La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2023 | FRANCE | N°22/01367

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ère chambre sect.famille, 09 juin 2023, 22/01367


N° RG : 22/01367

N° Portalis :

DBVQ-V-B7G-FGPQ



ARRÊT N°

du : 9 juin 2023









B. P.

















M. [T] [N]



C/



Mme [J] [N]

épouse [S]



M. [R] [N]





















Formule exécutoire le :



à :

Me Laurent Thieffry

Me Bruno Choffrut

Me Damien Moittié













>
COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION II



ARRÊT DU 9 JUIN 2023





APPELANT AU PRINCIPAL ET INTIMÉ INCIDEMMENT :

d'un jugement rendu le 1er juin 2022 par le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne (RG 19/02566)



M. [T] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Comparant et concluant par Me Laurent Thieffry, membre de la SELARL CTB a...

N° RG : 22/01367

N° Portalis :

DBVQ-V-B7G-FGPQ

ARRÊT N°

du : 9 juin 2023

B. P.

M. [T] [N]

C/

Mme [J] [N]

épouse [S]

M. [R] [N]

Formule exécutoire le :

à :

Me Laurent Thieffry

Me Bruno Choffrut

Me Damien Moittié

COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION II

ARRÊT DU 9 JUIN 2023

APPELANT AU PRINCIPAL ET INTIMÉ INCIDEMMENT :

d'un jugement rendu le 1er juin 2022 par le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne (RG 19/02566)

M. [T] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Comparant et concluant par Me Laurent Thieffry, membre de la SELARL CTB avocats et associés, avocat au barreau de Reims

INTIMÉ AU PRINCIPAL ET APPELANT INCIDEMMENT :

M. [R] [N]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Comparant et concluant par Me Damien Moittié, membre de la SELARL Duterme - Moittié - Rolland, avocat au barreau de Châlons-en-Champagne

INTIMÉE :

1°] - Mme [J] [N] épouse [S]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Comparant et concluant par Me Bruno Choffrut, membre de la SELARL le Cab avocats, avocat au barreau de Reims

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Pety, président de chambre

Mme Lefèvre, conseiller

Mme Magnard, conseiller

GREFFIER D'AUDIENCE :

Mme Roullet, greffier, lors des débats et du prononcé

DÉBATS :

À l'audience publique, du 11 mai 2023, le rapport entendu, où l'affaire a été mise en délibéré au 9 juin 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par M. Pety, président de chambre, et par Mme Roullet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

- 2 -

Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties :

M. [U] [N], né le 31 décembre 1927, est décédé le 28 décembre 2016.

Son épouse, Mme [X] [B], née le 27 mars 1933, est décédée le 5 mai 2011. Le couple s'était marié le 13 septembre 1954.

Ils laissent pour leur succéder leurs trois enfants :

- [R], né le 20 juillet 1955,

- [T], née le 16 novembre 1956 et

- [J], née le 26 mars 1958.

Me [O] [E], notaire à [Localité 7], a entamé les opérations de comptes, liquidation et partage des successions mais a dû constater le désaccord des parties, principalement sur la question du rapport des donations à successions et leur évaluation.

Par exploits d'huissier du 14 octobre 2019, M. [T] [N] a fait assigner M. [R] [N] et Mme [J] [N] épouse [S] devant le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne aux fins d'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des successions de leurs parents au visa de l'article 815 du code civil.

Dans le dernier état de ses écritures, il demandait ainsi à la juridiction de :

- ordonner l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des successions de M. et Mme [N]-[B],

- dire que Mme [J] [N] épouse [S] devra rapport à succession de la somme de 70 000 euros pour la donation de l'appartement de [Localité 6],

- dire qu'il ne doit pas de rapport à succession,

- dire que M. [R] [N] devra rapport à succession de la somme totale de 616 858,21 euros au titre de la valeur des murs du garage (220 000 euros), de la valeur des parts sociales (22 867 euros), des loyers impayés (83 409,21 euros), du compte courant d'associé (70 964 euros) et du fonds de commerce (219 618 euros),

- condamner M. [R] [N] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

M. [R] [N] pour sa part demandait au tribunal de grande instance de :

- prononcer l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision successorale des époux [N]-[B], et la désignation pour y procéder du président de la chambre interdépartementale des notaires de la Marne ou son délégataire,

- rejeter les demandes de rapport à succession formées par son frère [T] relatives à la donation de 250 parts sociales de la SARL Garage [N], de la valeur du fonds de commerce et des loyers commerciaux dus par la SARL en question,

- dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

Mme [J] [N] épouse [S] sollicitait pour sa part de la juridiction saisie qu'elle :

- 3 -

- statue ce que de droit sur les demandes de ses frères [T] et [R],

- lui donne acte de son accord pour la valeur de l'appartement de [Localité 6] qui lui a été donné, soit 70 000 euros,

- subsidiairement, dise que l'estimation de cet appartement soit réalisée par le notaire désigné pour procéder aux opérations de partage dans son état à la date de la donation,

- statue ce que de droit quant aux dépens.

Par jugement du 1er juin 2022, le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a notamment :

- ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des successions de M. [U] [N] et de Mme [X] [B] épouse [N], ainsi que de l'indivision ayant existé entre eux,

- désigné Me [L] [C], notaire à [Localité 8], pour procéder à l'établissement de l'acte de partage,

- dit que ce notaire établirait les masses active et passive, les droits des parties et leurs éventuelles créances sur l'indivision, la composition des lots à retenir et d'une manière générale l'acte liquidatif,

- dit que Mme [J] [N] épouse [S] doit rapport de la donation du bien situé à [Localité 6],

- dit que le notaire liquidateur procéderait à l'évaluation du montant de la somme à ce titre,

- constaté que le tribunal n'était saisi d'aucune demande de rapport à succession à l'encontre de M. [T] [N],

- dit que M. [R] [N] devait rapport à la succession au titre de la donation de la nue-propriété de l'immeuble sis [Adresse 4] à [Localité 5], objet de l'acte authentique dressé le 27 juillet 2001 par Me [F],

- dit que le notaire liquidateur procéderait à l'évaluation du montant de la somme due à ce titre,

- dit que M. [R] [N] devait rapport à la succession au titre du compte courant d'associé,

- dit que le notaire liquidateur procéderait à l'évaluation de la somme due à ce titre,

- débouté M. [T] [N] de ses demandes de rapport par M. [R] [N] portant sur la valeur des parts sociales de la SARL Garage [N], les loyers impayés et la valeur du fonds de commerce,

- rejeté les demandes formées par les parties au visa de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens seraient employés en frais privilégiés de partage.

M. [T] [N] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 7 juillet 2022, son recours portant sur le débouté de ses demandes de rapport par son frère [R] portant sur la valeur des parts sociales de la SARL Garage [N], les loyers impayés et la valeur du fonds de commerce, outre le rejet des demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En l'état de ses écritures signifiées le 7 octobre 2022, M. [T] [N] demande à la cour de :

- constater que le premier juge ne s'est pas exprimé sur sa demande de rapport par son frère [R] au titre du compte courant,

- par voie d'infirmation et statuant à nouveau, dire que M. [R] [N] devra rapport à la succession des sommes suivantes :

- 4 -

* valeur des parts sociales : 22 867 euros,

* loyers impayés : 83 409,21 euros,

* compte courant d'associé : 70 964 euros,

* fonds de commerce : 219 618 euros,

- condamner M. [R] [N] à lui verser la somme de 3 500 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

- condamner M. [R] [N] à lui verser la somme de 3 500 euros au visa du même article à hauteur d'appel,

- dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

Au soutien de ses prétentions, la partie appelante principale énonce que :

1. Sa s'ur [J] a spontanément, dans le cadre de la succession, suggéré de réévaluer l'appartement de [Localité 6] qu'elle a reçu à la somme de 70 000 euros, estimation pour laquelle il exprime son accord. Le notaire liquidateur devra donc tenir compte dans son projet d'acte liquidatif du rapport à succession et à cette valeur de l'appartement en question, rapport dû par Mme [J] [N] épouse [S].

