COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 14 Septembre 2022
N° RG 21/00236 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FRAQ
ALC
Arrêt rendu le quatorze Septembre deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 11 janvier 2021 par le Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n° 19/03278 ch1 cab2)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [W] [Y]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentant : la SCP GIRAUD-NURY, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
M. [J] [Y]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentant : la SCP GIRAUD-NURY, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTS
ET :
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN
Société coopérative à forme anonyme, directoire et conseil de surveillance immatriculée au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le n° 382 742 013 01501
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : la SELARL TOURNAIRE - MEUNIER, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉE
DEBATS : A l'audience publique du 18 Mai 2022 Madame CHALBOS a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 14 Septembre 2022.
ARRET :
Prononcé publiquement le 14 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Virginie THEUIL-DIF, Conseiller pour le Président empêché, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [W] [Y] et son fils M. [J] [Y] son titulaires de comptes dans les livres de la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin. M. [W] [Y] a procuration sur les comptes de son fils.
M. [W] [Y] a été victime d'une fraude par hameçonnage en recevant le 10 décembre 2018 un mail présenté comme émanant de la Caisse d'épargne aux termes duquel il lui était demandé de cliquer sur un lien pour activer une fonctionnalité 'SECUR'PASS' et de communiquer certaines coordonnées.
Il a par la suite constaté sur ses comptes et ceux de son fils des opérations réalisées le 13 décembre 2018f dont il conteste être à l'origine :
- virement de 2 000 euros du livret A de M. [J] [Y] vers le LEP de M. [W] [Y],
- virement de 1 000 euros du livret jeune de M. [J] [Y] vers le LEP de M. [W] [Y],
- virement de 5 000 euros depuis le LEP de M. [W] [Y] vers le compte d'un dénommé [S] [I] ouvert auprès d'une banque italienne,
- virement de 5 000 euros depuis le LEP de M. [W] [Y] au profit du même bénéficiaire italien.
M. [W] [Y] a déposé plainte le 14 décembre 2018 auprès de la gendarmerie de [Localité 6].
Il a vainement demandé remboursement à la Caisse d'épargne des sommes ainsi détournées, la banque lui reprochant d'avoir été négligent en répondant à un mail qui comportait de nombreuses anomalies visibles et en fournissant de nombreuses informations à l'origine de la fraude sur un site de renvoi.
Par acte du 19 août 2019, MM. [W] et [J] [Y] ont fait assigner la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand aux fins d'obtenir la condamnation de la banque à leur rembourser les sommes détournées et à leur payer la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts.
Par jugement du 11 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a :
- débouté M. [W] [Y] et M. [J] [Y] de l'intégralité de leurs demandes,
- débouté les parties de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum M. [W] [Y] et M. [J] [Y] aux dépens.
Le tribunal a retenu à cet effet :
- que le mail reçu par M. [W] [Y] le 10 décembre 2018 lui demandant de cliquer sur un lien pour activer la fonction 'SECUR'PASS' comportait des anomalies,
- que M. [Y] ne démontre pas avoir été identifié par les fraudeurs comme client de la Caisse d'épargne suite à une défaillance du système de sécurité de la banque,
- qu'il reconnaît qu'en activant le lien envoyé par le mail litigieux, il a communiqué ses coordonnées personnelles ainsi que le numéro de son compte bancaire et a indiqué lors de son audition par les services de gendarmerie qu'il pensait avoir également communiqué son numéro de carte bancaire,
- que la banque avait adressé à M. [W] [Y] trois mail d'alerte le 13 décembre 2018 entre 16h02 et 17h32 pour l'informer de l'ajout d'un compte bénéficiaire au nom de [S] [I] et des deux ordres de virement de 5 000 euros,
- que la banque a également appelé M. [Y] vers 17h00 pour l'alerter sur les ordres virements douteux, qu'il n'est pas contesté que lors de cet appel, M. [Y] a indiqué qu'il n'était pas à l'origine du premier virement, le second n'ayant pas encore été effectué,
- que le second virement a été validé par la banque le 14 décembre 2018,
- que si la banque était informée du caractère frauduleux de ce second virement puisque M. [Y] avait échangé avec son conseiller vers 17h00, M. [Y] avait lui-même connaissance de mouvements frauduleux sur son compte bancaire de sorte qu'il aurait dû être vigilant et réactif lorsqu'il a reçu le mail l'informant d'un second virement au profit du même bénéficiaire italien,
- qu'aucune négligence de la part de la Caisse d'épargne n'est caractérisée et que cette dernière ne peut être tenue pour responsable du hameçonnage dont M. [Y] a été victime,
- que concernant le second virement, c'est l'absence de réaction de M. [Y] au mail qui lui avait été envoyé qui a entraîné la validation de l'opération par la banque le lendemain.
MM. [W] et [J] [Y] ont interjeté appel de cette décision le 29 janvier 2021.
Par conclusions déposées et notifiées le 28 avril 2021, les consorts [Y] demandent à la cour, vu l'article 1231-1 du code civil, vu les articles L.133-19 et L.133-23 du code monétaire et financier, de :
- déclarer les consorts [Y] bien fondés en leur appel,
Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- déclarer la SA Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin responsable du préjudice subi parles consorts [Y],
- condamner la SA Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin à payer et porter à M. [J] [Y] la somme de 3 000 euros au titre des sommes détournées sur ses comptes et à payer et porter à M. [W] [Y] la somme de 7 000 euros au titre des sommes détournées sur son compte,
- condamner la SA Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin à payer et porter aux consorts [Y] la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts outre celle de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la SA Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,
- condamner la SA Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions déposées et notifiées le 10 juin 2021, la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin demande à la cour, vu les articles L.133-16, L.133-17 et L.133-19 du code monétaire et financier, de :
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand du 11 janvier 2021 en toutes ses dispositions et débouter M. [J] [Y] et M. [W] [Y], de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [J] [Y] et M. [W] [Y] au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [J] [Y], M. [W] [Y], aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Tournaire Meunier, avocat, sur l'affirmation qu'elle a fait l'avance de ceux-ci sans en avoir reçu provision suffisante.
La procédure a été clôturée le 24 mars 2022.
MOTIFS :
Il n'est pas contesté par les consorts [Y] que le mail reçu le 10 décembre 2018 par M. [W] [Y], à partir duquel ce dernier a rempli un formulaire en communiquant ses coordonnées personnelles et numéros de compte et de carte bancaire, est un mail frauduleux qui n'émane pas de la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin.
Les opérations frauduleuses opérées sur le compte de M. [W] [Y] ont donné lieu à des courriels générés automatiquement par la banque le 13 décembre 2018 :
- à 16h02 : confirmation de l'ajout d'un compte bénéficiaire réalisé le 13/12/2018 à 15h41 au nom de [S] [I],
- à 17h00 : confirmation de la prise de compte d'un ordre de virement réalisé le 13/12/2018 à 15h59 au nom de [S] [I],
- à 17h32 : confirmation de la prise de compte d'un ordre de virement réalisé le 13/12/2018 à 17h28 au nom de [S] [I].
Le lien de causalité entre ce hameçonnage et les virements frauduleux opérés le 13 décembre 2018 n'est pas non plus contesté par les appelants et a été mis en avant par M. [W] [Y] lors de sa déposition à la gendarmerie le 14 décembre 2018 dans les termes suivants : ' tous les renseignements que j'ai mis sur ce site ont été piratés et les escrocs s'en sont servi pour retirer 10 000 euros sur mon compte bancaire et sur celui de mon fils 3 000 euros'.
Les appelants n'apportent aucun élément de preuve à l'appui de leur allégation d' une défaillance de la banque qui aurait permis d'identifier M. [Y] comme étant un client de la Caisse d'épargne, une telle identification pouvant aussi bien résulter du piratage de la boîte mail de la victime, permettant d'identifier ses correspondants et notamment sa banque.
Il résulte des dispositions des articles L133-16 et L.133-17 du code monétaire et financier qu'il appartient à l'utilisateur de services de paiement de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés et d'informer sans tarder son prestataire de tels service de toute utilisation non autorisée de l'instrument de paiement ou des données qui lui sont liées.
En application des articles L.133-19 et L.133-23 du même code, il incombe au prestataire de rapporter la preuve que l'utilisateur, qui nie avoir autorisé une opération de paiement, a agi frauduleusement ou n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations.
Constitue une négligence grave à son obligation de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés le fait pour l'utilisateur d'un service de paiement de communiquer des données personnelles de ce dispositif en réponse à un courriel qui contient des indices permettant à un utilisateur normalement attentif de douter de sa provenance, peu important à cet égard que l'utilisateur ait agi de bonne foi.
La vigilance attendue d'un utilisateur normalement attentif doit être appréciée en tenant compte du fait que les internautes sont régulièrement destinataires de campagnes d'information sur le hameçonnage, de la part des banques, des services publics et des associations de consommateurs, ainsi qu'il en est justifié par l'intimée.
En l'espèce, le mail frauduleux du 10 décembre 2018, à l'origine d'une communication de données par M. [Y] ayant permis les détournements, comporte plusieurs anomalies qui auraient dû conduire son destinataire à en vérifier la provenance, et notamment :
- un intitulé 'Caisse Epargne' Sécurité renforcée au lieu de 'Caisse d'Epargne',
- l'absence d'adresse mail de l'expéditeur au lieu de l'adresse habituelle [Courriel 4],
- un contenu comportant des lettres majuscules en milieu de mots ou de phrases ainsi que des fautes d'orthographes ou une minuscule en début de phrase, des absences de ponctuation ou d'accents.
C'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que M. [Y] avait commis une négligence à l'origine des détournements opérés et a débouté les consorts [Y] de leurs demandes.
Il ne peut être tiré aucune conséquence du fait qu'un échange téléphonique aurait eu lieu le 13 décembre 2018 aux alentours de 17h00 entre un conseiller de la banque et M. [W] [Y], le contenu de cet échange n'étant pas vérifiable.
Parties succombantes, les consorts [Y] seront condamnés aux dépens sans qu'il y ait lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne MM. [W] et [J] [Y] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,