Deuxième Chambre Comm.
ARRÊT No
R.G : 06/06481
S.A.R.L. GRANIMOND
M. Marc X...
C/
S.A. O.G.F.
VILLE DE QUIMPER
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2007
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves LE GUILLANTON, Président,
Madame Françoise COCCHIELLO, conseiller,
Madame Véronique BOISSELET, Conseiller, entendu en son rapport,
GREFFIER :
Madame Béatrice FOURNIER, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Septembre 2007
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé par Monsieur Yves LE GUILLANTON, Président, à l'audience publique du 06 Novembre 2007, date indiquée à l'issue des débats.
****
APPELANTS :
S.A.R.L. GRANIMOND
24, place Théodore Paqué
57500 ST AVOLD
représentée par la SCP D'ABOVILLE DE MONCUIT SAINT-HILAIRE & LE CALLONNEC, avoués
assistée de Me BOLIMOWSKI, avocat
Monsieur Marc X...
24 place Théodore Paqué
57500 ST AVOLD
représenté par la SCP D'ABOVILLE DE MONCUIT SAINT-HILAIRE & LE CALLONNEC, avoués
assisté de Me BOLIMOWSKI, avocat
INTIMÉES :
S.A. O.G.F.
31, rue de Cambrai
75019 PARIS
représentée par la SCP BAZILLE J.J. & GENICON S., avoués
assistée de Me CABINET GIDE LOYRETTE NOUEL, avocat
VILLE DE QUIMPER
Hôtel de Ville
44, place Saint Corentin
29107 QUIMPER
défaillante, régulièrement assignée le 6 février 2007
FAITS ET PROCÉDURE :
Marc X... a acquis ou déposé entre 1989 et 1992 plusieurs modèles de monuments cinéraires, dont il en a confié l'exploitation à la société Granimond dont il est le gérant.
Estimant que les Pompes Funèbres Générales, soit la société OGF, copiaient ses modèles, Marc X... et la société Granimond l'ont assignée en contrefaçon et concurrence déloyale devant le tribunal de Grande Instance de Quimper.
Par jugement du 19 septembre 2006, le tribunal a :
•déclaré recevables les demandes de Marc X...,
•déclaré la société Granimond recevable à agir sur le fondement du droit d'auteur et irrecevable en ses demandes fondées sur la législation des dessins et modèles déposés,
•dit que les modèles publiés sous les numéros 275 411, 277 406 et 407, et 330 705 ne relèvent pas de la protection prévue par les articles L.111-1 et suivants et L.511-1 du Code de la propriété intellectuelle,
•annulé en conséquence ces modèles en application de l'article 512-4 a) du Code de la propriété intellectuelle,
•ordonné la publication du jugement dans cinq journaux au choix d'OGF, aux frais solidaires de Marc X... et de la société Granimond dans la limite de 3 000 € par publication,
•condamné Marc X... et la société Granimond à payer à la société OGF la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
La société Granimond et Marc X... en ont relevé appel le 5 octobre 2006.
Par conclusions du 21 septembre 2007, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de leur argumentation, ils demandent :
•que le jugement soit annulé pour avoir statué ultra petita en prononçant la nullité des modèles 275411, et 330705,
•qu'il soit jugé que les modèles litigieux sont parfaitement éligibles à la protection prévue par le Code de la propriété intellectuelle,
•que les columbariums similaires commercialisés par la société OGF soient jugés constituer des contrefaçons,
•qu'il soit jugé que la société OGF a adopté un comportement déloyal et parasitaire engageant sa responsabilité à l'égard de Marc X... et de la société Granimond,
•qu'il soit fait interdiction à la société OGF de fabriquer ou commercialiser ces modèles, sous astreinte de 4 000 € par infraction constatée,
•qu'il soit ordonné à la société OGF de retirer de son site internet et de tout support publicitaire sous astreinte de 5.000 € par jour de retard après signification les modèles litigieux,
•que la société OGF soit condamnée à payer à Marc X... la somme de 200 000 € en réparation de l'atteinte à son droit moral et patrimonial, et subsidiairement, en ce qui concerne la contrefaçon commise à Quimper, à payer à la société Granimond la somme de 20 000 € au même titre,
•que la société OGF soit condamnée à payer, en réparation des actes de concurrence déloyale, la somme de 75 000 € à Marc X..., et une provision de 150 000 € à la société Granimond, une expertise étant ordonnée pour chiffrer le préjudice exact de ce chef,
•dire que les condamnations prononcées porteront intérêt au taux légal à compter de l'assignation, avec capitalisation selon l'article 1154 du Code civil,
•dire que l'arrêt sera publié dans cinq journaux au choix de la société Granimond aux frais d'OGF, dans la limite de 5.000 € par insertion,
•que leur soit allouée une indemnité de procédure de 30 000 €.
Par conclusions du 25 septembre 2007, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, la société OGF demande :
•que la demande d'annulation du jugement soit jugée irrecevable, en application de l'article 464 du Nouveau Code de procédure civile, et subsidiairement mal fondée, en application de l'article 12 du même code,
•que l'action intéressant le modèle 277 407 soit déclarée irrecevable faute de qualité d'auteur de Marc X... et en raison de l'existence d'un modèle antérieur identique, le jugement étant confirmé sur l'irrecevabilité opposée à Granimond faute d'inscription à l'INPI de son contrat de licence,
•que l'action en concurrence déloyale introduite par Marc X... est irrecevable, puisque portant sur des faits subis par un tiers, ainsi que celle initiée par la société Granimond puisque portant sur des faits identiques à ceux dénoncés au titre de la contrefaçon,
•que le jugement soit confirmé sur la nullité des modèles,
•subsidiairement, que la portée de la protection des modèles 277 407 et 406, et 330 705, soit limitée à leurs éléments nouveaux,
•que l'action en contrefaçon soit rejetée en raison des différence affectant les colombariums de la société OGF,
•que l'action au titre de la concurrence déloyale soit également rejetée,
•que soit accueillie sa demande reconventionnelle au titre de la réparation du préjudice causé par la campagne de dénigrement initiée par Marc X... et Granimond auprès des collectivités locales, et lui soit en conséquence allouée la somme de 60 000 € à titre de dommages et intérêts,
•que lui soit allouée la somme de 60 000 € pour procédure abusive,
•que la publication de l'arrêt à intervenir soit ordonnée dans cinq journaux choisis par OGF, aux frais solidaires de Marc X... et de la société Granimond, dans la limite de 5 000 € par publication,
•que leur soit allouée la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
SUR QUOI, LA COUR :
Sur la demande d'annulation du jugement :
L'effet dévolutif de l'appel a pour effet de saisir la cour de l'entier litige, et lui permet, le cas échéant, de censurer des dispositions qui ne se rattacheraient pas à une demande formulée par l'une ou l'autre des parties, sans qu'il y ait lieu pour autant à annulation de la décision déférée.
Le tribunal tenant par ailleurs de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile le pouvoir de restituer à une demande sa véritable qualification juridique, c'est à juste titre qu'alors qu'il leur était demandé d'annuler les modèles 277 406 et 407, et de dire que tous les autres modèles invoqués par les requérants n'étaient pas non plus protégeables, les premiers juges ont considéré qu'ils étaient saisis d'une demande d'annulation de l'ensemble des modèles litigieux. Ce point n'a d'ailleurs plus d'intérêt dans la mesure où la cour est bien saisie d'une demande d'annulation de tous les modèles litigieux, dont la recevabilité n'est pas contestée.
Sur la recevabilité de l'action intéressant le modèle 277407:
Il est justifié d'une cession des droits du déposant initial, la marbrerie Clasquin, au profit de Marc X..., régulièrement publiée au registre des modèles. Ce dernier est dès lors recevable à engager toute action tendant à faire respecter les droits patrimoniaux d'exploitation qu'il a acquis, tant au titre du droit d'auteur qu'à celui de la propriété du modèle, la question de la validité de ce dernier en raison d'une antériorité étant une question de fond.
Sur la validité des modèles invoqués par les appelants :
Selon l'article 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 25 juillet 2001, applicable en la cause, la protection des modèles est applicable à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle.
Ainsi, est protégée la création de tout objet industriel dès lors qu'il exprime la personnalité de l'auteur présente un caractère de nouveauté.
Rien ne permet d'exclure du bénéfice de cette protection les monuments cinéraires.
Il est par ailleurs justement soutenu qu'une forme géométrique usuelle n'est pas protégeable. En revanche, une combinaison de formes en elles mêmes banales, peut l'être, à condition qu'elle confère à l'objet, pris dans son ensemble, une physionomie propre, qui ne soit pas exclusivement dictée par sa fonction.
Le premier modèle déposé, sous le numéro 893796, consiste en une construction octogonale sans soubassement mais avec une bordure saillante à la partie supérieure, le dessus comportant, disposées au regard des huit faces et dans le plan de l'octogone, huit portes en saillie de forme trapézoïdale, le centre de l'octogone étant occupé par une colonne de forme octogonale s'élevant à la verticale au dessus de la construction.
En ce qui concerne le dépôt numéro 895036, le premier modèle, portant le numéro de publication 277 406 se décompose en deux dessins, l'un, portant le numéro 1A, représentant une construction composée de 5 blocs trapézoïdaux placés côte à côte de manière irrégulière, présentant sur le devant et sur le côté un nombre variable de portes carrées faisant saillie, chacun des blocs comportant un soubassement, et le second, portant le numéro 1B, représentant un élément de l'ensemble précédent comportant quatre portes sur sa face antérieure. Le second modèle, portant le numéro de publication 277 407 et dénommé "columbarium prestige sans pilier" est une déclinaison du modèle 893796, le centre de l'octogone étant occupé par une plante taillée en forme de flamme, au lieu d'une colonne.
Le modèle numéro 9053357, publié le 30 avril 1993 sous le numéro 330 705, dénommé "columbarium prestige mural 6 familles", consiste en une construction à treize faces en arc de cercle, sur le dessus de laquelle sont disposées 6 portes carrées orientées de manière rayonnante, le centre du demi-cercle étant laissé ouvert ou garni d'une colonne.
Aucune antériorité pertinente n'est opposée par OGF à ces modèles. En particulier, le modèle déposé en 1984, par la Compagnie Générale de Marbrerie, et commercialisé par OGF sous la dénomination "eucalyptus"qui consiste en un cube portant deux portes disposées dans les angles opposés de deux de ses faces, ne constitue pas une antériorité destructrice de nouveauté dans la mesure où elle n'est identique qu'à deux faces sur les cinq du modèle critiqué, soit le 277 406 1B et où, même associée au même nombre d'éléments identiques, elle ne pourrait produire un effet d'ensemble similaire à celui du modèle en raison de la différence de forme des deux modèles, cubique dans un cas, et trapézoïdal dans l'autre. En ce qui concerne le dépôt numéro 895036 (second modèle, publié sous le numéro 277 407), les premiers juges ont justement observé que le dépôt 895036 a été effectué alors que le modèle antérieur n'avait pas encore été publié. En outre, il ne pourrait constituer une antériorité de toutes pièces, faute, précisément, de cette colonne dans le modèle déposé en second. N'est par ailleurs pas établi qu'à l'époque des dépôts, date à laquelle la cour doit se placer pour apprécier leur validité, aient été pratiquées des formes octogonales ou circulaires de columbariums. La condition de nouveauté prévue par le texte sus rappelé est donc remplie.
En ce qui concerne la condition d'originalité, on doit observer que tous les modèles litigieux revêtent des formes géométriques banales, octogonales, en demi cercle à pans coupés, ou en trapèzes juxtaposés. Ces formes ne sont pas susceptibles de protection en elles mêmes, non plus que l'idée de les utiliser dans ce domaine particulier. Il convient donc de rechercher si leur combinaison avec d'autres éléments leur confère la physionomie propre exigée par la loi pour que soit validé leur caractère protégeable.
Or, si leur aspect d'ensemble révèle une certaine recherche esthétique, force est de constater que ceci tient exclusivement à l'emploi de ces formes, sans qu'aucun élément de décoration ne soit présent. En particulier, les portes, rectangulaires, carrées ou trapézoïdales, ont des formes simples, sans aucun élément décoratif, et la présence d'une bordure saillante, elle aussi banale, en partie supérieure des monuments octogonaux, n'est pas suffisante pour conférer à l'ensemble une physionomie propre, étant observé que la présence dans certains cas de colonnes se justifie largement par la nécessité d'offrir des surfaces utilisables pour des inscriptions, ou la réception d'éléments de personnalisation des sépultures offertes, et a donc, partiellement, un caractère fonctionnel. Par ailleurs, s'il est exact que l'usage de ces monuments n'impose pas nécessairement de telles formes, ces dernières favorisent cependant une utilisation intéressante de l'espace disponible au sein des constructions, et il ne peut dès lors être soutenu qu'elles sont dissociables de leur usage. La nature ou la couleur du matériau employé, soit du granit de différents coloris, est elle aussi banale, et n'apporte aucune originalité à la combinaison considérée dans son ensemble. Enfin les premiers juges ont justement relevé que la modularité de ces monuments était inopérante puisqu'il s'agit d'une caractéristique technique.
En cet état, faute pour ces monuments de porter la marque de la personnalité de leur créateur, les dépôts dont ils ont fait l'objet ont été justement annulés par les premiers juges et le jugement sera confirmé sur ce point.
Pour les mêmes motifs, les columbariums litigieux ne peuvent être protégés au titre du livre premier du Code de la propriété intellectuelle.
Sur les demandes au titre de la concurrence déloyale :
Marc X..., qui n'exploite pas personnellement le négoce des columbariums litigieux, ne justifie d'aucun intérêt à agir sur ce fondement.
Même ne disposant pas d'un titre de propriété intellectuelle sur les columbariums litigieux, la société Granimond peut prétendre obtenir réparation du préjudice causé par l'imitation de ses produits, à condition de démontrer qu'elle est fautive, le fait qu'ils soient dépourvus d'originalité étant indifférent.
Les appelants reprochent en premier lieu à OGF l'installation d'un columbarium similaire à ses modèles dans le cadre d'un appel d'offre lancé par la commune de Quimper en septembre 2002, qu'elle a en effet obtenu, étant moins disante.
Il résulte des termes mêmes de cet appel d'offre qu'était en effet demandé un columbarium, monobloc ou décomposé en plusieurs unités, de forme octogonale ou hémisphérique de 24 familles en granit rose poli. Le cahier des clauses techniques particulières en prévoit les dimensions, et précise que 16 ouvertures doivent être situées sur la faces extérieure et 8 sur la face intérieure. Il n'est pas contesté, par ailleurs, que Granimond ait installé en 2001 des columbariums trapézoïdaux accolés en demi-cercles dans ce même cimetière. La nécessité de satisfaire les demandes de la Ville de Quimper, légitimement soucieuse de faire installer des columbariums de même genre que ceux précédemment construits, ainsi que l'absence de caractère protégeable de ces derniers, pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, ôte tout caractère fautif à la fourniture de ces monuments par OGF.
Est en second lieu reproché à OGF de commercialiser sous la dénomination "érable" un columbarium similaire aux modèles publiés par Marc X... sous les numéros 277 406 et 277 407, 275 411 et 330 705.
Les columbariums litigieux ont en commun une forme octogonale ou trapézoïdale qui n'est pas source d'originalité. La reprise de cet élément de similitude n'est donc pas fautive.
Or, mis à part ce dernier, le columbarium "érable", plus plat, ne produit pas la même impression d'ensemble que le produit correspondant de Granimond, en raison de ses proportions différentes, de la position de ses ouvertures sur les faces latérales et de leur taille plus importante. La différence de qualité alléguée, à la supposer démontrée, ne constitue pas un acte de concurrence déloyale en l'absence de toute confusion possible entre les produits et les deux entreprises. N'est pas davantage démontrée l'existence de faits de parasitisme, Granimond n'établissant ni la réalité d'efforts de commercialisation particuliers de ses produits, ni leur particulière notoriété. L'imitation pure et simple du produit d'un concurrent, même nouveau, n'étant pas en elle même fautive, aucun acte de concurrence déloyale n'est dès lors caractérisé, et la société Granimond ne peut qu'être déboutée de ses demandes sur ce fondement.
Sur la demande de publication :
Cette mesure est justifiée et sera confirmée, selon les modalités fixées par les premiers juges.
Sur les demandes reconventionnelles d'OGF:
L'erreur sur la validité des modèles qu'elle exploitait, et qui l'a conduite à mettre en garde certaines municipalités sur ce qu'elle considérait, à tort, comme une contrefaçon ne suffit pas à engager la responsabilité de Granimond en l'absence de toute mauvaise foi prouvée. Il n'est par ailleurs justifié d'aucun réel préjudice.
Les mêmes motifs conduisent également à rejeter la demande pour procédure abusive.
Sur les dépens et l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile :
Granimond et Marc X..., qui succombent, supporteront les dépens, et les frais de procédure exposés par OGF à hauteur de 5 000 €.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement,
Condamne in solidum Marc X... et la société Granimond aux dépens, avec recouvrement direct au profit de Maîtres Bazille et Genicon, avoués,
Les condamne également in solidum à payer à la société OGF la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel,
Rejette le surplus des demandes.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT