ARRÊT No 226 DU 20/ 04/ 06- 4ème CHAMBRE-RG 05/ 6621
X... c/ EARL DU CUILLERET
I-Exposé du litige :
L'EARL DU CUILLERET a confié à Monsieur X... la construction d'un porcherie suivant marché d'un montant de 30 537, 29 €. Les travaux ont été réalisés en 1988 et intégralement payés. La réception est intervenue le 30 novembre 1988.
Le 24 février 2001 s'est produit l'effondrement du sol en caillebotis d'une des deux salles, provoquant la mort de huit porcelets.
Suivant ordonnances de référé en date des 10 janvier 2002 et 13 juin 2002, Monsieur A... a été désigné en qualité d'expert. Il a exécuté les deux missions qui lui ont été confiées et a déposé son rapport le 8 septembre 2002.
Par jugement avant dire droit en date du 23 septembre 2003, Monsieur A... a de nouveau été commis pour un complément de mission.
Par jugement en date du 13 septembre 2005, le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a notamment dit que Monsieur X... a commis une faute dolosive, déclaré Monsieur X... responsable à l'égard de l'EARL DU CUILLERET des désordres affectant sa porcherie sur le fondement de la garantie extra-contractuelle, l'a condamné à payer à l'EARL DU CUILLERET la somme de 67 840, 96 € HT au titre de des travaux de reprise, celle de 210, 36 € HT au titre du préjudice d'effondrement et celle de 5 252 € HT par an à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'exploitation jusqu'à remise en service de la première salle. avec exécution provisoire.
Monsieur X... a régulièrement interjeté appel de cette décision le 10 octobre 2005.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées le 14 février 2006 pour Monsieur X... et le 13 février 2006 pour l'EARL DU CUILLERET.
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II-Motifs :
Sur la faute dolosive :
Monsieur X... conclut à l'irrecevabilité de la demande de l'EARL DU CUILLERET faisant valoir :
- qu'aux termes de la définition prétorienne de la faute dolosive, il est nécessaire que soit démontrée la violation par le constructeur, de propos délibéré, par dissimulation ou par fraude de ses obligations contractuelles,
- qu'en l'espèce, ces critères ne sont pas réunis, dès lors que les rapport d'expertise de Monsieur A..., corroborés par un rapport de Monsieur B..., technicien, font seulement état de maladresse, de manquement par omission, de méconnaissance des règles élémentaires ou d'erreur d'appréciation, Monsieur A... précisant qu'il lui paraissait improbable que l'absence de fer de liaisonnement ait pu être volontaire,
- qu'il n'est pas une entreprise générale de bâtiment agricole mais maçon qualifié en ouvrages étanches en béton armé,
- qu'il n'a pas voulu réaliser des économies en ne faisant pas appel à un bureau d'études,
- qu'il n'a pas réalisé lui-même l'ouvrage car il n'est pas intervenu personnellement sur le chantier mais seulement ses salariés.
L'EARL DU CUILLERET, au visa des articles 1382 et 2270-1 du Code Civil, conclut à la confirmation du jugement soutenant :
- qu'en cas de dol de construction un nouveau délai de dix ans court au bénéfice du maître de l'ouvrage pour agir en garantie à compter de la découverte de la dissimulation ou de la fraude du constructeur,
- qu'aux termes de la jurisprudence, l'ouverture du délai de dix ans ne peut être invoquée que lorsque le constructeur, " de propos délibéré, même sans intention de nuire, viole par dissimulation ou par fraude, ses obligations contractuelles ",
- qu'en l'espèce, tant pour l'absence de ferraillage que pour la non-conformité aux normes et pour l'absence de recours à un bureau d'études, Monsieur X... a délibérément failli par dissimulation à ses obligations contractuelles.
Le constructeur est, sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de sa faute dolosive lorsque de propos délibéré, même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles.
Les parties se réfèrent à la même définition de la faute dolosive. Cependant, c'est à tort que l'EARL DU CUILLERET se fonde sur les articles 1382 et 2271-1 du Code Civil, la responsabilité pour faute dolosive étant une responsabilité contractuelle. Néanmoins, la discussion entre les parties porte essentiellement sur la dissimulation par Monsieur X... de ses obligations contractuelles et sur la faculté de rechercher sa faute au-delà du délai décennal. Il convient donc, en application de l'article 12 du Code Civil, de requalifier le fondement juridique de la demande de l'EARL DU CUILLERET qui ne peut être, au vu de la jurisprudence citée et de la discussion dont est saisie la Cour, que le fondement contractuel. Il en résulte qu'en cas de faute dolosive du constructeur, le maître de l'ouvrage est autorisé à exercer une action en responsabilité à son encontre pendant un délai de trente ans à compter de la réception.
