6ème Chambre A
ARRÊT N°12
N° RG 21/06149 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SCKR
Mme [F] [D] épouse [L]
C/
PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TJ DE NANTES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me CHAUMETTE
Procureur général près la cour d'appel de rennes
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 09 JANVIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère,
Assesseur : Madame Emmanuelle DESVALOIS, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Christine NOSLAND, lors des débats, et lors du prononcé,
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur Yves DELPERIE, avocat général, lors des débats,
DÉBATS :
En audience publique du 14 Novembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [F] [B] [C] [D] épouse [L]
née le 07 Juin 1977 à [Localité 3] (MADAGASCAR)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Yann CHAUMETTE de la SCP JOYEUX-GUEGUEN-CHAUMETTE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉ :
LE MINISTERE PUBLIC en la personne du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par le procureur général près la cour d'appel de Rennes
Par acte du 19 avril 2011, le procureur de la République a fait assigner Madame [F] [B] [C] [D] devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de voir annuler le certificat de nationalité française délivrée le 6 juin 2005 par le tribunal d'instance du Mans.
Par jugement du 26 juin 2014, le tribunal de grande instance de Nantes a :
- constaté la délivrance du récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile,
- donné acte à Monsieur [H] [S] [D] de son intervention volontaire,
- dit que Madame [F] [B] [C] [D], se disant née le 7 juin 1977 à [Localité 3] (Madagascar), n'est pas française,
- annulé le certificat de nationalité française numéro 260/2005 établi le 6 juin 2005 par le tribunal d'instance du Mans au profit de Madame [F] [B] [C] [D], née le 7 juin 1977 à [Localité 3] (Madagascar),
- constaté l'extranéité de l'intéressée,
- ordonné les mentions prévues à l'article 28 du Code civil,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné la défenderesse aux dépens.
Par une déclaration du 30 septembre 2021, Madame [F] [B] [C] [D] a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a dit qu'elle n'est pas française, annulé son certificat de nationalité française numéro 260/2005 établi le 6 juin 2005 par le tribunal d'instance du Mans et constaté son extranéité.
Aux termes de ses écritures en date du 28 décembre 2021, Madame [F] [B] [C] [D] demande à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel,
- dire et juger qu'elle est française par filiation,
- dire que mention sera portée en marge de son acte de naissance.
Aux termes de ses écritures notifiées le 24 mars 2022, le Ministère public demande à la cour de :
- dire régulière la procédure au sens de l'article 1043 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement entrepris,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du Code civil,
- condamner Madame [F] [B] [C] [D] au dépens.
Ces conclusions sont expressément visées pour complet exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile
Aux termes des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation, ou le cas échéant une copie des conclusions soulevant la contestation, sont déposées au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l'espèce, est versé aux débats le récépissé de la copie de l'acte d'appel daté du 21 mars 2022 délivré par le ministère de la justice, les diligences de l'article 1043 du code de procédure civile ont ainsi été respectées.
Sur la charge de la preuve
L'article 30 du code civil dispose que la charge de la preuve, en matière de nationalité française incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.
En l'espèce, le certificat de nationalité française numéro 260/2005 a été établi le 6 juin 2005 par le tribunal d'instance du Mans au profit de Madame [F] [B] [C] [D], née le 7 juin 1977 à [Localité 3] (Madagascar). C'est donc au ministère public qui a saisi le tribunal d'une demande d'annulation de ce certificat de nationalité de rapporter la preuve de l'extranéité de l'appelante.
Sur le fond
L'article 18 du code civil prévoit qu'est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français.
L'alinéa 1er de l'article 20 du même code dispose que: 'L'enfant qui est français en vertu des dispositions du présent chapitre est réputé avoir été français dès sa naissance'.
Par ailleurs, l'article 20-1 du même code énonce que la filiation de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie durant sa minorité.
L'application de l'article 18 du code civil suppose que soit rapportée la preuve de l'existence d'un lien de filiation légalement établi avant la majorité de l'intéressé entre ce dernier et un parent français par la production d'actes d'état civil probant au sens de l'article 47 du code civil.
L'article 47 du même code dispose que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
La convention bilatérale de coopération en matière de justice, signée entre la France et Madagascar le 4 juin 1973, prévoit à l'article 2 de son annexe ll, relatif à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l'exécution des décisions, qu'en matière civile, sociale ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par toutes les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire de la République malgache, sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes :
a) la décision émane d'une juridiction internationalement compétente au sens de l'article ll de la présente annexe; lors de l'appréciation de cette compétence, l'autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles cette juridiction a fondé sa compétence, à moins qu'il ne s'agisse d'une décision par défaut ;
b) la décision ne peut plus, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, faire l'objet d'un recours ordinaire ou d'un pourvoi en cassation ;
c) les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes ;
d) la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ;
e) un litige entre les mêmes parties, fondé sur les mêmes faits et ayant le même objet :
- n'est pas pendant devant une juridiction de l'Etat requis, ou,
- n'a pas donné lieu à une décision rendue dans l'Etat requis, ou,
- n'a pas donné lieu à une décision rendue dans un autre Etat et réunissant les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l'Etat requis.
En l'espèce, le jugement déféré devant la présente cour relève que l'acte de naissance produit par Madame [F] [D] n°1.135 dressé le 10 juin 1977 et selon lequel la requérante est née le 7 juin 1977 à [Localité 3] (Madagascar) de [H] [S] [D] et de [E] [R] est apocryphe.
Il résulte en effet des vérifications in situ opérées par les services consulaires sur les registres ,que la page du registre n°135 n'est pas d'origine et a été remplacée, outre que le cachet porté sur les pages adjacentes n'est pas le même, que la cote 68 et le numéro 135 de l'acte de naissance sont surchargés, que les signatures attribuées à l'officier d'état civil apparaissent contrefaites et que les déclarants n'ont pas porté leurs signatures sur le document.
Le premier jugement relève en outre que le jugement malgache rendu le 30 novembre 2011, produit aux débats, ne pouvait se voir reconnaître de force probante dans l'ordre interne, dès lors que ses contradictions et son absence de motivation le rend contraire à l'ordre public français.
Devant la Cour, Madame [D] réitère que les actes d'état civil que sont son acte de naissance et le jugement malgache sont authentiques et qu'elle démontre en toute hypothèse sa filiation par possession d'état.
Il sera rappelé que la preuve d'un état civil certain et fiable est un préalable à toute action en matière de nationalité et que la preuve d'une possession d'état d'enfant de français ne permet pas à la requérante de se dispenser de la preuve de son identité.
En l'espèce, force est de constater que l'acte d'état civil détenu par les services de l'état civil de la commune de [Localité 3] est apocryphe, au regard des nombreuses anomalies relevées sur place par les autorités consulaires, ce que l'appelante ne conteste d'ailleurs pas sérieusement. Cet acte ne répond pas aux exigences de l'article 47 du code civil. S'il est exact que le jugement civil n°505 rendu le 30 novembre 2011 par le tribunal de première instance d'Antsiranama est revêtu de la formule exécutoire et que Madame [D] produit un certificat de non appel et répond ainsi aux exigences de la convention franco-malgache pour être reconnu de plein droit dans notre ordre interne, en revanche il se heurte à l'ordre public international, tel que conçu par la loi française en ce qu'après avoir constaté que la signature de l'officier d'état civil est non conforme et avoir rappelé les textes applicables, il a dans le même temps déclaré cet acte sincère et en a ordonné la validation tout en motivant sa décision par une absence de signature de l'officier analysée comme une omission matérielle.
Or les constatations des services consulaires ne font pas état d'une absence de signature de l'officier de l'état civil mais de soupçons de contrefaçon. Par ailleurs, le jugement étranger n'évoque pas l'ensemble des autres irrégularités qui affectent l'acte et ne mentionne pas le fait que la page du registre n'est pas d'origine et a été remplacée, que le cachet porté sur les pages adjacentes n'est pas le même, que les côtes concernées par l'acte de naissance sont surchargées ou encore que les déclarants n'ont pas porté leurs signatures sur le document. Force est de constater que ce jugement n'est pas un jugement supplétif de naissance valant acte d'état civil mais tend à valider un acte affecté de nombreuses irrégularités, qui n'ont pas été examinées dans ledit jugement et qui n'ont pas fait l'objet de rectifications.
En outre, la Cour ne peut que relever que la copie d'acte d'état civil produite en dernier lieu, loin d'être corrigée de ses anomalies comporte désormais la mention 'validé par jugement n°505 rendu par le Tribunal de 1ère instance de Diégo-Suarez' et ce alors que le jugement soumis à l'attention de la Cour a été rendu par le tribunal de Antsiranama. L'acte de naissance produit comporte ainsi des mentions contradictoires avec le jugement invoqué, la juridiction visée n'étant pas celle qui a rendu la décision produite.
Il résulte de l'ensemble de ces constatations que Madame [D] ne présente pas d'état civil certain et fiable.
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande sans qu'il soit besoin d'apprécier la réalité de sa filiation paternelle.
Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.
Madame [D] succombant en ses demandes, elle sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne Madame [D] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT