6ème Chambre A
ARRÊT N°23
N° RG 21/06933 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SFXP
M. [W] [S]
C/
PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TJ DE NANTES
Enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité française souscrite par M. [W] [S] le 23 juin 2016
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Charline PASTEUR
LE PROCUREUR GENERAL
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 09 JANVIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère,
Assesseur : Madame Emmanuelle DESVALOIS, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Christine NOSLAND, lors des débats et lors du prononcé
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur Yves DELPERIE, avocat général, lors des débats,
DÉBATS :
En chambre du Conseil du 14 Novembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [W] [S]
né le 11 Juin 1976 à [Localité 5] (99) COMORES
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Charline PASTEUR, Postulant, avocat au barreau de NANTES
Représenté par Me Louisa LE GALL, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ:
LE MINISTERE PUBLIC en la personne du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par le procureur général près la cour d'appel de Rennes
Le 23 juin 2016, M. [W] [S], né le 11 juin 1976 à [Localité 5] (Comores), a souscrit une déclaration d'acquisition de la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil en vertu de son mariage contracté le 11 septembre 2004 avec Mme [M] [E] de nationalité française.
Cette déclaration a été enregistrée le 2 juin 2017 sous le numéro 06759/17.
Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes a, par acte d'huissier du 31 mai 2019, assigné M. [W] [S] en annulation de l'enregistrement de la déclaration souscrite le 23 juin 2016 et aux fins de voir constater son extranéité.
Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a pour l'essentiel :
- débouté M. [W] [S] de l'intégralité de ses demandes,
- constaté l'extranéité de M. [W] [S],
- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- condamné M. [W] [S] aux dépens.
Par déclaration du 4 novembre 2021, M. [W] [S] a interjeté appel de toutes les dispositions de cette décision.
Aux termes de ses écritures notifiées le 3 février 2022, M. [W] [S] demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel, et statuant à nouveau, de:
- juger qu'il est de nationalité française,
- ordonner la mention prévue à l'article 28 du code civil,
- condamner l'État à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses écritures notifiées le 28 avril 2022, le ministère public demande à la cour de :
- dire la procédure régulière au sens de l'article 1043 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement de première instance,
y ajoutant
- annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite par M. [W] [S] le 23 juin 2016,
- constater l'extranéité de M. [W] [S], né le 11 juin 1976 à [Localité 5] (Comores),
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile
Aux termes des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation, ou le cas échéant une copie des conclusions soulevant la contestation, sont déposées au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
Il est justifié de l'accomplissement de cette formalité par la production du récépissé daté du 10 février 2022. L'appel est donc recevable.
- Sur la nationalité de l'appelant
L'article 21-2 alinéa 1 du code civil, édicte que :
«L'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.»
L'article 26-4 alinéa 3 du code civil prévoit :
'L'enregistrement peut encore être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre époux dans les douze mois suivant l'enregistrement prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude'.
Enfin, selon l'article 30 du même code, la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.
Dans le cas d'espèce, il convient de rappeler que M. [W] [S] a épousé Mme [M] [E] le 11 septembre 2004 et a déposé une déclaration d'acquisition de la nationalité française par mariage le 23 juin 2016 , en y joignant une attestation sur l'honneur de vie commune datée du même jour. Cette déclaration a été enregistrée le 2 juin 2017 de sorte que M. [S] est titulaire d'un certificat de nationalité française.
Aussi, il incombe au ministère public en tant que demandeur à l'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite par M. [S], de rapporter la preuve du caractère mensonger ou frauduleux de cette dernière, étant observé qu'il ne peut se prévaloir d'aucune présomption de fraude à cet égard en l'absence de cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois du dit enregistrement.
Au soutien de sa prétention, le ministère public fait valoir en premier lieu que le comportement habituellement violent de M. [S] à l'égard de son épouse durant le mariage ne permet pas de caractériser l'existence d'une communauté de vie tant affective que matérielle réelle au jour de la déclaration de nationalité faite par ce dernier.
Il sera toutefois observé que si M. [S] a bien été condamné par le tribunal correctionnel de Nantes, par un jugement du 26 septembre 2018, pour des faits de violences commises sur son épouse le 13 mai 2018, soit deux années après la souscription de la déclaration de nationalité française, il a toutefois été relaxé pour les faits de même nature pour la période allant du 12 mai 2015 au 12 mai 2018, au motif que la matérialité des faits à lui reprochés n'était pas caractérisée. Il ne peut donc être tiré aucune conséquence de cette condamnation concernant un épisode de violence unique commis par M. [S] à une date très éloignée de la souscription par ce dernier de la déclaration de nationalité française.
Par ailleurs, si comme le soutient le ministère public, la vie du couple, qualifiée de chaotique par M. [S] lui-même lors de son audition par les services de police chargés d'enquêter sur la plainte de son épouse pour violences conjugales, a connu une crise importante en 2011, marquée par le départ, en juin 2011, de Mme [M] [E] du domicile conjugal avec l'enfant commun, [Z], né le 13 mars 2008, pour rejoindre ses proches aux Comores, il n'est pas discuté que cette séparation a été de courte durée, puisqu'à l'issue de l'été 2011, Mme [M] [E] a regagné le domicile conjugal et repris la vie commune avec son mari. Cette communauté de vie a perduré sans interruption durant plusieurs années au cours desquelles le couple a donné naissance à des jumelles nées le 6 juin 2012, puis à un quatrième enfant conçu et né le 2 septembre 2017, soit postérieurement à la souscription de la déclaration acquisitive de nationalité française faite par M. [S]. La naissance de ces trois enfants tend à démontrer l'existence d'une reprise effective de la vie commune, tant matérielle qu'affective, qui perdurait au jour de la souscription par le mari de sa déclaration de nationalité française. Aussi, dans un tel contexte, c'est en vain que le ministère public soutient que l'interruption de la cohabitation entre les conjoints de quelques semaines intervenue dans une situation de crise conjugale, cinq années avant la déclaration de nationalité faite par M. [S], suffit à démontrer la cessation de la communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil.
Le ministère public échouant à rapporter la preuve dont il a la charge du caractère mensonger ou frauduleux de la déclaration acquisitive de nationalité de M. [S], il sera donc débouté de sa demande aux fins de voir annuler l'enregistrement de cette déclaration. Le jugement sera donc infirmé à cet égard.
- Sur les dépens
L'issue du litige justifie que les dépens de première instance et d'appel soient mis à la charge du Trésor public.
Il sera alloué à M. [S] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déboute le ministère public de sa demande en annulation de l'enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité française souscrite par M. [W] [S] le 23 juin 2016 ;
Ordonne la mention prévue à l'article 28 du code civil ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne le Trésor public à verser à M. [W] [S] la somme de 1.500 € en application l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le Trésor public aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE