COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 14 Septembre 2022
N° RG 21/00003 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FQMZ
VTD
Arrêt rendu le quatorze Septembre deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 18 décembre 2020 par le Tribunal judiciaire de MONTLUCON (RG n° 19/00727)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Stéphanie LASNIER, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors du prononcé
ENTRE :
M. [T] [C]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentant : la SCP GIRAUD-NURY, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
Mme [N] [F] épouse [C]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentant : la SCP GIRAUD-NURY, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTS
ET :
La société LANDIS+GYR
SAS immatriculée au RCS de Montluçon sous le n° 348 530 700 00015
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentants : la SCP SOUTHON BERNARD ET AMET-DUSSAP ANNE, avocats au barreau de MONTLUCON (postulant) et la SELAS LPA-CGR, avocats au barreau de PARIS (plaidant)
INTIMÉE
DEBATS : A l'audience publique du 18 Mai 2022 Mme THEUIL-DIF a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 14 Septembre 2022.
ARRET :
Prononcé publiquement le 14 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Virginie THEUIL-DIF, Conseiller pour le Président empêché, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [T] [C] et Mme [N] [F] épouse [C] sont propriétaires d'une maison d'habitation sise [Adresse 3].
La SAS Landis+Gyr spécialisée dans la fabrication de compteurs électriques, exploite cette activité depuis les années 1950 sur un site de production installé [Adresse 4].
En 1994, une partie des activités exploitées sur le site, dont l'activité de traitement de surface, a été arrêtée. Une étude de sol réalisée au droit de l'atelier de traitement de surface a révélé l'existence d'une pollution aux métaux lourds et aux solvants chlorés. Des travaux de dépollution ont été réalisés en 1996 et en 2000/2001. Un suivi de la qualité des eaux souterraines et du sol sur l'ancien site a été mis en place par arrêté préfectoral en date du 22 juillet 2002.
Des analyses ont mis en évidence à compter de décembre 2011 une pollution de la nappe phréatique en aval de l'ancien site industriel, au droit d'une zone résidentielle. Le Préfet a pris un arrêté préfectoral le 15 mars 2012 portant interdiction des usages de l'eau souterraine de la nappe phréatique sur une zone de restriction sur le territoire de la commune.
Des prélèvements d'air intérieur ont été effectués dans un panel de maisons situées dans le périmètre en aval hydraulique proche de l'ancien site industriel, pour évaluer d'éventuelles intrusions de vapeurs : deux campagnes de prélèvement et d'analyse de l'air intérieur et des gaz ont ainsi été menées sous la maison des époux [C]. Les résultats de ces campagnes ont été présentées dans deux rapports en date des 2 septembre 2012 et 3 avril 2013, établis par le bureau d'études ERM. Aucune intervention spécifique sur ces maisons n'a été prise par les autorités à la lumière de ces mesures.
Afin de remédier aux pollutions constatées sur l'ancien site industriel, des travaux de remise en état étaient nécessaires. La SAS Landis+Gyr a transmis le 27 mars 2015 aux autorités de police environnementale un plan de gestion, définissant les travaux de remise en état devant être mis en oeuvre. L'administration a validé ce plan et la réalisation des travaux de dépollution sur la zone source Pz5 d'environ 310 m², a été prescrite à la SAS Landis-Gyr par arrêté préfectoral du 10 mai 2016.
Les travaux se sont déroulés de mai à décembre 2016. Ils ont consisté en la mise en place d'un confinement latéral de la zone en utilisant des palplanches, enfoncées par battage et vibrofonçage, pour que les polluants concentrés n'alimentent plus le panache de pollution hors site. Une fois confinées, les sources de pollution ont été extraites par pompage d'eau et réinjectées après traitement dans la zone de confinement.
Préalablement à ces travaux, la SAS Landis+Gyr a souhaité faire établir un rapport contradictoire de l'état des propriétés avoisinantes. Suivant ordonnance du 15 février 2016, un expert a été désigné et ce dernier a déposé son rapport le 30 juin 2017.
Considérant avoir subi d'importants préjudices, les époux [C] ont, par acte d'huissier du 3 septembre 2019, fait assigner la SAS Landis+Gyr devant le tribunal de grande instance de Montluçon afin de la voir condamner à leur payer les sommes de:
- 105 000 euros au titre de la perte de valeur de leur immeuble ;
- 96 000 euros au titre de leur préjudice locatif ;
- 10 000 euros au titre des nuisances liées aux travaux ;
- 10 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;
- 100 000 euros au titre de leur préjudice d'anxiété.
Par jugement du 18 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Montluçon a débouté les époux [C] de l'ensemble de leurs demandes, a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et a condamné les époux [C] aux dépens.
Le tribunal a énoncé, au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, que les demandeurs ne rapportaient pas la preuve d'une faute tant dans l'apparition de la pollution que dans la réalisation des travaux. Il a rappelé qu'un acte autorisé par la loi pouvait recevoir la qualification de faute, mais que le seul fait que la pollution ait pour origine l'activité de la SAS Landis+Gyr ne permettait pas de présumer un fait fautif de cette dernière, étant observé que l'appréciation de la faute devait tenir compte des données acquises de la science à l'instant où intervenait la faute alléguée.
S'agissant de la réalisation des travaux, il a été relevé que ceux-ci étaient nécessaires et avaient été réalisés dans les meilleures conditions possibles (mesures de bruit par l'expert, plages horaires des travaux réduites, propositions aux riverains de bénéficier de nuits d'hôtels).
Le tribunal a conclu que les demandeurs ayant exprimé le fondement de leur demande, à savoir l'article 1240 du code civil, il n'appartenait pas au tribunal de requalifier le fondement clairement exprimé.
Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 30 décembre 2020, M. [T] [C] et Mme [N] [F] épouse [C] ont interjeté appel du jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 15 mars 2021, les appelants demandent à la cour de réformer le jugement, et statuant à nouveau, de :
- déclarer la SAS Landis+Gyr entièrement responsable des préjudices subis par les époux [C] en raison de sa négligence ou son imprudence sur le fondement de l'article 1241 du code civil, et subsidiairement pour trouble anormal de voisinage ;
- condamner la SAS Landis+Gyr à payer aux époux [C] les sommes de :
105 000 euros au titre de la perte de valeur de leur immeuble ;
96 000 euros au titre de leur préjudice locatif ;
10 000 euros au titre des nuisances liées aux travaux ;
10 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;
100 000 euros au titre de leur préjudice d'anxiété
- condamner la SAS Landis+Gyr à payer aux époux [C] la somme de 6 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la SAS Landis+Gyr de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
- condamner la SAS Landis+Gyr aux dépens de première instance et d'appel.
Ils estiment caractériser la preuve d'une faute de négligence ou d'imprudence dans la mesure où la SAS Landis+Gyr n'a pas accompli toutes les diligences normales qui auraient dû éviter toute fuite et toute contamination des sols et de la nappe phréatique, pollution qualifiée d'historique par l'ARS et qui a nécessité d'importantes mesures.
Subsidiairement, ils font valoir que la pollution générée par la SAS Landis+Gyr et les travaux de dépollution qui s'en sont suivis sont constitutifs de troubles qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage dans la mesure où ils ont subi des nuisances sonores, des poussières, des vibrations, la pollution du sol et subissent encore des nombreux désagréments tels que des restrictions quant aux conditions d'usage de leur propriété.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 9 juin 2021, la SAS Landis+Gyr demande à la cour de :
- constater, dire et juger que la SAS Landis+Gyr n'a commis aucune faute délictuelle de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
- constater, dire et juger que les gênes constatées ne sont pas constitutives d'un trouble anormal de voisinage pouvant donner lieu à réparation ;
- constater, dire et juger qu'en toutes hypothèses, M. et Mme [C] ne justifient pas des préjudices allégués ;
- en conséquence, débouter M. et Mme [C] de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner M. et Mme [C] à payer à la SAS Landis+Gyr la somme 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mars 2022.
MOTIFS
- Sur les demandes de M. et Mme [C] sur le fondement des articles 1382 et 1383 anciens du code civil
Selon l'article 1382 ancien du code civil, devenu l'article 1240, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'article 1383 ancien devenu l'article 1241, prévoit que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
M. et Mme [C] soutiennent que l'origine de la pollution résulte du comportement de la SAS Landis+Gyr qui pendant des années, a contaminé les sols et la nappe phréatique sans prendre de précaution ; qu'elle n'a pas accompli toutes les diligences normales qui auraient dû éviter toute fuite et toute contamination des sols et de la nappe phréatique. Ils estiment que la faute de négligence ou d'imprudence est caractérisée.
Le tribunal a, à juste titre, énoncé que le seul fait que la pollution ait pour origine l'activité de la SAS Landis+Gyr ne permettait pas de présumer un fait fautif de celle-ci, rappelant en outre que l'appréciation de la faute devait tenir compte des données acquises de la science à l'instant où intervenait la faute alléguée.
De même, le tribunal a justement considéré que la SAS Landis+Gyr n'avait commis aucune faute dans la réalisation des travaux en 2016 : il a notamment énoncé que ces travaux, nécessaires, avaient été réalisés dans les meilleures conditions possibles. Un expert avait été désigné dans le cadre d'une procédure de référé préventif à la demande de la SAS Landis+Gyr ; des mesures de bruit à l'aide d'un sonomètre avaient été réalisées trois fois par jour, sur le chantier et hors chantier ; la plage horaire des travaux avait été réduite au regard des nuisances constatées ; et il avait été proposé aux riverains de bénéficier de nuits d'hôtels.
En appel, les époux [C] n'apportent aucun élément de preuve ni aucune argumentation complémentaires pour caractériser la faute.
Dans ces circonstances, le jugement sera confirmé en ce qu'il a énoncé qu'en l'absence de démonstration d'une faute tant dans l'apparition de la pollution que dans la réalisation des travaux, l'action fondée sur les dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil (articles 1382 et 1383 anciens) devait être rejetée.
- Sur les demandes de M. et Mme [C] sur le fondement du trouble anormal de voisinage
M. et Mme [C] soutiennent à titre subsidiaire en appel que la pollution générée par la SAS Landis+Gyr et les travaux de dépollution qui s'en sont suivis sont constitutifs de troubles qui excèdent les inconvénients normaux de voisinage dans la mesure où ils ont subi des nuisances sonores, des poussières, des vibrations, la pollution du sol et subissent encore de nombreux désagréments tels que des restrictions quant aux conditions d'usage de leur propriété.
L'action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation à la personne qui est à l'origine du trouble, responsable de plein droit. Ce régime de responsabilité ne repose pas sur la preuve d'un comportement fautif de l'auteur du dommage : seul compte l'existence d'un trouble excédant la gêne normalement attendue dans le cadre de relations de voisinage.
Celui qui se prévaut d'un tel trouble, doit en établir l'existence et son imputabilité à celui qu'il poursuit.
Les époux [C] invoquent plusieurs types de préjudices :
les nuisances subies durant les travaux
Ils sollicitent ainsi une indemnisation à hauteur de 10 000 euros faisant valoir :
- qu'ils ont dû subir les nuisances sonores pendant toute la durée des travaux, outre des restrictions d'usage de l'eau et se conformer aux instructions sans pouvoir jouir librement et paisiblement de leur propriété ;
- que les travaux ont duré de juin à septembre 2016, soit pendant la période estivale et que, devant ouvrir leurs fenêtres pour aérer, ils ont été confrontés aux problèmes liés à la poussière et aux bruits engendrés par les travaux de dépollution ;
- qu'ils ont subi les émanations de composés volatils et gaz pollués pendant toute la durée des travaux, le traitement du sol ayant eu pour effet de faire remonter les gaz polluants ;
- que les palplanches utilisées n'ont pas permis un confinement du chantier de dépollution puisqu'aucune membrane protectrice n'a été mise en place, traduisant un défaut de conception des travaux et une faille dans la sécurité du process.
Les travaux de dépollution ont eu lieu de mai à décembre 2016, et ont consisté en la mise en place d'un confinement latéral de la zone en utilisant des palplanches, enfoncées par battage et vibrofonçage, pour que les polluants concentrés n'alimentent plus le panache de pollution hors site. Une fois confinées, les sources de pollution ont été extraites par pompage d'eau et réinjectées après traitement dans la zone de confinement.
Il résulte du rapport d'expertise judiciaire du 30 juin 2017 qu'avant la réalisation des travaux, il a été envisagé un risque de rejets de gaz pollués dans l'atmosphère pendant les opérations de forage : pour y remédier, il a été prévu la mise en place d'un dispositif d'extraction et de traitement de gaz pendant toute la durée des travaux de forage et d'injection, ainsi que des mesures de contrôle continu.
S'agissant des poussières, le risque de nuisance a été jugé faible, avec des mesures éventuelles comme mise en place de filtre spécifique sur extracteur gaz, et mise en place de pulvérisateur d'eau.
Il a été prévu des mesures adéquates des eaux polluées conduisant à un risque faible de nuisances (traitement des eaux pompées, rejet après traitement).
Le risque de troubles de voisinage a été jugé faible s'agissant des travaux d'injection de fer.
Enfin, concernant les nuisances sonores, le risque le plus important se situait pendant la période de mise en place des palplanches. Pour minimiser les impacts sonores sur les résidants proches, des mesures ont été prévues (horaire des travail : 8h-18hdu lundi au vendredi ; réalisation de mesures de bruit à l'aide de sonomètre trois fois par jour.)
L'expert judiciaire expose que le chantier s'est déroulé dans des conditions normales, que les troubles de voisinage pendant les travaux formulés en temps utile par les parties ont été pris en compte par les constructeurs. En ce qui concerne la gêne la plus importante (vibrations et bruits lors de la mise en place des palplanches), la plage horaire a été réduite, et des chambres d'hôtel ont été mises à disposition des voisins ayant effectué une réclamation. Une gêne non prévue initialement a été constatée la nuit : elle provenait de bruit en provenance de l'unité de pompage petit débit qui fonctionnait 24 heures sur 24. Des modifications ont été apportées sur l'installation qui a été aussitôt été arrêtée la nuit, la gêne étant plus élevée pendant cette période et pouvant être considérée comme anormale. S'agissant des vibrations apportées par la machine de mise en place des palplanches, les enregistrements ont mis en évidence le respect des seuils admissibles sur la plupart des phases de travaux, les dépassements observés l'ont été sur des durées très courtes. Dès observation de ce dépassement, le vibrofonçage des palplanches a été remplacé par le battage.
L'expert conclut que 'les troubles du voisinage (circulation, bruits, vibrations, émanation de produits toxiques, salissures...) ont été maîtrisés et des mesures ont été prises à bref délai pour remédier aux réclamations formulées par quelques voisins, au moment du vibrofonçage ou battage des palplanches ou des travaux de dépollution par pompage.'
Toutefois, des nuisances sonores et vibratoires, même si elles respectent le seuil admissible, peuvent devenir insupportables si elles se prolongent sur plusieurs semaines, cinq jours par semaine, sur des plages horaires étendues (10 heures). Cette nuisance est accrue dès lors que les travaux sont intervenus en période estivale et ont privé les riverains de la possibilité d'ouvrir leurs fenêtres. Le fait d'offrir des nuits d'hôtel, qui certes démontre les efforts de la SAS Landis+Gyr pour limiter les troubles, ne saurait suffire à établir que les riverains n'ont pas subi un préjudice de jouissance, cette solution ne compensant pas la privation d'une jouissance normale du logement.
Le trouble créé aux époux [C] excédaient les inconvénients normaux du voisinage. La SAS Landis+Gyr ne peut se retrancher derrière le caractère nécessaire des travaux puisqu'il n'est pas contesté qu'elle est l'origine de la pollution.
Aussi, l'exposition durant plusieurs semaines sur de longues plages horaires, à des travaux reconnus comme très bruyants et de nature à créer des vibrations et de la poussière a entraîné un préjudice dont la réalité ne peut être sérieusement contestée. Le dommage subi par chacun des époux [C] sera estimé à la somme de 3 000 euros, soit une somme totale de 6 000 euros mise à la charge de la SAS Landis+Gyr.
la perte de valeur mobilière et le préjudice locatif
M. et Mme [C] soutiennent que leur propriété particulièrement exposée, autrefois estimée à 105 000 euros, est devenue invendable et n'est plus conforme à un usage d'habitation. Si au niveau du premier étage, le risque de concentration des solvants est considéré comme acceptable, il en va différemment du rez-de-chaussée et de l'annexe où le risque est supérieur au seuil fixé par le Ministère de l'Environnement.
A l'appui de leur argumentation, ils produisent une évaluation immobilière de leur maison établie le 11 mars 2013 par l'agence immobilière Century 21 fixant une valeur située entre 95 000 et 105 000 euros. Il sera observé en premier lieu que cette évaluation a été faite à une période où le problème de pollution était d'ores et déjà identifié.
En outre, ils ne versent aux débats aucune pièce permettant d'établir la perte de valeur du bien litigieux alors que parallèlement, la SAS Landis+Gyr produit un tableau synthétisant le prix au mètre carré des ventes intervenues à [Localité 1] ces dernières années. Il en ressort que la valeur des biens dans et hors le quartier touché par la pollution, est globalement et en moyenne identique.
Cette perte de valeur n'est pas démontrée.
Les époux [C] invoquent par ailleurs une perte de revenus locatifs sur 20 ans (loyer 400 euros x 12 mois x 20 ans), aucun locataire ne souhaitant habiter dans le secteur.
Ils produisent à l'appui de cette demande le contrat de location signé avec Mme [Y] le 16 mai 2011 prévoyant un loyer mensuel de 400 euros, et une attestation de cette locataire en date du 4 septembre 2014 dans laquelle elle fait état de problèmes de santé apparus un an et demi après son arrivée dans les lieux et du fait qu'elle se 'pose beaucoup des questions'. Ces éléments n'établissent ni le départ de la locataire, ni le motif de son départ si celle-ci est partie. Le préjudice invoqué n'est pas démontré.
le préjudice de jouissance
M. et Mme [C] font valoir que la nappe d'eau souterraine étant polluée avec des indices importants de pollution, l'utilisation du puits et la consommation de légumes du potager est interdite et le reste toujours. Ils sollicitent une indemnisation à hauteur de 10 000 euros, faisant état d'une économie de 200 euros par an par l'utilisation de l'eau du puits avant interdiction.
L'arrêté du préfet de l'Allier du 15 mars 2012 a prévu l'interdiction de l'utilisation de l'eau de la nappe provenant de puits privés implantés dans la zone définie dans le plan, pour tous les usages, et notamment à des fins alimentaires et sanitaires, de baignade, d'arrosage des potagers et cultures destinées à la consommation humaine, d'abreuvage des animaux, et ce, pendant six mois.
Il résulte de la note technique ERM (Environmental Resources Management) du 7 mai 2020 produite par l'intimée que 'la qualité des eaux souterraines au droit du puits de M. [C] a été évaluée en avril 2012 dans le cadre des études menées par ERM. Lors de cette campagne de prélèvement, la somme des 4 COHV analysés s'élevait à 67,8µg/L ce qui est une valeur plutôt faible au regard des impacts relevés dans la source principale. Cette valeur est cohérente avec elles retrouvée dans le puits voisin (CD136) et d'autres puits présents dans le panache. A noter que depuis l'arrêté préfectoral du 15 juin 2012, l'usage de l'eau de la nappe phréatique est interdit ce qui élimine de fait les risques sanitaires associés à l'usage de l'eau (arrosage, ingestion...)'.
