Huitième Chambre Prud'Hom
ARRÊT No530
R.G : 07/06045
POURVOI no95/2008 du 18/11/2008 Réf J 0845028
M. David X...
C/
S.A.R.L. GROUPE ARCHI URBA
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2008
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Monique BOIVIN, Président,
Madame Marie-Hélène L'HÉNORET, Conseiller,
Monsieur François PATTE, Conseiller,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Juin 2008
devant Madame Monique BOIVIN, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par l'un des magistrats ayant participé au délibéré, à l'audience du 18 Septembre 2008, date indiquée à l'issue des débats
****
APPELANT et intimé à titre incident :
Monsieur David X...
...
29000 QUIMPER
comparant en personne, assisté de Me Alain Z..., Avocat au Barreau de QUIMPER
INTIMEE et appelante à titre incident :
La S.A.R.L. GROUPE ARCHI URBA prise en la personne de ses représentants légaux
...
29000 QUIMPER
comparant en la personne de son Gérant, M. Jean-Jacques A..., assisté de Me Jean-Christophe B... substituant à l'audience Me Jean-Yves C..., Avocats au Barreau de QUIMPER
Monsieur David X... a été embauché le 12 Juillet 2004 par la Société GROUPE ARCHI URBA par contrat à durée indéterminée à effet au 14 Septembre 2004, en qualité de dessinateur projeteur coefficient 320.
Convoqué à un entretien préalable le 23 février 2006, avec prononcé d'une mise à pied immédiate, il a été licencié le 2 mars 2006 pour faute grave.
Contestant le bien fondé de son licenciement Monsieur X... a saisi le Conseil de Prud'hommes de QUIMPER qui par jugement du 27 septembre 2007 a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, a condamné la Société GROUPE ARCHI URBA à payer à Monsieur X...:
- 262,40 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.
- 583,96 euros à titre de salaires de mise à pied.
- 2 518,24 euros à titre d'indemnité de préavis.
- 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile.
Monsieur X... a interjeté appel.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Monsieur Daniel X... sollicite dans ses écritures développées à l'audience , auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la réformation du jugement , la condamnation de la Société GROUPE ARCHI URBA à lui verser :
- à titre de complément de salaires du 1er septembre 2004 au 23 février 2006 la somme de 2 652,66 euros.
- à titre de salaires de la mise à pied la somme de 666,80 euros.
- à titre d'heures supplémentaires la somme de 22 960 euros, sous déduction des heures déjà payées.
- à titre d'indemnité de préavis la somme de 3 574,55 euros.
- à titre d'indemnité de licenciement la somme de 372,47 euros.
- à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive la somme de 10 000 euros.
- 750 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile.
Au soutien de son appel il fait valoir pour l'essentiel que :
- il n'a pas détourné le matériel de l'employeur, ni utilisé le logiciel de l'entreprise à des fins personnelles sur son temps de travail.
- ainsi le dossier D... a été créé en 2001 bien avant son embauche et les dates de mise à jour qui apparaissent sur le fichier ont pu être modifiées et datées par pure convenance, selon une procédure qu'il décrit lui-même dans ses pièces.
- les pièces produites par le cabinet GROUPE ARCHI URBA résultent de manoeuvres déloyales : ainsi il produit des documents de juillet 2006 annexés à des mails de juillet 2005.
- il n'a jamais utilisé le cartouche de la Société GROUPE ARCHI URBA, pas plus que le cartouche SOBRETEC, autant d'éléments qui démontrent que l'employeur utilise tous les subterfuges pour travestir la vérité.
- il ne peut lui être reproché d'avoir rendu des services personnels à des amis ou des parents; il a toujours exécuté son contrat de bonne foi.
- les malfaçons reprochées sont des griefs imprécis, non circonstanciés que la Cour ne peut vérifier; en outre la Société GROUPE ARCHI URBA ne peut reprocher à Monsieur X... des fautes qui n'ont jamais été évoquées avant le licenciement.
- l'activité parallèle présentée comme intense qui lui est reprochée ne peut s'induire de réponses à des appels téléphoniques.
