COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N° 259
DU : 11 Mai 2022
N° RG 20/01571 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FPM2
VTD
Arrêt rendu le onze Mai deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 16 octobre 2020 par le Tribunal judiciaire de MONTLUCON (RG n° 19/00549)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Virginie DUFAYET, Conseiller
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [K] [B]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : la SELAS ALLIES AVOCATS, avocats au barreau de MONTLUCON
APPELANT
ET :
La société PROMISSIMO AGENCE ORPI ALLIN IMMOBILIER
EURL immatriculée au RCS de Montlucon sous le n° 390 657 831 00108
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentants: la SELARL PRADILLON AVOCATS ET CONSEILS, avocats au barreau de MONTLUCON (postulant) et la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS (plaidant)
INTIMÉE
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 10 Mars 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame THEUIL-DIF, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET :
Prononcé publiquement le 11 Mai 2022 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
L'EURL Promissimo, agence Orpi Immobilier située à [Localité 1], exerce l'activité d'agence immobilière.
Dans ce cadre, elle est intervenue en qualité d'intermédiaire pour la vente par les consorts [X] d'un bien immobilier situé [Adresse 5]. Le bien a été vendu à M. et Mme [B] le 26 janvier 2007, pour une somme de 208 000 euros.
Ayant estimé par la suite avoir été victimes d'un dol concernant la valeur réelle de leur bien (en raison notamment du fait que les locaux n'étaient pas intégralement loués), les époux [B] ont fait assigner les consorts [X] en nullité de la vente.
Ladite nullité a été prononcée par arrêt de la cour d'appel de Riom du 15 décembre 2011, aujourd'hui définitif.
Les consorts [X] condamnés à restituer le prix de vente, ont par la suite décidé d'assigner les époux [B] en restitution des loyers perçus devant le tribunal de grande instance de Montluçon.
Par décision du 19 octobre 2016, le juge de la mise en état a ordonné une expertise de l'immeuble, mission confiée à M. [D], qui a déposé son rapport le 20 février 2018.
Puis, par acte d'huissier du 3 juillet 2019, M. [K] [B] a fait assigner l'EURL Promissimo devant le tribunal de grande instance de Montluçon, aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 365 798,32 euros outre intérêts à compter du 30 juin 2018, soutenant qu'alors que le bien leur avait été vendu au prix net vendeur de 208 000 euros en mai 2007, l'agence étant titulaire d'un mandat pour 220 000 euros - Orpi l'a évalué dans une fourchette comprise entre 120 et 130 000 euros moins d'un an plus tard. Il a estimé que la responsabilité contractuelle d'Orpi était engagée dès lors qu'il n'aurait pas acheté le bien et ne serait pas dans la difficulté de procédure et de récupération des fonds contre les consorts [X].
L'EURL Promissimo a soulevé à titre principal la prescription de l'action de M. [B].
Par jugement du 16 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Montluçon a déclaré irrecevable car prescrite, l'action formée par M. [K] [B] contre l'EURL Promissimo, et débouté l'EURL Promissimo de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive.
M. [B] a été condamné aux dépens et à verser une indemnité de 1 500 euros à l'EURL Promissimo au titre des frais irrépétibles.
Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 3 novembre 2020, M. [K] [B] a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 25 janvier 2021, l'appelant demande à la cour de réformer le jugement, de condamner l'EURL Promissimo à payer à M. [B] la somme de 365 798,32 euros, et à titre subsidiaire, la somme de 182 899,16 euros, outre intérêts à compter du 30 juin 2018, ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Il soutient que ce n'est qu'à la lecture du rapport d'expertise de M. [D] du 20 février 2018 qu'il s'est rendu compte de la faute de l'agence Orpi. S'il est vrai qu'il s'est rendu compte du mauvais état de l'immeuble qui impliquait des travaux importants lors de sa prise de possession en 2008, il ne connaissait pas les fautes commises par Orpi qui n'a pas fait son travail d'information et qui ne leur a pas donné tous les éléments d'information pour qu'ils contractent en connaissance de cause. Il connaissait avec son ex-épouse les problèmes à l'égard des consorts [X] dès 2008, mais étaient loin de se douter qu'il s'agissait de la responsabilité d'Orpi. Il soutient que la pièce litigieuse annexée au rapport d'expertise judiciaire n'a aucunement été portée à la connaissance de M. [B] avant le 3 juillet 2014, et la société Promissimo ne justifie pas du contraire.
Il ajoute qu'il fait valoir seul ses droits en tant que personne divorcée et mariée sous le régime de la séparation de biens. Il serait en droit de rapporter au partage de l'indivision la somme qu'il aurait perçue pour le compte de qui de droit.
Dans ses dernières écritures déposée et notifiées le 19 mars 2021, l'EURL Promissimo demande à la cour, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables comme prescrites les prétentions de M. [B] et rejeté l'intégralité de ses prétentions, et en ce qu'il l'a condamné au titre des frais irrépétibles et des dépens ;
- à titre subsidiaire, déclarer irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir les prétentions de M. [B] ;
- à titre très subsidiaire, débouter M. [B] de l'intégralité de ses prétentions ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les prétentions de la société Promissimo et, statuant à nouveau, condamner M. [B] à verser à la société Promissimo une somme de 5 000 euros au titre du caractère abusif de son action ;
- condamner M. [B] à à verser à la société Promissimo une somme de 5 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- en tout état de cause, condamner M. [B] au paiement des dépens, dont distraction au profit de Me Pradillon.
Sur la prescription, elle constate qu'il lui est reproché d'avoir évalué l'immeuble à la somme de 208 000 euros en 2007, puis à seulement 120 à 130 000 euros une année plus tard : donc M. [B] estime que l'agence a commis une faute en 2007 en surévaluant le bien. Or, M. [B] a nécessairement eu conscience de la surévaluation dès la prise de possession du bien puisqu'il est question d'importants travaux de remise en état nécessaires.
Par ailleurs, elle fait valoir que le fameux avis de valeur de 2008 était destiné à M. [B] lui-même et il est vain d'affirmer que cette attestation n'a pas été portée à sa connaissance alors qu'il a été produit par son propre conseil à l'expert. Par cette pièce, il est établi que le 11 mars 2008, il avait connaissance du fait que l'EURL Promissimo avait estimé que le prix de 208 000 euros en 2007 correspondait à la valeur du bien, et qu'interrogée par ses soins en mars 2018, elle a estimé désormais que le bien avait une valeur de 120 000 à 130 000 euros compte tenu de la remise aux normes indispensable du bien.
Elle ajoute que même en partant de la date de l'arrêt de la cour d'appel du 15 décembre 2011, les prétentions de M. [B] seraient tout autant prescrites.
Elle soutient ensuite que M. [B] est irrecevable à agir seul en réparation de la totalité du préjudice lié à cette vente, alors que les sommes réclamées correspondent très exactement à celles auxquelles les vendeurs ont été condamnés au profit des deux époux [B]. Il omet de justifier de sa qualité de propriétaire et de son statut matrimonial.
Sur le fond, elle conteste toute faute de sa part et relève que l'état du bien lors de la vente n'est pas connu, y compris de l'expert. Elle précise que c'est sur la base de la situation locative réelle du bien et de son état en 2008 qu'elle a établi son attestation de valeur. Elle ajoute que le principe et le quantum de l'indemnisation ne sont pas justifiés.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022.
MOTIFS
Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En l'espèce, M. [B] soutient vouloir engager la responsabilité contractuelle de l'EURL Promissimo (Orpi) en application de l'article 1197 du code civil, la faute consistant à n'avoir pas donné le conseil qu'il fallait à M. [B] pour acheter un bien ; que la faute est patente par le fait que Orpi a évalué le bien moins d'un an après la vente entre 120 000 et 130 000 euros alors qu'elle avait un mandat en 2006 de 220 000 euros et que le bien a été vendu avec son intervention pour 208 000 euros en 2007. Le bien a été vendu beaucoup trop cher eu égard aux difficultés que Orpi connaissait ; que le préjudice découle de l'achat avec toutes ses conséquences.
Or, il n'existe pas de lien contractuel entre l'agence immobilière qui était le mandataire des vendeurs, et l'acquéreur : il s'agit donc non pas d'une responsabilité contractuelle, mais délictuelle.
Le point de départ de la prescription de l'action est la date de réalisation du dommage ou la date à laquelle il a été révélé à la victime.
Il ressort du rapport d'expertise judiciaire de M. [D] en page 53 les éléments suivants :
'Le bien situé [Adresse 4] a été vendu par les consorts [X] aux époux [B] en 2007 avec l'intervention de l'agence Orpi pour un prix net vendeur de 208 000 euros (mandat de vente 220 000 euros du 25/11/2006).
Cette vente a été annulée en justice et le vendeur doit rembourser à l'acheteur le prix de vente et autres éléments étant hors objet de la présente.
Le bien est considéré dévalorisé par le vendeur (valorisation des travaux de réfection : 194 000 euros).
Plusieurs estimations apparaissent :
lors de la vente [X] / [B] :
$gt; mandat de vente Orpi 220 000 euros du 25/11/2006
$gt; vente 2007 : 208 000 euros
11 mars 2008 : estimation Orpi : de 120 à 130 000 euros, mention 'remise aux normes indispensables, proche de l'insalubrité' ;
avis de valeur avril 2015 : Bourse de l'immobilier : 50 à 55 000 euros'.
L'avis de valeur du 11 mars 2008 d'Orpi a été produit à l'expert judiciaire par le conseil des époux [B].
En effet, il ressort d'un dire du conseil des époux [B] en date du 30 janvier 2018 qu'ils se sont prévalus de ce document : 'Il est évident que l'état de l'immeuble que les consorts [X] ont voulu dissimuler (cf attestation de Mme [W]) était déjà largement dégradé, ce qui explique l'évaluation singulièrement revue à la baisse très peu de temps après la vente (notre pièce 27, évaluation du 11 mars 2008) ainsi que les devis demandés très tôt par M. [B]'.
M. [B] soutient que ce n'est qu'à la lecture du rapport d'expertise de M. [D] du 20 février 2018 qu'il s'est rendu compte de la faute de l'agence Orpi.
Toutefois, si c'est à la lecture du rapport qu'il a envisagé d'engager la responsabilité de l'agence immobilière au vu des observations de l'expert, il disposait néanmoins de l'ensemble des éléments lui permettant d'exercer cette action avant le dit rapport puisque c'est son propre conseil qui a produit la pièce sur laquelle est basée toute son argumentation. Or, cette pièce est datée du 11 mars 2008, elle est établie au nom de M. [B] et a été produite par ses soins à l'expert.
M. [B] ne peut, pour des raisons d'opportunité, soutenir ne pas avoir eu connaissance de cette pièce avant le 3 juillet 2014 pour échapper à la prescription de son action.
Aussi, le tribunal a, à juste titre, considéré que M. [B] avait connaissance dès l'année 2008 de l'écart significatif entre le prix auquel il a acheté le bien par l'intermédiaire de l'EURL Promissimo, et le prix auquel, un an plus tard la même agence évaluait le bien. La date à laquelle le dommage a été révélé à M. [B] doit être fixée au cours de l'année 2008, aussi l'assignation du 3 juillet 2019 a été délivrée trop tardivement. Les demandes de M. [B] sont irrecevables en raison de la prescription de son action.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de l'EURL Promissimo de dommages et intérêts pour procédure abusive, l'exercice d'une action en justice constituant en principe un droit et ne dégénérant en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. Aucun de ces cas n'est caractérisé en l'espèce.
Succombant à l'instance, M. [B] sera condamné aux dépens d'appel et à verser une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La distraction des dépens sera ordonnée au profit de Me Pradillon, avocat.
PAR CES MOTIFS,
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Condamne M. [K] [B] à payer à l'EURL Promissimo la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne M. [K] [B] aux dépens d'appel ;
Ordonne la distraction des dépens d'appel au profit de Me Pradillon, avocat.
Le greffier, Le président,