Cinquième Chamb Prud'Hom
ARRÊT No307
R.G : 06/08508
S.A.S. VGE
C/
M. Philippe X...
POURVOI No 49/08 DU 25.07.08
Réf Cour Cassation:
G0843624
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 MAI 2008
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Louis-Marc PLOUX, Président de Chambre,
Madame Simone CITRAY, Conseiller,
Madame Catherine LEGEARD, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Guyonne DANIELLOU, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 Novembre 2007
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par l'un des magistrats ayant participé au délibéré, à l'audience publique du 27 Mai 2008; date indiquée à l'issue des débats:
22 janvier 2008.
****
APPELANTE :
S.A.S. VGE (VEHICULES GENERAUX D'ENTREPRISE)
ZI de la Fosse
14 Chemin du Mont Solau
62220 CARVIN
représentée par Me Etienne ROSENTHAL, avocat au barreau de NANTES
INTIME :
Monsieur Philippe X...
...
35480 MESSAC
comparant en personne, assisté de Me Laurent Z..., avocat au barreau de RENNES
--------------------
Après avoir travaillé en qualité de chauffeur de poids lourds au
service de la Sté Véhicules Généraux d'entreprise ( VGE) du 15 septembre 1999 au 18 juillet 2003, date à laquelle il a démissionné de ses fonctions, M. X... a, le 25 juillet 2005, saisi le Conseil de Prud'hommes de RENNES de demandes à caractère salarial( rappel d' heures supplémentaires de primes etc..) auxquelles cette juridiction a fait droit par décision du 1er décembre 2006 en condamnant son employeur à lui verser les sommes de :
- 47 808,52 € au titre des heures supplémentaires.
- 270,40 € au titre du rappel de primes
- 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
en ordonnant la liquidation à la somme de 9 720 € de l'astreinte assortissant la remise par l'employeur des disques chronotachygraphes pour toute la période travaillée prononcée par le bureau de conciliation, et en précisant que ces sommes devaient être compensées avec le trop perçu par le salarié au titre de ses congés payés, soit 817,38 €.
Relevant régulièrement appel de ce jugement le 21 décembre 2006, la Sté VGE fait observer devant la Cour:
- que la demande en liquidation d'astreinte du salarié doit être rejetée au motif qu'il est justifié que celui-ci avait parfaitement pu, de même que ses collègues de travail, prendre copie de ses disques et relevés d'activité, qu'il n'a jamais réclamé ceux-ci pendant l'exécution de son contrat de travail puis depuis sa démission.
- que le 26 avril 2007, elle a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour faux et usage de faux contre toute personne ayant concouru et participé aux manoeuvres de M. A... dont le témoignage et l'inventaire du mobilier de l'entreprise avant cession de l'établissement de LIEURON à la Sté AXIS LOGISTICS. selon lesquels
- les cartons contenant les disques des chauffeurs de janvier 2000 à décembre 2003 se trouvaient bien à LIEURON et n'avaient donc pas été détruits dans l'incendie dans la Cour de CARVIN le 6 janvier 2004) auraient été déterminants dans l'appréciation du litige par les premiers Juges , de même que par la Cour d'appel saisie de procédures semblables sont tout à fait contestables puisqu'elle estime que ce sont des faux.
- qu'elle sollicite dans ces conditions le sursis à statuer tant que la plainte avec constitution de partie civile n'aura pas été définitivement jugée.
- que dans la mesure où il est impensable que la Cour puisse se référer à l'avis de M. B..., qui a eu la mission de lire les disques d'un salarié M. C... sur la période de juin à décembre 2001 et d'en tirer un rapport au profit de chacun des salariés sur toutes les années antérieures à la cessation nonobstant l'activité autonome de ces chauffeurs, pour extrapoler ses conclusions d'un salarié à l'autre, elle est fondée à solliciter une expertise judiciaire.
- que compte tenu qu'elle persiste à soutenir que les disques des chauffeurs qui ont été transférés à CARVIN ont nécessairement péri dans l'incendie qui a ravagé cet établissement le 6 janvier 2004, elle est fondée dans son argumentation selon laquelle n'ayant pas été matériellement en mesure de satisfaire à injonction du bureau de conciliation, elle ne saurait être condamnée au paiement de l'astreinte.
- qu'elle réclame enfin la condamnation du salarié à lui verser une indemnité de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
En réponse, M. X... fait valoir:
- qu'il maintient que les disques chronotachygraphes des chauffeurs de l'entreprise sont restés à LIEURON, dépôt d'où ils partaient et s'interroge sur la validité de la pièce consistant en la copie du fax de l'inventaire de M. A... (différent de celui qu'il verse au dossier), que l'employeur a produite 18 mois après la saisine du Conseil de Prud'hommes.
- qu'au soutien de ses dires, il verse au dossier un courrier de l'employeur du 13 juillet 2004 aux termes duquel celui-ci transmet à un autre chauffeur , ses disques pour la période du 23 juin 2003 au 16 juin 2004 dont une partie est antérieure à l'incendie ainsi que l'attestation de M. D..., responsable de l'agence de LIEURON de 1998 à janvier 2005 qui précise , qu'avant novembre 2004 tous les disques des chauffeurs étaient sur place, et au courrier de M. E..., responsable de la Sté VGE qui déclare en août 2004 qu'il procédera à une analyse des disques de l'année 2003 et effectuera la régularisation correspondante.
- qu'il précise que la Sté VGE ne fournit d'ailleurs pas les disques pour la période postérieure à l'incendie sans en justifier le motif
- que , rejetant la demande de sursis à statuer, la Cor liquidera l'astreinte à la somme de 10 410 € jusqu'à l'audience d'appel du 13 novembre 2007.
- que l'employeur qui est tenu de fournir tous les disques, ne déférant pas à cette obligation, il convient de reprendre pour la détermination de ses horaires de travail:
- les éléments concernant le décompte des droits de M. C..., collègue de travail, qui a pu faire les copies de ses disques pour la période de juin à décembre 2001, et dont le temps de travail a été décompté par M. B... , spécialiste du transport routier, au terme d'une analyse très sérieuse.
- les attestations de salariés qui sont produites au dossier ( et notamment celle de Mme F..., assistante administrative qui n'a fait l'objet d'aucune contestation).
- l'analyse de l'inspection du travail qui dans le cadre du dossier d'un autre chauffeur M. G..., a procédé à l'analyse des disques de celui-ci pour le mois d'octobre 2003, et en a tiré des conclusions éloquentes quant à l'amplitude horaire de travail des chauffeurs.
- que les critiques formulées par la Sté VGE à l'encontre des conclusions de M. B... sont d'autant plus inconsistantes qu'elle ne donne quant à elle aucun élément de calcul permettant de les contredire, notamment par une comparaison chiffrée, alors qu'en toute vraisemblance, elle dispose des données pour le faire.
Il sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à porter la liquidation de l'astreinte à la somme de 10 410 € et à condamner la Sté VGE à lui verser une indemnité de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties , la cour déclare se référer expressément aux écritures que celles-ci ont prises et développées oralement devant elle.
DISCUSSION
Sur la demande de sursis à statuer
Considérant que soutenant que les disques chronotochygraphes de l'ensemble des chauffeurs de la Société ont disparu lors de l'incendie des bâtiments administratifs de CARVIN (62) où ils étaient entreposés, l'employeur a déposé plainte avec constitution de partie civile contre X
pour faux et usage de faux, arguant de faux:
- l'inventaire établi le 22 juin 2005 par M. A..., responsable de l'agence de LIEURON du 21 mars au 30 juin 2005 selon lequel dans la salle des archives de l'établissement, étaient entreposés 351 cartons contenant notamment les disques des chauffeurs de janvier 2000 à décembre 2003 et le cumul d'heures des chauffeurs.
- l'attestation de ce même salarié en date du 14 septembre 2005 selon laquelle il confirme avoir constaté la présence des disques ci-dessus visés jusqu'à ce qu'il quitte son emploi dans l'entreprise le 30 juin 2005.
Considérant que compte tenu que les demandes formulées par les salariés seraient indiscutablement susceptibles d'être invalidées à l'issue de l'information pénale et qu'elle serait alors fondée à arguer de la force majeure pour justifier la non production des disques détruits dans l'incendie à CARVIN, l' employeur sollicite qu'il soit sursis à statuer dans l'attente d'une décision de justice définitive suite à la plainte qu'elle a déposée.
Considérant qu'après avoir remarqué que cette procédure pénale n'a été initiée par l'appelante que le 27 avril 2007, soit plus de 2 ans après l'établissement de l'inventaire et plus de 18 mois après la rédaction de l'attestation de M. A..., la Cour dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer pour les motifs suivants:
- L'employeur a, à la demande de M. H... , un de ses chauffeurs, adressé de LIEURON à ce dernier les disques pour la période du 23 juin 2003 au 16 juin 2004 pour 6 mois antérieurs à l'incendie.
o dans une attestation non sérieusement contestée M. D... , responsable de l'agence de LIEURON de 1998 à janvier 2005, précise qu'avant novembre 2004, date à laquelle M. E... P.D.G. de la Sté VGE est venu prendre plusieurs boites d'archives, tous les disques des chauffeurs de LIEURON étaient sur place.