2. Pour ce qui a trait au prétendu rapport qu'il doit à la succession parentale, M. [T] [N] explique que l'acte de Me [F] du 27 juillet 2001 mentionne qu'il est censé recevoir un lot n°2 consistant en une partie du compte courant d'associé au nom de M. et Mme [N]-[B] dans les livres de la SARL Garage [N] à transférer pour un montant de 475 000 francs. Toutefois, l'appelant précise que cette somme ne lui a jamais été remise de sorte qu'il n'est tenu d'aucun rapport.

3. Pour ce qui a trait aux rapports dus par son frère [R], le même acte notarié mentionne que 250 parts de la SARL Garage [N], estimées en toute propriété à 150 000 francs, ont été données à ce dernier. L'intéressé doit donc rapport à ce sujet d'une somme de 22 867,35 euros. Si la société a effectivement été placée en liquidation judiciaire et si l'estimation doit être faite à la date la plus proche du partage, il faut pour autant tenir compte de l'état du bien lors de la donation, la société étant alors prospère. Il n'est pas envisageable de retenir une valeur nulle comme décidé par le premier juge.

M. [R] [N] a, par ailleurs, reçu de ses parents la nue-propriété d'un immeuble à [Adresse 4] comprenant un grand garage avec station-service et des bureaux, outre la maison attenante. La valeur en nue-propriété de cet immeuble était à l'époque de 400 000 francs. La valeur actualisée est de 220 000 euros. C'est à raison que le premier juge a retenu cette valeur au titre du rapport dû par M. [R] [N], le jugement devant être confirmé de ce chef.

M. [R] [N] a aussi perçu indirectement des avantages via la SARL Garage [N]. En effet, devant les difficultés de trésorerie de la SARL dont [R] était associé gérant, leurs parents ont renoncé par acte notarié du 25 octobre 2005 à percevoir les loyers de 635,16 euros par mois. C'est donc un impayé de loyer pendant 5 ans que M. [T] [N] et Mme [J] [N] épouse [S] ont proposé à leur frère [R] de fixer à la somme globale de 90 000 euros. Il s'y est opposé, faisant valoir qu'il s'agissait d'une dette de la société, et qu'il importait de régulariser une déclaration de créance auprès du mandataire-liquidateur. L'appelant principal objecte que, suite à une donation consentie à l'un des héritiers par l'interposition d'une personne morale, dont ce dernier est associé, le rapport demeure dû à la succession à proportion du

- 5 -

capital que cet héritier détient dans la société, soit présentement : 98 % x 134 mois x 635,16 euros, soit 83 409,21 euros. Le premier juge ne pouvait refuser ce calcul, les écritures de l'intimé et sa pièce n°5 établissant que les loyers n'étaient pas réglés. Sans déclaration de créance de leurs parents à ce titre, l'intention libérale de ces derniers est parfaitement démontrée, et partant leur appauvrissement. Le rapport à succession doit donc se faire et la décision déférée sera à ce sujet infirmée.

Pour ce qui relève du rapport du compte courant d'associé, M. [T] [N] n'a rien reçu à ce titre. Il est constant que son frère [R] a bénéficié, indirectement, de cet avantage pour la somme de 475 000 francs, soit 72 413 euros, outre les 325 000 francs qui lui ont été attribués, soit un total de 800 000 francs ou 121 959,21 euros. La décision dont appel n'a pas statué sur cette question, ce que la cour doit examiner.

Enfin, Lorsque la SARL Garage [N] a été créée, le fonds de commerce de garage est resté la propriété des parents [N]-[B]. Il a été donné en location-gérance à la SARL. Le bilan 2001 fait apparaître la valeur de ce fonds pour 224 100 euros. Il n'a jamais été réglé aux défunts. Il s'agit là encore d'une donation indirecte reçue par l'associé gérant qui en doit rapport dans la proportion de 98 %, soit 219 618 euros. La réformation du jugement s'impose aussi de ce chef.

* * * *

M. [R] [N] sollicite pour sa part de la juridiction du second degré qu'elle :

- confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [T] [N] de ses demandes de rapport à succession portant sur la donation des 250 parts sociales de la SARL Garage [N], la valeur du fonds de commerce et les loyers commerciaux dus par la société,

- le déclare recevable et bien-fondé en son appel incident,

- infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit n'être saisi d'aucune demande de rapport à l'égard de M. [T] [N],

Statuant à nouveau,

- déboute M. [T] [N] de sa demande de dispense de rapport à succession pour la somme de 475 000 francs correspondant à la donation de compte courant d'associé,

- en conséquence, ordonne le rapport par M. [T] [N] de la somme de 475 000 francs qu'il a reçue par acte notarié du 27 juillet 2021,

- ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

L'intimé, qui se porte appelant incident, expose que :

1. Le premier juge aurait dû se prononcer à ce titre. En effet, selon acte authentique du 27 juillet 2001 dressé par Me [T] [F], notaire à [Localité 7], M. et Mme [U] [N] ont fait donation à deux de leurs enfants de différents biens leur appartenant. M. [T] [N] s'est vu attribuer le lot n°2 composé de partie du compte courant d'associé de ses parents dans les livres de la SARL Garage [N] pour un montant de 475 000 francs. Il a donc reçu une libéralité au titre de la créance de ses parents en compte courant d'associé, créance dont la SARL Garage [N] était débitrice envers ces derniers. La donation a subrogé M. [T] [N] dans le droit de créance détenu par ses parents à l'encontre de la personne morale.

- 6 -

Rien ne justifie donc que le subrogé soit déchargé d'un rapport de cette donation à la succession. Il a été remboursé par la SARL de cette créance après l'obtention par la société d'un prêt de 80 000 euros par le Crédit Agricole pour l'apurer, la première échéance étant survenue en septembre 2001 et la dernière en août 2008. Le bénéficiaire de cette donation a donc été rempli de ses droits comme l'atteste l'expert-comptable. Aucune dispense de rapport n'est ici justifiée et la décision dont appel sera à ce titre réformée.

2. Les 250 parts sociales que ses parents lui ont données par acte notarié du 27 juillet 2001 pour une valeur nominale de 600 francs doivent être évaluées à l'époque du partage. Les opérations de liquidation judiciaire de la SARL Garage [N] sont toujours en cours, le passif étant évalué à 268 025,60 euros pour un actif réalisé de 114 768,18 euros. C'est dire que la valeur des parts est à ce jour nulle. Rien n'établit au surplus que la procédure collective en cours soit la conséquence d'une mauvaise gestion de sa part.

3. Sur le prétendu rapport de la valeur du fonds de commerce, M. [R] [N] fait valoir que la preuve d'un apport de ce fonds en pleine propriété à la SARL Garage [N] est rapportée pour 224 100 euros dans les comptes clos au 31 décembre 2001. C'est dire que le fonds de commerce a bien été cédé par ses parents à la SARL contre une inscription du prix de cession au compte courant d'associé des époux [N]-[B].

4. Sur le prétendu rapport des loyers commerciaux, ceux-ci étaient dus par la SARL Garage [N]. M. [R] [N], gérant de la société, fait valoir qu'il a toujours eu l'intention de régler la dette locative à son père. Jusqu'au prononcé de la liquidation judiciaire, cette dette est demeurée impayée sans réaliser une quelconque enrichissement. L'intention libérale de M. [U] [N] n'aurait pu se concevoir qu'avec un abandon de créance ou une cession de créance pour une valeur dérisoire. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Lors de l'ouverture de la procédure collective, M. [U] [N] a déclaré sa créance au passif de la société. Cette déclaration vaut demande en paiement et traduit l'absence de toute intention libérale de son auteur.

* * * *

Par conclusions signifiées le 12 décembre 2022, Mme [J] [N] épouse [S] demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur l'appel de M. [T] [N],

- dire n'y avoir lieu à prononcer une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à son encontre,

- statuer ce que de droit sur les dépens de première instance et d'appel qui en aucun cas ne devront être laissés à sa charge.

1. L'intimée confirme qu'elle a reçu donation de ses parents d'un appartement sis à [Localité 6], estimé à 200 000 francs, soit 30 490 euros. Pour tenir compte de la réévaluation dans le cadre du rapport qu'elle doit à ce titre à la succession, elle a proposé de fixer la valeur du bien à 70 000 euros. Le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a retenu cette proportion pour le rapport à succession. Aucune partie n'a relevé appel de cette disposition qui sera confirmée par la cour.

2. Les autres demandes ne concernent que ses frères et elle entend donc s'en rapporter à prudence de justice à ce titre.

* * * *

- 7 -

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 21 avril 2023.

* * * *

Motifs de la décision :

- Sur le rapport à la succession par M. [T] [N] de la donation de compte courant d'associé de ses parents au sein de la SARL Garage [N] :

Attendu qu'aux termes de la décision contestée, le premier juge a constaté qu'il n'était saisi d'aucune demande de rapport à succession à l'encontre de M. [T] [N], ce que M. [R] [N] conteste dans la mesure où les écritures de son frère [T] devant le premier juge visent explicitement une demande de ce dernier aux fins de dire qu'il ne doit aucun rapport à succession ;

Que, visant l'article 843 du code civil, M. [R] [N] rappelle que son frère [T] a reçu de ses parents, par acte authentique du 27 juillet 2001, partie du compte courant d'associé dans les livres de la SARL Garage [N] pour la somme de 475 000 francs, ce qui transparaît des pièces comptables communiquées aux débats, la SARL Garage [N] s'étant acquittée de cette charge entre septembre 2001 et août 2008 au moyen d'un prêt bancaire de 80 000 euros ;

Que l'intimé précise que si cette créance de compte courant n'avait pas été versée au donataire, elle serait comptabilisée au passif de la société, ce qui n'est pas le cas, seule une dette ayant été comptabilisée au titre du prêt souscrit par la SARL pour désintéresser M. [T] [N] de sa créance ;

Que ce dernier en doit donc le rapport à la succession, ce qu'il conteste en exposant qu'il n'a jamais été rempli de ses droits du chef de cette donation ;

Attendu que la lecture de l'acte authentique dressé le 27 juillet 2001 par Me [T] [F], notaire à [Localité 7], enseigne que M. et Mme [U] [N]-[B] ont notamment fait donation à leur fils [T] de partie de leur compte courant d'associé inscrit dans les livres de la société SARL Garage [N] pour la somme de 475 000 francs (2e lot attribué à ce donataire qui l'a accepté), l'acte mentionnant qu'aucune dérogation n'est apportée par les parties aux règles légales relatives au rapport à faire par le donataire ;

Qu'il est en outre justifié par M. [R] [N] de ce que la SARL Garage [N] a souscrit un prêt de ce montant auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole, emprunt venant à échéance en août 2008, charge qui apparaît au détail des comptes du bilan passif de la SARL 2001 et 2002 communiqués aux débats ;

Que l'expert-comptable chargé d'établir les bilans comptables de la SARL garage [N], M. [T] [H], expose dans un e-mail du 20 juin 2014 adressé à Me [O] [E], notaire initialement en charge des opérations de liquidation successorale, que la société a souscrit un emprunt de 475 000 francs pour le remboursement du compte courant de M. [T] [N], cet emprunt étant à la date du message entièrement remboursé ;

- 8 -

Qu'il résulte de ces informations que la SARL Garage [N] a bien mis en 'uvre les moyens financiers nécessaires pour remplir M. [T] [N] de ses droits en qualité de donataire de ses parents de partie de leur compte courant d'associé, ce qui justifie à due concurrence le rapport à la succession par l'intéressé de cette libéralité ;

Que le jugement dont appel sera en cela infirmé ;

- Sur le rapport à la succession par M. [R] [N] de la donation de 250 parts de la SARL Garage [N] :

Attendu les parties ne discutent pas la circonstance qu'aux termes de l'acte notarié dressé le 27 juillet 2001 par Me [F], acte précédemment visé, M. et Mme [N]-[B] ont donné à leur fils [R] 250 parts de la SARL Garage [N] d'une valeur totale estimative en toute propriété de 150 000 francs (premier lot) ;

Que MM. [T] et [R] [N] s'opposent cependant à ce titre sur la question du rapport dû par ce dernier à la succession, dès lors que la SARL en question est à ce jour en liquidation judiciaire, les opérations de la procédure collective ayant permis de déterminer l'ampleur du passif admis de plus de deux fois supérieur à l'actif réalisé, ce qui signifie aux dires de l'intimé que ces parts sociales sont aujourd'hui d'une valeur inexistante, contrairement à ce qu'elles valaient au jour de la donation, soit 600 francs ;

Que M. [R] [N] entend en cela rappeler, au visa de l'article 860 alinéa 1 du code civil, que ces parts doivent bien être évaluées au moment du partage, ce que conteste la partie appelante qui entend voir retenir la valeur des parts au temps de la donation, la perte de valeur n'étant selon elle que la résultante d'une gestion catastrophique par son frère de la société ;

Attendu que les données sur la liquidation judiciaire de la SARL Garage [N] transmises par M. [R] [N] sous ses pièces n°3 et 4 enseignent que le rapport passif admis / actif réalisé est bien de 268 025,60 / 114 768,18 euros, soit un rapport de 2,33 ;

Que, dans ce contexte, c'est à raison que le premier juge a considéré que les parts sociales reçues par M. [R] [N] ne présentaient plus aucune valeur au jour du partage, aucune circonstance ne pouvant justifier de se placer au jour de la donation pour estimer ces parts, l'allégation d'incurie portée par M. [T] [N] contre son frère [R], gérant du fonds, n'étant en l'état démontrée par aucune des cinq pièces versées aux débats par la partie appelante principale ;

Que c'est ainsi par des motifs pertinents que le premier juge a débouté M. [T] [N] de sa demande de rapport à succession par son frère [R] des parts sociales reçues en juillet 2001, la décision entreprise étant en cela confirmée ;

- Sur le rapport à la succession par M. [R] [N] de l'avantage indirect correspondant aux loyers impayés :

Attendu, sur cette question, qu'il est constant qu'aux termes d'un acte authentique dressé le 25 octobre 2005 par Me [T] [F], notaire à [Localité 7], M. et Mme [U] [N]-[B] en qualité d'usufruitiers, et M. [R] [N], en qualité de nu-propriétaire, ont donné à bail à la SARL Garage [N] un immeuble sis à [Adresse 4], pour

- 9 -

une durée de 9 années renouvelable à compter du 27 juillet 2001, moyennant le versement d'un loyer annuel de 7 622,44 euros(ou 1 905,61 euros par trimestre) ;

Qu'il résulte de la pièce n°5 transmise par M. [R] [N] lui-même, s'agissant du courrier adressé le 20 juin 2014 par l'expert-comptable, M. [T] [H], à Me [E], qu'au 31 décembre 2013, la SARL [N] devait à M. [U] [N] notamment des arriérés de location immobilière pour 45 734,64 euros, ce qui caractérise dans cette proportion un retard de loyers que l'intimé peut difficilement nier ;

Qu'en outre, si ce dernier prétend que la notion d'intention libérale de ses parents ne peut raisonnablement s'articuler avec celle de déclaration de créance, le document établi par le mandataire judiciaire à la liquidation de la SARL Garage [N], pièce n°3 produite par M. [R] [N], ne mentionne qu'une déclaration de créance de «M. [N] loueur» de 9 642,72, ce qui signifie que les époux [N]-[B] ont de fait renoncé à réclamer le surplus, c'est-à-dire : 45 734,64 - 9 642,72 euros, soit 36 091,92 euros ;

Que les époux [N]-[B] ont donc bien subi un appauvrissement à concurrence de cette somme, la déconfiture de leur ancienne entreprise les ayant manifestement conduits à renoncer à tout recouvrement de cette somme, seule l'intention libérale envers leur fils associé gérant de la société exploitant ce garage pouvant expliquer cette situation ;

Que la cour entend, dans ces conditions, retenir au titre du présent arrêt que M. [R] [N] doit le rapport à la succession au titre de l'avantage indirect dont il a ainsi bénéficié, le fait que les loyers étaient dus par la personne morale n'interdisant nullement l'action aux fins de rapport à l'endroit de l'associé gérant, mais alors en proportion du capital que l'héritier détient dans la société, en l'occurrence 98 % ;

Qu'en définitive, M. [R] [N] doit le rapport à la succession, au titre des loyers impayés à ses parents par la SARL Garage [N], dans la limite de : 0,98 x 36 091,92 euros, soit 34 662,68 euros ;

Que le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il déboute M. [T] [N] de sa prétention à cette fin ;

- Sur le rapport à la succession par M. [R] [N] du compte courant d'associé :

Attendu que si M. [T] [N] expose à ce sujet que le jugement dont appel ne statue pas sur cette question, il doit cependant être observé à la lecture du dispositif de la décision querellée qu'il est explicitement mentionné ceci : «Dit que M. [R] [N] doit rapport à la succession au titre du compte courant d'associé» et «Dit que le notaire liquidateur procédera à l'évaluation de la somme due à ce titre» ;

Que M. [R] [N] n'explicite à ce titre aucune observation ;

Que la cour observe que si M. [T] [N] sollicite la fixation du rapport dû à la succession par son frère au titre du compte courant d'associé à la somme de 70 964 euros, montant que le premier juge n'a pas arrêté puisqu'il en confie l'évaluation au notaire liquidateur, il ne résulte pas de la

- 10 -

déclaration d'appel régularisée par l'appelant principal qu'il ait mentionné dans les chefs querellés la disposition du jugement relative à cette question ;

Que M. [T] [N] n'est donc pas recevable à voir infirmer de ce chef la décision entreprise, aucun effet dévolutif n'en saisissant la cour ;

- Sur le rapport à la succession par M. [R] [N] de l'avantage indirect correspondant à l'absence de versement du prix de cession du fonds de commerce de garage :

Attendu que M. [T] [N] énonce à ce titre que lorsque la SARL Garage [N] a été constituée, le fonds de commerce de garage est resté la propriété de ses parents qui l'ont donné en location-gérance à la société ;

Qu'il est toutefois mentionné dans le bilan 2001 de la SARL une valorisation du fonds de commerce à 224 100 euros, fonds qui manifestement n'a jamais été payé aux parents défunts, ce qui est une nouvelle fois constitutif d'une donation indirecte dont l'associé gérant doit le rapport à la succession dans la proportion de 98 % du capital social ;

Que M. [R] [N] réfute un tel raisonnement, confirmant cependant que l'apparition à l'actif du bilan de la société de la valeur d'un fonds de commerce établit de manière incontestable la mutation de sa propriété des époux [N]-[B] à la personne morale ;

Que, pour autant, cet apport en pleine propriété du fonds de commerce valorisé à la somme de 224 100 euros a été comptabilisé à l'actif de la personne morale mais aussi par la mention au passif de la société d'un compte courant au profit des cédants de sorte que ce fonds n'a pas été donné mais cédé à la SARL, le prix de cession étant inscrit au compte courant d'associé des époux [N]-[B], ce qui a été transformé en poste autres «dettes» lors de la donation de leurs parts sociales ;

Attendu que la consultation des comptes annuels 2001 de la SARL Garage [N] confirme que le fonds de commerce y est mentionné aux comptes bilan actif pour la somme de 224 100,06 euros ;

Que l'acte d'apport dressé le 27 juillet 2001 par Me [F] (pièce n°6 de l'intimé) confirme également qu'en contrepartie de cet apport du fonds de commerce de garage à la personne morale, il est inscrit au crédit du compte courant d'associé de M. et Mme [N]-[B] dans les livres de la société la valeur de l'apport, soit 1 500 000 francs ;

Que l'expert-comptable de la SARL Garage [N], M. [H], mentionne dans son message à Me [E] du 20 juin 2014 qu'au 31 décembre 2013, la SARL [N] devait à M. [U] [N] le solde de la rémunération de l'apport du fonds de commerce, soit 102 243,60 euros, ce qui permet d'établir qu'à cette date, une partie non négligeable du prix de cession du fonds à la société avait été réglée (un peu plus de la moitié) ;

Que, contrairement aux précédents développements relatifs à l'arriéré de loyers où une partie de la créance des bailleurs avait donné lieu à déclaration au passif de la personne morale, le prix de cession du fonds n'a donné lieu à aucune déclaration de créance auprès du mandataire, ce qui n'autorise pas la cour à en tirer comme conséquence, outre l'appauvrissement

- 11 -

du cédant mais qui n'est peut-être que temporaire à cette date, que M. [U] [N] avait eu l'intention de renoncer à tout recouvrement à ce titre et de manifester envers l'associé gérant de la SARL une quelconque intention libérale, le créancier pouvant, à la date du 13 juillet 2016, date du dépôt du passif dans le cadre de la procédure de sauvegarde de la SARL Garage [N], se situer dans une position attentiste sans qu'il renonce pour autant à tout espoir d'être un jour rempli de ses droits, le décès de M. [N] père n'étant de surcroît survenu que quelques mois plus tard, le 28 décembre 2016 ;

Que ces données ne permettant pas de caractériser utilement l'intention libérale de M. [U] [N], aucune donation indirecte en faveur de M. [R] [N] n'est à ce titre démontrée, le jugement déféré étant ainsi confirmé en ce qu'il déboute M. [T] [N] de sa demande de rapport à la succession par son frère [R] de la valeur du fonds de commerce ;

- Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Attendu que chacune des parties appelantes (principal et incidente) obtenant à l'issue de l'instance en appel un gain très partiel de ses prétentions, il y a lieu de partager entre elles par moitié la charge des dépens d'appel, la décision entreprise étant confirmée en ce qu'elle ordonne l'emploi en frais privilégiés de partage des dépens de première instance ;

Qu'aucune considération d'équité ne commande de faire droit à leurs prétentions indemnitaires réciproques exprimées à hauteur de cour comme en première instance au visa de l'article 700 du code de procédure civile, chacune étant ainsi déboutée de sa demande à cette fin, le jugement dont appel étant confirmé de ce chef ;

* * * *

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, dans la limite des appels,

- Déclare M. [T] [N] irrecevable, faute de dévolution de l'appel, en sa demande de fixation du rapport à succession par son frère [R] d'une somme de 70 964 euros au titre du compte courant d'associé ;

- Infirme la décision déférée en ses dispositions constatant que le tribunal judiciaire n'est saisi d'aucune demande de rapport à succession à l'encontre de M. [T] [N] et déboutant ce dernier de sa demande de rapport par son frère [R] relativement aux loyers impayés ;

Prononçant à nouveau de ces deux chefs,

- Dit que M. [T] [N] doit rapport à la succession d'une somme de 475 000 francs correspondant à la donation de ses parents de partie de leur compte courant d'associé au sein de la SARL Garage [N] ;

- Dit que M. [R] [N] doit rapport à la succession d'une somme de 34 662,68 euros au titre de l'avantage indirect perçu du chef de loyers impayés à ses parents ;

Pour le surplus,

- 12 -

- Confirme le jugement dont appel en toutes ses autres dispositions querellées ;

- Partage les dépens d'appel par moitié entre les parties appelantes, MM. [T] et [R] [N] ;

- Déboute MM. [T] et [R] [N] de leurs prétentions indemnitaires exprimées au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit que les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile pourront trouver à s'appliquer en la cause dans les proportions précédemment définies quant à la répartition des dépens ;

- Renvoie les parties devant le notaire chargé des opérations de liquidation successorale aux fins de finalisation de l'acte de partage.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ère chambre sect.famille
Numéro d'arrêt : 22/01367
Date de la décision : 09/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-09;22.01367 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award