- à l'audience il soutient que le licenciement lui a été notifié le jour de l'entretien préalable.
Il demande :
-d'une part un rappel de salaire sur la base du coefficient 370, ses diplômes justifient l'application d'un tel coefficient ; il n'effectuait pas que des tâches subalternes,
-d'autre part le paiement d'heures supplémentaires; il travaillait le samedi, quelque fois le week-end, même la nuit en cas de participation à un concours d'architectes.
La SARL GROUPE ARCHI URBA dans ses écritures reprises à la barre sollicite la réformation du jugement en ce qu'il a requalifié la rupture du contrat en licenciement sans cause réelle ni sérieuse, le débouté des demandes de Monsieur X..., la confirmation sur les demandes de complément de salaires et heures supplémentaires et sollicite une indemnité de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle réplique que Monsieur X... :
- n'hésitait pas à s'occuper de dossiers purement personnels ou familiaux pendant son temps de travail en utilisant le matériel mis à sa disposition (C.V. de sa concubine-correspondances relatives à la vente de son véhicule-travaux d'ordre personnel).
- a développé une véritable activité parallèle à celle de son employeur, sans autorisation de l'employeur(dossier BOUDIER, E...
F... JACOB).
- a utilisé des cartouches de l'entreprise , et des cartouches SOBRETEC.
- postérieurement au licenciement , il a continué à entretenir la confusion entre lui et la Société.
- a fait un usage intempestif de son portable personnel, ce qui perturbait le fonctionnement du cabinet.
- a imposé au cabinet la présence de son chien, notamment en l'absence de Monsieur A..., malgré les remarques déjà formulées.
- plusieurs malfaçons ont été relevées en janvier 2006.
- Monsieur X... ne justifie pas de l'exécution d'heures supplémentaires, à la demande de l'employeur; en toute hypothèse les heures qu'il aurait pu faire pour rattraper son retard, du fait de l'exécution de travaux personnels, ne peuvent être retenues au titre des heures supplémentaires ; le week-end il a pu travailler mais sur ses dossiers personnels.
- la définition contractuelle de ses fonctions impliquait des initiatives réduites ; il ne peut prétendre au coefficient 370 ;
DISCUSSION
- Sur le licenciement
Attendu que la lettre de convocation à l'entretien préalable du 23 février 2006 reçue en mains propres, contenait notification de la mise à pied conservatoire; que la lettre de licenciement, datée du 2 mars 2006, jour de l'entretien préalable, a été adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, toutefois l'attestation du Conseiller du salarié ne suffit pas à établir que Monsieur X... aurait fait l'objet d'un licenciement immédiat, ce qui n'est pas soutenu dans les écritures;
Attendu que la lettre de licenciement qui fixe les limites et ainsi rédigée:
"Cette décision est motivée par les agissements constitutifs d'une faute grave que nous avons à déplorer de votre part et qui compromettent l'organisation et la bonne marche de la société.
Vous avez en effet détourné le matériel à notre société pour vous livrer pendant vos heures de travail à des travaux personnels ( maison JACOB, dossier ASPI, estimation de travaux pour la restructuration d'une habitation, dossier RICHARDSON, chantier Gaël D..., dossier X..., réalisation de portail, dossier G... Vera, dossier FRED, dossier d'assurance...).
Vous commettez en outre de nombreuses malfaçons et carences dans l'exécution des travaux que nous vous confions, jetant le discrédit sur la réputation et le sérieux de notre cabinet auprès des administrations mais également des maîtres d'ouvrage.
A titre d'exemple, notamment:
Pour le dossier JAN de QUIMPER, la ville de QUIMPER a dû nous demander de revoir les calculs des surfaces que vous aviez réalisés ceux-ci ne correspondant pas aux plans.
Pour le dossier Manoir des Indes de QUIMPER, notre cabinet a été convoqué suite aux erreurs que vous aviez commises dans le calcul des surfaces.
Dans le dossier Ecole la Croix Rouge de BREST , j'ai dû relever une erreur manifeste de calage du projet entre la visite sur place, les photos et le plan géomètre.
Nous constatons de façon répétitive que vous produisez un travail qui ne bénéficie pas d'une rigueur et d'une qualité que nous devrions être en mesure d'attendre, au vu de votre formation et après un délai d'exercice de votre fonction de18 mois.
Cette situation est d'autant plus inadmissible que vous vous livrez pendant votre temps de travail à des occupations personnelles.
Vous persistez en outre, malgré mes nombreuses observations, à perturber par votre comportement la bonne marche d le'agence, répondant de façon systématique à vos nombreux appels personnels et ce à tout moment que vous soyez ou non en rendez-vous clients. Ainsi lors de la réunion de chantier du 21 février à l'école Saint Sébastien, vous avez reçu et répondu à 3 appels téléphoniques personnels interrompant à chaque fois l'entretien avec le maître d'ouvrage. Vous continuez également à accueillir, malgré mes ordres, votre chien à l'agence lequel dort sur les tirages, les calques et ce même en présence de clients.
Compte tenu de l'ensemble des faits qui vous est reproché, la poursuite de votre contrat de travail est impossible.
La rupture de votre contrat prendra donc effet immédiatement."
-détournement du matériel de la société pour se livrer à des travaux personnels sur les heures de travail.
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que Monsieur
X... a réalisé avec le matériel informatique mis à sa disposition dans l'entreprise divers travaux personnels tels que:
- le curriculum vitae de sa concubine, la construction d'un dossier complet "G... Vera".
- correspondance par mails adressés à son nom pour la vente de son véhicule personnel.
- réalisation des plans de l'appartement de son frère (juillet 2005).
- réalisation d'un portail pour la propriété de ses parents (fenêtre texte AUTOCAD LT).
- dossier BOUDIER projet d'aménagement d'une habitation individuelle pour une personne qui n'est pas cliente de la société.
- dossier SOHIER-coupes de maison et plans de fondations pour la propriété de Monsieur D..., qui n'est pas client du cabinet GROUPE ARCHI URBA; à cet effet si l'ouverture du fichier est antérieure à l'embauche de Monsieur X..., c'est ce dernier qui l'a ensuite exploité (mises à jour les 15 juin et 20 juillet 2005), a porté indication de son nom en qualité d'architecte, et ce à l'insu de son employeur; la manipulation des dates alléguées par Monsieur X..., mais non avérée, ne peut être retenue.
- estimation de travaux sur une maison à QUIMPER signée par Monsieur X... le 25 novembre 2005, sans autorisation du cabinet GROUPE ARCHI URBA.
- dossiers créés au nom de "David", dossier qui ne correspond à aucun dossier traité par le cabinet;
Que sauf à soutenir que Monsieur X... aurait ramené à son domicile le matériel du cabinet pour travailler sur des dossiers personnels, et qui aurait néanmoins un caractère fautif il est établi que Monsieur X... a effectivement réalisé des travaux personnels, au temps et au lieu du travail, sur le matériel de son employeur;
Attendu que si le fait d'établir un C.V. pour sa concubine peut apparaître dérisoire, les travaux sus-évoqués, même pour le compte de membres de sa famille et à fortiori des clients personnels, de manière habituelle, durant le temps de travail sont de nature à nuire aux intérêts de l'entreprise; que Monsieur X... a contrevenu à son obligation d'exécution loyale de son contrat de travail, et l'absence de clause d'exclusivité invoquée par le salarié est inopérante;
Que ce seul grief est constitutif de la faute grave qui rend impossible la poursuite de la relation contractuelle même pendant l'exécution du préavis, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs;
Sur la requalification
Attendu que le coefficient 320 de la convention collective des architectes est ainsi défini:
" Les salariés réalisent et organisent, sous contrôle de bonne fin, les travaux de leur spécialité à partir de directives générales. Leur activité s'exerce dans le cadre d'une autonomie définie régulièrement.
Ils sont , dans cette limite, responsables de leurs travaux.
Les emplois de cette position comportent des travaux nécessitant des initiatives réelles adaptées aux missions confiées et des connaissances maîtrisées du métier acquise par:
- diplôme de niveau II de l'éducation nationale
- des formations continues ou autres
- et/ou une expérience professionnelle acquise aux positions précédentes."
Que le coefficient 370 est ainsi défini:
" Les salariés réalisent et organisent, sous la condition d'en rendre compte à leur direction, des missions à partir de directives générales.
Leur activité s'exerce dans le cadre d'une autonomie définie ponctuellement.
Ils sont, dans cette limite, responsables de l'accomplissement d leurs missions.
Les emplois de ce niveau comportent des missions nécessitant, d'une part, la maîtrise des outils nécessaires à leur réalisation, d'autre part, la capacité à analyser les contraintes liées à leur activité acquise par :
- diplôme de niveau II ou de niveau I de l'éducation nationale;
- des formations continues ou autres
- et/ ou une expérience professionnelle acquise aux positions précédentes."
Attendu que la définition contractuelle du poste de Monsieur X... article 3 est ainsi rédigé:
" -établir les plans de détail d'exécution complets en respectant les directives des architectes.
- fournir des éléments en vue de la rédaction des devis descriptifs.
- assurer la rédaction des dossiers techniques
- assurer le suivi de l'exécution de travaux étant observé que " Monsieur X... s'engage à observer l'ensemble des ordres et consignes qui pourront lui être données dans l'exercice de ses fonctions";
Que cette définition de poste qui implique des initiatives réduites s'oppose à la notion d'autonomie du coefficient 370;
Qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris de ce chef;
Sur les heures supplémentaires
Attendu que par application des dispositions de l'article L.212.1.1 du Code du travail, alors applicable, en cas de litige relatif à l'existence d'heures supplémentaires l'employeur doit fournir au Juge les éléments de nature à justifier les heures réalisées par le salarié, ce dernier doit fournir au Juge des éléments de nature à étayer sa demande ;
Que force est de constater :
-que les carnets portant calcul des heures supplémentaires ont été établis pour les besoins de la procédure.
-les feuillets d'impression d'écran intitulé "recherche d'heures" sont inexploitables, sans analyse et possibilité de recoupement des informations avec d'autres pièces sauf à relever que nombreuses fiches mentionnent des horaires normaux de travail,
* que mis à pied le 23 février 2006 il n'a pu travailler sur le dossier MANOIR DES INDES DE QUIMPER le 3 mai suivant,
* que Monsieur X... n'a jamais travaillé sur les dossiers EFS CRETEIL (11 fichiers).
* que le caractère probant de ces pièces doit être sérieusement remis en question , dans la mesure où Monsieur X... lui-même dans ses propres écritures n'hésite pas à soutenir que son employeur se livrait à des "bidouillages informatiques" et verse aux débats le mode d'emploi à utiliser, ce qui ôte toute crédibilité aux fiches qu'il verse aux débats;
- Monsieur X... avait indiqué être présent le 24 octobre 2005 sur le Stand International Batimat qui s'est tenu du 7 au 12 novembre ;
- les attestations versées aux débats ne sont pas de nature à établir la réalité, le nombre des heures supplémentaires effectuées au delà de celles qui ont été rémunérées;
Attendu qu'en outre il n'est pas possible au vu des éléments fournis de différencier les heures consacrées par Monsieur X... à ses occupations personnelles, qui ne peuvent être considérées comme des heures supplémentaires, du temps effectif de travail, au service de l'entreprise;
Qu'il convient en conséquence de débouter Monsieur X... de sa demande d'heures supplémentaires ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la Société GROUPE ARCHI URBA la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
- Infirme le jugement du 27 Septembre 2007 en ce qu'il a requalifié la rupture du contrat en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
- Dit que Monsieur David X... a été licencié pour faute grave.
- Confirme le jugement sur la demande de requalification et heures supplémentaires.
- Déboute Monsieur David X... de toutes ses demandes.
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure Civile.
- Condamne Monsieur David X... aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,