Si les appelants ne produisent pas d'éléments chiffrés, ce poste de préjudice existe indéniablement et sera indemnisé à hauteur de 3 000 euros.
le préjudice d'anxiété
M. et Mme [C] soutiennent avoir été exposés pendant des années à des composés chimiques polluants et avoir consommé des légumes de leur jardin qui se sont avérés contaminés ; que certains de ces composés sont bioccumulables et se retrouvent dans l'organisme au fil du temps, risquant de déclencher des pathologies allant de simples allergies au cancer ; que suite à cette exposition aux polluants chimiques, ils vivent dans la crainte de développer ou de voir développer par leurs trois enfants de graves pathologies, d'où la demande d'indemnisation à hauteur de 100 000 euros.
Le risque invoqué comme source d'angoisse doit être caractérisé sur la base d'éléments scientifiques sérieux et/ou d'études cliniques vérifiées, le risque hypothétique ne pouvant fonder l'indemnisation d'un préjudice d'angoisse.
Si la nocivité du trichloréthylène et du tétrachlorétylène n'est pas contestable, il n'est pas établi que les conditions dans lesquelles la famille [C] y a été exposée, aient créé un risque suffisamment élevé pour caractériser un préjudice d'angoisse. En effet, ils se contentent de renvoyer aux risques identifiés dans les fiches toxicologiques des polluants identifiés dans la nappe phréatique, mais sans analyser en quoi les valeurs retrouvées dans leur habitation constitueraient une exposition à un risque.
Il résulte du rapport du 3 avril 2013 établi par le bureau d'études ERM concernant la maison des époux [C] que 'les vapeurs de PCE et TCE sont susceptibles de remonter à partir de la nappe et de s'accumuler sous la maison concernée. Ces deux composés ont été détectés dans l'air intérieur des caves, ce qui démontre que les vapeurs entrent dans le bâtiment, mais à des teneurs beaucoup moins importantes que celles retrouvées dans les gaz du sol sous dalle. Les risques calculés sont inférieurs aux valeurs de référence en vigueur en utilisant les valeurs toxicologiques de référence suivant la circulaire de la Direction Générale de la Santé du 30 mai 2006".
Ainsi, si des vapeurs de solvants chlorés ont été identifiés dans l'air de l'une des caves de leur maison, les mesures effectuées ont montré des concentrations en solvants faibles, inférieurs aux seuils de référence dans les pièces à vivre des habitations. L'ARS (Agence Régionale de Santé) n'a identifié aucun risque sanitaire associé à la présence de solvants chlorés dans la nappe souterraine et à la qualité de l'air des habitations de la zone concernée. Aucune mesure de dépollution, ni aucune action particulière n'a été jugée nécessaire au sein de ces habitations.
L'étude Hub produite par les appelants, au demeurant non contradictoire, conclut à un risque acceptable pour la maison, et à un risque inacceptable pour l'annexe de la propriété. En outre, aucun des certificats médicaux concernant les enfants ne fait un lien entre les constats médicaux (allergie respiratoire) et l'exposition à une pollution.
M. et Mme [C] n'apportent pas une démonstration suffisante du préjudice d'anxiété qu'ils disent subir, et ils seront déboutés de la demande de dommages et intérêts formée à ce titre.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les époux [C] ayant obtenu partiellement gain de cause, il y a lieu de mettre à la charge de la SAS Landis+Gyr les dépens de première instance et d'appel.
Celle-ci sera en outre condamnée à leur verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] [C] et Mme [N] [F] épouse [C] de leur demande d'indemnisation au titre de la perte de valeur de leur immeuble, au titre de leur préjudice locatif et au titre de leur préjudice d'anxiété ;
Infirme le surplus du jugement ;
Statuant à nouveau :
Condamne la SAS Landis+Gyr à payer à M. [T] [C] et Mme [N] [F] épouse [C] les sommes de :
6 000 euros au titre des nuisances liées aux travaux ;
3 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;
Condamne la SAS Landis+Gyr à payer à M. [T] [C] et Mme [N] [F] épouse [C] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Landis+Gyr aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier, Le président,