Deuxième Chambre Comm.
ARRÊT No
R.G : 06/02588
POURVOI C 0721397
du 11/12/2007
M. Eric X...
S.A.R.L. LA MARINE
Melle Véronique Y...
C/
M. Eric X...
Melle Véronique Y...
M. Eric Z...
S.A.R.L. LA MARINE
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 09 OCTOBRE 2007
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves LE GUILLANTON, Président,
Madame Françoise COCCHIELLO, conseiller,
Madame Véronique BOISSELET, Conseiller, entendu en son rapport,
GREFFIER :
Madame Béatrice A..., lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 03 Juillet 2007
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par Monsieur Yves LE GUILLANTON, Président, à l'audience publique du 09 Octobre 2007, date indiquée à l'issue des débats.
****
APPELANTS :
Monsieur Eric X...
...
44420 PIRIAC SUR MER
représenté par la SCP BAZILLE J.J. & GENICON S., avoués
assisté de Me Bernard B..., avocat
Mademoiselle Véronique Y...
...
44420 PIRIAC SUR MER
représentée par la SCP BAZILLE J.J. & GENICON S., avoués
assistée de Me Bernard B..., avocat
INTIMÉS :
Monsieur Eric Z...
...
35000 RENNES
représenté par la SCP CASTRES, COLLEU, PEROT & LE COULS-BOUVET, avoués
assisté de Me Bertrand C..., avocat
S.A.R.L. LA MARINE, intervenant volontaire agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant M. Z...
...
35000 RENNES
représentée par la SCP CASTRES, COLLEU, PEROT & LE COULS-BOUVET, avoués
assistée de Me Bertrand C..., avocat
FAITS ET PROCÉDURE :
Eric Z... a déposé auprès de l'INPI les 10 août 2002, et 18 et 24 juin 2004, plusieurs modèles de sandales.
Ayant constaté que ces modèles étaient contrefaits et vendus notamment à la braderie de Rennes, Eric Z... a fait procéder à un constat d'huissier sur le stand tenu dans cette braderie par Eric X... et Véronique D... le 23 juin 2004 ainsi qu'une saisie contrefaçon à Piriac sur mer, auprès des mêmes personnes, le 28 juillet 2004.
Par acte du 27 août 2004, il a assigné en contrefaçon de ses créations et concurrence déloyale Eric X... et Véronique D... devant le tribunal de commerce de Saint Nazaire.
Par jugement du 7 mars 2006, le tribunal a :
•débouté Eric X... et Véronique Y... de leur demande tendant à l'annulation de l'assignation,
•constaté la contrefaçon par violation des droits d'auteur d'Eric E...,
•débouté ce dernier de ses demandes au titre de la violation de son droit moral,
•condamné Eric X... et Véronique Y... à lui payer la somme de 8 000 € à titre de dommages et intérêts,
•interdit à Eric X... et Véronique Y... la commercialisation des modèles 1, 2, 10, 11 et 8 tels qu'ils figurent au catalogue d'Eric Z... (La Marine), sous astreinte de 300 € par infraction constatée,
•ordonné le retrait du marché et la destruction des sandales contrefaisantes aux frais des défendeurs,
•dit que le tribunal se réservait la liquidation des astreintes,
•ordonné la publication de la décision dans trois journaux, au choix d'Eric Z..., le coût maximal de chaque insertion étant fixé à 1 000 €,
•ordonné l'exécution provisoire du jugement,
•débouté Eric Z... de sa demande sur le fondement de la concurrence déloyale,
•condamné Eric X... et Véronique Y... à payer à Eric Z... la somme de 7 500 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Eric X... et Véronique Y... en ont relevé appel le 18 avril 2006.
Par conclusions du 12 juin 2007, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de leur argumentation, ils demandent que :
•il soit constaté qu'Eric Z... ne rapporte pas la preuve qu'il est le créateur des modèles,
•ces derniers soient jugés dépourvus de nouveauté et d'originalité,
•l'antériorité de la commercialisation par les appelants soit constatée,
•les dépôts des modèles soient annulés,
•les demandes au titre de la concurrence déloyale soient rejetées faute de faits distincts,
•leurs demandes reconventionnelles soient accueillies, et Eric Z... soit condamné :
- à leur restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire,
- à leur payer les sommes de 11 290, 85 € au titre du préjudice né de la destruction des sandales, 13 089 € au titre de la perte d'exploitation, et 8 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions du 1er juin 2007, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, Eric Z... et la société La Marine, intervenante volontaire, demandent que :
•le jugement soit confirmé, sauf en ce que les demandes au titre de l'atteinte au droit moral de l'auteur et de la concurrence déloyale ont été rejetées,
•soit donné acte à la société La Marine de son intervention volontaire,
•Eric X... et Véronique F... soient condamnés à payer à Eric Z... la somme de 1 500 € au titre de la violation de son droit moral, et celle de 23 408, 02 € au titre de la contrefaçon de son droit d'auteur, ainsi que celle de 10 000 € à la société La Marine et à Eric Z... au titre de la concurrence déloyale,
•soit écartée des débats la pièce adverse no 11 en langue anglaise,
•l'astreinte assortissant l'interdiction de commercialiser des sandales imitantes soit portée à 500 € par infraction constatée,
•le coût maximal de chaque insertion soit porté à 3 000 €,
•une indemnité de procédure de 12 000 € leur soit allouée.
SUR QUOI, LA COUR :
Sur l'application des articles L.112-1, L.112-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle :
Pour revendiquer utilement la protection attachée au droit d'auteur, Eric Z..., demandeur initial et auquel la preuve incombe à ce titre, doit établir soit que les modèles de sandales résultent de son activité créatrice propre, soit qu'ils ont été divulgués sous son nom.
Il est constant que les sandales revendiquées ont été fabriquées par des entreprises thailandaises, sans qu'il soit justifié du processus ayant conduit à leur conception, le seul élément en faveur de leur création par Eric Z... consistant dans l'affirmation d'Ivan G..., selon laquelle ce dernier lui a parlé de son travail en Thailande, où il élaborait une collection de sandales bientôt commercialisables en France, témoignage trop vague pour pouvoir être retenu.
Celui du producteur thailandais, Metta H..., daté du 23 novembre 2005, est d'ailleurs remarquablement muet à ce sujet, l'attestante se bornant à indiquer fabriquer des sandales pour Eric Z..., lequel bénéficiait du droit exclusif de les exporter, et avoir vendu une partie de sa production à un client thailandais, auprès duquel s'était fourni Eric X.... Ce dernier produit en outre un témoignage de la même personne, daté du 7 décembre 2005, selon lequel les sandales sont créées et fabriquées par l'entreprise familiale à laquelle elle appartient pour le compte de plusieurs clients français, dont Eric Hernandez et Eric X....
Il est enfin remarquable qu'Eric Z... ne produise aucune autre pièce tendant à démontrer que la conception des modèles doit lui être attribuée, tels que dessins originaux, projets ou autres.
En cet état, la preuve qu'Eric Z... est l'auteur de la création des sandales litigieuses n'est pas rapportée.
Selon les témoignages de trois de ses revendeurs, après avoir testé le succès de ces produits au cours de l'été 2000, Eric Z... a commencé à diffuser auprès d'eux les modèles figurant sur son catalogue en été 2001.
La pièce no 43 fournie par Eric Z..., qui relate un passage en douane le 31 mai 2001 de 103 kilos de chaussures, paraissant provenir de Thailande (code P. Origine TH) les corrobore. La date du début de la commercialisation de ces produits par Eric Z... se situe donc en juin 2001, faute de précision suffisante sur les marchandises expérimentalement vendues en été 2000.
Selon les écritures d'Eric X... et Véronique Y..., ils n'ont débuté leurs propres ventes de sandales similaires qu'en été 2003, et les ont poursuivies et développées en été 2004. Ils établissent cependant (attestation Bray) que des sandales similaires aux modèles déposés par Eric Z... étaient vendues dans le département de la Réunion depuis mai 2000, et ont fait l'objet en décembre 2001 d'un stand de vente dans une galerie marchande de ce même département, la production des photos de ce stand en original écartant tout doute à ce sujet et permettant aisément de constater la quasi identité des modèles y figurant avec ceux objet des dépôts.
L'attestation constituant la pièce no 11 des appelants n'a pas à être écartée des débats au seul motif qu'elle ne serait pas conforme aux prescriptions de l'article 202 du Nouveau Code de procédure civile, le juge conservant un pouvoir d'appréciation sur son caractère probant. En l'espèce n'est alléguée aucune circonstance permettant de mettre en doute sa sincérité, et le fait qu'elle soit rédigée en anglais ne justifie pas davantage son rejet, faute pour les intimés de prétendre ne pas la comprendre, ce que tant le caractère rudimentaire de la langue employée que l' extrème brièveté du texte excluent. Ainsi, malgré son imprécision sur le début des envois en France de sandales similaires à celles portées sur le catalogue La Marine, il peut être retenu que des sandales similaires ont été diffusées dans différents pays depuis 1996. Le témoignage de Suchada Bunyanan, selon lequel de telles sandales étaient conçues et vendues sur un marché thailandais depuis 1996 le confirme, ainsi d'ailleurs que celui de Rudy I..., qui relate avoir constaté leur présence en octobre 2001, date à laquelle il s'est lui même rendu acquéreur d'un stock qu'il a vendu en été 2002.
Il en résulte que les sandales diffusées par Eric Z... depuis l'été 2001 étaient communément vendues sur le marché thailandais depuis 1996, et sporadiquement introduites en France depuis cette date. Ainsi, Eric Z... n'est pas fondé à prétendre qu'il est à l'origine de leur divulgation, son rôle s'étant borné, comme celui de ses concurrents, à importer des produits jusque là diffusés de façon confidentielle en France, mais courants sur le marché d'extrème-orient.
Dès lors les demandes d'Eric Z... en ce qu'elles sont fondées sur le livre I du Code de la propriété intellectuelle ne peuvent qu'être rejetées, étant observé qu'il n'est pas soutenu que cette divulgation aurait été le fait de la société La Marine.
Sur l'application des articles L.511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et la demande reconventionnelle d'annulation des modèles:
A la date de délivrance de l'assignation, seuls avaient été publiés les modèles déposés le 7 août 2002, sous le numéro 02 4845. Eric Z... indique expressément ne pas invoquer pour ce motif la protection spécifique prévue par ces textes. Une telle demande aurait en effet été vouée à l'échec en application de l'article L.521-2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose qu'aucune action, pénale ou civile, ne peut être intentée avant que le dépôt n'ait été rendu public, et que les auteurs de faits postérieurs peuvent invoquer leur bonne foi. Les appelants sollicitant cependant l'annulation de tous les dépôts effectués, à laquelle ils ont toujours intérêt, la cour est tenue d'examiner ce point.
Eric X... et Véronique Y... ne prétendant pas être les auteurs des modèles qu'ils contestent, ils sont seulement recevables à les critiquer sur le fondement des articles L.511-1 à L.511-8 du même Code.
Or, au regard de l'article L.511-3, selon lequel un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d'enregistrement, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué, les circonstances de fait ci-dessus relevées démontrent que les modèles objet des dépôts étaient déjà vendus par des tiers depuis 2000. Dès lors les dépôts effectués par Eric Z... sous les numéros 02 4845, 04 3052, et 04 3152 seront annulés et l'inscription du présent arrêt au registre national des dessins et modèles sera ordonnée.
Sur les demandes au titre de la concurrence déloyale :
ERIC Z... reproche aux appelants au titre de la concurrence déloyale d'avoir imité servilement ses créations, et la présentation matérielle de ses marchandises, en utilisant un tissu de couleur jaune pour ses étalages, et des pieds de présentation.
Cependant, aucun fait d'imitation ne peut être retenu, faute de démonstration que les sandales aient été conçues par Eric Z.... Les chiffres produits pour l'exercice 2006 seulement, et relatifs au budget "création" ne démontrent pas l'existence de charges comparables pour les exercices antérieurs, seuls objets de la présente instance, et ils sont en outre trop généraux pour être probants. Il ne peut par ailleurs être reproché à Eric X... et Véronique Y... de s'être fournis eux aussi sur un marché thailandais, même à supposer démontrée l'existence d'un engagement d'approvisionnement exclusif au bénéfice d'Eric Z..., dont la violation fautive ne pourrait intéresser que les parties à cet accord.
L'utilisation d'un tissu de couleur vive, telle que le jaune, ainsi que de pieds de présentation, est banale, et ne peut non plus constituer un fait fautif à l'encontre des appelants.
Dès lors les demandes au titre de la concurrence déloyale seront également rejetées.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts :
Aucune contestation n'est formée par les intimés sur le montant des sommes versées par les appelants en exécution du jugement contesté qui était assorti de l'exécution provisoire. Dès lors Eric Z... sera condamné à restituer toutes les sommes versées à ce titre.
Le jugement ayant été signifié le 16 mars 2006, les appelants l'ont exécuté le 20 mars 2006, en présence de l'huissier, et justifient de la destruction de 3004 paires de sandales dont le prix unitaire ne fait l'objet d'aucune contestation. Les débours liés au constat d'huissier et à la rémunération de l'entreprise requise sont dûment justifiés.
La signification du jugement constituait le premier acte d'exécution de ce dernier. La célérité avec laquelle les défendeurs l'ont exécuté, après signification, s'explique par leur souci d'échapper à l'astreinte, et ne peut être considérée comme volontaire. Même autorisée à titre provisoire, l'exécution d'une décision de justice n'a lieu qu'aux risques et périls de celui qui la poursuit. Eric Z... sera donc tenu de réparer le préjudice résultant de l'exécution du jugement infirmé.
Dès lors la demande des appelants tendant au remboursement des sandales détruites et du coût de ces opérations ne peut qu'être accueillie, pour le montant non contesté de 11.290,85 €.
En revanche, faute de tout élément sur le préjudice commercial allégué, le surplus des demandes ne peut qu'être rejeté.
Sur les dépens et l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile :
Eric Z... et la société La Marine, qui succombent, supporteront les dépens, et les frais de procédure exposés par Eric X... et Véronique Y... à hauteur de 3 000 €.
PAR CES MOTIFS :
Infirmant le jugement en toutes ses dispositions,
Déboute Eric Z... de toutes ses demandes,
Donne acte à la société La Marine de son intervention volontaire, et la déboute de sa demande au titre de la concurrence déloyale,
Annule les modèles déposés sous les numéros 02 4845, 04 3052, et 04 3152 et ordonne l'inscription du présent arrêt au registre national des dessins et modèles,
Condamne Eric Z... à payer à Eric X... et Véronique Y... la somme de 11.290,85 € à titre de dommages et intérêts,
Le condamne à restituer à Eric X... et Véronique Y... les sommes par eux versées au titre de l'exécution provisoire du jugement infirmé,
Condamne Eric Z... et la société La Marine aux dépens, avec recouvrement direct au profit de Maîtres Bazille et Genicon, avoués,
Les condamne également in solidum à payer à Eric X... et Véronique Y... la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Rejette le surplus des demandes.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT