6ème Chambre A
ARRÊT N° 103
N° RG 22/00114 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SLVF
Mme [O] [E]
C/
M. [M] [L]
Rejette la demande d'annulation du mariage
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Carole GOURLAOUEN
Me Océane TOURNY
Copie certifiée conforme délivrée le :
au PROCUREUR GENERAL
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 FEVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère,
Assesseur : Madame Emmanuelle DESVALOIS, Conseiller,
GREFFIER :
Mme Léna ETIENNE, lors des débats, et Madame Christine NOSLAND, lors du prononcé,
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur Laurent FICHOT, avocat général, lors des débats, auquel l'affaire a été régulièrement communiquée et qui a déposé un avis écrit,
DÉBATS :
En chambre du Conseil du 09 Janvier 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [O] [E]
née le 08.01.1992 à [Localité 6] GUINEE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Carole GOURLAOUEN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/000641 du 04/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉ :
Monsieur [M] [L]
né le 11 Mars 1983 à [Localité 7]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Océane TOURNY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/002690 du 15/04/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
EXPOSE DU LITIGE
M. [M] [L], de nationalité française, né le 11 mars 1983 à [Localité 7] (35) et Mme [O] [E], de nationalité guinéenne, née le 8 janvier 1992 à [Localité 6] (Guinée Conakry), se sont mariés le 21 avril 2018 à [Localité 5] (35), après avoir conclu un contrat de mariage reçu en l'étude notariale de Me [G], le 27 mars 2018.
Aucun enfant n'est issu de cette union.
Par acte d'huissier du 22 mars 2019, M. [L] a assigné Mme [E] aux fins d'annulation du mariage.
Par jugement du 13 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Rennes a, notamment :
- déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de Mme [E],
- prononcé l'annulation du mariage intervenu le 21 avril 2018 devant l'officier d'État civil de la mairie de [Localité 5] (35) entre M. [L] et Mme [E],
- dit que le dispositif du jugement fera l'objet d'une mention en marge de l'acte de mariage des époux ainsi qu'en marge de l'acte de naissance de chacun d'eux, né respectivement :
Monsieur [M] [C] [R] [L], le 11 mars 1983 à [Localité 7] (35),
Madame [O] [J] [E], le 8 janvier 1992 à [Localité 6] (Guinée Conakry),
- dit qu'une fois le jugement devenu définitif, son dispositif sera transcrit sur le registre prévu à cet effet au service central de l'État civil du ministère des affaires étrangères à Nantes, l'épouse étant de nationalité étrangère,
- condamné Mme [E] à payer à M. [L] la somme de 2000 € en réparation de son préjudice moral,
- débouté M. [L] de sa demande au titre du préjudice financier,
- condamné Mme [E] aux dépens de l'instance,
- condamné Mme [E] à payer à M. [L] la somme de 1000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 10 janvier 2021, Mme [E] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a prononcé l'annulation de son mariage avec M. [L], dit que le dispositif du jugement fera l'objet d'une mention en marge de l'acte de mariage des époux ainsi qu'en marge de l'acte de naissance de chacun d'eux, dit qu'une fois le jugement devenu définitif, son dispositif sera transcrit sur le registre prévu à cet effet au service central de l'État civil du ministère des affaires étrangères à Nantes, l'a condamnée à payer à M. [L] la somme de 2000 € en réparation de son préjudice moral, l'a condamnée aux dépens de l'instance, l'a condamnée à payer à M. [L] la somme de 1000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures communiquées au greffe par RPVA le 28 novembre 2022, Mme [E] demande à la cour de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer le jugement entrepris,
en conséquence
- débouter M. [L] de sa demande de nullité du mariage,
- condamner M. [L] à lui verser la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter M. [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner aux entiers dépens.
Aux termes d'écritures communiquées par RPVA le 5 décembre 2022, M. [L] demande à la cour de :
- le dire bien fondé et recevable en ses conclusions d'intimé,
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [E] de toutes ses demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraire,
- condamner Mme [E] à lui payer la somme de 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
Aux termes d'un écrit transmis le 5 décembre 2022, le ministère public indique être d'avis de confirmer le jugement entrepris, ayant fait droit à la demande de M. [L] de prononcer la nullité de son mariage avec Mme [E].
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 décembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour observe que les parties n'ont remis en cause ni la compétence du juge français, ni l'application de la loi française telles que retenues à juste titre par les premiers juges.
Sur la nullité du mariage
Selon l'article 146 du code civil qu'il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.
L'article 180 du code civil dispose notamment que 'Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public.
L'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité de mariage.
S'il y a erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre peut demander la nullité du mariage.'
Par ailleurs, l'article 202-1 du code civil précise que 'Les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180.'
L'article 184 du code civil prévoit que le défaut de consentement est sanctionné par la nullité du mariage, dont l'action est ouverte aux époux eux-mêmes, à tous ceux qui y ont un intérêt ou au ministère public, dans le délai de 30 ans à compter de la célébration du mariage.
Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l'espèce, la réalité et la validité de l'engagement de Mme [E] et de M. [L] doivent être analysées à la date du mariage, soit le 21 avril 2018.
Il convient de retenir que :
- M. [L] et Mme [E] se sont connus en 2013 et ont vécu en concubinage dès 2015 au Sénégal avant d'établir leur foyer en France.
- Mme [E] a habité avec M. [L] à [Localité 5] après avoir obtenu un visa professionnel lui permettant de travailler dans la société de M. [L] en tant qu'agent commercial.
- Au cours du mariage, M. [L] a commis des faits violences suivis d'incapacité n'excédant pas 8 jours par une personne étant ou ayant été conjoint, en date du 1er décembre 2018, sur la personne de Mme [E] et a été condamné à ce titre par le tribunal correctionnel.
M. [L] prétend que le défaut d'intention matrimoniale de Mme [E] ressort très nettement d'un faisceau d'indices postérieurs à l'échange des consentements, démontrant que celle-ci l'a épousé à des fins uniquement migratoires, changeant de comportement à son égard une fois mariée sur le territoire français et mentant sur les réseaux sociaux quant à son état matrimonial. Il soutient ainsi que le mariage s'est fait en l'absence de son consentement éclairé alors qu'il a commis une erreur sur les qualités essentielles de la personne de Mme [E].
Mme [E] réplique que M. [L] ne démontre pas le défaut d'intention matrimoniale qu'il lui impute rappelant que cette intention s'apprécie au jour du mariage et que dès lors le faisceau d'indices postérieurs au mariage est inopérant. Elle fait valoir qu'il existait entre eux communauté de vie, projet commun et relations intimes. Enfin elle fait valoir que le changement de comportement que M. [L] interprète comme la preuve d'une absence d'intention matrimoniale postérieurement au mariage, est la conséquence du comportement violent que M. [L] a eu à son encontre. Elle explique en outre avoir eu comportement distant à l'égard de M. [L] suite au refus de ce dernier de concevoir un enfant et alors qu'il ne tenait pas ses promesses de mettre un terme à ses consommations de cannabis et d'alcool.
Il résulte des témoignages produits par M. [L] que des différends familiaux qui ont pu être constatés entre celui-ci et Mme [E] après leur mariage alors que l'attitude de cette dernière était décrite comme distante, se refusant à partager des moments de convivialité avec amis et famille de M. [L].
Toutefois la cour rappelle qu'au cours de sa garde à vue alors qu'il était entendu pour répondre de faits de violences et de viol dénoncés par son épouse, M. [L] décrivait alors ainsi sa relation avec son épouse « Cela se passait (bien) jusqu'au mariage. Un mois après le mariage, la relation a changé car je continuais de fumer. Elle ne veut pas que je fume ni que je boive une bière. Cela me fait du bien d'avoir des petits moments de pause. Elle veut également un bébé. Je lui ai dit que ce n'était pas trop le moment financièrement. Je lui ai demandé d'attendre quelques mois peut-être pour son anniversaire. (...) Je n'aurais pas dû lui dire d'attendre. Elle est très blessée.»
Il se déduit des propres aveux de M. [L] devant les forces de l'ordre qu'une communauté de vie ainsi qu'un projet de vie existaient entre les époux contrairement à ce qu'il allègue dans le cadre de la présente instance; que Mme [E] avait manifesté auprès de son époux sa volonté de lui imposer ses propres valeurs morales mais également son désir d'enfant, démontrant ainsi que celle-ci souhaitait inscrire la relation conjugale dans des valeurs qui étaient les siennes mais aussi dans un projet de maternité, non partagé par M. [L].
L'attitude prêtée à Mme [E], après le mariage, par divers témoins démontre par ailleurs que les relations du couple étaient distendues sans pour autant que la cour puisse en déduire que cette distance résultait d'un défaut d'intention matrimoniale de la part de Mme [E].
Enfin, s'il ne peut être contesté que Mme [E], de nationalité guinéenne, devait justifier de critères légaux pour séjourner de manière régulière sur le territoire français, force est de constater qu'au jour de son mariage elle bénéficiait d'un visa de travail. Dès lors, l'affirmation d'une union de Mme [E] avec M. [L] dans le seul but migratoire, n'apparaît pas fondée.
De surcroît, M. [L] allègue de l'absence de son consentement éclairé, invoquant une erreur sur les qualités essentielles de la personne de Mme [E].
Toutefois, si les échanges sur les réseaux sociaux produits par M. [L] et attribués à Mme [E] interrogent quant à l'existence de relations entretenues par cette dernière avec d'autres hommes, leur production est insuffisante à démontrer qu'au moment de leur mariage M. [L] n'a pas eu un consentement éclairé pas plus qu'il aurait commis une erreur sur les qualités essentielles de la personne de Mme [E].
Dès lors, au vu de ce qui précède, la cour retient que M. [L] succombe à apporter la preuve tant d'une absence d'intention matrimoniale de son épouse, que d'une absence de consentement éclairé de sa part, pas plus que l'existence d'une erreur sur les qualités essentielles de son épouse, au jour de leur mariage, nonobstant les difficultés postérieures auxquelles leur couple a été confronté.
La cour infirme donc le jugement entrepris, rejetant la demande de M. [L] d'annulation du mariage intervenu entre lui et Mme [E].
Sur les frais et les dépens:
M. [L] qui succombe dans la présente instance sera condamné aux entiers dépens et il paraît équitable de le condamner à payer à Mme [E] la somme de 2000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après débats en chambre du conseil, statuant dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe
Infirme le jugement entrepris ;
Et statuant à nouveau :
Rejette la demande formée par M. [L] d'annulation du mariage intervenu le 21 avril 2018 devant l'officier d'État civil de la mairie de [Localité 5] (35) entre lui et Mme [E] ;
Y ajoutant:
Condamne M. [L] à payer à Mme [E] la somme de 2000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne M. [L] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT