PROXIDIS Express : un accord des parties sur l'application de ce tarif apparaît ainsi établi.
Et s'il est vrai d'autre part que les factures de la SARL Blanquet ne distinguent pas les transports effectués à destination de la SAS PROMOD, de ceux faits vers d'autres destinataires (ayant désigné eux aussi la société PROXIDIS Express en qualité de commissionnaire), le montant des sommes dues par la SAS PROMOD peut néanmoins être déterminé de manière certaine au moyen des lettres de voiture, abstraction faite des autres documents présentés : ces lettres, au nombre de 192 pour la période non prescrite (pièce n° 1 de la SARL Blanquet), permettent à la cour de fixer la somme due, par application du tarif de 14 euros par tournée, à 14 x 192 = 2 688 euros hors taxe, soit 2 688 x 1,20 = 3 225,60 euros taxe comprise.
Il convient de faire droit à la demande principale à hauteur de cette somme.
La SARL Blanquet demande d'autre part paiement d'une somme de 1 500 euros de dommages et intérêts, en réparation du préjudice qu'elle dit avoir subi, en raison de l'attitude dilatoire de la SAS PROMOD ; cependant cette société n'établit pas, conformément à l'article 1153 ancien du code civil devenu l'article 1236-1 du même code, que la société adverse lui ait causé, par son refus de paiement, un préjudice indépendant du retard, et qui excéderait celui déjà compensé par l'intérêt au taux légal. Cette demande sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS :
Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition des parties au greffe de la cour ;
Infirme le jugement et, statuant à nouveau ;
Condamne la SAS PROMOD à payer à la SARL Transports Blanquet & Fils une somme de 3 225,60 euros pour les causes ci-dessus, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et une somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS PROMOD aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires.
Le greffier Le président