COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 01 Juin 2022
N° RG 20/00546 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FMND
FK
Arrêt rendu le un Juin deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 30 janvier 2020 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2018-3738)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et de Mme Rémédios GLUCK lors du prononcé
ENTRE :
La SOCIETE POUR LA PROMOTION ET LA COMMUNICATION (SOPROCOM)
SAS à associé unique immatriculée au RCS de Paris sous le n° 314 503 061 00074
[Adresse 4]
[Localité 10]
Représentants : la SELARL LEXAVOUE, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Frédéric DEREUX de l'AARPI WRAGGE LAWRENCE GRAHAM & CO AARPI, avocat au barreau de PARIS (plaidant)
APPELANTE
La société dénommée 'MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES 'MJA' ' prise en la personne de Maître Valérie LELOUP-THOMAS
SELAFA immatriculée au RCS de Paris sous le n° 440 672 509 00021
[Adresse 1]
[Localité 9]
agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la SOCIETE POUR LA PROMOTION ET LA COMMUNICATION (SOPROCOM), SAS à associé unique immatriculée au RCS de Paris sous le n° 314 503 061 00074, dont le siège social est sis [Adresse 4]
Représentants : la SELARL LEXAVOUE, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Frédéric DEREUX de l'AARPI WRAGGE LAWRENCE GRAHAM & CO AARPI, avocat au barreau de PARIS (plaidant)
INTERVENANTE VOLONTAIRE
La SELARL MONTRAVERS YANG-TING prise en la personne de Maître Marie-Hélène MONTRAVERS
SELARL immatriculée au RCS de Paris sous le n° 530 194 968 00018
[Adresse 2]
[Localité 8]
agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la SOCIETE POUR LA PROMOTION ET LA COMMUNICATION (SOPROCOM), SAS à associé unique immatriculée au RCS de Paris sous le n° 314 503 061 00074, dont le siège social est sis [Adresse 4]
Représentants : la SELARL LEXAVOUE, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Frédéric DEREUX de l'AARPI WRAGGE LAWRENCE GRAHAM & CO AARPI, avocat au barreau de PARIS (plaidant)
INTERVENANTE VOLONTAIRE
ET :
M. [Y] [B]
Le bourg
[Localité 7]
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(postulant) et la SELAS FIDAL, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (plaidant)
La société AROLA
SNC immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n° 378 110 241 00031
[Adresse 13]
[Localité 12]
[Localité 6]
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(postulant) et la SELAS FIDAL, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (plaidant)
La société dénommée 'SCI [B] INVESTISSEMENTS'
Société civie immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n 438 533 028 00025
[Adresse 3]
[Adresse 14]
[Localité 5]
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(postulant) et la SELAS FIDAL, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (plaidant)
INTIMÉS
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 06 Avril 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame CHALBOS et Madame THEUIL-DIF, magistrats chargés du rapport, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET :
Prononcé publiquement le 01 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et par Mme Rémédios GLUCK Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure - demandes et moyens des parties :
La SNC AROLA, qui exerce notamment une activité de vente de produits régionaux, d'articles de presse et de tabac sur l'aire de service autoroutière dénommée Aire des Volcans d'Auvergne, à [Localité 11], a entretenu à partir de l'année 2003 des relations d'affaires avec la société SEMC, dépositaire central de presse, sans qu'aucun acte contractuel soit établi entre les parties.
Un litige s'est élevé entre les deux sociétés en 2013 ; la société SEMC, considérant que le contrat était résilié, a réclamé paiement à la SNC AROLA et à son gérant M. [Y] [B] d'une somme de 54 867,17 euros, au titre de leur solde débiteur.
La SNC AROLA et M. [B] s'étant refusés à lui payer cette somme, la SAS SOPROCOM (société pour la promotion et la communication), déclarant venir aux droits de la société SEMC, les a fait assigner en paiement, avec la SCI [B] Investissements (associée de la SNC AROLA), devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, suivants actes introductifs d'instance des 24 et 30 avril 2018.
Le tribunal, suivant jugement contradictoire du 30 janvier 2020, a débouté la SAS SOPROCOM de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens, en rejetant les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile. Le tribunal a énoncé, dans les motifs du jugement, d'une part que la SAS SOPROCOM avait contracté non pas avec M. [B] en son nom personnel mais avec la SNC AROLA, d'autre part que la SAS SOPROCOM échouait à rapporter la preuve que sa créance prétendue, qui ne serait devenue exigible qu'avant le 24 avril 2013, n'était pas prescrite lorsqu'elle a fait assigner la SNC AROLA, le 24 et 30 avril 2018.
La SAS SOPROCOM, par une déclaration faite au greffe de la cour le 31 mars 2020, a interjeté appel de ce jugement, en toutes ses dispositions.
À la suite de la liquidation judiciaire de la société appelante, ouverte par le tribunal de commerce de Paris le 15 mai 2020, la procédure d'appel été reprise par la SELARL MJA et par la SELARL Montravers Yang-Ting, en leur qualité de mandataires liquidateurs de la SAS SOPROCOM.
Ces sociétés demandent, au principal, que la SNC AROLA, M. [B] et la SCI [B] Investissements soient condamnés solidairement à lui payer une somme de 47 605,52 euros.
Les appelantes exposent l'organisation de la distribution de la presse, encadrée par la loi du 2 avril 1947 : les sociétés de messagerie de presse, Presstalis et MLP, ont créé chacune un réseau de distribution, constitué de dépositaires centraux, et de diffuseurs qui vendent les publications aux clients finaux ; les relations entre dépositaires et diffuseurs sont fixées dans des contrats conformes à un contrat type, auxquels les parties ne peuvent déroger, et en vertu desquels le produit vendu reste propriété de l'éditeur jusqu'à sa vente au public, les diffuseurs étant de simples dépositaires des journaux et périodiques remis par les dépositaires ; le diffuseur doit restituer au dépositaire les titres invendus, ou lui verser le produit de la vente, déduction faite de sa commission. Un document comptable hebdomadaire, intitulé relevé de presse, récapitule la valeur des exemplaires remis au diffuseur, la valeur des invendus restitués et le montant de la commission due au diffuseur ; en pratique, lors de remises des titres à vendre, le dépositaire crédite le compte du diffuseur du montant des commissions sur les marchandises qu'il lui remet, et débite son compte de la valeur de ces mêmes marchandises ; lors de la restitution des invendus, le dépositaire débite le compte du diffuseur du montant de sa commission sur les invendus, et le crédite de la valeur des marchandises invendues et restituées.
Les sociétés appelantes exposent que M. [B], qui était autorisé à exercer l'activité de diffuseur de presse par l'intermédiaire de la SNC AROLA, était convenu avec la société SEMC de modifier la nature du point de vente, afin qu'il devienne un point de vente complémentaire, et qu'il était nécessaire, pour réaliser cette opération, de clôturer au préalable son compte initial ; que M. [B] s'est cependant refusé à restituer les titres qui se trouvaient sur son point de vente, ce qui a provoqué la résiliation du contrat,
et l'arrêté des comptes (crédit des invendus et débit des différés de paiement arrivant à échéance après la résiliation), de sorte que « la SNC AROLA et M. [B] » se sont trouvés débiteurs d'un solde de 54 867,17 euros.
La SELARL MJA et la SELARL Montravers Yang-Ting ès-qualités font valoir que la SNC AROLA et M. [B], malgré l'absence de contrat écrit, se trouvent tenus dans les termes du contrat type ; que la créance n'est pas intégralement prescrite, dès lors que certaines des sommes qui la composent ne devaient être exigibles qu'après le 23 avril 2013, s'agissant de hors série et de publications ayant une périodicité égale ou supérieure à un mois, publications qualifiées de différées, et qui ne donnent lieu à versement que huit semaines après leur dépôt, au lieu de deux semaines comme c'est le cas pour les autres publications. Compte tenu de la prescription quinquennale, qu'elle reconnaissent devoir s'appliquer aux autres sommes, les sociétés appelantes réduisent leur demande au montant de la créance qu'elles déclarent non prescrite, soit 47 605,52 euros.
Ces sociétés exposent d'autre part que la SNC AROLA et M. [B] sont co-débiteurs solidaires du solde en cause, au motif que M. [B] a été inscrit personnellement par la société SEMC sur la liste des diffuseurs de presse, conformément à l'usage suivi dans le secteur de la distribution de la presse, d'inscrire la seule personne physique ; qu'il était donc autorisé à exercer cette activité, par l'intermédiaire de sa société la SNC AROLA ; qu'en raison tant des règles applicables aux sociétés en non collectif (article L. 221-1 du code de commerce), que de celles propres au domaine de la distribution de la presse, la SNC AROLA et M. [B] sont tenus solidairement à la dette, ainsi que la SCI [B] Investissements, en sa qualité d'associée de la SNC AROLA.
La SNC AROLA, M. [B] et la SCI [B] Investissements concluent à la confirmation du jugement, à la mise hors de cause de M. [B] et de la SCI [B] Investissements, qui n'ont pas contracté avec la société SEMC, et au débouté des demandes formées contre la SNC AROLA. Celle-ci admet qu'elle a poursuivi à partir de l'année 2003 une relation commerciale avec la société SEMC, mais conteste la résiliation qui serait survenue en 2013, et l'application des clauses du contrat type des diffuseurs de presse, faute d'acte contractuel signé par les parties. Elle soulève d'autre part la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce, en faisant valoir que les factures dont il est demandé paiement portent toutes sur des dettes échues avant le 23 avril 2013, y compris celles relatives à des « opérations non échues », ce mode de facturation n'étant pas conforme à l'article L. 441-3 du code de commerce, qui impose au vendeur de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service. A titre surabondant, la SNC AROLA conteste le bien fondé de la demande, au motif que les relevés de facturation produits par les sociétés appelantes ne sont pas conformes à la réalité des flux enregistrés dans sa propre comptabilité, qui révèlent que la société SEMC a omis de tenir compte de la plupart des retours qu'elle a reçus à partir de novembre 2012.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 février 2022.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées le 27 janvier le 27 avril 2021.
Motifs de la décision :
Il est rappelé qu'entre commerçants la preuve peut être rapportée par tous moyens, et qu'un contrat n'est pas, en règle générale, subordonné à la rédaction d'un écrit : il existe et oblige les parties, dès lors qu'elles se sont engagées par un accord de volontés mutuel.
Il apparaît d'autre part que, comme le font valoir les appelantes, les contrats entre dépositaires centraux et diffuseurs de presse doivent se conformer aux termes d'un contrat type fixé par le Conseil supérieur des messageries de presse, en application de l'article 18-6 12° de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947, prise dans sa rédaction en vigueur à la date du contrat en cause.
Il apparaît enfin que les parties (la société SEMC d'une part, la SNC AROLA ou M. [B] d'autre part) ont collaboré pendant plusieurs années, jusqu'à l'année 2013, pour la diffusion de la presse dans le point de vente susdit. Il en ressort que les parties ont conclu oralement, comme elles en avaient la faculté, une convention de diffuseur de presse, et que cette convention se trouve soumise aux clauses du contrat type.
Les parties au litige s'opposent d'abord sur l'identité du diffuseur : la SNC AROLA ou M. [B].
Selon l'article 3 du contrat type, « en raison du caractère particulier de la presse et de son circuit de distribution, le présent contrat est conclu avec le diffuseur de presse à titre gratuit, personnel et révocable ad nutum. ['] En raison du caractère personnel du présent contrat, le diffuseur ne peut mettre celui-ci à la disposition d'un gérant, libre ou salarié. Si le diffuseur décide d'exercer l'activité résultant du présent contrat sous forme de société, il ne pourra le faire qu'après accord écrit du dépositaire, à condition que le caractère personnel du contrat soit préservé. ['] Une société ne peut, en tant que telle, être titulaire d'un contrat à son nom ».
En l'état de ces stipulations, qui ne permettent pas à une société de contracter en tant que telle comme diffuseur de presse avec un dépositaire, il apparaît que seul M. [B] a conclu, en son nom personnel, un contrat de diffuseur avec la SEMC. Les demandes en paiement présentées contre les sociétés AROLA et [B] Investissements ne sont dès lors pas fondées, et doivent être rejetées.
Les intimés soulèvent ensuite la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 du code de commerce ; ils font valoir que celle-ci doit courir à compter de la date de chacun des relevés de presse hebdomadaires, et que la SEMC, en établissant des factures à des dates postérieures, a retardé artificiellement le point de départ de la prescription, alors que les factures doivent être établies sans délai.
Cependant, et indépendamment de l'obligation de délivrer une facture dès la livraison ou la prestation de service, édictée à l'article L. 441-9 du code de commerce, la prescription quinquennale ne court qu'à compter de l'exigibilité de l'obligation, telle qu'elle résulte de la facture (en ce sens Cass. Com. 5 décembre 2018, pourvoi n° 17-16.282). Il s'ensuit que les sociétés appelantes, qui limitent désormais leurs demandes aux sommes non prescrites selon les dates des factures, sont recevables en ces demandes, qu'il convient d'examiner sur le fond.
Les appelantes produisent, pour preuve de la créance de la SOPROCOM, des relevés de presse établis au nom de M. [B] pour la période écoulée du 15 décembre 2012 au 31 août 2013, et des relevés de compte établis au nom de la SNC AROLA, pour le même point de vente (l'aire des Volcans à [Localité 11]), et pour la même période ; elle fait valoir que ces différents relevés, qui constituent les seuls documents comptables sur les opérations en cause, suffisent ensemble à établir la créance dont elles demandent paiement.
Les intimés produisent cependant aux débats d'autres documents comptables établis par M. [B] ou par ses salariés : des cahiers de suivi du stock, entièrement remplis à la main, entre autres pour la période du 22 novembre 2012 au 22 mars 2013, et une synthèse dactylographiée arrêtée au 12 mars 2013 (pièces n° 3 et 4 des intimés). Ces derniers documents révèlent des discordances importantes avec ceux établis et présentés par les sociétés appelantes : ainsi, selon les observations présentées par les intimés, et non contredites par les appelantes, les retours comptabilisés par le diffuseur ont été de 79 360,51 pour la période de septembre 2012 à mars 2013, alors qu'ils n'ont été que de 13 508,97 euros selon les documents établis par le dépositaire, soit un écart de 65 851,54 euros (sommes qui apparaissent sur la synthèse du 21 mars 2013, avec la mention de « réassorts »).
Faute d'explication ou d'élément de preuve complémentaire produit par les sociétés appelantes, les pièces comptables qu'elles présentent, établies par la seule société qui se prétend créancière, et qui sont contredites par les pièces établies par M. [B], ne permettent pas de constater que la SOPROCOM justifie d'une créance certaine dans son montant et dans son existence même. C'est à bon droit que le tribunal a débouté la SELARL MJA et la SELARL Montravers Yang-Ting de leur demande ; le jugement doit être confirmé.
PAR CES MOTIFS :
Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum la SELARL MJA et la SELARL Montravers Yang-Ting, en leur qualité de mandataires liquidateurs de la SAS SOPROCOM. aux dépens d'appel, et à verser à la SNC AROLA, à M. [B] et à la SCI [B] Investissements une somme de 1 000 euros chacun, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes.
Le greffierLa Présidente