6ème Chambre A
ARRÊT N° 319
N° RG 21/03708 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RX5J
Mme [M] [D]
C/
PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TJ DE NANTES
Adoption plénière de l'enfant [C], [K], [E] née le 13 avril 2019 à [Localité 3]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Amel MAUGIN
Me Dominique LE COULS BOUVET
LE PARQUET GENERAL
Copie certifiée conforme délivrée par LRAR
le :
à :
Mme [M] [D]
Mme [G] [R]
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre,
Assesseur : Monsieur Yves LE NOAN, Conseiller,
Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Léna ETIENNE, lors des débats, et Madame Christine NOSLAND, lors du prononcé,
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur Laurent FICHOT, avocat général, lors des débats,
DÉBATS :
En chambre du conseil du 25 Avril 2022
ARRÊT :
Rendu en matière gracieuse, contradictoirement et publiquement le 13 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [M] [D]
née le 04 Avril 1986 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Amel MAUGIN de la SELARL 333, Postulant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Aude DENARNAUD, Plaidant, avocat au barreau de CARCASSONNE
INTIMÉS :
Madame [G] [U] [H] [R]
née le 05 Aout 1985 à [Localité 5]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Dominique LE COULS BOUVET, Postulant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me NAVON-SOUSSAN Nathalie, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
LE MINISTERE PUBLIC en la personne du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par le procureur général près la cour d'appel de Rennes
Par requête enregistrée au parquet du tribunal de grande instance de Nantes le 4 novembre 2019, Mme [M] [D] a sollicité l'adoption plénière de l'enfant [C], née le 13 avril 2019 de Mme [G] [R], qu'elle a épousée le 16 février 2019, demandant en outre à ce que l'enfant se nomme désormais [R]-[D].
Par jugement en date du 20 mai 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a débouté Mme [M] [D] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe le 17 juin 2021, Mme [M] [D] interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.
Mme [G] [R] s'est constituée devant la cour le 19 novembre 2021.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 1er mars 2022, Mme [M] [D] demande à la cour d'infirmer le jugement du 20 mai 2021, et statuant à nouveau, de:
- dire et juger que les conditions légales de l'adoption plénières de l'enfant [C] sont réunies,
- dire et juger que l'opposition de Mme [G] [R] une fois le délai de rétractation passé est sans effet sur la demande en adoption plénière de l'enfant [C],
- prononcer l'adoption plénière de [C] [R], née le 13 avril 2019 à [Localité 3] (Loire-Atlantique) par elle, Mme [M] [D], née le 4 avril 1986 à [Localité 7] (Morbihan),
- dire et juger que l'adoptée portera le nom de famille de l'adoptant, accolé à celui de son nom de naissance, soit [R]-[D],
- ordonner la mention du jugement à intervenir sur les registres d'état civil de [Localité 3] et de [Localité 7].
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 mars 2022, Mme [G] [R] demande à la cour de :
- rejeter la pièce adverse numéro 47,
- dire et juger que les conditions de l'adoption plénière de [C] par Mme [M] [D] ne sont pas réunies,
- dire et juger que l'intérêt supérieur de [C] s'oppose à son adoption plénière par Mme [M] [D],
en conséquence,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Nantes en date du 20 mai 2021,
- débouter Mme [M] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
Aux termes de ses écritures notifiées le 30 mars 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement entrepris.
Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la demande de rejet de la pièce n°47 produite par l'appelante
Il résulte de l'article 9 du code de procédure civile qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Il résulte de cette disposition qu'en matière civile, la preuve est libre.
Aux termes de l'article 1366 du code civil, l'écrit électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité.
Dans le cas d'espèce, Mme [G] [R] sollicite que la pièce n°47 produite par Mme [M] [D] soit écartée des débats. Cette pièce est constituée d'une retranscription d'échanges entre les parties dans le courant des mois d'octobre et novembre 20219.
S'agissant d'une transcription sur papier libre de conversations, il est impossible pour la cour de connaître avec certitude la provenance de ces dernières, ainsi que leurs auteurs. Il est tout autant impossible de s'assurer qu'elles présentent les garanties suffisantes quant à leur intégrité.
Cette pièce sera donc rejetée des débats.
II - Sur la demande d'adoption de l'enfant [C] [R] par Mme [M] [D]
L'article 345-1 du code civil dans sa version applicable au cas d'espèce dispose que:
' L'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise :
1° Lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint ;
1°bis Lorsque l'enfant a fait l'objet d'une adoption plénière par ce seul conjoint et n'a de filiation établie qu'à son égard ;
2° Lorsque l'autre parent que le conjoint s'est vu retirer totalement l'autorité parentale;
3°Lorsque l'autre parent que le conjoint est décédé et n'a pas laissé d'ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l'enfant.'
Aux termes de l'article 348-1 du même code civil, lorsque la filiation d'un enfant n'est établie qu'à l'égard d'un de ses auteurs, celui-ci donne le consentement à l'adoption.
Selon l'article 348-3 du code civil, dans sa version applicable au cas d'espèce, ' Le consentement à l'adoption est donné devant un notaire français ou étranger, ou devant les agents diplomatiques ou consulaires français. Il peut également être reçu par le service de l'aide sociale à l'enfance lorsque l'enfant lui a été remis.
Le consentement à l'adoption peut être rétracté pendant deux mois. La rétractation doit être faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à la personne ou au service qui a reçu le consentement à l'adoption. La remise de l'enfant à ses parents sur demande même verbale vaut également preuve de la rétractation.
Si à l'expiration du délai de deux mois, le consentement n'a pas été rétracté, les parents peuvent encore demander la restitution de l'enfant à condition que celui-ci n'ait pas été placé en vue de l'adoption. Si la personne qui l'a recueilli refuse de le rendre, les parents peuvent saisir le tribunal qui apprécie, compte tenu de l'intérêt de l'enfant, s'il y a lieu d'en ordonner la restitution. La restitution rend caduc le consentement à l'adoption.'
En l'occurrence, il est constant et non contesté par les parties :
- que Mmes [M] [D] et [G] [R] ont vécu en concubinage durant plusieurs années avant de se marier le 16 février 2019,
- que Mme [G] [R] a donné naissance à l'enfant [C], [K], [E] [R] le 13 avril 2019 à [Localité 3],
- que par acte notarié du 12 juin 2019, Mme [G] [R] a donné son consentement à l'adoption de l'enfant [C], [K], [E] [R] par Mme [M] [D], consentement qu'elle n'a pas rétracté dans le délai légal de deux mois, ainsi qu'il ressort de l'attestation notariée de non rétractation du 3 septembre 2019,
- que l'enfant [C] n'a, selon son acte de naissance, de filiation légalement établie qu'à l'égard de Mme [G] [R], sa mère,
- qu'au 4 novembre 2019, date du dépôt de la requête en adoption plénière de l'enfant [C] sollicitée par Mme [M] [D], celle-ci et Mme [G] [R] étaient toujours unis par les liens du mariage, quand bien même le couple s'était-il séparé depuis la fin du mois de septembre 2019.
Faute d'avoir été rétracté dans le délai légal, le consentement donné le 12 juin 2019 par Mme [G] [R] à l'adoption de sa fille par Mme [D] est définitif et irréversible. Aussi, les conditions requises par l'article 345-1 du code civil relatif à l'adoption plénière de l'enfant [C] par son épouse, Mme [M] [D], sont réunies. Elles ne sont toutefois pas suffisantes en elles-mêmes et il demeure nécessaire de vérifier si l'adoption sollicitée est conforme à l'intérêt de l'enfant, et ce en application des dispositions de l'article 353 du code civil, mais également de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui fait de l'intérêt supérieur de l'enfant une considération primordiale dans les décisions le concernant.
En l'occurrence, Mmes [M] [D] et [G] [R] s'accordent pour dire que l'enfant [C] a été conçue par procréation médicalement assistée dans le cadre d'un projet de coparentalité qu'elles ont mené ensemble, avec la volonté commune de créer une famille.
Une telle volonté ressort d'ailleurs très clairement des pièces du dossier, et notamment des attestations de proches produites par Mme [D] et des nombreuses photographies montrant celle-ci en compagnie de l'enfant [C] durant la vie conjugale qui a cessé alors que l'enfant n'était âgée que de cinq mois.
Mme [D] produit par ailleurs des attestations permettant de démontrer que du temps de la cohabitation, elle a toujours été présente aux côtés de l'enfant et que le lien entre elles est de nature "affectif et filial", se comportant comme le deuxième parent de l'enfant et étant reconnue comme telle par ses proches du cercle familial et amical.
Si la séparation du couple a eu pour conséquence de rompre le lien de Mme [M] [D] avec la jeune [C], alors âgée de cinq mois, cette dernière démontre avoir essayé de maintenir ce lien et que c'est la conséquence de la résidence de l'enfant chez Mme [G] [R] qui l'en a empêché, de même que l'absence de droits établis la concernant. Il n'en demeure pas moins que Mme [D] a fait virer sur le compte bancaire de Mme [R], dès le mois de janvier 2020, une somme mensuelle de 270 € par mois, pour participer à l'entretien et l'éducation de l'enfant [C], et ce en dépit de l'opposition de l'intéressée. C'est donc en vain que Mme [R] fait état dans ses écritures d'un quelconque désintérêt et d'un manque d'investissement de Mme [D] à l'égard de l'enfant.
Il sera d'ailleurs observé que Mme [R] a consenti à ce que Mme [D] puisse revoir l'enfant [C] entre janvier 2020 et août 2020, à l'occasion de rencontres et de courts séjours, pour s'y opposer fermement par la suite au motif que l'enfant rentrait de chez Mme [D] particulièrement perturbée. Si des témoins attestent de ce que lors des retours au domicile maternel, à l'issue des séjours auprès de Mme [D], [C] pleurait beaucoup, a développé une phobie à l'eau et était angoissée lors des séparations avec sa mère, au demeurant, il n'est nullement établi que de telles perturbations soient imputables à Mme [D], ces dernières pouvant notamment s'expliquer par la séparation conjugale.
A cet égard, la cour relève que du temps de la vie commune, Mme [R] n'avait aucun doute sur les capacités éducatives de son épouse, ainsi qu'en atteste le testament fait par elle le 13 mars 2019 aux termes duquel elle désigne Mme [D] comme tutrice de sa fille à naître dans l'hypothèse où elle viendrait à décéder.
En tout état de cause, il n'est nullement démontré par Mme [R] un quelconque comportement inadapté de Mme [D] à l'égard de l'enfant de nature à compromettre sa sécurité, sa santé et sa moralité, ni même une incapacité à assurer l'éducation de celle-ci dans le respect dû à sa personne, et ce depuis sa naissance.
L'origine de la séparation et les torts respectifs des épouses sont des considérations étrangères à la notion de l'intérêt de l'enfant. Si Mme [D] a fondé un autre couple et aurait eu avec sa nouvelle compagne un enfant, il n'est nullement indiqué par Mme [R], qui a pareillement refait sa vie avec une nouvelle compagne, en quoi cette circonstance serait contraire à l'intérêt de l'enfant [C].
Par ailleurs, si Mme [R] reproche à Mme [D] sa déloyauté à son égard pour avoir diligenté la procédure d'adoption plénière de l'enfant [C] sans l'en avoir informée préalablement, et en n'ayant à aucun moment fait état auprès des services du parquet de la séparation conjugale, un tel argument est étranger à l'intérêt de l'enfant qui doit exclusivement présidé à la présente décision. En tout état de cause, et en l'absence de disposition légale prévoyant une telle information préalable, aucune conséquence ne saurait en être tirée et il n'est dès lors pas possible de considérer, comme l'ont fait les premiers juges, que Mme [D] a essayé de 'court-circuiter' Mme [R], niant de ce fait la place de cette dernière, la cour relevant en outre qu'au vu des pièces du dossier, Mme [R] était informée de la procédure diligentée par son épouse devant le tribunal judiciaire nantais et qu'elle a pu signifier son opposition à la demande d'adoption de sa fille ainsi introduite avant que la demande ne soit examinée par le tribunal. Il n'est par ailleurs nullement démontré par Mme [R] une autre situation où sa place de mère biologique aurait été remise en cause par Mme [D].
Du côté de l'enfant, Mme [R] est inopérante à soutenir que l'enfant [C] n'a pas tissé avec Mme [D] un lien affectif maternelle durable dès lors qu'en refusant à cette dernière tout accès à l'enfant depuis le mois d'août 2020, elle est à l'origine de cet état de fait.
S'il est certain que les parties entretiennent depuis leur séparation des relations conflictuelles, dont [C] est l'enjeu, l'intérêt de l'enfant n'est pas pour autant de voir remettre en cause le lien qui l'unit à l'un de ses parents, quand bien même ce'parent social'serait aujourd'hui en conflit avec son 'parent juridique'.
Dans la mesure où la naissance de [C] est le résultat d'un projet commun de parentalité et où Mme [R] a consenti à l'adoption de l'enfant par son épouse, ces actes se sont inscrits dans une démarche réfléchie. Aussi, le fait que le lien conjugal ne perdure pas est insuffisant, à lui seul, pour faire obstacle à la procédure d'adoption. Au delà et malgré la séparation du couple, il est de l'intérêt de [C] de pouvoir bénéficier de la présence de ses deux parents et bénéficier avec chacun d'eux d'un lien juridique sécurisé.
En créant ce second lien de filiation, l'adoption fait entrer l'enfant dans la famille de son parent adoptif, seconde famille en sus de celle de Mme [R], ce qui correspond déjà à une réalité affective puisque [C] est déjà considéré comme membre à part entière de la famille [D], comme il ressort des pièces et photos produites aux débats.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de prononcer l'adoption plénière de [C] par Mme [M] [D].
III - Sur le nom de l'enfant
L'article 357 du code civil dispose que l'adoption confère à l'enfant le nom de l'adoptant. En cas d'adoption de l'enfant du conjoint ou d'adoption d'un enfant par deux époux, l'adoptant et son conjoint ou les adoptants choisissent, par déclaration conjointe, le nom de famille dévolu à l'enfant : soit le nom de l'un d'eux, soit leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par eux, dans la limite d'un nom de famille pour chacun d'eux. Cette faculté de choix ne peut être exercée qu'une seule fois. En l'absence de déclaration conjointe mentionnant le choix de nom de l'enfant, celui-ci prend le nom de l'adoptant et de son conjoint ou de chacun des deux adoptants, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d'eux, accolés selon l'ordre alphabétique.
En application des dispositions précitées, en l'absence de déclaration conjointe, et compte tenu notamment de la mention du nom '[R]-[D]' figurant sur le bracelet de naissance de l'enfant, il y a lieu de dire que le nom de famille de [C] sera désormais [R]-[D].
IV - Sur les dépens
La nature familiale du litige justifie que les dépens soient partagés par moitié entre les parties.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette des débats la pièce n°47 produite par Mme [M] [D] ;
Infirme le jugement rendu le 20 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Nantes, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [G] [R] de sa demande de rejet des débats de la pièce n°37 produite par Mme [M] [D] ;
Prononce l'adoption plénière de l'enfant [C], [K], [E] née le 13 avril 2019 à [Localité 3], fille de Mme [G] [U] [H] [R], épouse de Mme [M] [D], née le 5 août 1985 à [Localité 5] par Mme [M] [P] [V] [D], née le 4 avril 1986 à [Localité 7] ;
Dit que l'adopté s'appellera désormais [C], [K], [E] [R]-[D] ;
Ordonne la transcription du présent jugement sur les actes d'état civil de l'enfant;
Rejette toutes autres demandes,
Condamne Mme [G] [R] et Mme [M] [D] aux dépens qui seront partagés entre les parties.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE