Audiences Solennelles
ARRÊT N°2/2023
N° RG 22/05821 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TFAF
Me [P] [E]
C/
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE RENNES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
AUDIENCE SOLENNELLE
DU 09 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, premier président de chambre entendu en son rapport,
Conseiller : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre,
Conseiller : Madame Pascale LE CHAMPION, présidente de chambre,
Conseiller : Madame Liliane LE MERLUS, conseillère,
Conseiller : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
MINISTÈRE PUBLIC :
Monsieur Yves DELPERIE, avocat général
DÉBATS :
à l'audience publique et solennelle du 07 Avril 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé à l'audience publique et solennelle du 09 juin 2023, par mise à disposition, date indiquée à l'issue des débats.
****
APPELANT :
Maître [P] [E]
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparant en personne
INTIMÉ :
Le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Rennes
Maison des Avocats
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par le Bâtonnier
EN PRÉSENCE DE :
Me Catherine GLON, Bâtonnière du barreau de Rennes, entendue en ses observations
L'affaire a été évoquée publiquement conformément au souhait exprimé par Me [E].
EXPOSÉ DU LITIGE':
Me [P] [E], avocat, s'est inscrit au barreau de Rennes le 19 septembre 2005 et exerce depuis sa profession individuellement et dans le cadre d'une collaboration à temps partiel.
Il a fait l'objet de deux contrôles de comptabilité en 2005 et 2006 alors qu'il exerçait sa profession dans le cadre d'une collaboration.
Par délibération du 7 avril 2015, le Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Rennes a décidé d'un nouveau contrôle de la comptabilité de Me [E]. Ce dernier a formé contre cette délibération un recours qui a été rejeté par un arrêt rendu le 13 mai 2016 par la cour d'appel de Rennes, devenu définitif après rejet le 5 juillet 2017, par la Cour de cassation, du pourvoi qu'elle avait formé. Cependant et dans ce contexte, le contrôle de 2015 n'a finalement pas été mis en 'uvre.
Par délibération du 13 février 2018, le Conseil de l'ordre a décidé d'un nouveau contrôle qui n'a pas abouti.
Par délibération du 2 juin 2022 mise en ligne le 7 juillet 2022, le Conseil de l'ordre a décidé de contrôler, au titre de l'année 2022, la comptabilité de 90 cabinets d'avocats dont celui de Me'[E]. Me'[N] [K], membre du Conseil de l'ordre, assisté du cabinet d'expertise comptable BDO, a été désigné par cette délibération pour y procéder.
Par courrier du 13 juin 2022, la décision du Conseil de l'ordre ainsi que la liste des documents comptables et administratifs à préparer en vue du contrôle ont été portées à la connaissance de Me [E].
Par courrier du 29 juillet 2022, ce dernier a saisi, au visa de l'article 15 du décret du 27'novembre 1991, le bâtonnier d'un recours préalable contre la délibération du Conseil de l'ordre.
Le Conseil de l'ordre n'ayant pas statué dans le délai d'un mois, Me [E] a, par déclaration effectuée au greffe le 30 septembre 2022, saisi la cour d'appel de Rennes d'un recours contre la décision implicite de rejet et contre la délibération du 2 juin 2022.
Aux termes de ses écritures déposées le 30 septembre 2022 développées oralement lors de l'audience, Me [P] [E] demande à la cour de :
- infirmer la décision implicite de rejet du Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Rennes,
- annuler le refus d'annuler la délibération du Conseil de l'ordre du 2 juin 2022 ayant décidé une vérification de la comptabilité de son cabinet,
- annuler la délibération du Conseil de l'ordre du 2 juin 2022,
- statuer comme de droit.
Me [E] fait d'abord valoir que la décision du Conseil de l'ordre, qui présente le caractère de décision administrative, est nulle faute de motivation sur le choix du cabinet et de renvoi aux textes applicables, aucune disposition ne prévoyant de contrôle de comptabilité.
Il ajoute que la mise en 'uvre d'une norme inexistante ou inapplicable lèse ses intérêts professionnels.
Il soutient qu'en consultant ses comptes bancaires, l'ordre aura connaissance de ses cotisations syndicales et de ses opinions politiques ce qu'interdit l'article 9 du RGPD. Il s'interroge sur la désignation au sein de l'ordre d'un délégué à la protection des données puisqu'aucune référence n'y est faite dans les mentions légales du site internet de l'ordre quand bien même prétendrait-il que la société Barreaux Data System a été désignée à ce titre. Il s'étonne de cette désignation dans la mesure où cette société n'est pas indépendante puisque détenue par la Société de Courtage des Barreaux et la Conférence des bâtonniers de France. Il en tire la conséquence que décision du Conseil de l'Ordre est entachée de nullité en raison de sa non conformité aux dispositions du RGPD et du fait qu'elle n'assure pas la sécurité des données à caractère personnel. Il ajoute qu'en dépit de ses demandes, il n'a pu obtenir la charte relative à la conservation des données collectées chez l'avocat dont on vérifie la comptabilité.
Il conteste ensuite la composition du Conseil de l'Ordre lors de sa séance du 2'juin 2022 lequel n'était pas impartial, un des membres (le bâtonnier [V]-[M]) ayant précédemment introduit une procédure disciplinaire à son encontre qui, au demeurant, a échoué.
Il critique ensuite les critères de désignation des avocats faisant l'objet d'un contrôle de comptabilité retenus par la délibération, et notamment le critère de périodicité qui n'est prévu par aucun texte et qui n'est pas vérifiable, la liste des avocats vérifiés chaque année n'étant pas publique. Il ajoute que les modalités de contrôle au sein des sociétés d'exercice ne sont pas explicitées.
Il soutient, en outre, que la liste des pièces à préparer en vue du contrôle n'est prévue par aucun texte et n'est exigée par aucun autre barreau en France. Il prétend que seule la tenue d'une comptabilité doit être vérifiée, ce qui peut résulter d'une simple attestation d'un centre de gestion agréé.
Il estime, par ailleurs, que la communication de ses comptes bancaires viole le secret professionnel et est contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme tel qu'interprété par la Cour européenne. Il met également en cause les méthodes de contrôle des cabinets d'avocat à Rennes au regard d'un rapport du GAFI (Groupe d'Action Financière) de 2022 relatif au 4e cycle d'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en France, qui relève le manque de formalisation et de documentation des procédures ainsi que l'appartenance des contrôleurs au même barreau que l'avocat contrôlé et l'impact que cela pourrait avoir sur leur impartialité et la protection du secret professionnel.
Enfin, il fait valoir que la présence de l'expert-comptable le lèse en ce qu'elle engendre une violation du secret professionnel, suppose une rémunération (environ 30'000 euros par an) prélevée sur les cotisations ordinales, et fait planer un doute illégitime sur la réalité de sa comptabilité.
Aux termes de ses écritures (27 février 2023) développées oralement lors de l'audience, le Conseil de l'ordre des avocats au barreau de Rennes demande à la cour de :
- rejeter le recours de Me [E] à l'encontre de sa délibération du 2 juin 2022 ayant décidé de l'organisation d'un contrôle de comptabilité relatif au cabinet de Me [E], avocat au barreau de Rennes,
- laisser les dépens à la charge de Me [E].
Il fait valoir que le grief tiré de sa composition est inopérant dès lors que la décision en cause n'est pas une décision juridictionnelle et n'a pas le caractère d'une sanction. Il ajoute qu'en ce qui concerne Me [G], celui-ci n'a pas pris part au vote de la délibération en sa qualité de bâtonnier à cette époque.
En outre, s'agissant des critères de désignation, il relève que Me [E] ne démontre pas en quoi la délibération devrait être annulée à cet égard. Il affirme que conformément à la jurisprudence de la cour d'appel de Rennes, le règlement intérieur du barreau n'a pas à fixer ces critères, et que le critère de périodicité est justifié en ce qu'il permet de veiller à ce que les contrôles soient effectués plusieurs fois au cours de la carrière d'un avocat. Concernant les modalités de contrôle au sein des sociétés, il considère que Me [E] n'est pas concerné puisqu'il exerce à titre individuel.
Il soutient ensuite que contrairement à ce que prétend Me [E], la loi n'impose pas la vérification de l'existence d'une comptabilité mais celle de la manière dont elle est tenue, et c'est pour permettre l'exercice de ce contrôle qu'une liste de documents à préparer est jointe au courrier informant du contrôle, liste qui est la déclinaison concrète de la disposition du règlement intérieur du barreau prévoyant la transmission de documents dans ce cadre.
Il estime, par ailleurs, que l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme invoqué par Me [E] concernant la violation du secret professionnel, de même que l'appréciation du GAFI, n'ont aucune portée en l'espèce.
Il fait enfin valoir que la présence de l'expert-comptable ne porte pas atteinte au secret professionnel, sa mission étant d'assister le délégué du bâtonnier dans la vérification de la comptabilité, donc cantonnée à la dimension comptable et financière et non pas au traitement des dossiers. Il ajoute que sa rémunération sera assumée par l'Ordre, et non par l'avocat contrôlé.
Mme le Bâtonnier [H] [U] a été invitée à faire part à la cour de ses observations. Elle a notamment précisé que seuls les comptes bancaires professionnels de l'avocat entraient dans le champ du contrôle à l'exclusion de ses comptes personnels.
Aux termes de ses écritures (3 mars 2023) développées oralement lors de l'audience, le procureur général près la cour d'appel de Rennes conclut au rejet du recours de Me [E].
Concernant la composition du Conseil de l'ordre lors de la délibération, il relève que la fixation de la liste des cabinets dont la comptabilité sera vérifiée est un acte de gestion sans caractère disciplinaire n'ayant donc pas à respecter l'impératif d'impartialité.
Il soutient ensuite que les questionnements de Me [E] relatifs aux critères de désignation des avocats vérifiés, à leur nombre en 2022 et aux modalités de vérification des sociétés d'avocats ne sont pas de nature à remettre en cause la validité de la décision prise, et qu'en outre, la vérification de sa comptabilité est opportune, sa dernière vérification effective ayant eu lieu en 2006.
Il estime que la loi du 31 décembre 1971 impose au Conseil de l'ordre de vérifier la comptabilité des avocats et non seulement son existence et qu'au regard de la technicité de la matière, il est légitime qu'un expert-comptable l'assiste. Il affirme que cette présence, ainsi que la transmission des informations bancaires ne constituent pas une atteinte au secret professionnel, la vérification ne nécessitant pas un accès aux pièces confidentielles des dossiers des clients. Il ajoute que, contrairement à ce que soutient Me [E], tous les documents exigés par l'Ordre peuvent entrer dans le champ de l'article 29.2 du règlement intérieur. Il relève que l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme qu'il cite n'est pas transposable, puisque la procédure ne concerne pas un client, mais l'avocat.
Enfin, il observe que la délibération, qui concerne 90 membres du barreau et qui répond à une démarche annuelle et systématique, ne peut être de nature à faire planer un doute quant à la réalité de la tenue de la comptabilité et léser ainsi ses intérêts moraux du requérant.
SUR CE, LA COUR':
Le recours de Me [E] est recevable pour avoir été diligenté dans les formes et délais des dispositions des articles 15 et 16 du décret du 27 novembre 1991.
L'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 énonce que': «'Le conseil de l'ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits. Sans préjudice des dispositions de l'article 21-1, il a pour tâches, notamment : ...9° De vérifier la tenue de la comptabilité des avocats, personnes physiques ou morales, et la constitution des garanties imposées par l'article 27 et par les décrets visés à l'article 53'».
L'article 235 du décret du 27 novembre 1991 précise que «'le règlement intérieur du barreau fixe les mesures propres à assurer les vérifications prévues à l'article 17 (9°) de la loi du 31 décembre 1971'».
L'article 29.2 du règlement intérieur du barreau de Rennes énonce que «'Tout avocat inscrit au barreau de Rennes doit se soumettre aux vérifications de comptabilité organisées par l'ordre dans la limite du respect du secret professionnel ou justifier à la demande du bâtonnier de l'effectivité du contrôle effectué au siège de la structure juridique d'exercice à laquelle il appartient.
Il devra tenir à disposition ou remettre aux vérificateurs de l'ordre et/ou à l'expert comptable désigné par l'ordre, tous documents permettant de s'assurer du respect de ses obligations légales, réglementaires et ordinales et en particulier du payement de ses cotisations de toute nature et du bon fonctionnement du compte Crab Oab ouvert à son nom ou au nom de la structure juridique à laquelle il appartient'».
En premier lieu, et contrairement à ce que soutient Me [E], la vérification prévue par le premier de ces textes ' qui s'inscrit ans le cadre de la mission générale de surveillance confiée par la loi aux conseils de l'ordre ' ne se limite pas à la simple constatation, au vu d'une attestation d'un expert comptable, de ce que la comptabilité de l'avocat qui en fait l'objet, est effectivement tenue. Il s'agit, en effet, au contraire, d'une vérification effective et sur pièces de la comptabilité de l'avocat (cf. par exemple, 1re Civ., 3'octobre 1978, Bull 1978 I n°'283'; 1re Civ., 20'octobre 1981, Bull 1981 I n° 297), c'est à dire d'un véritable contrôle de sa comptabilité permettant aux conseils de l'ordre de s'assurer du respect non seulement des règles applicables en matière de maniement de fonds et de blanchiment, mais encore des principes essentiels de la profession notamment d'honneur et de probité, analyse que la doctrine (Bortoluzzi, Piau, Ader et Damien, Règles de la profession d'avocat, n°'511.160) partage. Le moyen de nullité tiré de ce que le Conseil de l'ordre des avocats au barreau de Rennes aurait ordonné une mesure qu'aucun texte ne prévoit (contrôle de comptabilité alors que le texte ne prévoit qu'une vérification de comptabilité) ne peut donc qu'être rejeté, la mesure ordonnée entrant incontestablement dans le cadre légal précité.
En second lieu, s'il ressort de l'extrait de la délibération du Conseil de l'ordre du 2 juin 2022 concernant l'organisation des contrôles de comptabilité que l'ancien bâtonnier [V]-[M] y a participé alors qu'elle avait précédemment engagé une procédure disciplinaire à l'encontre de Me [E], procédure qui a été réputée rejetée (arrêt du 5 mars 2021), cette circonstance n'est pas de nature à entacher cette délibération d'impartialité dès lors que celle-ci ' à laquelle il n'est pas contesté que le bâtonnier en exercice (Me'[G]) n'a pas participé ' n'avait d'autre objet que d'arrêter la liste des quatre vingt dix avocats ou structures dont la comptabilité serait contrôlée au titre de l'année 2022 et qu'il n'est pas démontré que l'insertion dans cette liste de Me [E] présentait un caractère anormal, vexatoire et injustifié, étant à cet égard précisé que le dernier contrôle le concernant remontait à quatorze ans alors que la fréquence annoncée par le Conseil de l'ordre est d'un contrôle tous les dix ans environ. Il s'ensuit que ce moyen n'est pas fondé.
En troisième lieu, le Conseil de l'ordre a défini quatre catégories (avocats individuels et collaborateurs libéraux débutants, collaborateurs libéraux confirmés, cabinets individuels, structures d'exercice) et précisé dans sa délibération que le choix au sein de chaque catégorie résultait soit de l'ancienneté soit de spécificités portées à la connaissance du bâtonnier. En l'occurrence et ainsi qu'il vient d'être rappelé, le dernier contrôle de la comptabilité de Me [E] remontant à l'année 2006, il ne peut être sérieusement reproché au Conseil de l'ordre de l'avoir retenu alors que son objectif est d'effectuer un contrôle tous les dix ans environ. Cette seule motivation, s'agissant d'une obligation administrative s'opposant au Conseil de l'ordre ne peut critiquée et justifier l'annulation de la délibération.
En quatrième lieu, si le règlement intérieur du barreau de Rennes ne mentionne pas la liste des pièces devant être remise à l'avocat chargé du contrôle, cette circonstance n'interdisait nullement au bâtonnier de définir, par souci d'égalité de traitement entre les quatre vingt dix avocats et structures concernés par le contrôle, une telle liste. Cette liste a ainsi été arrêtée dans le courrier adressé à Me [E] le 13 juin 2022':
- déclaration fiscale des trois dernières années,
- compte(s) bancaire(s), CCP': un récent relevé,
- état de rapprochements bancaires, CCP': dernier état de rapprochement,
- caisse': dernier feuillet de caisse,
- comptabilité': récente balance de comptable et celle du dernier exercice,
- opérations CARPA': derniers relevés,
- opérations de séquestre': liste des dossiers avec indication des sommes séquestrées,
livre de salaires,
- obligations sociales': derniers bordereaux de cotisations, annotés du règlement': URSSAF, Allocations familiales, Assurance maladie, CNBF,
- note d'honoraires': copie d'une note d'honoraires ordinaire, copie d'une note d'honoraires avec facturation de débours et frais,
- déclaration de TVA': dernière déclaration CA3, récapitulation des déclarations du dernier exercice,
- registre des procès verbaux d'assemblée générale si société d'exercice,
- bail des locaux occupés,
- résultat du questionnaire d'auto-évaluation ILCB-FT réalisé par vos soins en amont du contrôle.
Il convient de relever que si cette liste peut paraître, au premier abord, longue, il ne s'agit à chaque fois que de la production d'une pièce (ex. un relevé bancaire récent et non tous les relevés...) ou exceptionnellement des dernières pièces (trois dernières déclarations fiscales). Aucune des pièces réclamées n'est étrangère à la vérification de comptabilité ordonnée et le questionnaire d'auto-évaluation en matière de lutte contre le blanchiment (LCB/FT) résulte d'une obligation imposée aux conseils de l'ordre par les articles L 561-36 («'Le contrôle du respect, par les personnes mentionnées à l'article L. 561-2, des obligations prévues aux chapitres Ier et II du présent titre, des dispositions européennes directement applicables en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, y compris celles des règlements européens portant mesures restrictives pris en application des articles 75 ou 215 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi que celles prises en application du même article 215 à d'autres fins et, le cas échéant, le pouvoir de sanction en cas de non-respect de celles-ci sont assurés : ... 3° par le conseil de l'ordre du barreau auprès duquel les avocats sont inscrits, conformément à l'article 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Il peut être assisté dans sa mission de contrôle par le Conseil national des barreaux conformément à l'article 21-1 de la même loi'») et L 561-36-4 du code monétaire et financier («'Les autorités de contrôle mentionnées aux 3° à 16° du I de l'article L 561-36 mettent en place des procédures permettant que leur soit signalé par des canaux de communication sécurisés et garantissant l'anonymat des personnes communiquant des informations à cette fin, tout manquement aux obligations définies au présent titre et dont la surveillance est assurée par l'une ou l'autre de ces autorités'») de sorte que ce moyen de nullité doit également être rejeté.
Par ailleurs et en cinquième lieu, la production d'un unique relevé de compte bancaire étant sollicitée, Me [E], qui a le choix du relevé qu'il entend produire, ne peut soutenir que cette transmission permettra au délégué du bâtonnier de connaître le syndicat auquel il adhère, c'est à dire, en définitive, ses opinions politiques puisque rien ne le contraint à communiquer le relevé où apparaît le prélèvement de sa cotisation par virement (si tant est que ce mode de règlement ait été choisi). Par ailleurs, Mme le bâtonnier ayant précisé que seuls les comptes professionnels (à l'exclusion des comptes personnels) étaient concernés, il ne peut être utilement soutenu que l'accès aux comptes privés (dont les comptes joints) engendre une violation évidente de la vie privée de l'avocat. Dès lors, il n'est nullement établi que la décision du Conseil de l'ordre ait été rendue en méconnaissance de l'article 9 du règlement général sur la protection des données (RGPD) ou de l'article 8 de la CEDH.
En sixième lieu, la question de savoir si le délégué à la protection des données désigné par le Conseil de l'ordre présente les conditions d'indépendance nécessaires et si le site de l'ordre des avocats au barreau de Rennes comporte les mentions légales exigées est étrangère à la présente instance et ne saurait justifier la nullité de la délibération attaquée.
En dernier lieu, il est soutenu que l'intervention d'un expert comptable aux côtés du délégué du conseil de l'ordre désigné méconnaît le principe du secret professionnel auquel l'avocat est soumis et fait peser un doute sur la sincérité et la tenue de sa comptabilité. Sur ce dernier point, l'argumentation n'est pas sérieuse dès lors que «'toutes les vérifications de comptabilité sont réalisées par un avocat délégataire du conseil de l'ordre accompagné d'un expert comptable mandaté par ce dernier'» (délibération du 2 juin 2022) ce conformément à la disposition précitée du règlement intérieur et que cette mesure ne vise pas spécifiquement le requérant. Enfin et s'agissant du secret professionnel, le contrôle ne porte nullement sur les dossiers ' évidemment confidentiels ' des clients et les pièces qu'ils comprennent mais uniquement sur les pièces comptables du cabinet ainsi qu'il ressort de la liste rappelée ci-dessus. La circonstance tirée du fait que pour procéder à cette vérification, le délégué du bâtonnier soit, en raison de la technicité de la comptabilité, assisté d'un expert comptable, n'a ni pour objet ni pour effet de méconnaître et de transgresser le secret professionnel de l'avocat mais de s'assurer qu'il respecte à cet égard ses obligations professionnelles. Ce moyen n'est donc pas davantage pertinent que les autres.
Me [E] doit, en conséquence, être débouté de son recours en annulation tant de la décision implicite de rejet que de la délibération du Conseil de l'ordre du 2 juin 2022.
Partie succombante, les dépens seront laissés à sa charge.
PAR CES MOTIFS':
Statuant publiquement et contradictoirement,
Déboute Me [P] [E] de ses demandes de nullité de la délibération implicite de rejet de son recours daté du 29 juillet 2022 et de la délibération du Conseil de l'ordre des avocats au barreau de Rennes du 2 juin 2022.
Laisse les dépens à sa charge.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT