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05/06/2002 | FRANCE | N°01/04671

France | France, Cour d'appel de Rennes, 05 juin 2002, 01/04671


Arrêt rendu le 5 juin 2002 par la chambre de la sécurité sociale de la Cour d'appel de Rennes RG: 01/04671 EXPOSE DES FAITS ET MOYENS DES PARTIES

L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR , représentant le Ministère de la Défense a , le 18 juillet 2001 , régulièrement relevé appel d'un jugement rendu le 18 juin 2001 par le Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale de BREST qui , dans un litige l'opposant à monsieur Henri X... , au sujet de la reconnaissance de la faute inexcusable de la Direction des Constructions Navales ( D.C.N ) de BREST dans la survenance de la maladie de ce der

nier , une asbestose, dont le caractère professionnel a été reconn...

Arrêt rendu le 5 juin 2002 par la chambre de la sécurité sociale de la Cour d'appel de Rennes RG: 01/04671 EXPOSE DES FAITS ET MOYENS DES PARTIES

L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR , représentant le Ministère de la Défense a , le 18 juillet 2001 , régulièrement relevé appel d'un jugement rendu le 18 juin 2001 par le Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale de BREST qui , dans un litige l'opposant à monsieur Henri X... , au sujet de la reconnaissance de la faute inexcusable de la Direction des Constructions Navales ( D.C.N ) de BREST dans la survenance de la maladie de ce dernier , une asbestose, dont le caractère professionnel a été reconnu , a :

- dit que cette maladie est due à une faute inexcusable de l'employeur

- fixé la majoration de l'indemnité de la victime au montant qui lui était allouée en capital

- l'a condamné es qualité à payer outre cette somme celle de 210.000 francs au titre du préjudice personnel et 5.000 francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile .

APPELANTS , l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR et le MINISTÈRE DE LA DÉFENSE , font valoir :

- que c'est dans le souci de protéger les ouvriers et de les prévenir des brûlures et d'une chaleur insupportable que des instruments de protection en amiante ont été utilisés ,

- que l'étude des textes antérieurs à 1977 , conduit à constater que l'utilisation de l'amiante protectrice n'est jamais visée et a fortiori interdite ,

- que la D.C.N. , a pris dès 1950 , en dehors de toute obligation légale , des dispositions en matière d'inhalation d'amiante (port du masque , table de travail avec aspiration des poussières , systèmes

d'aspiration à bord des navires , toile d'amiante anti poussière, atelier spécialisé pour les travaux sur amiante ...) ,

- que l'absence de conscience du danger résultant des protections d'amiante ressort du défaut de question spécifique relative à l'amiante posée en comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail avant les années 1970,

- que preuve n'est pas rapportée par l'appelant que la faute reprochée est bien la cause déterminante de sa maladie .

Ils concluent en conséquence au débouté de monsieur X... de ses demandes, soulignant , à titre subsidiaire , qu'il ne justifie ni de l'existence de son préjudice ni de son quantum .

INTIME ,Henri X... réplique :

- que la nocivité des poussières industrielles a été reconnue par le législateur dès la fin du XIX ème siècle , qu'une réglementation contraignante a été mise en place dès 1913 , que les dangers particuliers liés à l'inhalation des poussières d'amiante ont été dénoncés au début du XX ème siècle et largement diffusés dans le tissu social ; que dès 1945 l'amiante figurait sur la liste des agents pathogènes du tableau des maladies professionnelles et qu'en 1955 , les milieux scientifiques ont révélé le caractère non seulement dangereux mais cancérigène de cette substance ;

- que l'Etat , au travers de la D.C.N. , service du Ministère de la Défense , qui est l'un des plus importants consommateurs d'amiante de l'industrie française ne pouvait ignorer l'ampleur et la nature du danger ainsi que l'obligation dans laquelle elle se trouvait de mettre en oeuvre les dispositifs de protection préconisés depuis 1906;

- que la D.C.N n'a pas appliqué le décret de 1977 sur l'amiante et que plusieurs témoignages justifient qu'au sein des chantiers, les salariés travaillaient dans un nuage de poussière, dans des locaux

confinés ,sans ventilation ni aération , démontant les calorifugeages à base d'amiante sous forme de tresses , matelas ou baudriers pour avoir accès aux tuyauteurs , l'amiante surchauffée se désagrégeant en fine poussière .

Rappelant la jurisprudence en matière de faute inexcusable , Henri X... réclame d'une part que celle ci soit retenue à l'encontre de son employeur et d'autre part que l'indemnité allouée en capital soit doublée en son montant .

Relevant qu'il a travaillé au sein de la D.C.N. du 3 juin 1952 au 30 septembre 1987 , en qualité d'ajusteur mécanicien , l'asbestose qui revêt un caractère incurable , irréversible et évolutif , s'est déclarée en 1998 , a été reconnue en 1999 comme maladie professionnelle et que le taux d'IPP qui en résulte a été fixé à 10% , il s'estime fondé à réclamer , en réparation de chacun de ses préjudices physique , moral et d'agrément une somme de 15.161,39 euros ainsi qu'une indemnité de 1.600 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile .

Pour un plus ample exposé de faits , de la procédure et des moyens des parties , il convient de se référer aux conclusions prises par chacune d'elles et développées oralement . DISCUSSION

1) sur la faute inexcusable de l'employeur

Considérant que la faute inexcusable de l'employeur s'entend:

"d'une faute d'une gravité exceptionnelle , dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire , de la conscience du danger que devait en avoir son auteur ,de l'absence de toute cause justificative et doit être la cause déterminante de l'accident ou de la maladie contractée";

Que même en l'absence de toute réglementation ,il incombe à l'employeur , qui est garant de la sécurité et de la santé du salarié

qu'il emploie en vertu d'un contrat de travail, de prendre pendant toute la durée de l'exécution du contrat , sur les lieux d'intervention du salarié, les mesures individuelles et collectives de prévention et de protection propres à assurer sa sécurité , quelque soit son expérience, en procédant lui même à toutes les vérifications nécessaires, pour s'assurer que ces mesures de prévention et de protection sont efficaces, qu'elles ont été effectivement prises et sont respectées ;

Que cette obligation qualifiée récemment par la Cour de Cassation de résultat, impose à l'employeur de vérifier en permanence que l'activité confiée au salarié, que ce soit la manipulation de produits contenant de l'amiante ou sa présence régulière dans des lieux confinés contenant des poussières d'amiante, ne lui fait pas courir un risque manifeste pouvant porter atteinte à sa santé et à celle des personnes de son entourage par contamination;

Considérant que le caractère professionnel de la maladie qui figure au tableau 30 des maladies professionnelle dont était atteint Monsieur X... ," une asbestose" , ayant été reconnu et pris en charge par le régime spécial de la Sécurité Sociale Militaire le 14 octobre 1999 le taux d' IPP étant fixé à 10 % , il revient à la Cour de dire si cette maladie pulmonaire a été contractée à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle à l'arsenal de Brest puis d'apprécier si la faute inexcusable de son employeur la D.C.N. ,doit être retenue;

2) sur l'exposition au risque d'amiante

Considérant que l'amiante ou asbeste , minéral fibreux qui a la particularité d'être indestructible et incorruptible, résistant aux agressions chimiques et à l'action du feu , présentant une résistance mécanique élevée à la traction est en particulier , utilisé sous forme de fibres textiles ;

Qu'il a un pouvoir d'isolation à la chaleur et à l'électricité très important , ce qui explique son utilisation massive dans l'industrie du bâtiment et des constructions navales jusqu'en 1977, mais a pour inconvénient majeur de produire des poussières volatiles de l'ordre d'un micron qui polluent toute atmosphère fermé et se révèlent particulièrement dangereuses lorsqu'elles sont inhalées puisqu'elles peuvent provoquer des fibroses pulmonaires ou asbestoses, des atteintes pleurales , des cancers du poumon et des mésothéliomes avec un temps de latence de 10 à 20 ans parfois plus;

