Septième Chambre
ARRÊT No
R.G : 05/07143
M. Antonio X...
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE NANTES
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 JUIN 2007
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Gabrielle LAURENT, Président,
Monsieur Patrick GARREC, Conseiller,
Madame Agnès LAFAY, Conseiller,
GREFFIER :
Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 19 Avril 2007
devant Monsieur GARREC, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par Monsieur Patrick GARREC, Conseiller, à l'audience publique du 06 Juin 2007, date indiquée à l'issue des débats.
****
APPELANT :
Monsieur Antonio X...
...
49000 ANGERS
représenté par la SCP JEAN LOUP BOURGES et LUC BOURGES, avoués
assisté de Me Stéphane CONTANT, avocat
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 05/010233 du 28/02/2006 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE NANTES
9 rue Gaëtan Rondeau
BP 72625
44326 NANTES CEDEX 3
représentée par la SCP BAZILLE J.J. et GENICON S., avoués
assistée de Me Dominique HERVE, avocat
******************** I - CADRE DU LITIGE:
A - OBJET
Action en remboursement de débours ( frais médicaux, pharmaceutiques , d'hospitalisation et indemnités journalières pour un montant définitif de 31 427 € ) et en paiement de l'indemnité de gestion réglementaire concédée par la loi aux organismes sociaux, engagée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Nantes contre M. Antonio X..., poursuivi et condamné par le tribunal Correctionnel de Nantes le 10 février 1998 à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve durant deux ans et à 15 000 UCF ( 2 286,73 € ) de dommages-intérêts au profit de Mademoiselle Karine B..., ex concubine, pour avoir volontairement commis des violences sur sa personne au cours d'une dispute survenue le 19 juillet 1996, violences se concrétisant, selon la prévention , par des coups de poing au visage, au thorax, à l'abdomen et un début de strangulation qui ont été source d'une incapacité de travail n'excédant pas huit jours.
L'I.T.T. a, de fait, été très supérieure à huit jours puisque, s'estimant
en danger et profitant de ce que M. Antonio C... avait le dos tourné, Mademoiselle Karine B... s'est jetée dans le vide à partir d'une fenêtre de la salle à manger salon du logement T2 occupé par le couple, logement situé au 2ème étage d'un immeuble sis, ....
M. Antonio X... se refuse en conséquence au règlement de frais médicaux et d'hospitalisation qui, globalisés, ne correspondent pas, selon sa défense, aux seuls débours découlant des violences physiques qu'il a exercées sur la personne de la victime, les conséquences de l'acte de défenestration, irréfléchi, disproportionné au regard de l'ampleur de ces violences, ne pouvant lui être imputées puisqu'elle ne sont liées par un lien naturel de cause à effet qu'à la personnalité de la victime et non aux coups portés qui ne pouvaient raisonnablement justifier cette défenestration, tenue par les enquêteurs de la police pour une tentative de suicide.
Cette thèse est réfutée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de NANTES, intimée sur l'appel inscrit par M. Antonio X... d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de NANTES qui a consacré l'existence du lien de causalité contesté et l'a tenu pour direct.
B - DECISION DISCUTEE
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NANTES en date du 22 Septembre 2005 qui a :
- condamné M. Antonio X... à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de NANTES, à titre de provision, la somme de 31 427 € avec intérêts au taux légal à compter de la décision.
- donné acte à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de NANTES de ses réserves de droit à remboursement de prestations complémentaires.
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
- débouté la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de NANTES de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- condamné M. Antonio X... à lui payer 760 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
C - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. Antonio X... a relevé appel du jugement par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 31 Octobre 2005, ledit jugement lui ayant été préalablement signifié à personne le 28 Octobre 2005.
L'appelant a signifié, et déposé au greffe de la Cour le 9 mars 2007, ses ultimes conclusions accompagnées du visa d'une liste évoquant 7 documents étayant son recours.
L'intimée a signifié, et déposé au greffe de la Cour le 11 Janvier 2007, ses ultimes conclusions accompagnées du visa d'un bordereau évoquant 6 documents versés aux débats en première instance, 1 document communiqué au stade de l'appel (état de débours définitif), et d'une copie du bordereau afférent à cette production de pièces, bordereau en date du 12 septembre 2006.
II - MOTIFS DE LA DECISION
La défense de l'appelant tendant à reporter sur la seule personnalité de la victime la responsabilité de lésions corporelles particulièrement importantes ( plaie à la face, traumatismes dentaire, du coude gauche avec fracture fermée de l'olécrane, du membre inférieur gauche avec fracture ouverte du fémur, et fracture fermée, comminutive, de la rotule) qui ne sont pas, à l'évidence, la conséquence des coups de poing qui lui ont été portés au cours de la dispute, n'est pas sans fondement au regard de la teneur du dossier qui confirme la fragilité psychologique de Mme Karine B..., fragilité que le Deur CAILLAUT, psychiatre, a reconnue en ces termes: "on voit là poindre l'immaturité, l'incertitude, l'ambiguïté de cette jeune femme qui est gentille, sincère mais qui reste fragile et pour qui un suivi psychologique s'impose" (rapport p.18 in fine).
Néanmoins, il ressort aussi du rapport de ce même témoin privilégié,
- que les violences de l'appelant ont été extrêmes : " il m'a pris mes vêtements...il me les a balancés un peu partout ...quand j'ai voulu prendre mes affaires, il m'a rattrapée et il m'a dit: si tu pars, je te tuerai...il m'a balancée dans le fauteuil, ...il m'a donné des coups sur la poitrine...pour pas que je hurle, il mettait la main sur la bouche...après il devait sentir que je voulais partir, il m'a mis dans la chambre...Elle Melle B... m'explique non sans manifester beaucoup d'émotion "J'ai attendu qu'il tourne le dos pour sauter par la fenêtre"... Elle tente de décrire quelles étaient à ce moment précis ses dispositions d'esprit "j'ai pas pensé du tout ... j'ai tellement eu peur.. Je croyais qu'il allait me tuer..il est dans un état... il est incontrôlable...il a beau parler, je peux pas le contrôler" (rapport p.6).
- que les coups de poing portés au cours de la dispute et la défenestration s'inscrivent dans une continuité de temps qui exclut de considérer qu'à un moment quelconque la victime a pu librement choisir cette issue, non pas comme un moyen d'échapper à un danger physique imminent, mais comme une solution propre à résoudre un conflit intérieur, sentimental voire passionnel, et la victime a d'ailleurs très bien exprimé la force contraignante irrésistible exercée sur son psychisme par l'extrême violence de l'agression: " ce n'est pas lui qui m'a jetée.. C'était pour m'échapper..j'avais marre de cette situation...je savais pas comment partir... j'ai eu un moment de faiblesse...je savais plus où j'en étais" , et elle a ajouté que ce n'était finalement que dans la seconde même où elle sentait le sol se dérober sous ses pieds qu'elle a recouvré toute sa lucidité, abolie jusque là par la seule présence physique de l'appelant:..."quand j'ai sauté...j'ai senti que j'avais fait une grosse erreur...je me suis retournée pour me rattraper".
Dans ce contexte, le Deur CAILLAUT a lui-même estimé que si Mademoiselle B... n'avait pas présenté au moment des faits des troubles psychiques ou neuropsychiques ayant totalement aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, ses traits de personnalité, sa fragilité et l'état de détresse présenté au moment des faits permettaient de considérer la notion " d'une discrète altération du discernement et d'une discrète entrave au contrôle de ses actes" (rapport p.20 § 7 et 8).
Cet état de détresse ayant, à l'évidence, pour source l'extrême violence de l'agression, c'est en vain que l'appelant soutient l'absence de lien de causalité entre lesdites violences physiques et le geste de "sauvetage", perçu comme tel dans un moment d'altération du discernement particulièrement évident, d'autant que le Deur CAILLAUT, élargissant son analyse, a aussi relevé que Mademoiselle Karine B... ayant instauré avec l'appelant une relation immature, se montrant "dépendante, soumise et naïve", elle avait progressivement laissé à celui-ci "toutes les possibilités...de développer un comportement qu'elle a vécu comme marqué par les violences et les impulsions", et que " ses réactions , marquées par les ambiguïtés, les incertitudes, ont même contribué à ce que M. BASTOS D... puisse développer peut être encore plus de violence, de certitude et de passion", (rapport p.19 § 2 et 3), ce qui souligne que si l'appelant a, pour partie, été encouragé par la victime elle-même dans l'expression d'une violence certaine, il y a de sa part une forme d'abus de situation qui a conduit, comme tout excès, à des comportements aberrants mais indissolublement liés à cette attitude abusive, non maîtrisée, portant en germe le risque qui s'est concrétisé le 19 juillet 1996 au cours d'une deuxième crispation de la relation sentimentale.
Le lien de causalité entre le geste accompli par la victime et le comportement global de M. Antonio X... dans la matinée du 19 juillet 1996 étant établi, l'appel doit être totalement rejeté étant observé ,
- qu'aucune faute ne peut être imputée à Mademoiselle Karine B...
pouvant atténuer la responsabilité de M. Antonio X... dans la limite des faits qui ont provoqué l'extrême violence dont a fait preuve ce dernier le 19 juillet 1996,
- que sa faute est donc entière au sens de l'article 1382 du Code Civil, peu important qu'il n'ait pas, dans le contexte particulier de l'affaire, été cité à comparaître devant le Juge pénal pour des faits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail personnel excédant 8 jours, la chose non jugée au plan pénal n'ayant pas , par hypothèse, autorité de chose jugée au plan civil.
Le jugement est donc réformé mais seulement en ce qu'il porte condamnation de l'appelant à titre provisionnel et en des termes qui, à ce jour, ne sont plus adéquats en l'état
o d'une disposition réglementaire qui porte à 926 € l'indemnité forfaitaire de gestion due à l'organisme social en vertu des articles L 376-1 et L 454-1 du Code de la Sécurité Sociale (arrêté du 20 décembre 2006 J.O. du 30 décembre 2006).
o d'une jurisprudence de l'Assemblée plénière de la Cour de Cassation qui fixe pour règle que la créance des organismes sociaux porte intérêts au taux légal à compter de la demande en application de l'article 1153 du Code Civil (Assemblée Plénière 4 mars 2005 B.C. p.8 no3), d'où il se déduit, la lettre adressée à l'appelant par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de NANTES le 4 septembre 2001 ne répondant pas par ses termes conciliants à la définition de la mise en demeure telle qu'elle est visée par ce texte, que la créance doit porter intérêts au taux légal, à tout le moins, depuis la délivrance de l'assignation.
Il serait inéquitable que l'intimée conserve à sa charge les frais irrépétibles issus de la procédure de recouvrement engagée dont l'appelant a contesté à tort la légitimité : une indemnité de 1 000 € lui est donc allouée
pour couvrir les frais visés par l'article 700 du Code de Procédure Civile engendrés au cours de l'entière procédure.
III - DECISION
La Cour,
- Réforme le jugement déféré.
- Statuant de nouveau,
- Condamne M. Antonio X... à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de NANTES:
* 31 427 euros, montant de ses débours définitifs, outre les intérêts au taux légal sur ladite somme depuis le 18 février 2004.
* 926 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
* 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamne Monsieur Antonio X... aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés selon les modalités de la loi relative à l'Aide Juridictionnelle; autorise la S.C.P. J.J. BAZILLE -S.GENICON à les recouvrer par application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Le Greffier, Le Président,