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09/05/2022 | FRANCE | N°21/06573

France | France, Cour d'appel de Rennes, 6ème chambre a, 09 mai 2022, 21/06573


6ème Chambre A





ARRÊT N° 255



N° RG 21/06573 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SEGO













M. [W] [H] [L]



C/



Mme [D] [Y] épouse [L]

































Copie exécutoire délivrée

le :



à :

Me Anne LE ROY

Me Isabelle TANGUY

















REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PE

UPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 09 MAI 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Yves LE NOAN, Conseiller,

Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Christine NOSLAND, lors des déba...

6ème Chambre A

ARRÊT N° 255

N° RG 21/06573 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SEGO

M. [W] [H] [L]

C/

Mme [D] [Y] épouse [L]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Anne LE ROY

Me Isabelle TANGUY

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 09 MAI 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Yves LE NOAN, Conseiller,

Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Christine NOSLAND, lors des débats et lors du prononcé

MINISTERE PUBLIC :

Monsieur Laurent FICHOT, avocat général, lors des débats,

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 Mars 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [W] [H] [L]

né le 09 Février 1966 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Anne LE ROY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

INTIMÉE :

Madame [D] [Y] épouse [L]

née le 31 Octobre 1967 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Isabelle TANGUY de la SELARL SELARL D'AVOCATS MAIRE - TANGUY - SVITOUXHKOFF - HUVELIN - G OURDIN - NIVAULT - GOMBAUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

Par assignation en date du 31 juillet 2020, monsieur [W] [L] a fait citer l'enfant [N] [L], née le 19 mai 2006, représentée par sa mère, madame [D] [Y], aux fins de juger qu'elle n'a pas été engendrée par lui, d'annuler la reconnaissance de paternité induite par le mariage, de dire que l'enfant portera le nom de [Y], et d'ordonner la modification de l'état civil de l'enfant sur les registres.

Le 18 février 2021, madame [Y] a soulevé un incident tendant à voir déclarer la requête de monsieur [L] irrecevable eu égard à la possession d'état de l'enfant [N].

A la demande de monsieur [L], l'incident a été plaidé devant la formation collégiale.

Par jugement du 21 septembre 2021, le tribunal judiciaire de VANNES a jugé irrecevable monsieur [L] en son action formée contre sa fille [N] [L] représentée par sa mère madame [D] [Y], l'a condamné à payer à [N] [L], représentée par sa mère, madame [D] [Y], la somme de 1.300 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, et l'a condamné aux dépens.

Par une déclaration du 21 octobre 2021, monsieur [L] interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 8 mars 2022, il demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance dont appel,

- déclarer recevable sa demande d'annulation de paternité sur [N] [L],

- condamner madame [D] [Y] à lui payer la somme de 36.000 €, avec intérêts de droit à compter de la signification des écritures,

- réformer l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamné à payer à celle-ci la somme de 1.300 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- condamner madame [D] [Y] à lui payer la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 ainsi que les dépens.

Aux termes de ses écritures notifiées le 9 mars 2022, madame [D] [Y] demande à la cour :

- de confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions,

- de débouter monsieur [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

y ajoutant

- de condamner monsieur [L] à la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner le même aux dépens.

Aux termes d'un écrit communiqué le 28 février 2022, le ministère public indique être d'avis de confirmer le jugement entrepris en ce que monsieur [W] [L] est forclos à intenter une action en contestation de paternité.

Ces conclusions sont expressément visées pour complet exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 mars 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'action en contestation

Pour déclarer monsieur [L] irrecevable en son action, le tribunal a d'abord rappelé que selon l'article 333 alinéa 2 du code civil, lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins 5 ans depuis la naissance ou la reconnaissance, nul ne peut contester la filiation, à l'exception du ministère public, ce délai de forclusion étant insusceptible de suspension. Il a ensuite considéré que l'enfant [N] avait disposé, pendant les cinq premières années de son existence, d'une possession d'état conforme au titre dès lors qu'elle portait le nom de son père, qu'elle avait été traité comme sa fille tant par lui que par sa mère, quand bien même celle-ci avait eu recours avec l'accord de son époux aux services d'un tiers pour concevoir l'enfant, que l'enfant l'avait traité comme son père, et qu'elle avait été reconnue comme l'enfant du couple par la famille, la société et l'autorité publique, le père contribuant comme la mère à l'entretien de l'enfant. Le tribunal a donc considéré que monsieur [L] ne pouvait plus contester sa paternité depuis le 19 mai 2011, que s'agissant d'un délai préfix de procédure et non d'un délai de prescription, la question de la proportionnalité ne se posait pas, et qu'en tout état de cause, la fin de non-recevoir posée par l'article 333 alinéa 2 du code civil ne portait pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale du père, l'intérêt de l'enfant étant de conserver sa filiation paternelle née du mariage, quand bien même la violence ayant existé au sein du couple parental avait conduit à rompre tout lien entre le père et sa fille ;

Au soutien de sa demande de réformation du jugement entrepris, monsieur [L] fait valoir qu'un contrôle de conventionnalité et de proportionnalité des délais de prescription ou de péremption s'impose au juge, aux fins notamment d'assurer l'intérêt supérieur de l'enfant à connaître la vérité biologique et à ne pas le maintenir dans une filiation mensongère. Il soutient par ailleurs qu'il n'y pas en l'espèce de possession d'état conforme au titre, compte-tenu de la volonté très claire de [N], qui avait connaissance du mensonge sur sa filiation depuis l'âge de 3/4 ans, de ne pas le reconnaître comme son père, ce qu'elle a exprimé devant le tribunal correctionnel et devant l'expert génétique, en refusant de porter le nom de son père à l'école et en refusant de le voir en point rencontre ;

Au soutien de sa demande de confirmation du jugement entrepris, madame [Y] fait valoir qu'il n'y a pas lieu à contrôle de proportionnalité en matière de délais de prescription, alors que l'intérêt supérieur de l'enfant est de s'inscrire dans deux filiations plutôt que dans une seule ; que la possession d'état conforme au titre n'est pas sérieusement contestable dès lors que le recours à un tiers donneur a été un choix du couple pour faire face au problème de stérilité du mari, que monsieur [L] a toujours considéré [N] comme sa fille, même après la séparation, le refus de l'enfant de parler à son père étant lié aux scènes de violences familiales qui l'ont traumatisée et non à la question de sa filiation ; que l'objet de son action vise à échapper à ses obligations alimentaires ;

Au soutien de sa demande de confirmation du jugement entrepris, le ministère public fait valoir que le premier juge a parfaitement énoncé les différents éléments permettant de constater l'existence d'une possession d'état conforme au titre, continue, paisible, publique et non équivoque, jusqu'au 5ème anniversaire de l'enfant ; que si la cour de cassation admet qu'un contrôle de proportionnalité puisse s'exercer en matière de filiation, elle en limite le champ à l'action en recherche de paternité par un enfant au nom de son droit à connaître ses origines, elle se serait refusée jusqu'à présent à l'admettre dans le cadre d'une action en contestation de paternité qui aurait pour effet de priver l'enfant d'un père juridique;

L'article 310-3 du code civil énonce que la filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état. Si une action est engagée en application du chapitre III du présent titre, la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l'action ;

Il résulte des dispositions des articles 332 et suivants du code civil que la filiation légalement établie peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père ;

Selon l'article 333 de ce même code, l'action en contestation de paternité se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté. Nul ne peut contester la filiation, à l'exception du ministère public, lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins 5 ans depuis la naissance ou la reconnaissance ;

En application de l'article 334 du même code, à défaut de possession d'état conforme au titre, l'action en contestation peut être intentée par toute personne qui y a intérêt dans le délai prévu à l'article 321 de ce code, à savoir dix ans, ce délai étant suspendu pendant la minorité de l'enfant ;

Il résulte ainsi de ces articles que si la possession d'état est conforme au titre, seuls les délais prévu par l'article 333 du code civil doivent être retenus pour vérifier si l'action en contestation de paternité est ou non recevable ;

Selon l'article 311-1 du même code, la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.

Les principaux de ces faits sont :

1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents;

2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation;

3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille;

4° Qu'elle est reconnue comme telle par l'autorité publique;

5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue.'

L'article 311-2 dispose quant à lui que la possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque ;

En l'espèce, il convient de rappeler que monsieur [W] [L] et madame [L] se sont mariés le 18 juin 2005. Le 19 mai 2006, est née [N] [L], déclarée à l'état civil par son père comme l'enfant commun du couple. Il n'est pas discuté que l'enfant a été conçue par recours au don de sperme d'un tiers, à raison de graves problèmes de stérilité du couple, la révélation de cet élément à l'enfant ayant été faite à l'âge de 3/4 ans. Monsieur [L] indique dans ses écritures qu'il 'a cru être le père de l'enfant et qu'il s'y est naturellement attaché'. Monsieur [L] a quitté le domicile conjugal le 17 mars 2015, peu avant que deux requêtes en divorce soient déposées. Une ordonnance de non-conciliation est intervenue le 24 juillet 2015, prévoyant notamment l'exercice conjoint de l'autorité parentale à l'égard de [N], un droit de visite en lieu neutre au profit du père et une contribution à sa charge pour l'entretien de l'enfant;

Il ressort, sans discussion sérieuse possible, des éléments et pièces du dossier, l'existence au cours des cinq premières années d'existence de [N], d'une possession d'état, continue, paisible, publique et non équivoque, conforme au titre constitué par l'acte de naissance de l'enfant, assise sur la présomption du paternité du mari de la mère. Il est amplement démontré par les pièces que pendant cette période, monsieur [L] a traité [N] comme sa fille, ce qu'il reconnaît au demeurant lui-même dans ses écritures, et que l'enfant était reconnue telle par tout son environnement relationnel. S'il est constant que le lien père/fille s'est par la suite distendu, ce délitement n'est intervenu que bien après les cinq ans révolus de l'enfant, dans le cadre du conflit parental ayant conduit, sur fond de violences conjugales, à la séparation du couple. Dans ces conditions, l'article 333 alinéa 2 du code civil a bien vocation à s'appliquer au cas d'espèce ;

Dès lors que le délai de forclusion posé par ce texte emporte empêchement du père à voir remettre en cause une filiation juridique dont il est avéré qu'elle n'est pas conforme à la vérité biologique, il est nécessaire de le soumettre au contrôle de proportionnalité pour s'assurer qu'il ne constitue pas au cas d'espèce, au regard des intérêts en présence, une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de monsieur [L]. En l'espèce, dès lors qu'il ressort clairement du dossier que [N] a été élevée et reconnue par tous, pendant sa petite enfance à tout le moins, comme la fille de monsieur [L], dont elle porte toujours le nom (accolé à celui de sa mère) notamment dans le cadre scolaire, le texte précité, qui a choisi de faire prévaloir la réalité sociologique éprouvée par le temps, ne saurait être tenu pour disproportionné, alors qu'il est de l'intérêt supérieur de l'enfant de s'inscrire dans deux lignées correspondant à deux réalités effectives, même si l'une d'entre elles n'est pas d'ordre biologique. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable monsieur [L] en son action, toutes demandes contraires et subséquentes étant rejetées ;

Sur les frais et dépens

Eu égard à l'issue de l'appel, les dépens d'appel seront à la charge de monsieur [L], sans qu'il y ait lieu de modifier le jugement sur ce point. Il serait inéquitable de laisser à la charge de madame [Y] les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer du fait de l'appel interjeté, de manière mal fondée, par monsieur [L]. Ce-dernier sera donc condamné à lui verser la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, sans qu'il ait lieu de modifier le jugement sur ce point, toute demande plus ample ou contraire formée de ce chef étant rejetée ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne monsieur [W] [L] à verser à madame [D] [Y] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes autres demandes,

Condamne monsieur [W] [L] aux entiers dépens d'appel.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 6ème chambre a
Numéro d'arrêt : 21/06573
Date de la décision : 09/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-09;21.06573 ?
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