COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 25 Mai 2022
N° RG 20/01716 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FPZD
ALC
Arrêt rendu le vingt cinq Mai deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 17 novembre 2020 par le Tribunal de commerce de CUSSET (RG n° 2019 2457)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Madame Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Virginie DUFAYET, Conseiller
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et de Mme Rémédios GLUCK, Greffier, lors du prononcé
ENTRE :
M. [V] [B]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(postulant) et la SCP PORTEJOIE, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (plaidant)
APPELANT
ET :
La société S.A.B.C.F. CAILLOT FRERES
SAS immatriculée au RCS de Cusset sous le n° 316 253 418 00016
Le Bourg
[Localité 2]
Représentant : Me Anicet LECATRE, avocat au barreau de MOULINS
INTIMÉE
DÉBATS : A l'audience publique du 23 Mars 2022 Madame CHALBOS a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 25 Mai 2022.
ARRET :
Prononcé publiquement le 25 Mai 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et par Mme Rémédios GLUCK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [V] [B], expert-comptable et gérant de la SARL Cabinet [V] [B], a cédé son cabinet d'expertise comptable en juin 2015 pour acquérir au nom de la SARL précitée un moulin à eau du 19ème siècle, sis à [Localité 4] (03) pour y exploiter une activité de restauration.
Selon M. [B], ce dernier était accompagné dans son projet par une dame [Y] [U], se disant magnétiseuse, medium et voyante, qui conseillait des chefs d'entreprises dans la gestion de leurs affaires moyennant honoraires libres sans aucun encadrement juridique, et dont il tenait la comptabilité.
La SARL Cabinet [V] [B] a notamment confié à la société SABCF Caillot frères des travaux de gros oeuvre et de maçonnerie pour la réhabilitation des bâtiments du Moulin Bréchaille, renommé Moulin des épicuriens.
La société SABCF Caillot frères a facturé à la SARL Cabinet [V] [B] entre janvier 2017 et avril 2018 un montant total de 404 497,01 euros, resté impayé à hauteur de 74 745,14 euros.
Le projet de M. [B] s'est révélé financièrement désastreux.
L'exploitation du restaurant était confiée à une SARL Soul [B], locataire des bâtiments appartenant à la SARL Cabinet [V] [B], qui a rapidement connu des difficultés financières et a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde puis de liquidation judiciaire.
La SARL Cabinet [V] [B] a pour sa part fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du 23 avril 2019 convertie en liquidation judiciaire le 20 octobre 2019.
La société SABCF Caillot frères a déclaré une créance de 74 745,14 euros qui a fait l'objet d'une admission sans contestation notifiée par le greffe du tribunal de commerce de Cusset le 28 juin 2019.
Par acte du 7 septembre 2019, la société SABCF Caillot frères a fait assigner M. [V] [B] devant le tribunal de commerce de Cusset aux fins d'obtenir la condamnation personnelle du défendeur à lui payer la somme de 74 745,14 euros.
Elle agissait sur le fondement des dispositions de l'article L.223-22 du code de commerce, affirmant que M. [B] avait commis des fautes détachables de ses fonctions de gérant, à l'origine de la déconfiture de la SARL Cabinet [V] [B] et de son préjudice.
Par jugement du 17 novembre 2020, le tribunal de commerce de Cusset a condamné personnellement M. [V] [B] à payer et porter à la SABCF Caillot frères la somme de 74 745,14 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté M. [V] [B] de ses demandes, fins et conclusions et l'a condamné aux dépens.
Le tribunal a retenu :
- que M. [V] [B], en sa qualité de dirigeant de la SARL et expert-comptable, se devait d'étudier la faisabilité et la rentabilité de son projet et non pas rejeter la faute sur une tierce personne, Mme [U], qui aurait pratiqué un envoûtement et lui aurait fait perdre sa capacité à agir aux meilleurs intérêts de la SARL, que le manque de prudence et de prévoyance dans la gestion du patrimoine de l'entreprise constitue des critères d'une faute de gestion, que M. [B], s'il devait dire vrai, a fait preuve d'une naïveté coupable en se laissant manipuler, lui l'homme des chiffres, par une 'voyante', engendrant un préjudice non contesté envers la SABCF Caillot, que ces fautes sont séparables de ses fonctions de gérant et justifient la condamnation de M. [B] à titre personnel, que les désordres allégués par M. [B] (concernant les travaux réalisés par la société SABCF Caillot) n'ont fait l'objet d'aucune contestation judiciaire par une demande d'expertise qui aurait été judicieuse compte tenu des montants en jeu.
M. [B] a interjeté appel de ce jugement le 25 novembre 2020.
Par conclusions déposées et notifiées le 11 février 2021, il demande à la cour de réformer le jugement rendu le 17 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Cusset et statuant à nouveau :
- dire et juger qu'aucune faute ne peut être imputée à M. [V] [B], séparable de ses fonctions de gérant de la SARL Cabinet [V] [B],
- en conséquence, débouter la SABCF Caillot frères de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SABCF Caillot frères à payer et porter à M. [B] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il prétend :
- que la faisabilité et la rentabilité du projet ont bien été étudiés en amont, qu'il a fait réaliser une étude de marché par un cabinet spécialisé, que le financement du projet était assuré par les fonds propres de la société provenant de la vente du fonds libéral d'expertise comptable et par un emprunt bancaire de 1 267 000 euros pour lequel il fournissait des garanties,
- qu'il a fait appel à des professionnels de la construction et signé des marchés à prix ferme,
- que cependant les travaux ont été mal appréhendés et de nombreux désordres sont survenus sur le chantier entraînant des retards et facturations complémentaires, imputables notamment à la société SABCF, à laquelle il reproche également un défaut de conseil, et qui ont finalement conduit à l'échec du projet,
- qu'il a eu le tort de faire confiance à Mme [U], qui s'était engagée à lui prêter des fonds mais lui en a au contraire emprunté, et dont il n'est pas responsable des agissements.
Par conclusions déposées et notifiées le 22 avril 2021, la société SABCF Caillot frères demande à la cour de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, condamner M. [B] à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens, en tout état de cause débouter M. [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- que M. [B] a lui-même reconnu avoir mis en oeuvre un projet pharaonique surdimensionné et mal positionné et qu'il s'était laissé entraîner dans un tel projet à la suite d'une manipulation mentale de la part d'une medium magnétiseuse amie de son couple, qu'il rémunérait pour des conseils désastreux, espérant qu'elle participerait financièrement au projet, pour finalement lui remettre une somme de 95 600 euros, reconnaissant ainsi avoir agi sans réflexion personnelle, ce qui est impardonnable et contraire aux responsabilités d'un dirigeant de société de surcroît expert-comptable, compte tenu de l'ampleur du projet, qu'il s'agit d'une faute imputable personnellement à M. [B] et séparable de ses fonctions de gérant de la SARL,
- que la SABCF Caillot, qui se fiait à la réputation d'expert-comptable de M. [B], ignorait les conditions dans lesquelles le projet avait été conçu et mis en oeuvre et est étrangère à l'intervention de Mme [U],
- que M. [B] n'invoque aucun désordre ni retard précis imputable à la société Caillot, dont la créance a été admise sans contestation à la liquidation judiciaire,
- qu'elle subi un préjudice consistant en la perte d'une chance de ne pas essuyer un impayé de 74 745,14 euros.
La procédure a été clôturée le 10 février 2022.
MOTIFS :
Il résulte des dispositions de l'article L.223-22 du code de commerce que la responsabilité du gérant à l'égard des tiers ne peut être engagée qu'à charge pour le poursuivant de démontrer une faute du gérant séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement.
Il en est ainsi lorsque le gérant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
Le préjudice invoqué par la société SABCF Caillot frères, consistant en l'impossibilité de recouvrer sa créance contre la société SARL Cabinet [V] [B], résulte de la procédure collective dont a fait l'objet cette société et de l'insuffisance d'actif qu'elle présente.
La société SABCF Caillot frères reproche ainsi à M. [B] d'être responsable de la défaillance et de l'insuffisance d'actif de sa société.
Il sera relevé en premier lieu que le liquidateur de la SARL Cabinet [V] [B], pourtant à même, de par son mandat, de déterminer les causes de la défaillance de la SARL, n'a engagé aucune action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre du dirigeant sur le fondement des dispositions de l'article L.651-2 du code de commerce.
Le constat a posteriori de l'échec commercial du projet porté par M. [B] au travers de sa société est insuffisant à caractériser une faute de gestion séparable des fonctions sociales.
Si M. [B] a reconnu, notamment dans des articles de presse produits par l'intimée, que son projet était disproportionné et mal situé, l'erreur d'appréciation que ce constat révèle n'apparaît pas détachable des fonctions de gérant.
M. [B] justifie avoir fait réaliser en amont en janvier 2016 par le cabinet parisien Golder & Partners une étude de marché qu'il verse aux débats et dont les conclusions favorables ont conduit la banque LCL à financer le projet.
Bien que M. [B] ait fait appel à des professionnels de la construction et passé des marchés à forfait, la SARL Cabinet [V] [B] a été confrontée à des dépassements de budget et s'est plainte de retards et malfaçons qui l'ont mise en difficulté et ont retardé l'exploitation, laquelle a rapidement révélé une insuffisance de rentabilité.
Les erreurs d'appréciation commises par M. [B] quant à la faisabilité et la rentabilité de son projet peuvent être qualifiées de fautes de gestion mais ne présentent pas les caractères d'une faute détachable des fonctions de gérant.
La circonstance que M. [B] ait pu, selon ses dires, être influencé dans ses choix par Mme [U], sans que puisse être mesurée l'incidence de cette influence sur la déconfiture de la SARL Cabinet [V] [B], ne permet pas non plus de caractériser une faute détachable des fonctions de gérant imputable à M. [B] personnellement, à l'origine du préjudice allégué par l'intimée.
Le jugement sera en conséquence infirmé.
Partie succombante, la société SABCF Caillot frères sera condamnée aux dépens, sans qu'il y ait lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau,
Déboute la société SABCF Caillot frères de l'ensemble de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société SABCF Caillot frères aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffierLa présidente