6ème Chambre A
ARRÊT N° 437
N° RG 17/01598
Melle Sandrine X...
C/
M. Jean-Yves Y...
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Philippe Z...
Me Stéphanie A...
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2018
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ:
Président : Madame Catherine LE FRANCOIS, Président,
Assesseur : Monsieur Yves LE NOAN, Conseiller,
Assesseur : Madame Annie BATTINI-HAON, Conseiller,
GREFFIER :
Mme Françoise DELAUNAY, lors des débats, et M. B... C..., lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Juin 2018 devant Madame Annie BATTINI-HAON, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Septembre 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Mademoiselle Sandrine X...
née le [...] à VANNES (56000)
[...]
Représentée par Me Philippe Z..., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LORIENT
INTIMÉ :
Monsieur Jean-Yves Y...
né le [...] à VANNES (56000)
Toularec
[...]
Représenté par Me Stéphanie A... de la SELARL BAZILLE, TESSIER, A..., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2017/008373 du 11/08/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
Monsieur Jean-Yves Y... et Madame Sandrine X... ont vécu en concubinage pendant plus de 20 ans.
Trois enfants sont issus de cette union :
- Alban né le [...] à VANNES (56 ).
- Valentin né le [...] à [...] (56 ).
- Aloisia née le [...].
Le couple Y...-X... s'est séparé le 17 juin 2014.
Aux termes d'une donation-partage en date du 2 juin , Monsieur Jean-Yves Y... s'est vu attribuer un bâtiment situé [...]. Le couple y a fait édifier une maison d'habitation pour laquelle ils ont souscrits 3 prêts auprès du CMB pour un montant de 99.864,30 €, les échéances étant prélevées sur un compte joint dont Madame Sandrine X... s'est désolidarisée en juin 2014.
En outre le couple a fait l'acquisition d'un bien immobilier situé à Camors le 27 décembre 2004, qu'il ont revendu 35 000€ le 11 décembre 2015 et pour lequel ils avaient souscrit deux prêts pour un montant de 64 500€.
Par décision en date du 17 juin 2015, le juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de VANNES a fixé la résidence habituelle des enfants chez leur mère, accordé à Monsieur Jean-Yves Y... un droit de visite et d'hébergement selon les modalités usuelles, décerné acte à Madame Sandrine X... qu'elle ne sollicite pas de contribution à l'entretien et l'éducation pour l'entretien des enfants.
Par acte du 16 janvier 2015, Madame Sandrine X... a fait assigner Monsieur Jean-Claude Y... devant le juge aux Affaires Familiales du Tribunal de Grande Instance de VANNES , sous le visa de l'article 1371 du code civil dans sa version applicable au litige, afin de condamner Monsieur Y... à lui verser la somme de 61.097,20 € avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation, ordonner la capitalisation des intérêts en vertu des dispositions de l'article 1154 du code civil, condamner Monsieur Y... au paiement d'une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Par jugement du 05 janvier 2017, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Vannes a dit n'y avoir lieu à renvoyer les parties devant notaire pour liquidation et partage de l'indivision ayant existé entre eux, débouté Madame Sandrine X... de sa demande de condamnation de Monsieur Jean-Yves Y... à lui payer une indemnité de 60 486€ sur le fondement de la responsabilité délictuelle et subsidiairement sur le fondement de l'enrichissement sans cause, débouté Monsieur Jean-Yves Y... de sa demande de fixation de créance à l'encontre de Madame Sandrine X... , débouté les parties de toute autre demande, dit que les dépens seront partagés par moitié.
Madame Sandrine X... a relevé appel de la décision le 7 mars 2017.
Dans ses conclusions déposées le 03 mai 2018, Madame Sandrine X... demande de dire que la responsabilité délictuelle de Monsieur Jean-Yves Y... est engagée, confirmer le jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Vannes du 05 janvier 2017 en ce qu'il a débouté Monsieur Y... de ses demandes, de condamner Monsieur Jean-Yves Y... à verser à Madame Sandrine X... la somme de 58. 826, 11 €; à titre subsidiaire, elle demande d' infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame Sandrine X... de sa demande de créance d'enrichissement sans cause à l'encontre de Monsieur Jean-Yves Y..., condamner Monsieur Jean-Yves Y... à verser à Madame Sandrine X... la somme de 58.826, 11 € avec intérêts au taux légal à compter de la présente assignation, ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du code civil. Par ailleurs elle sollicite la condamnation de Monsieur Jean-Yves Y... à lui verser la somme de 3 000€ au titre des frais irrépétibles, outre les dépens.
Dans ses conclusions déposées le 25 octobre 2017, Monsieur Jean-Yves Y... demande de fixer la créance due par Madame X... à Monsieur Y... à la somme de 9 053 € (indemnités d'occupation, remboursement prêt CAMORS, charges exposées par Monsieur Y... : 3 200 € + 5 069,07 € + 784,42 €); à titre subsidiaire, de
fixer la créance due par Monsieur Y... à Madame X... à la somme de
58 826,11 €, fixer la créance due par Madame X... à Monsieur Y... à la somme de 85 053,49 €, dire que le solde en faveur de Monsieur Y... est de 28 227 €. En outre il sollicite n'y avoir lieu à application l'article 700 du code de procédure civile, débouter Madame X... de sa demande à ce titre et dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage dont distraction au profit de la E... sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est référé aux dernières écritures susvisées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 mai 2018.
MOTIFS DE LA DECISION
- sur la demande d'indemnisation de Madame Sandrine X... fondée sur l'article 1382 du code civil dans sa version applicable au litige
Ainsi que le relève le juge aux affaires familiales , Madame Sandrine X... sollicite la condamnation de Monsieur Jean-Yves Y... à lui payer la somme 58 826,11€ avec intérêt au taux légal sur le fondement de la responsabilité délictuelle sans développer en quoi ce dernier aurait commis une faute dans le cadre de la rupture du concubinage.
Elle ne pourra qu'être déboutée de sa demande à ce titre.
- sur la demande d'indemnisation de Madame Sandrine X... fondée sur l'article 1371 du code civil dans sa version applicable au litige
- l'enrichissement sans cause
Madame Sandrine X... critique la décision du juge aux affaires familiales en ce qu'il a considéré qu'elle ne rapportait pas la preuve qu'elle avait réglé la moitié des échéances de l'emprunt, les revenus de Monsieur Jean-Yves Y... étant supérieurs au siens alors que les salaires des concubins étaient équivalents. Elle entend justifier par la production de relevés du compte joint avoir réglé la moitié des échéances d'emprunt. Elle ajoute que pour apprécier le caractère manifestement excessif de sa contribution aux charges de la vie commune, le juge devait prendre en compte la plus value conférée à l'immeuble par l'emprunt qu'elle a financé pour moitié. Ainsi, elle souligne que sa participation était manifestement excessive par rapport à des prêts portant sur un bien immobilier appartenant en propre à Monsieur Jean-Yves Y... et dont la valeur actuelle est de 400 000€. En outre, elle relève que cette participation au remboursement de l'emprunt ne peut être considérée comme étant la contrepartie de l'hébergement dont elle aurait profité durant la vie commune car elle aurait recouru à une solution d'hébergement social, nettement moins onéreuse pour ses finances.
Monsieur Jean-Yves Y... soutient que Madame Sandrine X... ne peut alléguer un appauvrissement sans cause puisqu'elle était cô-empruntrice. Il ajoute que sa contribution au paiement des emprunts ne revêt pas un caractère excessif puisque Madame Sandrine X... n'a pas réglé de loyer, ce qui lui aurait occasionné une dépense de 81 200€. Il ajoute que ses revenus étant supérieurs à ceux de Madame Sandrine X..., le chiffrage de 58 826€ opéré par Madame Sandrine X... comme représentant sa participation au remboursement de l'emprunt ne correspond pas à la réalité.
Pour débouter Madame Sandrine X... de sa demande au titre de l'enrichissement sans cause, le juge aux affaires familiales a relevé que Madame Sandrine X... ne rapportait pas la preuve qu'elle avait réglé la moitié de l'emprunt, d'autant qu'il apparaissait que les revenus de son concubin étaient de 1500€ au minimum alors que les siens n'atteignaient pas 1000€; que par ailleurs dans la mesure où elle était hébergée gratuitement, sa participation au paiement n'excédait pas sa participation normale aux dépenses de la vie commune.