- L'employeur ne fournit pas davantage les disques pour la période postérieure à l'incendie , de janvier 2004 à juin 2005, sans fournir d'explication sérieuse à cette carence.
Sur la liquidation de l'astreinte
Considérant que faisant application des dispositions de l'article 36 de la loi du 9 juillet 1991, la Cour dit y avoir lieu de liquider l'astreinte fixée par le bureau de conciliation du Conseil de Prud'hommes à la somme de 6 710
€ jusqu'au jour de l'audience d'appel.
Sur la demande d'expertise judiciaire
Considérant que force est de constater que, l'employeur ne produit aucun élément concernant le temps de travail de son salarié puisque ne sont versées au dossier ni disque controlotachygraphe, ni feuilles de route, ni relevés d'heures; qu'il ressort des pièces de la procédure, et notamment des imprécisions du constat d'huissier établi après l'incendie survenu en janvier 2004 à CARVIN et des quelques éléments développés ci-dessus, que preuve n'est pas rapportée de l'impossibilité devant laquelle l'employeur s'est trouvé de communiquer de tels documents; qu'il convient dès lors de rejeter la demande d'expertise judiciaire qu'il formule, compte tenu que cette mesure ne saurait pourvoir à la carence de l'entreprise dans l'administration de la preuve.
Sur les demandes de M. X...
Considérant que s'il résulte des dispositions de l'article L 212-1 -1 du Code du travail qu'en cas de litige sur le nombre d'heures de travail effectuées par un salarié, la preuve de ce nombre d'heures n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au Juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par les salariés, il n'en demeure pas moins qu'il appartient à celui-ci de fournir préalablement ai Juge les éléments de nature à étayer sa demande.
Considérant qu'en l'espèce seul M. X... verse au dossier quelques pièces à savoir:
- les copies des disques d'un ancien salarié M. C..., afférents à la période de juin à décembre 2001 dont l'étude a été réalisée par M. B..., délégué syndical spécialiste du transport routier.
- une attestation de Mme I... , assistance administrative de l'employeur qui précise que les salariés ne recevaient pas de relevés d'heures avec leurs fiches de paye, puisqu'elle n'avait pas l'autorisation de ses supérieurs hiérarchiques de les joindre aux bulletins de salaire alors pourtant que ces documents étaient édités et lui servaient de support pour l'attribution des frais de repas, et qui souligne que lors de l'analyse des fiches de paie des chauffeurs , on pouvait voir que le montant des frais et des primes avait été revu à la baisse.
- des témoignages de chauffeurs qui précisent que, de la même manière que tous les autres conducteurs routiers, ils effectuaient parfois des journées de travail de 15 heures et que dans le mois, leurs horaires de travail oscillaient entre 250 et 280 heures en moyenne.
- un courrier de l'inspection du travail qui a procédé à l'analyse des disques d'octobre 2003 d'un salarié qui aurait effectivement réalisé 259 heures de travail pendant cette période, ce qui corrobore les déclarations des salariés et les conclusions de M. B... qui a retenu dans son analyse une moyenne de 58,484 heures pour les années 2000 à 2003.
Considérant que l'employeur qui se borne à solliciter une expertise judiciaire sans contester sérieusement les pièces produites, notamment les disques de M. C..., sans préciser que les autres chauffeurs n'auraient pas la même charge de travail ou qu'une modification importante de leurs conditions de travail serait intervenue, ne fournit aucun embryon de décompte des heures de travail alors que l'accomplissement d'heures supplémentaires est patent.
Considérant que cette attitude taisante, voire dissimulatrice adoptée pendant l'exécution de la relation de travail par l'employeur si l'on se réfère à l'attestation non contestée de Mme I... ci-dessus évoquée, incline la Cour à faire droit aux demandes de M. X... et à confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions à partir des éléments fournis par le salarié, même si ceux-ci présentent, vu les circonstances imputables à l'employeur, un caractère nécessairement imparfait.
Considérant que déboutée de sa demande d'indemnité pour frais non répétibles d'appel, la Société VGE devra verser à M. X... une somme de 1 000 euros à ce titre qui viendra s"ajouter à celle allouée par les Premiers Juges.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement , par arrêt contradictoire,
- Confirme le jugement déféré, sauf à voir fixer à nouveau le montant de la liquidation de l'astreinte jusqu'à l'audience d'appel.
- Statuant à nouveau sur cette liquidation de l'astreinte, la fixe à la somme de 6 710 euros jusqu'à l'audience d'appel.
- Déboute la Société VGE de ses demandes et la condamne à verser à Monsieur X... une somme de 1 000 euros qui viendra s'ajouter à celle allouée en première instance.
- Condamne la Société VGE aux dépens.
Le Greffier, Le Président,