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07/09/2022 | FRANCE | N°21/00680

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre commerciale, 07 septembre 2022, 21/00680


COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale















ARRET N°



DU : 07 Septembre 2022



N° RG 21/00680 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FSDC

VTD

Arrêt rendu le sept Septembre deux mille vingt deux



Sur APPEL d'une décision rendue le 18 février 2021 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2019/005185)



COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président

Mme Virginie THEUIL-DIF, Co

nseiller

Madame Virginie DUFAYET, Conseiller



En présence de : Mme Céline DHOME, Greffier, lors de l'appel des causes et de Mme Christine VIAL, Greffier lors du prononcé



ENTRE :



Mme ...

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 07 Septembre 2022

N° RG 21/00680 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FSDC

VTD

Arrêt rendu le sept Septembre deux mille vingt deux

Sur APPEL d'une décision rendue le 18 février 2021 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2019/005185)

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Virginie DUFAYET, Conseiller

En présence de : Mme Céline DHOME, Greffier, lors de l'appel des causes et de Mme Christine VIAL, Greffier lors du prononcé

ENTRE :

Mme [T] [W] épouse [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Magali BERTHOLIER, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/004193 du 28/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)

APPELANTE

ET :

CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN

Société coopérative à forme anonyme, directoire et conseil de surveillance immatriculée au RCS de CLERMONT-FERRAND sous le n° 382 742 013 01501

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : la SELARL TOURNAIRE - MEUNIER, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMÉE

DÉBATS :

Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 12 Mai 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame THEUIL-DIF, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRET :

Prononcé publiquement le 07 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Madame Virginie THEUIL-DIF, Conseiller, pour le Président empêché, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Luan Hanae a souscrit le 6 décembre 2011 auprès de la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Auvergne et du Limousin (la Caisse d'Epargne) un prêt professionnel d'un montant de 118 600 euros aux fins d'acquisition d'un fonds de commerce de coiffeur.

La gérante, Mme [T] [W] épouse [E], s'est engagée le même jour, en qualité de caution solidaire de la société, dans la limite de 77 220 euros pour une durée de 114 mois.

Par jugement du 22 juin 2015, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL Luan Hanae.

La Caisse d'Epargne a déclaré sa créance le 29 juillet 2015, créance qui a fait l'objet d'un avis d'admission le 3 juin 2016.

Par jugement du 29 juin 2016, le tribunal a arrêté un plan de continuation sur une durée de neuf ans.

Par jugement du 14 février 2019, le tribunal a prononcé la résolution du plan de redressement et ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée.

Le 7 mars 2019, la Caisse d'Epargne a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 avril 2019, la Caisse d'Epargne a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure Mme [E] d'avoir à lui régler une somme de 41 886,17 euros en sa qualité de caution.

Par acte d'huissier du 6 juin 2019, la Caisse d'Epargne a fait assigner Mme [E] devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, au visa des articles 2298 et 1343-2 du code civil, afin de voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, :

- condamner Mme [E] à lui payer la somme de 41 866,17 euros au titre de son engagement de caution solidaire au titre du principal dans la limite de 77 220 euros ;

- dire que cette somme portera intérêts au taux contractuel à compter du 4 avril 2019 ;

- faire application de l'article 1343-2 du code civil pour toute somme due au-delà d'un an à compter du 4 avril 2019 ;

- condamner Mme [E] à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 au titre du code de procédure civile et aux dépens.

Par jugement du 18 février 2021, le tribunal a :

- dit que l'engagement de caution de Mme [E] n'est pas disproportionné ;

- dit la demande reconventionnelle de Mme [E] au titre du manquement au devoir de mise en garde mal fondée et l'en a déboutée ;

- condamné Mme [E] à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 41 866,17 euros au titre de son engagement de caution solidaire, au titre du principal de la somme de 77 220 euros, comprenant les frais, pénalités et intérêts ;

- ordonné la capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;

- débouté Mme [E] de sa demande à titre infiniment subsidiaire de report des sommes dues ;

- condamné Mme [E] à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 1 500 euros au titre du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement ;

- condamné Mme [E] aux dépens de l'instance.

Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 24 mars 2021, Mme [T] [W] épouse [E] a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 9 mars 2022, l'appelante demande à la cour au visa des articles L.332-1 du code de la consommation, 1147 du code civil dans sa version applicable à l'espèce, de :

- dire mal jugé bien appelé ;

- déclarer Mme [E] recevable en ses demandes ;

- infirmer le jugement ;

- constater le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de caution pris par Mme [E] ;

- en conséquence, juger inopposable à Mme [E] l'engagement de caution et donc l'impossibilité pour la Caisse d'Epargne de se prévaloir de ce dernier à l'encontre de Mme [E] ;

- à titre subsidiaire, juger que la Caisse d'Epargne a manqué à son devoir de mise en garde d'information ;

- en conséquence, la condamner à payer à Mme [E] la somme de 47 886,70 euros pour défaut de mise en garde couvrant ainsi son engagement de caution ;

- à titre infiniment subsidiaire, si la cour ne faisait pas droit à la demande de Mme [E] en sa qualité de caution il conviendra de juger Mme [E] recevable et fondée à obtenir le report des sommes dues à la Caisse d'Epargne dans le cadre de l'engagement de caution souscrit le 6 décembre 2011 et ce pour une durée de 24 mois à compter de la décision à intervenir ;

- en tout état de cause, condamner la Caisse d'Epargne à payer à Mme [E] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 11 mars 2022, la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Auvergne et du Limousin demande à la cour, au visa des articles 1343-2, 1343-5, 2298 du code civil, 1134 du code civil devenu les articles 1103 et 1104 du même code, L.110-4 du code de commerce, de :

à titre principal :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

- juger recevables et bien fondées les demandes formulées par la Caisse d'Epargne ;

- juger que l'engagement de caution de Mme [E] n'est pas disproportionné ;

- juger que la demande reconventionnelle de Mme [E] au titre du manquement au devoir de mise en garde est prescrite et donc irrecevable, et en tout état de cause infondée ;

- juger qu'aucun délai de paiement ne saurait lui être octroyé ;

- rejeter l'ensemble de ses demandes reconventionnelles et condamner Mme [E] à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 41 866,17 euros au titre de son engagement de caution solidaire, au titre du principal, dans la limite de 77 220,00 euros, comprenant les frais, pénalités et intérêts ;

- dire que cette somme portera intérêts au taux contractuel de 3,590 %, à compter de l'envoi de la lettre de déchéance du terme, soit le 4 avril 2019 ;

- faire application de l'article 1343-2 du code civil pour toute somme due au delà d'un an à compter du 4 avril 2019 ;

à titre subsidiaire :

- juger que l'engagement de caution de Mme [E] n'est pas disproportionné ;

- condamner Mme [E] payer et porter à la Caisse d'Epargne la somme de 41 866,17 euros au titre de son engagement de caution solidaire, au titre du principal, dans la limite de 77 220,00 euros, comprenant les frais, pénalités et intérêts ;

- dire que cette somme portera intérêts au taux contractuel de 3,590 %, à compter de l'envoi de la lettre de déchéance du terme, soit le 4 avril 2019 ;

- faire application de l'article 1343-2 du code civil pour toute somme due au delà d'un an à compter du 4 avril 2019 ;

- juger qu'aucun délai de paiement ne saurait être octroyé à Mme [E] ;

- réduire la demande reconventionnelle de Mme [E] au titre du manquement au devoir de mise en garde à de plus juste proportion ;

- ordonner la compensation des créances si une condamnation devait peser sur la Caisse d'Epargne ;

- rejeter l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

en tout état de cause :

- condamner Mme [E] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens.

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mars 2022.

MOTIFS

- Sur la disproportion du cautionnement

En vertu de l'article L.341-4 du code de la consommation dans sa version applicable à la date de l'engagement de caution, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Il résulte de ces dispositions que la disproportion doit être manifeste, c'est-à-dire flagrante ou évidente pour un professionnel raisonnablement diligent.

Les dispositions précitées n'imposent pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte lorsqu'elle l'invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Toutefois, le caractère disproportionné s'apprécie au regard des biens et revenus déclarés, dont le créancier n'a pas à vérifier l'exactitude, sauf anomalies apparentes.

En l'espèce, Mme [E] s'est portée caution solidaire de la SARL Luan Hanae le 6 décembre 2011, au titre du prêt souscrit le même jour, dans la limite de la somme de 77 220 euros et pour une durée de 114 mois.

Son conjoint, M. [P] [E], avec lequel elle était mariée sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts, a donné son consentement au cautionnement.

Le consentement exprès donné en application de l'article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint a pour effet d'étendre l'assiette du gage du créancier aux biens communs, aussi la proportionnalité de l'engagement de caution du conjoint s'apprécie tant au regard de ses biens et revenus que de ceux de la communauté, incluant les salaires de l'autre époux (Cass. Com. 22 février 2017, n°15-14.915).

Une fiche de renseignements intitulée 'questionnaire confidentiel' a été complétée par les époux [E] le 13 octobre 2011 à la demande de la banque.

Mme [E] a déclaré être née en 1976, être mariée, et avoir deux enfants à charge. M. [E] est né en 1972. Ils étaient domiciliés à [Localité 3].

Il n'a été déclaré aucun patrimoine mobilier, ni aucun patrimoine immobilier.

Le couple remboursait deux prêts à la consommation, à savoir la somme mensuelle de 705,89 euros (650,89 +55), sachant que les capitaux restant dus au titre des prêts à cette date, étaient d'un montant total de 26 847 euros.

Mme [E] a déclaré percevoir un salaire annuel de 16 166 euros en tant que coiffeuse, et M. [E], 27 264 euros en tant qu'agent de maîtrise logistique. Les revenus annuels du couple étaient ainsi de 43 430 euros. Ils percevaient en outre des allocations familiales (1 509,36 euros par an).

La Caisse d'Epargne estime que l'engagement de caution de Mme [E] n'était pas manifestement disproportionné.

Néanmoins, en l'absence de tout patrimoine, qu'il soit mobilier ou immobilier, et en présence d'un endettement de 26 847 euros, les seuls revenus de la famille pour 4 personnes à hauteur de 43 430 euros par an, étaient manifestement très insuffisants pour que Mme [E] s'engage en qualité de caution à hauteur de 77 220 euros, alors même qu'aucune charge n'avait été déclarée dans cette fiche.

Deux années de revenus du couple ne permettaient même pas de couvrir l'engagement au vu de son endettement.

Ainsi, au vu des seuls éléments patrimoniaux déclarés, le cautionnement de Mme [E] apparaissait disproportionné.

Il résulte des dispositions in fine de l'article L.341-4 ancien du code de la consommation que la disproportion s'apprécie au moment de la formation du contrat et au moment où la caution est appelée : un engagement initialement disproportionné peut trouver son équilibre dans le temps si la situation patrimoniale de la caution s'améliore.

Il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, d'établir que, au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

La banque n'a pas conclu sur ce point, et n'établit donc pas que la situation de Mme [E] au moment où elle est appelée en paiement, lui permet de faire face au paiement des sommes réclamées. Cette preuve est d'autant moins rapportée que Mme [E] est aujourd'hui bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale dans le cadre de cette procédure.

La sanction de la disproportion du cautionnement est l'impossibilité pour le créancier de pouvoir s'en prévaloir.

Ainsi, le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté le moyen de la disproportion et condamné Mme [E] à payer la somme réclamée par la banque.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant à l'instance, la Caisse d'Epargne supportera les dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.

En application de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la Caisse d'Epargne sera condamnée à payer au conseil de Mme [E], Me Bertholier, la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déboute la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Auvergne et du Limousin de ses demandes en paiement formées à l'encontre de Mme [T] [W] épouse [E] au titre du cautionnement du 6 décembre 2011 ;

Condamne la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Auvergne et du Limousin à payer à Me Bertholier, avocat de Mme [T] [W] épouse [E], la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Condamne la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Auvergne et du Limousin aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/00680
Date de la décision : 07/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-07;21.00680 ?
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