Madame Sandrine X... fonde sa demande sur l'enrichissement sans cause au visa de l'article 1371 du code civil dans sa version applicable au litige.
L'action fondée sur l'enrichissement sans cause est recevable dès lors que celui qui l'intente allègue l'avantage qu'il aurait, par un sacrifice personnel ou par un fait personnel, procuré à autrui.
Il est établi que Monsieur Jean-Yves Y... a reçu en donation partage un terrain dont la valeur estimée en 1997 était de 15 245 €, que les concubins ont souscrit 3 prêts représentant un coût total intérêts et capital de 165 000€ pour l'édification de la maison.
Les parties divergent sur la valeur actuelle de l'immeuble, Monsieur Jean-Yves Y... présentant une évaluation d'un montant de 300 000€, dont 170 000€ pour la construction tandis que Madame Sandrine X... soutient au vu d'évaluations d'origines différentes qu'elle s'établit entre 390 000 € et 400 000€.
Il n'est pas contesté que Madame Sandrine X... a participé au financement du remboursement de l'emprunt à l'aide de son salaire versé sur le compte joint, sur lequel était prélevé la mensualité d'emprunt s'élevant à 718,06€, jusqu'en juin 2014, date à laquelle elle s'est désolidarisée du compte joint.
Il résulte des pièces versées par les parties que le salaire de Madame Sandrine X... hôtesse de caisse s'élevait à moins de 1000€ (936,50€ net) et que celui de Monsieur Jean-Yves Y... se situait aux alentours de 1500€, soit 1,5 fois celui de sa compagne et non 1100€ comme le soutient Madame Sandrine X... , qui se base sur le salaire de décembre 2014 qui n'est pas représentatif de la situation de Monsieur Jean-Yves Y... sur la période considérée.
Madame Sandrine X... soutient que les prestations familiales qu'elle percevait ont également servi au remboursement de l'emprunt, sans pour autant le démontrer, s'agissant de sommes destinées à l'entretien des enfants et qui de toute façon concernaient les deux parents en charge des enfants.
Cependant , au regard de ces éléments qui ne dénotent pas une disparité de salaire conséquente, il convient de considérer que Madame Sandrine X... a participé pour 50% au remboursement de l'emprunt contracté pour l'édification de la maison familiale sur le terrain appartenant en propre à Monsieur Jean-Yves Y..., soit 718, 06€/2( 359€).
Il résulte de cette participation au remboursement de l'emprunt un enrichissement du patrimoine du Monsieur Jean-Yves Y... et un appauvrissement de Madame Sandrine X... .
L'action au titre de l'enrichissement sans cause n'est admise qu'en cas d'absence de cause à l'enrichissement de l'un et à l'appauvrissement de l'autre.
Le fait que Madame Sandrine X... soit cô-emprunteur ne constitue pas une cause de l'enrichissement du patrimoine de Monsieur Jean-Yves Y... , contrairement à ce qu'il indique.
La preuve d'une intention libérale de la part de Madame Sandrine X... n'est pas non plus établie par Monsieur Jean-Yves Y....
Lorsque la contribution matérielle ou financière d'un concubin excède sa contribution normale aux charges de la vie courante, la théorie de l'enrichissement sans cause peut trouver à s'appliquer.
La détermination du seuil de l'excès dans la participation aux charges de la vie commune est une question de fait qui ne peut qu'être laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond.
Le premier juge a considéré que la participation de Madame Sandrine X... au remboursement de la charge d'emprunt constituait la contrepartie de l'hébergement dont elle bénéficiait dans le cadre du concubinage.
Madame Sandrine X... soutient que le premier juge devait tenir compte de la plus value du bien de Monsieur Jean-Yves Y... qu'a permis le remboursement de l'emprunt auquel elle participé. Néanmoins, cette notion n'intervient pas au niveau de l'appréciation de la cause de l'enrichissement mais de l'évaluation du montant de l'enrichissement, dans le cadre de la fixation du montant de l'indemnité.
Il est relevé que la totalité du salaire de Madame Sandrine X... , soit 936,50€ était versé sur le compte joint et a servi aux dépenses de la famille, sans qu'il soit nécessaire de suivre Monsieur Jean-Yves Y... dans l'évaluation de la charge d'hébergement que Madame Sandrine X... aurait dû assumer si elle n'avait pas résidé au domicile familial. L'avantage dont bénéficiait Madame Sandrine X... au niveau du logement correspondait tout au plus à un demi- loyer et restait modique. Il en est déduit que sa participation de 359 € au remboursement de l'emprunt excédait une participation normale aux dépenses de la vie courante et ne pouvait être considérée comme une contrepartie des avantages dont elle bénéficiait pendant la période de concubinage.
En conséquence, il convient d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de Madame Sandrine X... fondée sur l'enrichissement sans cause.
- le montant de l'indemnité
L'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne tend à procurer à la personne appauvrie qu'une indemnité égale à la moins élevée des deux sommes représentatives, l'une de l'enrichissement, l'autre de l'appauvrissement.
Pour apprécier l'enrichissement le juge doit se placer au jour où l'action est intentée mais l'appauvrissement a pour mesure le montant nominal de la dépense exposée.
En l'espèce, Madame Sandrine X... a versé au titre du remboursement d'emprunt la somme 58 826,11€ sur les 165 000€ représentant le coût total du prêt.
Compte tenu d'une valeur de la construction au jour où l'action est intentée de 170 000€, l'enrichissement de Monsieur Jean-Yves Y... est supérieur au montant de l'appauvrissement de Madame Sandrine X... .
L'indemnité due à Madame Sandrine X... au titre de l'enrichissement sans cause s'établit à 58 826,11 €, avec intérêt au taux légal à compter de la décision.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée.
-sur les demandes reconventionnelles de Monsieur Jean-Yves Y...
Monsieur Jean-Yves Y... soutient que Madame Sandrine X... est redevable d'une indemnité d'occupation pour avoir occupé la maison pendant 16 ans sans contrepartie ainsi que pour la période de juin 2014 à septembre 2014, pendant laquelle elle a occupé seule l'ex domicile familial; que par ailleurs il a réglé seul l'intégralité des échéances de l'emprunt pour l'immeuble indivis situé à Baden depuis juillet 2014 jusqu'à la vente 18 mois plus tard, qu'il a réglé seul des charges courantes alors que Madame Sandrine X... occupait encore l'ex- domicile familial. En outre, il entend disposer à l'encontre de l'indivision d'une créance de 13 358€ au titre de sommes prêtées par sa famille entre le 21 mars 2012 et le 21 janvier 2013 pour lesquelles il produit la photocopie des chèques.
Concernant l'indemnité d'occupation réclamée entre 1997 et juin 2014, elle est dénuée de fondement, Madame Sandrine X... ayant participé normalement aux charges de la vie courante , dont son hébergement, durant la vie commune par le versement de son salaire sur le compte joint.
Pour le reste, Monsieur Jean-Yves Y... ne fait que reprendre devant la cour ses prétentions et moyens de première instance. En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que par des motifs pertinents qu'elle approuve, le premier juge a fait une exacte appréciation des faits et il convient en conséquence de confirmer la décision sur ces points.
Sur les frais et dépens
Eu égard au caractère familial du litige, chacune des parties supportera la charge de ses dépens d'appel. Aucune circonstance tirée de l'équité ne commande par ailleurs de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La demande formée à ce titre par Madame Sandrine X... sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme la décision entreprise concernant l'indemnité au titre de l'enrichissement sans cause.
Statuant à nouveau,
Condamne Monsieur Jean-Yves Y... à verser à Madame Sandrine X... la somme de 58.826, 11 € avec intérêts au taux légal à compter de la décision.
Ordonne la capitalisation des intérêts.
Déboute Monsieur Jean-Yves Y... de ses demandes au titre de l'indemnité d'occupation, de la prise en charge des échéances d'emprunt pour l'immeuble de CAMORS, des charges réglées pour l'immeuble de BADEN, des prêts à l'indivision.
Déboute les parties de toute autre demande.
Dit que chacune d'entre elles conservera à sa charge les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,