RÉPUBLIQUE FRANOEAISE AU NOM DU PEUPLE FRANOEAIS COUR D'APPEL DE RENNES ARRÊT DU 04 DECEMBRE 2002 Septième Chambre ARRÊT N° R.G : 01/03187 CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE DE NANTES C/ M. X...
Y... M. Yves Z... S.A. OLYMPIQUE DE MARSEILLE COMPOSITION DE LA COUR LORS DU A...
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Madame Marie-Gabrielle LAURENT, Président, Monsieur X... GARREC, Conseiller, Madame Agnès LAFAY, Conseiller, GREFFIER : Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé DÉBATS : A l'audience publique du 24 Octobre 2002 en collégialité pour le visionnage de la cassette vidéo puis devant Monsieur X... GARREC, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial, pour le surplus. ARRÊT : réputé contradictoire, prononcé par Monsieur X... GARREC, Conseiller, à l'audience publique du 04 Décembre 2002, date indiquée à l'issue des débats. [****] APPELANTE : CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE NANTES 9 rue Gaùtan Rondeau 44249 NANTES CEDEX 2 représentée par la SCP BAZILLE & GENICON, avoués assistée de Me Dominique HERVE, avocat INTIMES : Monsieur X...
Y... Villa Doria Les B... de Malouesses 13080 LUYNES représenté par la SCP D'ABOVILLE, DE MONCUIT & LE CALLONNEC, avoués assisté de Me ALLEGRINI, avocat Monsieur Yves Z..., régulièrement assigné à mairie et réassignée à sa personne, n'ayant pas constitué avoué 57 rue Charles Monselet 44000 NANTES défaillant S.A. OLYMPIQUE DE MARSEILLE 3 boulevard Michelet 13008 MARSEILLE 08 représentée par la SCP D'ABOVILLE, DE MONCUIT & LE CALLONNEC, avoués assistée de Me LABI, avocat, Me DAUMAS, avocat
I - CADRE DU LITIGE:
A : OBJET:
Action en remboursement de débours engagée par la CPAM de NANTES contre, au principal, la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE, subsidiairement, contre cette même partie défenderesse et M. X...
Y... joueur de football professionnel tenus in solidum à son égard à la suite de lésions corporelles ( fracture du tibia et du péroné) causées à M. Yves Z..., joueur professionnel au Football Club NANTES ATLANTIQUE, au cours d'un match du championnat de FRANCE 1ère division qui a eu lieu au Stade de LA BEAUJOIRE à NANTES le 29 mai 1999.
L'action est fondée sur l'article L 454-1 du Code de la Sécurité Sociale et sur l'article 1384 OE 5 du Code Civil s'agissant de la responsabilité, seule mise en cause, au principal, de la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE ; sur les articles 1384 OE 5 et 1382 du Code Civil dans le cadre de la mise en cause, in solidum de M. X...
Y..., auteur d'un "tacle" réputé dangereux sur la personne de M. Yves Z...; subsidiairement, s'agissant de la mise en cause de la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE prise en sa qualité d'association sportive, sur l'article 1384 OE 1 du Code Civil.
Le litige tient dans le fait que la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE et M. Y... opposent à l'organisme social qui conteste en tout point la pertinence des moyens et arguments ainsi développés, - que la poursuite est irrecevable parce qu'un match de football du championnat tel celui joué le 29 mai 1999 concrétise , au sens de la jurisprudence en vigueur sur la base de l'article L 454-1 du Code de la Sécurité Sociale , un "travail en commun" accompli sous la direction unique de l'arbitre et, derrière lui, de la LIGUE NATIONALE DE FOOTBALL et que, dans ce contexte, les employeurs des deux clubs se trouvent exempts de toute obligation à l'égard de l'organisme social faute d'être l'un ou l'autre des tiers à son égard au sens de l'article L 454-1 invoqué par la poursuivante . - que, en tout état de cause, ni l'article 1382, ni l'article 1384 OE 5 ne sont susceptibles de fonder la poursuite en l'état de lésions causées involontairement dans le feu de l'action par M. Y..., lésions qui
ne sont pas le résultat d'une faute au sens de l'article 1382 du Code Civil, préalable indispensable à la condamnation du commettant, la faute s'entendant, dans un sport où peut être évoquée la notion d' "acceptation des risques" retenue par la jurisprudence, d'une brutalité volontaire ou d'un coup déloyal, qualificatifs qui ne sauraient être appliqués au geste dont la preuve reste conservée par le biais d'un film-vidéo versé aux débats. - que le geste de M. Y... concrétise une imprudence, risque normal, prévisible, imputable aux aléas inévitables du sport, et comme tel accepté par M. Z...,
B - DECISION DISCUTEE
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NANTES en date du 26 avril 2001 qui déboute la CPAM de NANTES de ses demandes et les parties adverses de leurs prétentions reconventionnelles.
C - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La C.P.A.M. de NANTES a relevé appel du jugement, signifié à personne habilitée de son siège le 15 mai 2001, par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 18 mai 2001.
Elle a signifié, et déposé au greffe de la Cour le 26 août 2002, ses ultimes conclusions d'appelante accompagnées de 3 bordereaux de communication de pièces évoquant 20 documents distincts versés aux débats.
Puis elle a demandé par lettre du 6 septembre 2002 l'annexion à ses écritures d'un 4è bordereau visant 16 des 20 pièces antérieurement visées par l'un des 3 précédents bordereaux, déjà communiquées en août 2001, et de nouveau communiquées le 7 Janvier 2002 à la SCP D'ABOVILLE DE MONCUIT-LE CALLONNEC.
La S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE a signifié, et déposé au greffe de la Cour ses conclusions en réplique le 17 Janvier 2002, accompagnées d'un bordereau récapitulatif de pièces communiquées visant 8
documents.
M. X...
Y... a signifié, et déposé au greffe de la Cour le 3 mai 2002, ses ultimes conclusions accompagnées d'un bordereau récapitulatif de pièces communiquées visant 8 documents.
Assigné à mairie le 24 Juillet 2001, réassigné à personne le 20 Septembre 2001 à la diligence de la CPAM de NANTES, M. Yves Z... n'a pas constitué avoué.
II - MOTIFS DE LA DECISION
A - Sur la recevabilité de la poursuite et la notion de travail en commun
Le principe selon lequel aucune action en réparation des accidents du travail ne peut être exercée par la victime et ses ayants-droit conformément au droit commun comporte pour exception, exprimée sur la base des dispositions de l'article L 451-1 du Code de la Sécurité Sociale , le cas où les lésions dommageables résultent du fait d'un tiers.
Cette disposition a imposé, dans nombre d'hypothèses, la nécessité pour les juridictions de fixer les critères et paramètres qui permettaient de qualifier "tiers" tel ou tel intervenant impliqué comme agent responsable de l'accident.
Dans ce contexte, la question s'est posée, et se pose très fréquemment au regard des modalités d'action des entreprises du secteur industriel, de savoir qui est le "tiers" impliqué lorsque l'accident met en présence une victime et un auteur, tous deux préposés de deux entreprises différentes oeuvrant sur un même site.
En effet, celles-ci, dans le cadre d'un résultat promis au maître d'ouvrage ou donneur d'ordre peuvent travailler conjointement dans le cadre d'une coordination assurée par un autre professionnel (relations traditionnelles entre entreprises oeuvrant sous la maîtrise d'un architecte qui coordonne les actions dans l'industrie
du bâtiment pour exemple).
Elles peuvent aussi travailler, dans le même contexte, soit sur le mode contractuel de la sous-traitance ou, sans relation de cette nature, en collaboration plus intégrée, sans intervention d'un coordonnateur extérieur, l'entreprise la plus apte à diriger , piloter l'exécution du travail, se substituant à la hiérarchie de l'une ou l'autre des autres entreprises pour arrêter les modalités selon lesquelles sera atteint le résultat promis au maître de l'ouvrage.
Dans la première hypothèse , il y a sans doute travail coordonné pour atteindre un résultat prédéterminé mais les entreprises restent dans des rapports de tierces parties.
Dans le second cas, il y a intégration des différents organes de décision en vue d'aboutir au résultat prédéterminé et la question se pose dans ce seul cas de savoir, l'accident étant susceptible en lui même de créer un rapport de victime à responsable entre deux préposés appartenant à chacune des entreprises, s'il y a place dans cette hypothèse à la reconnaissance du statut de "tiers" à l'entreprise dont le préposé est l'agent déterminant du fait dommageable.
La jurisprudence considère que, dans cette hypothèse, dénommée "travail en commun", la collaboration intégrée des deux entreprises exclut la possibilité de qualifier de "tiers" l'une ou l'autre des entreprises impliquées dans l'accident.
Au regard de ce qui précède, et sans qu'il soit nécessaire d'analyser plus avant les spécificités et particularités propres aux industries du spectacle, il convient de retenir avant tout que, si objectif commun il peut y avoir entre deux sociétés à objet sportif oeuvrant dans le domaine des sports collectifs dans la mesure où elles ont vocation aussi à produire un spectacle attrayant qui détermine le niveau moyen des recettes, objectif propre à chacune, elles ne
peuvent jamais être, au stade de la production du spectacle, de la distribution des rôles, de la définition des conditions du suspense qui participe du spectacle, dans un rapport de collaboration intégrée.
Pour illustrer la situation par comparaison avec celles décrites précédemment, extraites du mode d'action des entreprises sur un chantier de construction, aucun joueur de l'un ou l'autre des deux clubs de NANTES et de MARSEILLE, fût-il capitaine dans son équipe, ne peut être suspect d'avoir déterminé le jeu, les actions d'un joueur-préposé du Club adverse: il y a donc coordination par un arbitre , pour réaliser conjointement un spectacle dont la qualité est forcément aléatoire, non déterminée par un résultat à l'affichage prédéterminé de concert entre les dirigeants des Clubs qui s'affrontent.
En fait comme en droit, il y a en la matière incompatibilité, par essence, entre la notion de "travail en commun" et la notion de "spectacle sportif ": la première notion suppose en effet, au delà d'une action simultanée, conjointe en vue d'un objectif commun qui peut se retrouver, certes , à l'occasion d'un match de championnat disputé dans le souci de promouvoir le football en général, une relation de préposé à commettant entre l'un des deux dirigeants de Club et chacun des joueurs des deux équipes.
Or, il est évident que cette relation, caractéristique au plan juridique de la relation de travail dans le cadre de la législation spécifique qui fonde la prétention de l'appelante, ne peut être revendiquée ni par la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE ni par le CLUB de NANTES : les conclusions des intimés renvoyant au concept de "délégation" à la LIGUE NATIONALE DE FOOTBALL ou à l'arbitre en est la preuve et, au delà, marque mieux encore que ces deux instances sont, comme le serait un architecte ou maître d'oeuvre sur un
chantier de construction , des tiers qui coordonnent l'action des entreprises à objet sportif que sont les clubs de football, qui fixent les règles de conduite, les délais , les pénalités.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il déclare recevable l'action de la CPAM de NANTES dès lors que les deux clubs , commettant de la victime et de l'auteur des lésions, ne peuvent être considérés comme agissant à l'occasion du match qui a lieu le 29 mai 1999 dans le cadre d'un travail en commun.
B - Sur le bien fondé de la demande en paiement
Il est pris acte du fait, essentiel sur ce plan, que l'appelante entend, au principal, voir condamner exclusivement la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du Code Civil et qu'elle ne vise que subsidiairement le bénéfice d'une condamnation in solidum de la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE et de M. X...
Y...
Quant au fond , il convient de mettre en exergue que, par arrêt du 25 Février 2000 , la Cour de Cassation a, en assemblée plénière, posé pour règle que "n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant".
L'appelante évoque a priori sans nécessité ce principe nouvellement affirmé par la Cour de Cassation puisqu'elle n'entend pas , au principal, revendiquer la condamnation de M. X...
Y...
De leur côté, la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE et M. Y... s'attachent à démontrer que le geste dommageable accompli par le second sur la personne de M. Yves Z... à la cinquante et unième minute du match joué le 29 mai 1999 ne relève pas de ceux qui " excèdent les limites de la mission impartie" à tout joueur de football par les dirigeants de son club.
La question , longuement débattue par les parties au procès, tenant à
savoir si le geste accompli par M. Y... peut être qualifié de "brutalité volontaire" excédant les instructions et missions normalement imparties à un joueur de football, ou s'il constitue un " tacle imprudent et maladroit" ayant la nature d'une faute contre le jeu qui n'excède pas les instructions données ou les missions dévolues à un joueur de football apparaît donc sans intérêt : l'appelante ne discute pas , en effet, au principal, de la nature et portée du geste et, tenue par les termes des articles 4 et 5 du Code de Procédure Civile, la Cour , qui ne peut que condamner la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE sur le simple constat de l'implication de M. Y... dans l'accident en tant qu'auteur exclusif des lésions commises par fait d'imprudence , fait admis page 15 de ses dernières conclusions ( "B le geste de M. X...
Y... caractérise plutôt une faute d'imprudence"), n'a pas lieu de trancher la discussion qui lui est soumise sous cet angle.se sous cet angle.
En effet, l'arrêt du 20 février 2000 n'a pas abrogé les dispositions de l'article 1384 alinéa 5 du Code Civil mais a seulement cantonné l'obligation du préposé impliqué pour une faute réputée ordinaire qui, en l'espèce, est revendiquée par l'employeur lui-même, ce qui ôte toute portée à sa contestation fondée sur les termes de l'article L 454-1 ( ses conclusions p.10, début), n'étant pas contestable, pour le reste, qu'il ne saurait être question d'un partage de responsabilité dans le cas d'espèce et que la jurisprudence du 20 février 2000 substitue manifestement , au moins dans le domaine des activités sportives poursuivies à titre professionnel, à l'alternative "faute- acceptation des risques", l'alternative " acte excédant ou n'excédant pas la mission découlant de la profession".
La S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE , qui ne prétend nullement que le fait de M. Y... serait, par son excès même, survenu en dehors de la mission qui lui était impartie ce qui serait de nature à
l'exonérer elle même de toute responsabilité directe, reste donc tenue directement d'assumer sur le fondement de l'article 1384 OE 5 du Code Civil le risque né dans des conditions ordinaires d'une activité mixte, à la fois sportive, festive et relevant des activités du spectacle, caractère mixte qui, à lui seul, tend à insérer dans le droit commun le plus étroit l'appréciation des responsabilités engagées à l'occasion de l'exercice d'une activité qui n'est plus totalement sportive.
Le jugement est, en conséquence, réformé sur le fond, et il est fait droit à la demande de la CPAM de NANTES en sa formulation principale, ce qui conduit à considérer comme sans objet sa formulation subsidiaire, étant constant, ° que l'état des débours produit par l'appelante n'est pas discuté en ce qu'il évoque une créance "à titre définitif" de 29.123,22 euros. ° que les intimés constitués ne discutent pas non plus le point de départ de l'intérêt au taux légal sur ladite créance, lequel peut, dans ce contexte, être concédé à la CPAM de NANTES, par application de l'article 1153 OE 2 dernière phrase , qui autorise une telle dérogation, à compter du jour de la demande en justice.
Perdant le procès, les intimés seront condamnés à payer à la CPAM de NANTES l'indemnité forfaitaire de gestion au taux plafond de 760 ä et 3.800 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ils seront déboutés, pour la même cause, de leurs propres demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
III - DECISION
La Cour, statuant publiquement,
- Confirme le jugement en ce qu'il déclare recevable l'action introduite par la CPAM de NANTES contre la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE et, subsidiairement, contre M. X...
Y...
- Le réforme pour le surplus.
- Statuant de nouveau,
- Déclare la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE responsable sur le fondement de l'article 1384 OE 5 du Code Civil des dommages causés le 29 mai 1999 à M. Yves Z... par M. X...
Y... , son préposé, dans les limites de sa mission.
- Condamne en conséquence la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE à payer à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de NANTES : . 29.123,22 euros ( vingt neuf mille cent vingt trois euros vingt deux centimes)au titre de ses débours définitifs. . les intérêts sur cette somme , au taux légal, depuis le 21 octobre 1999 par application de l'article 1153-1 paragraphe deux, dernière phrase du Code Civil. . 760 euros (sept cent soixante ) au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion . 3.800 euros ( trois mille huit cents ) par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- Déboute la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE et M. X...
Y... de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- Condamne la S.A.O.S. OLYMPIQUE DE MARSEILLE aux dépens de première instance et d'appel; autorise la SCP BAZILLE et GENICON à les recouvrer par application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Le Greffier, Le Président,