COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 14 Septembre 2022
N° RG 20/00380 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FL7A
ALC
Arrêt rendu le quatorze Septembre deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 28 janvier 2020 par le Tribunal judiciaire de MOULINS (RG n° 19/00064)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Stéphanie LASNIER, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors du prononcé
ENTRE :
M. [C] [T]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentant : Me Stéphane MESONES, avocat au barreau de MOULINS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/010669 du 12/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)
APPELANT
ET :
CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES DE RHONE ALPES AUVERGNE (GROUPAMA)
Caisse de réassurances mutuelles agricoles immatriculée au RCS de Lyon sous le n° 779 838 366 00028
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : la SCP HUGUET-BARGE-CAISERMAN-FUZET, avocats au barreau de CUSSET/VICHY
INTIMÉE
DEBATS : A l'audience publique du 18 Mai 2022 Madame CHALBOS a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 14 Septembre 2022.
ARRET :
Prononcé publiquement le 14 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Virginie THEUIL-DIF, Conseiller, pour le Président empêché, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 8 septembre 2017, Mme [M] [Z] épouse [T], qui circulait à bicyclette, a été victime d'un accident mortel de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. [B] assuré auprès de la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama).
Par acte du 15 janvier 2019, M. [C] [T], agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentant de ses enfants mineurs [H] et [N] [T] a fait assigner la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) et la CPAM de l'Allier devant le tribunal de grande instance de Moulins aux fins d'obtenir la condamnation de l'assureur à lui payer les sommes de 1 494,56 euros au titre des frais funéraires, 300 euros au titre du vélo, 473 228 euros au titre du préjudice économique, 95 000 euros au titre du préjudice moral, avec intérêts au double du taux légal à compter du 8ème mois suivant l'accident.
Par jugement du 28 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Moulins a :
- dit que la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) est tenue de réparer la totalité des dommages subis par les ayants-droit de Mme [M] [T] suite à l'accident du 8 septembre 2017,
- condamné la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) à payer à :
- M. [C] [T] en son nom personnel les sommes de 1 494,56 euros au titre des frais funéraires, 100 euros au titre du vélo et 35 000 euros au titre de son préjudice d'affection,
- M. [C] [T] ès qualités de représentant légal de son fils mineur [H] la somme de 35 000 euros au titre de son préjudice d'affection,
- M. [C] [T] és qualités de représentant légal de sa fille mineure [N] la somme de 35 000 euros au titre de son préjudice d'affection,
- dit n'y avoir lieu à doublement des intérêts,
- condamné la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) à payer à M. [T] la somme de 850 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
M. [C] [T] a interjeté appel de ce jugement, son appel étant limité aux dispositions ayant rejeté la demande au titre du préjudice économique et la demande au titre du doublement de l'intérêt au taux légal.
Par conclusions déposées et notifiées le 19 mars 2020, M. [T] demande à la cour, vu la loi du 5 juillet 1985, vu l'article L. 211-13 du code des assurances, de :
- dire et juger recevable et fondé M. [T] [C] agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs, en son appel,
- réformer la décision dont appel en ce qu'elle n'a pas :
- fait droit à la demande de réparation du préjudice patrimonial et économique, - fait droit à la demande de doublement de l'intérêt au titre de l'article L. 211-13 et suivants du code des assurances,
Statuant à nouveau :
- condamner la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne désignée 'Groupama Assurances' intimée à porter et payer à M. [T] [C] les sommes suivantes :
- au titre du préjudice économique :
- arrérages dus à l'époux : 30 240,00 euros,
- arrérages dus pour [H] [T] : 6 480,00 euros,
- arrérages dus pour [N] [T] : 6 480,00 euros,
- capitalisation due pour [H] : 25 142,40 euros,
- capitalisation due pour [N] : 31 104 euros,
- capitalisation due pour l'époux survivant 388 281,60 euros,
- condamner encore la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne désignée 'Groupama Assurances' intimée à porter et payer à M. [T] [C] l'intérêt au taux légal au titre sur ces sommes à compter du 8 septembre 2017 jusqu'à parfait paiement,
- condamner encore la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne désignée 'Groupama Assurances' intimée à porter et payer à M. [T] [C] la somme de 26 488,65 euros correspondant au doublement de l'intérêt au taux légal au titre du préjudice d'affection,
- débouter l'assureur de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne désignée 'Groupama Assurances' requise à porter et payer à M. [T] [C] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Par conclusions déposées et notifiées le 19 juin 2020, la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) demande à la cour, vu les articles 463 et 464 du code de procédure civile de, rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires :
- faire droit à l'ensemble des demandes, fins et conclusions présentées par la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama),
- débouter M. [C] [T] de l'ensemble des demandes, fins en conclusions,
À titre liminaire,
- rectifier l'erreur matérielle survenue dans le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Moulins le 17 Mars 2020,
- fixer en conséquence le préjudice d'affection subi par chacun des enfants mineurs, [H] et [N] [T], à hauteur de 30 000 euros,
Sur l'appel principal et limité de M. [T],
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Moulins en ses motifs et en ce qu'il a débouté M. [C] [T] de sa demande de réparation du préjudice économique,
Sur la demande de réparation du préjudice 'patrimonial personnel (préjudice économique)' présentée par M. [T],
À titre principal,
- dire et juger la demande de réparation d'un préjudice 'patrimonial personnel (préjudice économique)' présentée par M. [C] [T] irrecevable en ce qu'elle constitue une demande nouvelle,
De plus,
- dire et juger infondée la demande de réparation d'un préjudice économique présentée par M. [C] [T],
En conséquence,
- débouter M. [C] [T] de ses demandes,
À titre infiniment subsidiaire,
- réduire dans de larges proportions les demandes totalement exagérées présentées par M. [C] [T] et conformément aux offres qui précédent,
- dire et juger alors la proposition de règlement pour, seule [N], portant sur le calcul d'un hypothétique préjudice patrimonial personnel à hauteur de 47 520 euros satisfactoire,
- débouter M. [C] [T] de ses demandes tant pour son fils [H] que pour lui-même,
Sur la demande de doublement des intérêts,
- constater la production de pièces justificatives opportunes seulement à compter du 13 Juin 2019,
Dès lors,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Moulins en ce qu'il a débouté M. [C] [T] de sa demande de doublement des intérêts,
En tout état de cause,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Moulins en ce qu'il a condamné la CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) à payer et porter à M. [C] [T] la somme de 850 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- débouter M. [C] [T] de ses demandes présentées par devant la cour de céans sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au titre des dépens,
- condamner M. [T] en tous les dépens.
Par ordonnance du 6 mai 2021, le conseiller de la mise en état a débouté la compagnie CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) de son incident de caducité de la déclaration d'appel, débouté M. [T] de sa demande de communication de pièces et ordonné la clôture de la procédure.
Par arrêt du 16 novembre 2021, la première chambre civile de la cour d'appel statuant sur déféré a confirmé l'ordonnance du 6 mai 2021 en toutes ses dispositions, déclaré irrecevable la demande formée par la CRAMA Groupama Rhône-Alpes Auvergne aux fins d'irrecevabilité de la déclaration d'appel de M. [C] [T] et condamné la CRAMA Groupama Rhône-Alpes Auvergne au paiement d'une somme de 1 500 euros en dédommagement de ses frais irrépétibles.
MOTIFS :
Sur la demande en rectification d'erreur matérielle :
La compagnie Groupama fait valoir que le tribunal a alloué à chacun des enfants de Mme [T] une somme de 35 000 euros en réparation du préjudice d'affection alors que les demandeurs ne sollicitaient à ce titre qu'une somme de 30 000 euros.
Le montant mentionné au dispositif du jugement est cependant concordant avec la motivation du tribunal qui a énoncé que 'compte tenu de l'âge de la victime et de ses enfants et de la durée du mariage laissant présumer l'existence de liens familiaux forts existant au sein de la famille [T], le préjudice de M. [T] et des enfants mineurs sera fixé à 35 000 euros pour le conjoint survivant et chacun des enfants.'
La seule circonstance que les demandeurs avaient sollicité dans leurs conclusions une somme de 30 000 euros et non de 35 000 euros pour les enfants est insuffisante à caractériser une erreur matérielle du premier juge qui a bien mentionné dans son jugement le montant des sommes réclamées et n'a pas statué ultra petita dans la mesure où le montant total de l'indemnisation accordée en réparation du préjudice résultant du décès de Mme [T] est inférieur au montant total réclamé par M. [T] et ses enfants.
La demande en rectification fondée sur les articles 463 et 464 du code de procédure civile sera en conséquence rejetée.
Sur la demande en réparation du préjudice patrimonial et économique :
M. [T] prétend qu'il a été contraint de quitter son emploi pour s'occuper de ses enfants après le décès de son épouse et sollicite en conséquence l'indemnisation du préjudice subi par lui-même et ses enfants du fait de la perte de son salaire.
Contrairement à ce que soutient l'intimée, M. [T] présentait déjà devant le premier juge une demande tendant aux mêmes fins, de sorte que cette demande ne constitue pas une demande nouvelle en cause d'appel au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
Il résulte des pièces versées aux débats qu'à la date de l'accident Mme [T] était sans emploi mais effectuait une stage par l'intermédiaire de Pôle emploi, ce qui a permis à M. [T] et ses enfants de percevoir une rente AT pour un montant total de 316 462,98 euros, l'accident s'étant produit sur le trajet centre de formation/domicile.
M. [T] était salarié de la société GSF et travaillait du lundi au vendredi de 17h00 à 24h00, pour un salaire net mensuel de 1500 euros.
L'enfant [H] âgé de 13 ans et atteint d'un handicap était accueilli en IME et sa soeur [N] âgée de 10 ans était scolarisée.
Un an après l'accident de son épouse M. [T] a fait le choix de quitter son emploi afin d'être plus disponible pour s'occuper de ses enfants.
La perte du salaire de M. [T] est la conséquence de ce choix respectable et compréhensible mais ne peut être considérée comme une conséquence inévitable du décès de Mme [T].
M. [T] ne justifie pas que comme il le soutient, la situation de ses enfants nécessitait une présence constante à domicile puisque [N] était scolarisée et que [H] pouvait être accueilli en IME en internat.
M. [T] a d'ailleurs pu conserver son emploi jusqu'au 21 août 2019, date d'effet de la rupture conventionnelle, en bénéficiant d'aménagements d'horaires.
M. [T] aurait en revanche été contraint de recourir à l'assistance d'une tierce personne pour garder les enfants lors de leur retour au foyer et est fondé à solliciter l'indemnisation d'un préjudice économique équivalent au coût représenté par ces frais de garde.
En l'absence de tout chiffrage de sa part, il lui sera alloué la somme de 47 520 euros proposée par Groupama.
Sur la demande de doublement des intérêts :
Il résulte des dispositions de l'article L.211-9 du code des assurances que lorsque l'accident a causé un dommage corporel, une offre d'indemnité comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris du préjudice matériel, et indiquant les créances de chaque tiers payeur doit être faite à la victime dans un délai maximal de huit mois à compter de l'accident.
La victime doit, afin de permettre la présentation d'une offre, communiquer à l'assureur, à la demande de ce dernier faite dans les conditions de l'article R.211-39 du code des assurances, les renseignements énumérés par les articles R.211-37 et R.211-38 du même code.
Si la victime ne répond pas, ou incomplètement, dans le délai de 6 semaines à compter de la présentation de la demande de renseignements faite par l'assureur, le délai pour présenter une offre est suspendu de l'expiration du délai de 6 semaines et jusqu'à la réception des renseignements demandés.
Ainsi que l'a relevé le premier juge il résulte des courriers échangés entre l'assureur et le conseil des consorts [T] que certains des renseignements énumérés par les textes précités, sollicités par Groupama suivant courrier du 7 février 2018 et nécessaires à l'appréciation globale des éléments indemnisables du préjudice et à l'établissement d'une offre, n'ont été communiqués par les ayants droits qu'au cours de la procédure de première instance le 13 juin 2019, de sorte que l'offre formulée par l'assureur au cours de cette même procédure n'est pas tardive concernant le préjudice d'affection.
S'agissant de la somme de 47 520 euros allouée au titre de l'indemnisation de frais de garde et proposée par Groupama dans ses conclusions du 19 juin 2020, il ne peut être reproché à l'assureur d'avoir formulé une offre sur ce chef de préjudice qui n'était pas clairement articulé par M. [T] qui sollicitait l'indemnisation de sa perte de salaire.
Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point.
La compagnie Groupama sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Déboute la compagnie CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) de sa demande en rectification d'erreur matérielle,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande au titre d'un préjudice patrimonial et économique,
Statuant à nouveau sur ce point,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prétendue nouveauté de la demande en cause d'appel et condamne la société CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) à payer à M. [T] une somme de 47 520 euros et rejette le surplus des demandes présentées à ce titre,
Confirme, dans les limites de sa saisine, le jugement entrepris pour le surplus,
Condamne la compagnie CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) à payer à M. [T] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la compagnie CRAMA Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) aux dépens.
Le greffier, Le président,