Considérant que si la législation spécifique sur l'amiante imposant aux utilisateurs de ce minéral de prendre des précautions particulières pour prévenir les dangers auxquels les salariés pouvaient être exposés date du décret n° 77 -949 du 17 août 1977, le risque "amiante " était connu depuis le début du 20 ème siècle , le monde médical et les scientifiques ,après études des pathologies pulmonaires apparemment liées à l'utilisation de l'amiante et l'inhalation de ses poussières, ayant mis régulièrement en garde le monde industriel:

Que c'est ainsi que le danger de l'amiante a été mis en évidence en 1906 par Monsieur Y..., inspecteur du travail à Caen, dans un rapport très détaillé publié au bulletin de l'inspection du travail, à propos de l'utilisation de l'amiante dans une filature d'amiante du Calvados;

Qu'en 1930, le docteur en médecine DHERS publiait un article dans la revue de la médecine du travail "Amiante et asbestose pulmonaire" mettant en évidence l'action sclérosante des poussières d'amiante et soulignant la gravité de cette maladie ; que le 3 août 1945 paraissait le tableau 25 des maladies professionnelles visant les travaux de cardage, filature et tissage de l'amiante, lesquels pouvaient provoquer la silicose, ce tableau, devenu N° 30 , faisant

mention en 1950 de l'asbestose comme maladie professionnelle, laquelle pouvait avoir pour cause l'inhalation des poussières d'amiante par des travaux de calorifugeage au moyen d'amiante.

Que selon une étude en date de 1997 du Professeur de médecine GOT , le risque de développement d'un cancer broncho-pulmonaire a été identifié en 1955 , le risque mésothéliome en 1960 , et le rôle cancérigène de l'amiante mis en évidence en 1965 par le Professeur TURIAF lors d'une séance de l'Académie nationale de Médecine ; que le congrès international sur l'asbestose des 29 et 30 mai 1964 à Caen, organisé par les industriels de l'amiante a permis à tous les industriels qui utilisaient massivement cette substance d'être parfaitement informés des dangers de l'utilisation de ce minéral et des pathologies qu'il pouvait provoquer, principalement le "mésothéliome pleural";

3) sur la responsabilité de la D C N

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'amiante était omniprésente dans les ateliers de construction navale et sur les bâtiments en construction ou en réparation pour assurer l' isolation des plaques d'acier portées à très haute température avant leur soudure , pour l'isolation et l'insonorisation des chaudières thermiques , des conduites d'eau chaude, pour l'utilisation des joints garnitures, gants de protection, vêtements anti-feu;

Qu'à l'occasion des calorifugeages des moteurs et chaudières à l'aide de matelas d'amiante puis par flocage et à chaque intervention lors de leurs réparations , les poussières d'amiante étaient libérées en grande quantité ; que dès lors tant les personnes participant à ces opérations que celles qui se trouvaient présentes pour les nécessités de leur fonction étaient donc exposées au risque amiante , ce qui n'était pas ignoré de l'employeur;

Considérant que même dans l'hypothèse invraisemblable où la D.C.N. aurait ignoré jusqu'en 1997 les risques provoqués par l'inhalation des poussières d'amiante , alors qu'elle dispose d'ingénieurs scientifiques de très haut niveau, de médecins spécialisés des services de Santé ,de laboratoires d'expérimentation très performants ,il lui appartenait de respecter les dispositions du décret du 10 juillet 1913 prescrivant l'évacuation complète des ateliers et autres lieux d'intervention de toutes les poussières d'origine industrielle quelque soit leur toxicité et de mettre à la disposition des salariés qui travaillaient dans les zones à risque des protections individuelles efficaces , ce qui n'a pas été fait ;

4) sur la situation de Monsieur Z...

Considérant que Monsieur Z..., engagé par la D.C.N. de Brest le 3 juin 1952 en qualité d'ajusteur mécanicien , était amené à manipuler régulièrement de l'amiante lorsqu'il travaillait dans les compartiments, chaufferies et machines isolées par des matelas et coussins d'amiante , qu'il devait couper avant d'intervenir ; qu'il a donc été exposé régulièrement à l'inhalation de poussières d'amiante pour avoir travaillé ce minéral dans un environnement pollué et non ventilé ;

Qu'il en résulte que le lien de causalité entre l' affection pulmonaire d'origine professionnelle dont il était atteint et le contact avec l'amiante ou l'exposition aux poussières d'amiante est établi, la D.C.N. ayant massivement utilisé des produits amiantés dans les constructions navales pendant sa période d'activité ;

5 ) sur la faute inexcusable de la D.C.N.

Considérant qu'il résulte des éléments du dossier que la D.C.N. qui construit dans ses arsenaux des navires pour la Marine Nationale et l'exportation , procède à la réparation des bâtiments de mer et à

leur modernisation , a fait un usage important de l'amiante pour calorifuger les sources de chaleur ( chaudières ) , les tuyauteries transportant la vapeur d'eau et assurer une isolation sonore et thermique des installations , dans ses ateliers et sur les navires,

Qu'elle avait nécessairement connaissance dès 1952 , des risques graves auxquels étaient exposés, par inhalation de poussières d'amiante, les ouvriers de l'arsenal de Brest travaillant à la construction et à la réparation des navires ;

Qu'elle reconnaît d'ailleurs dans ses écritures qu'elle n'ignorait pas ce risque, ayant pris , dès 1950 , des mesures pour limiter les effets dangereux de l'usage de l'amiante telles que : mise en place de table de travail avec aspiration des poussières, port d'un masque individuel pour les ouvriers affectés à la confection de matelas d'amiante, à l'insonorisation et à l'isolation thermique, pose d'aspirateurs de fumées et poussières sur les navires, création d'un atelier spécialisé pour les travaux sur amiante;

Qu'en faisant sciemment travailler Monsieur Z... sans moyen de protection suffisante dans des lieux clos dépourvus de ventilation efficace où l'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante lié à son travail d'ajusteur mécanicien était très importante , l'employeur a eu un comportement fautif ayant le caractère d'une faute inexcusable;

6) sur le préjudice

Considérant que les premiers juges ont à raison , eu égard aux circonstances de la maladie professionnelle de monsieur X... , fixé au maximum la majoration de la rente lui revenant ;

Qu'ayant correctement évalué les préjudices , physique moral et d'agrément subi par la victime , âgée de 71 ans et justifiant d'une incapacité de 10 % , le montant des sommes allouées sera également confirmé;

Considérant enfin que l'équité et les éléments de la cause justifient l'octroi en faveur de monsieur X... une somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile , cette somme s'ajoutant à celle fixée en première instance ; . PAR CES MOTIFS

La COUR , statuant publiquement , par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

ALLOUE à Henri X... une indemnité de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile , cette somme s'ajoutant à celle fixée de ce chef en première instance ,

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Numéro d'arrêt : 01/04671
Date de la décision : 05/06/2002

Analyses

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL - Faute inexcusable de l'employeur - Conditions - Conscience du danger - Risques liés au poste de travail - Mesures de protection nécessaires - Défaut - /

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait de la manipulation de produits contenant de l'amiante ou de sa présence régulière dans des lieux confinés contenant des poussières d'amiante. L'employeur qui a ou devrait avoir conscience du danger auquel est exposé son salarié, et qui ne prend pas les mesures nécessaires pour l'en préserver commet une faute inexcusable. Ainsi, en faisant sciemment travailler son employé, alors que le risque était connu depuis longtemps, sans moyen de protection suffisante, dans des lieux clos dépourvus de ventilation efficace, où l'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante liée à son travail était très importante, l'employeur a eu un comportement fautif revêtant le caractère d'une faute inexcusable.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.rennes;arret;2002-06-05;01.04671 ?
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