Monsieur A... a eu en particulier pour mission, selon le jugement en date du 23 septembre 2003, de préciser dans le détail la teneur exacte des désordres, maladresses et manquements précédemment relevés dans son rapport du 8 septembre 2002 et notamment s'il y a absence ou insuffisance de ferraillage, et de fournir tous éléments techniques permettant d'apprécier si le constructeur pouvait ignorer l'existence de ces maladresses et manquements lors de leur réalisation.
L'expert a ainsi décrit les désordres :
Dans la première salle d'engraissement :
- au droit des sondages exécutés à (sa) demande :
* absence de fers de liaisonnement entre le treillis soudé du radier et le treillis soudé des voiles béton, et ce sur les deux fosses à lisier,
* les fers de liaisonnement horizontaux entre les treillis soudés de ces voiles et murs périphériques ont bien été mis en place,
* les fers à béton des poutres et poteaux affleurent la face extérieure des bétons en de nombreux points
Dans la deuxième salle d'engraissement :
L'expert se réfère à son précédent rapport du 8 septembre 2002 par lequel il avait constaté notamment un fléchissement des trois poutres dans la fosse à lisier de droite, des ferraillages apparents par éclatement du béton, des fissures en milieu de poutres, la présence de gros gravillons avec peu de mortier, une fissure verticale dans le voile béton en partie centrale dans la fosse à lisier de gauche et des fissures entre les caillebotis et le plancher béton de la circulation.
Il n'est pas contesté que les désordres portent atteinte à la solidité de l'ensemble de l'ouvrage soit les deux salles d'engraissement.
S'agissant de l'appréciation des désordres, Monsieur A... précise :
Sur l'absence de fers :
* l'absence de fers de liaisonnement entre le radier et les voiles de béton est un manquement par omission ou méconnaissance des règles élémentaires pour la réalisation des ouvrages en béton armé,
* il paraît improbable que ce manquement ait été volontaire, l'omission de la fourniture et de la mise en place de ces fers n'engendrant aucune moins-value sensible sur le coût général des travaux,
* ce manquement a pu être ignoré par le constructeur mais ne lui aurait pas échappé si un contrôle sérieux avait été effectué et si des instructions précises avaient été données en cours de chantier,
Sur les fissurations relevées dans les poutres et les poteaux :
* la maladresse dans la mise en oeuvre du ferraillage affleurant le nu extérieur des bétons ne pouvait pas être ignorée du constructeur, certains de ces fers étant inévitablement apparents au décoffrage des bétons (photographies 7 et 8 annexées),
* le ferraillage indubitablement insuffisant mis en place dans les poutres et béton (fléchissement généralisé) ne peut être qu'une méconnaissance grave des règles élémentaires pour la réalisation des ouvrages en béton armé (erreur dans la conception des ouvrages),
Sur la conformité aux normes :
* les ciments employés étaient conformes aux normes en vigueur à la date d'exécution des ouvrages,
* l'affleurement des fers à béton en surface ne respecte pas les normes en vigueur à la date d'exécution des ouvrages, normes qui imposaient que les fers soient au minimum noyés dans 3 cm de béton (norme actuelle 5 cm).
L'expert conclut qu'il n'est pas possible de préciser les conséquences exactes de chaque manquement ou maladresse (déplacement des voiles, fissurations et fléchissement des poutres) tous les désordres constatés rendant les uns comme les autres les ouvrages impropres à leur destination et portant atteinte à leur solidité.
Il ressort de cette analyse non contestée que Monsieur X... qui est artisan spécialisé béton armé n'a pas pu ignorer la maladresse dans la mise en oeuvre du ferraillage affleurant le nu extérieur des bétons, visible lors du décoffrage des bétons, dont la réalité est avérée par les photographies 7 et 8. Il importe peu qu'il n'ait pas réalisé lui-même le ferraillage dès lors qu'il est responsable de ses salariés, étant observé que son absence avouée sur le chantier démontre le manque de contrôle et de suivi des travaux, et partant le manque de sérieux de l'entrepreneur quant à la réalisation des ouvrages alors qu'il soutient ne pas être spécialiste des bâtiments agricoles, ce qui aurait dû le contraindre à surveiller de près son chantier. Mais surtout, il a délibérément offert au maître de l'ouvrage de réceptionner l'ouvrage sans relever la mauvaise exécution du ferraillage affleurant et hors norme, visible pour l'entrepreneur et dont les conséquences sur la solidité de la construction ne pouvaient qu'être évidentes pour un spécialiste du béton armé. L'EARL DU CUILLERET a ainsi accepté le 30 novembre 1988 un ouvrage mal exécuté. En dissimulant volontairement à l'EARL DU CUILLERET lors de la réception, ce manquement visible pour lui-même, mais non apparent pour le maître de l'ouvrage profane, Monsieur X... a commis une faute dolosive directement à l'origine des désordres constatés par l'expert qui portent atteinte à la solidité de l'ouvrage.
La réception des travaux est intervenue le 30 novembre 1988. L'assignation en référé expertise délivrée par l'EARL DU CUILLERET à Monsieur X... date du 27 décembre 2001 et l'assignation en responsabilité a été délivrée à l'encontre de Monsieur X... le 4 novembre 2002, dans les délais de l'article 2270 du Code Civil. Il convient de déclarer Monsieur X... responsable des désordres et de le condamner à réparer les préjudice subis par l'EARL DU CUILLERET.
Sur les préjudices :
Monsieur A... indique que les manquements et maladresses nécessitent la démolition de tous les ouvrages béton défectueux (poteaux, poutres, voiles) existant dans les fosses à lisier des deux salles d'engraissement.
Il évalue les travaux relatifs à une salle d'engraissement à la somme de 25 436, 58 F HT outre celle de 8483, 90 € HT pour les travaux annexes soit 67 840, 96 € HT pour les deux salles d'engraissement, somme que Monsieur X... sera condamné à payer à l'EARL DU CUILLERET au titre des travaux de reprise, ce avec intérêts au taux légal à compter de la date du dépôt du rapport de Monsieur A... soit le 8 septembre 2002. Le jugement sera en conséquence confirmé ainsi que sur la somme de 210, 36 € HT au titre de l'effondrement du caillebotis ayant entraîné la mort de huit porcelets.
Le préjudice d'exploitation a été calculé par Monsieur D...et est estimé à la somme de 5 252 € HT, par année. L'expert a estimé à trois mois le délai nécessaire à l'exécution des travaux pour une salle. Monsieur X... sera en conséquence condamné à payer à l'EARL DU CUILLERET la somme de 5 252 € HT par an à compter de l'endommagement de la salle d'engraissement le 24 février 2001 jusqu'à la réfection des deux salles soit six mois après le paiement par Monsieur X... de ses condamnations.
L'EARL DU CUILLERET ne démontre pas qu'elle ne récupère pas la TVA. Il ne sera pas fait droit à sa demande, devant la Cour, de paiement des indemnités outre TVA au taux de 19, 6 %.
La demande de mainlevée de l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire est de la compétence du juge de l'exécution. Elle est irrecevable devant la Cour.
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Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'EARL DU CUILLERET les frais irrépétibles qu'elle a engagés pour faire valoir ses droits. Monsieur X... sera condamné à lui payer la somme de 1 400 € en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il sera également condamné aux dépens.
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- Par ces motifs :
LA COUR :
Infirme partiellement le jugement déféré en ce qu'il a déclaré Monsieur X... responsable à l'égard de l'EARL DU CUILLERET des désordres affectant sa porcherie sur le fondement de la garantie extra-contractuelle et l'a condamné à payer à l'EARL DU CUILLERET la somme de 5 252 € par an à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'exploitation jusqu'à remise en service de la première salle, avec exécution provisoire,
En conséquence,
Dit que Monsieur X... a commis une faute dolosive à l'égard de l'EARL DU CUILLERET et le déclare responsable des désordres constatés par Monsieur A... sur le fondement contractuel,
Condamne Monsieur X... à payer à l'EARL DU CUILLERET la somme de 5 252 € HT par an à compter de l'endommagement de la salle d'engraissement le 24 février 2001 jusqu'à la réfection des deux salles soit six mois après le paiement par Monsieur X... de ses condamnations,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire,
Condamne Monsieur X... à payer à l'EARL DU CUILLERET la somme de 1 400 € en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne Monsieur X... aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.