6ème Chambre A
ARRÊT N°17
N° RG 21/06313 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SC7M
M. [P] [H]
C/
PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TJ DE NANTES
Dit que M. [P] [H] se disant né le 1er janvier 1984 à [Localité 6] (Sénégal) n'est pas français
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Marianne VITTER
PROCUREUR GENERAL
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 09 JANVIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère,
Assesseur : Madame Emmanuelle DESVALOIS, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Christine NOSLAND, lors des débats et lors du prononcé
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur Yves DELPERIE, avocat général, lors des débats,
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Novembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [P] [H]
né le 01 Janvier 1984 à [Localité 6] (SENEGAL)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Marianne VITTER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉ :
LE MINISTERE PUBLIC en la personne du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par le procureur général près la cour d'appel de Rennes
M. [P] [H], se disant né le 1er janvier 1984 à [Localité 6] (Sénégal) a épousé le 6 avril 2013 Mme [U] [A] à [Localité 4] (Sénégal).
Le 16 avril 2018, M. [P] [H] a souscrit une déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil dont il a reçu récépissé le 23 avril 2019. Le 14 janvier 2020, il s'est vu opposer un refus d'enregistrement par la sous-direction de l'accès à la nationalité française qui a estimé que l'identité de l'intéressé n'était pas établie avec certitude.
Par acte du 11 juin 2020, M. [P] [H] a fait assigner le procureur de la République aux fins de voir régulariser sa déclaration de nationalité française.
Par jugement du 16 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a :
- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- débouté M. [P] [H] de sa demande,
- dit que M. [P] [H] se disant né le 1er janvier 1984 à [Localité 6] (Sénégal) n'est pas français,
- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- condamné M. [P] [H] aux dépens.
Par déclaration du 8 octobre 2021, M. [P] [H] interjeté appel de toutes les dispositions de ce jugement.
Aux termes de ses écritures notifiées le 5 janvier 2022, M. [P] [H] demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau, de :
- régulariser sa déclaration de nationalité française,
- condamner le procureur de la République à lui payer la somme de 3.000 € titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le procureur de la République à supporter les dépens.
Aux termes de ses écritures notifiées le 27 avril 2022, le ministère public demande à la cour de :
- dire la procédure régulière au sens de l'article 1043 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement de première instance,
- débouter M. [P] [H] de ses demandes,
- dire que M. [P] [H], se disant né le 1er janvier 1984 à [Localité 6], Sénégal n'est pas de nationalité française,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile
Aux termes des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation, ou le cas échéant une copie des conclusions soulevant la contestation, sont déposées au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l'espèce, M. [P] [H] justifie avoir accompli cette formalité légale au ministère de la justice, qui en a délivré un récépissé le 26 avril 2022.
- Sur la nationalité de l'appelant
L'article 21-2 alinéa 1 du code civil, édicte que :
«L'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.»
Dans le cas d'espèce, et conformément aux dispositions de l'article 30 du code civil, M. [P] [H] qui revendique le bénéfice de la nationalité française par le biais d'une déclaration prévue à l'article 21-2 du code civil, supporte la charge de la preuve, devant en premier lieu justifier de façon certaine son état civil. Pour ce faire, il lui incombe de fournir une copie intégrale de son acte de naissance, ainsi que l'exige l'article 14-1 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993, cet acte devant répondre aux exigences de l'article 47 du code civil, qui dispose que :
« Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.»,
étant observé que dans le cas d'espèce, que du fait de l'existence d'une convention de coopération entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal signée le 29 mars 1974, les actes d'état civil, mais également les décisions judiciaires produits dans le cadre de la présente procédure sont dispensés de la formalité de la légalisation.
Par ailleurs, la cour entend rappeler que l'état civil de tout individu se prouve au travers de son acte de naissance, à l'exclusion de tout autre document officiel (carte d'identité, le passeport, titre de séjour). C'est donc en vain que M. [P] [H] prétend justifier de son identité au travers de sa carte d'identité, de son passeport et de son titre de séjour, dont il dit qu'à l'occasion de leur établissement, son identité n'a donné lieu à aucune discussion.
Pour convaincre les premiers juges puis la cour de son état civil, M. [P] [H] s'appuie sur deux copies certifiées conformes de son acte de naissance n°1611/1990 dressé le 6 août 1990 sur la base d'un jugement n°1211 du 11 mai 1990 , établis à deux dates différentes, à savoir :
- une copie délivrée le 14 septembre 2017 laquelle fait état à la rubrique 'mentions marginales' d'une 'ord n°84 du 23 mars 2005 rectifiant et portant ajout des mentions' ; en marge, y figure également la mention suivante ' ord n°266 du 22-10-2002 portant complément des mentions' (pièce n°2 de l'appelant),
- une copie délivrée le 20 janvier 2021, laquelle fait état à la rubrique 'mentions marginales' d'une 'ordonnance n°266 du 22/10/02 portant ajout des mentions' (pièce n°l5 de l'appelant).
Ainsi que l'indiquaient les premiers juges, le caractère probant de l'acte de naissance de M. [P] [H] a fait l'objet d'un examen détaillé à l'occasion de la demande de certificat de nationalité française formée par ce dernier auprès du service de la nationalité des français nés et établis hors de France.
C'est ainsi que par un jugement définitif du 8 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Nantes a constaté l'extranéité de M. [P] [H] au motif que son acte de naissance est dépourvu de force probante et ne suffit pas à établir le lien de filiation avec M. [B] [H], en raison des nombreuses anomalies, non expliquées par l'intéressé .
Pour statuer en ce sens, les magistrats, après avoir rappelé que M. [P] [H] entendait démontrer son lien de filiation avec son père français, M. [B] [H], en produisant un acte de naissance n°1611/1990, dressé le 6 août 1990 sur la base d'un jugement 1211 indiqué comme étant du 4 mai 1990, et ce par erreur puisque s'agissant du 11 mai 1990,et d'une ordonnance du 23 mars 2005 portant rectification et complément de mentions omises, ainsi que d'une ordonnance 266 portant complément d'acte d'état civil, ont indiqué que si l'intéressé n'avait versé aux débats aucune des décisions mentionnées, le ministère public avait de son côté produit trois expéditions certifiées conformes du jugement d'autorisation d'inscription de naissance n°1211, rendu le 11mai 1990 par le tribunal départemental de Matam, en date des 6 avril 2001 (pièce intimé n°2), 28 septembre 2006 (pièce intimé n°3) et 22 septembre 2014 (pièce intimé n°4), copies qui ne s'avéraient pas toutes identiques, le tribunal ayant en effet mis en exergue des divergences suivantes:
'Si la composition du tribunal est identique sur les copies délivrées les 6 avril 2001 et 28 septembre 2006, faisant état du Président, [O] [V] [S] et du greffier en chef [G] [E], un troisième nom apparaît sur celle du 22 septembre 2014, [C] [F], dont on ne sait pas quelle qualité il a ;
- Si les dates de la requête et du certificat de non-inscription délivré par l'officier d'état civil de [Localité 5] apparaissent sur les copies délivrées les 6 avril 2001et 28 septembre 2006 (30 décembre 1989), il n'en est pas fait mention sur la copie du 22 septembre 2014 ; -
- Si les copies délivrées les 6 avril 2001 et 22 septembre 2014 font état de ce que le ministère public a été entendu en ses réquisitions, cette mention n'apparaît pas sur la copie délivrée le 28 septembre 2006, alors qu 'aux termes de l'article 87 du code de la famille sénégalais, lorsque la requête n'émane pas du procureur de la République, elle lui est obligatoirement communiquée ;
- Si les copies délivrées les 28 septembre 2006 et 22 septembre 2014 précisent que la requête émane de [L] [H], ce nom n'est pas mentionné sur l'expédition délivrée le 6 avril 2001 ;
- Les mentions du dispositif ne sont pas totalement identiques sur les trois versions du même jugement. '
La cour constate, comme l'ont fait les premiers juges dans la décision dont appel, que si M. [B] [H] verse désormais l'ordonnance n°84 rendue par le tribunal départemental de Kanel le 23 mars 2005 portant rectification et complément de mentions omises, et ce en deux exemplaires, il ne produit toujours pas l'ordonnance n°266 du 22 octobre 2002 portant ajout des mentions, ordonnance qui est mentionnée sur les deux copies d'acte de naissance produits dans le cadre de la présente instance.
En outre et surtout, ainsi que l'indiquaient de façon pertinente les premiers juges, la copie certifiée conforme de l'acte de naissance n°1611 la plus récente versée aux débats par M. [P] [H], comme ayant été délivrée le 20 janvier 2021, diffère de celle délivrée le 14 septembre 2017 : en effet, elle ne fait plus apparaître en mention marginale l'ordonnance n°84 du 23 mars 2005 rectifiant et portant ajout des mentions.
Or, il est constant que l'acte de naissance est unique, conservé dans le registre des actes de naissance d'une année précise et détenu dans un seul centre d'état civil de sorte que les copies de cet acte doivent toujours comporter les mêmes mentions.
Et il est de jurisprudence constante que le fait de présenter des actes de naissance différents ôte toute force probante à chacun d'eux, jurisprudence rappelé par les premiers juges qui en ont justement déduit que M. [P] [H] ne justifiait pas d'un état civil fiable.
En cause d'appel, M. [P] [H] ne fournit aucune explication quant à cette divergence, ni d'ailleurs sur celle également relevée par les premiers juges sur le livret de famille de ses parents où sa naissance apparaît avoir été constatée selon un acte de naissance n°164/90 alors que c'est un numéro différent (1611/90) qui figure sur les deux copies certifiées conformes des actes de naissance produits dans le cadre de la présente instance.
Tout au plus, fait-il valoir à hauteur d'appel que faute pour le ministère public d'avoir mis en oeuvre la procédure de vérification des actes de l'état civil étranger prévue par l'article 1er du décret 2015-1740 du 24 décembre 2015, ce dernier échoue à rapporter le caractère frauduleux de son identité, laquelle ne peut donc être remise en cause. Un tel argument est cependant inopérant en ce qu'il fait peser sur le ministère public la charge de la preuve dans le cas d'espèce alors que conformément aux dispositions de l'article 30 du code civil, ainsi qu'il a été dit à titre liminaire, c'est à lui en ce qu'il revendique le bénéfice de la nationalité française par le biais d'une déclaration prévue à l'article 21-2 du code civil, de justifier en premier lieu de façon certaine de son état civil. Aussi, et faute pour M. [P] [H] de faire une telle preuve, c'est à juste titre que le tribunal judiciaire de Nantes l'a débouté de sa demande et constater son extranéité. Le jugement sera donc confirmé.
- Sur les frais et dépens
L'issue du litige justifie que les dépens d'appel soient mis à la charge de M. [P] [H], les dépens de première instance restant répartis ainsi que décidé par le premier juge.
Les conditions d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile n'étant pas remplies, la demande indemnitaire formée par l'appelant sur ce fondement sera rejetée,
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises au recours ;
Y ajoutant,
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne M. [P] [H] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE