N° RG : 22/00940
N° Portalis :
DBVQ-V-B7G-FFOE
ARRÊT N°
du : 17 mars 2023
B. P.
Mme [L] [R]
épouse [J]
C/
Mme [C] [F]
veuve [R]
Formule exécutoire le :
à :
Me Alexandra Ternon
Me Isabelle Baisieux
COUR D'APPEL DE REIMS
1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION II
ARRÊT DU 17 MARS 2023
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 2 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne (RG 19/00426)
Mme [L] [R] épouse [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Comparant et concluant par Me Alexandra Ternon, avocat au barreau de Reims
INTIMÉE :
Mme [C] [F] veuve [R]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Comparant et concluant par Me Isabelle Baisieux, avocat au barreau de Reims
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Pety, président de chambre
Mme Lefèvre, conseiller
Mme Magnard, conseiller
GREFFIER D'AUDIENCE :
Mme Roullet, greffier, lors des débats et du prononcé
DÉBATS :
À l'audience publique du 9 février 2023, le rapport entendu, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 mars 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par M. Pety, président de chambre, et par Mme Roullet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties :
De l'union de M. [S] [R] et de Mme [C] [F] est née [L] [R], le 20 juillet 1964 à [Localité 5].
M. [S] [R] est décédé le 12 mars 2018.
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Par acte d'huissier du 18 janvier 2019, Mme [L] [R] épouse [J] a fait assigner Mme [C] [F] veuve [R] devant le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne aux fins d'obtenir de la juridiction, au visa des articles 1303, 1099 et suivants et 1094-3 et suivants du code civil, qu'elle :
- fixe le rapport à la succession de M. [S] [R] par Mme [F] veuve [R] à la somme de 51 000 euros au titre de l'enrichissement sans cause,
- enjoint à celle-ci de procéder au placement ou à l'emploi des sommes de la succession dans un délai maximal d'un mois à compter de la signification de la décision,
- la condamne à lui verser une indemnité de procédure de 2 500 euros, outre les dépens.
Mme [C] [F] veuve [R] a conclu à l'irrecevabilité des demandes de Mme [R] épouse [J], subsidiairement à leur rejet, à la condamnation de la demanderesse à lui verser la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral, outre une indemnité pour frais irrépétibles de 2 500 euros ainsi que les entiers dépens.
Par jugement du 2 mars 2022, le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a :
- déclaré Mme [R] épouse [J] recevable en ses demandes,
- débouté Mme [R] épouse [J] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté Mme [F] veuve [R] de sa demande en dommages et intérêts,
- débouté Mme [R] épouse [J] et Mme [F] veuve [R] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [R] épouse [J] aux dépens.
Mme [R] épouse [J] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 28 avril 2022, son recours portant sur le rejet de l'ensemble de ses demandes ainsi que sa condamnation aux entiers dépens.
Aux termes de ses écritures signifiées le 8 décembre 2022, Mme [R] épouse [J] demande par voie d'infirmation à la cour de :
- fixer à 51 252,35 euros la somme que Mme [F] veuve [R] devra rapporter à la succession de M. [S] [R] au titre de l'enrichissement sans cause,
- condamner Mme [F] veuve [R] à procéder au placement ou à l'emploi des sommes de la succession dans un délai maximal d'un mois à compter de la signification de la décision,
- condamner Mme [F] veuve [R] à lui payer la somme de 2 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la partie appelante expose que :
1. Ses parents se sont mariés sous le régime de la séparation de biens, selon contrat de mariage reçu le 22 octobre 1957 par Me [X] [D], notaire à [Localité 4]. Suite au décès de son père, l'ouverture de la succession a été confiée à Me [B], notaire en cette même commune. Elle a alors découvert un testament écrit de son père alors que son état était déjà très altéré et par lequel il a fait une donation à son épouse et nommé sa petite-fille [U] [J] légataire universel. Les opérations de succession ont fait apparaître diverses irrégularités détournant un actif important du patrimoine
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propre du défunt. Toutes tentatives de règlement amiable du conflit ont été un échec de sorte que Mme [J] a été contrainte de saisir la juridiction pour faire valoir ses doits,
2. M. [S] [R] a laissé comme héritiers pour recueillir sa succession :
* Mme [C] [F] veuve [R], son épouse survivante, donataire de l'universalité en usufruit des biens meubles et immeubles dépendant de la succession, aux termes de la donation entre époux,
* Mme [L] [R] épouse [J], sa fille unique, héritière de la totalité en nue-propriété.
3. Le patrimoine du défunt a déjà été appauvri de son vivant et la masse successorale s'en est trouvée affaiblie. L'usufruit dont dispose Mme [F] sur la totalité de la succession du défunt va continuer à affaiblir ce dont l'enfant unique disposera, cet appauvrissement du patrimoine paternel étant en lien direct avec les droits de la demanderesse dans la succession de son père,
4. La détermination du patrimoine propre [personnel] de M. [S] [R] est déterminante pour le calcul des parts successorales, que ce soit en nue-propriété ou en usufruit. Les comptes bancaires transmis dans le cadre du règlement de succession font apparaître de nombreux virements depuis les comptes joints alimentés par des fonds propres de M. [R] au profit de Mme [F]. Il semble que tous les comptes bancaires de M. [R] étaient des comptes communs aux deux époux. Mme [F] veuve [R] disposait de comptes en son nom propre et ne peut soutenir que le couple [R]-[F] ne bénéficiait que d'un seul compte commun permettant de gérer toutes les dépenses du couple. Courant juin, juillet et septembre 2017, des sommes importantes provenant notamment de la vente d'un garage et de la maison du couple [R] ont été versées sur un compte tenu au Crédit Agricole mais Mme [F] veuve [R] s'est empressée d'émettre des virements de ce compte ou des chèques à son profit ou au profit de comptes dont le titulaire n'est pas explicité, le tout pour un montant de plus de 74 277,16 euros. Tous les chèques sont signés de la main de sa mère car son père ne s'occupait jamais des comptes. Par ailleurs, Mme [F] ne peut nier que c'est M. [R] qui supportait les frais du quotidien depuis le compte joint qu'il alimentait seul, ou que Mme [F] n'alimentait que très peu. En résumé, les sommes détournées en deux semaines, provenant de la vente de l'immeuble de ses parents, leur appartenant pour moitié chacun, ne pouvaient se justifier par des dépenses courantes, voire même des travaux dont l'effectivité n'est du reste par rapportée. Cette somme est exorbitante compte tenu du train de vie modeste de ses parents,
5. On peut aussi constater des débits conséquents dès l'hospitalisation de M. [R]. Sa mère cache les divers comptes ouverts à son nom et sur lesquels elle a détourné des fonds propres de son mari. Il eût été loisible à Mme [F] de produire son relevé Ficoba. En outre, des virements ont été opérés vers des comptes dont la demanderesse ne connaît pas le titulaire. Toutes ces opérations faussent la réserve héréditaire dont la demanderesse estime devoir bénéficier. Il est ainsi démontré un appauvrissement de sa part de succession et un enrichissement sans fondement de sa mère, ce qu'aucune obligation naturelle ou morale entre époux ne peut expliquer. La somme de 51 252,35 euros doit être réintroduite à la succession. C'est la moitié du prix de vente de la maison et du garage dont les fonds ont été prélevés par sa mère (42 252,35 + 9 000 euros),
6. Mme [J] demande à la cour, au visa des dispositions de l'article 1094-3 du code civil, que les sommes dont sa mère est quasi-usufruitière soient placées. Cette dernière n'a jamais caché sa volonté de la «déshériter».
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D'importantes liquidités se sont déjà volatilisées. Mme [J] entend simplement que la situation patrimoniale de son défunt père soit rétablie par
respect pour son travail. Mme [J] propose donc plusieurs placements Allianz qui permettraient à Mme [F] veuve [R] de bénéficier de taux de rendement intéressants, ce qui l'aiderait à entretenir sa maison.
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Par des écritures signifiées le 17 octobre 2022, Mme [C] [F] veuve [R] sollicite de la juridiction du second degré qu'elle :
- confirme le jugement entrepris,
- déboute en conséquence Mme [J] de ses demandes plus amples ou contraires,
Statuant à nouveau,
- condamne Mme [J] à lui verser la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- condamne Mme [J] au versement d'une somme de 5 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne Mme [J] aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, Mme [F] veuve [R] énonce que :
1. Sa fille ne procède dans ce dossier que par affirmations sans apporter la moindre justification de ses dires, alors que la charge de la preuve repose sur elle. En effet, il est établi que les époux [R]-[F] ne disposaient que d'un compte joint avec lequel le couple gérait l'ensemble du ménage depuis le mariage. Il est inexact de soutenir, comme le fait la demanderesse, que ce compte était alimenté uniquement par les gains de M. [R]. Mme [F] veuve [R] y verse sa retraite. Si Mme [J] énonce que la somme de 17 000 euros provenant de la vente d'un garage a été versée par chèque sur ce compte, l'origine de cette somme n'est pas déterminée. La somme de 84 000 euros provenant de la vente de la maison du couple [R] a été virée sur le compte de la Banque Populaire d'après sa fille. Mais cette dernière estime que cette somme ne peut bénéficier à sa mère. La maison était pourtant commune [indivise] aux époux,
2. Sa fille critique divers débits sur le compte joint de ses parents mais il s'agissait de dépenses d'entretien de la maison parentale (rénovation de volets roulants, rénovation de la façade). Elle conteste même les frais d'obsèques de son père. Idem pour le retrait de 700 euros par mois. Or, la retraite de Mme [F] veuve [R] est versée sur le compte joint de sorte qu'elle en use pour ses dépenses courantes (courses, frais d'infirmière, coiffeur, etc.). Nul ne sait à quoi correspond la somme de 51 000 euros réclamée par Mme [J] au titre de l'enrichissement sans cause. On ne voit pas en quoi cette somme devenue devant la cour celle de 51 252,35 euros peut correspondre aux autres montants avancés par le détail par la demanderesse. Il semble qu'il s'agisse désormais de la moitié du prix de vente de la maison indivise des époux [R]-[F] et d'un garage. Mme [J] semble donc abandonner ses prétentions au titre des autres sommes,
3. Sur le quasi-usufruit allégué par Mme [J], il est exact que Mme [F] veuve [R] est quasi-usufruitière des comptes et placements de son époux. Elle devra restituer au nu-propriétaire à la fin de l'usufruit la
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somme dont elle aura bénéficié. L'actif de la succession de M. [R] est de 200 776,03 euros, dont 196 000 euros constitués sur un bien immobilier. La somme de 17 276,03 euros revendiquée par Mme [J] correspond à un montant relatif au vu des proportions rappelées ci-dessus. Mme [F] est par ailleurs propriétaire indivise avec feu son époux de biens immobiliers pour un montant de 36 000 euros. Ce bien est en indivision à ce jour avec Mme [J]. Sans l'autorisation de cette dernière, ce bien ne peut être vendu. Mme [J] retrouvera forcément à la succession de sa mère la valeur de 17 000 euros au titre de laquelle elle revendique aujourd'hui la constitution d'une garantie,
4. Mme [F] veuve [R] rappelle qu'elle doit entretenir le bien dont elle a l'usufruit. Elle a poursuivi la rénovation de la maison dans laquelle elle demeure. Elle n'a que 900 euros par mois de retraite et doit faire face à des charges incompressibles de 444,76 euros chaque mois. Au vu du montant du quasi-usufruit comme de celui de l'actif dont elle ne peut disposer sans l'accord de sa fille, cette dernière sera aussi déboutée de sa demande de constitution de garantie sur le quasi-usufruit dont dispose sa mère,
5. Mme [F] veuve [R] déplore l'attitude de sa fille qui l'accuse de vouloir la priver de son héritage. Il n'a jamais été question pour elle de manipuler son mari. Les propos de sa fille lui sont dommageables, ce dont elle entend obtenir réparation.
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L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 20 janvier 2023.
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Motifs de la décision :
- Sur la demande de rapport à succession pour motif d'enrichissement sans cause :
Attendu que l'article 1303 du code civil énonce qu'en dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement ;
Attendu que, sur ce fondement juridique, Mme [J] sollicite la fixation à la somme de 51 252,35 euros de ce que sa mère, Mme [F] veuve [R], doit rapporter à la succession de M. [S] [R] au titre de l'enrichissement sans cause, ce que la partie appelante commente dans ses écritures comme correspondant à la moitié des prix de vente courant 2017 d'un garage et de l'habitation de ses parents, soit : (18 000 + 84 504,70 euros) / 2 ;
Que Mme [J] précise que les fonds issus de la vente de ces deux biens immobiliers ont été virés sur le compte joint de ses parents, compte dont il faut constater, en l'état des relevés bancaires versés aux débats, de nombreux débits et pour des sommes conséquentes alors que M. [S] [R] était hospitalisé ;
Que Mme [F] veuve [R] maintient que rien dans les pièces produites devant la cour par sa fille, [L] [J], ne peut justifier l'action de cette dernière ;
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Attendu qu'il est constant et non discuté par les parties que M. [S] [R] et Mme [C] [F] veuve [R] se sont mariés le 26 octobre 1957 sous le régime de la séparation de biens aux termes d'un contrat reçu le 22 octobre 1957 par Me [X] [D], notaire à [Localité 4], régime qui n'a subi aucune modification conventionnelle ou judiciaire jusqu'au décès de M. [S] [R] survenu le 12 mars 2018 ;
Qu'il n'est pas davantage contesté que le défunt avait régularisé une donation entre époux reçue par Me [K] [A], notaire à [Localité 6], le 15 juin 1993 par laquelle il a institué son épouse donataire de l'universalité en usufruit des biens meubles et immeubles dépendant de sa succession, Mme [J], enfant unique, disposant de la totalité en nue-propriété ;
Que si M. [S] [R], par testament olographe du 26 novembre 2015, déposé au rang des minutes de Me [W] [B], notaire à [Localité 4], suivant procès-verbal du 9 avril 2019, a institué pour sa légataire universelle [U] [J], sa petite-fille, c'est toutefois en laissant sauf l'effet de la donation entre époux sus-visée, au profit de son épouse, et qui s'exercera en priorité ;
Qu'il se déduit de ce qui précède que les deux biens immobiliers, garage et maison d'habitation, vendus respectivement les 14 septembre et 30 juin 2017 pour les sommes de 18 000 et 84 504,76 euros, dont aucune des parties ne remet en cause la nature indivise et la propriété pour moitié détenue par chaque partie, doivent donner lieu à la remise d'une égale somme à Mme [F] veuve [R] pour sa part de droits indivis dans ces biens et à la succession de M. [S] [R] pour la part de ce dernier détenue dans ces mêmes immeubles, ces ventes étant intervenues du vivant de ce dernier ;
Qu'il n'est pas non plus discuté que les sommes de 18 000 et 84 504,76 euros ont été virées sur le compte joint des époux [R]-[F] tenu dans les livres de la Banque Populaire ;
Que si l'examen des relevés bancaires de ce compte suggère d'importants mouvements inscrits au débit suite aux deux virements visés ci-dessus ayant crédité ce compte joint, tous ne peuvent être imputés à Mme [F] épouse [R] faute de justification suffisante, précision étant faite que les charges du ménage étaient régulièrement débitées de ce compte joint, les pensions de retraite de M. [S] [R] comme de son épouse, Mme [F] épouse [R], y étant également versées ;
Que la cour retient en l'état des pièces n°18 et 19 transmises par Mme [J] qu'un chèque de 17 000 euros a été libellé par Mme [F] épouse [F] le 14 septembre 2017 à son profit, un autre chèque de 20 000 euros ayant été rédigé dans des conditions similaires le 11 juillet 2017, effets tirés sur le compte joint des époux [R]-[F] ;
Que si Mme [J] fait encore état d'autres opérations de débits importants sur le compte joint de ses parents, à savoir deux versements exceptionnels de 11 963,03 et 11 664,13 euros sur des comptes épargne non identifiés, une ouverture d'un LEP avec virement de 7 700 euros sur ce produit, d'une ouverture d'un livret A avec versement sur ce produit de 22 950 euros, toutes ces opérations ayant été régularisées du vivant de M. [R], force est d'observer que les titulaires de ces produits ne sont pas mentionnés ni identifiés, ce qui en l'état ne permet nullement à la cour d'en déduire que Mme [F] veuve [R] en aurait été bénéficiaire, voire seule bénéficiaire ;
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Qu'ainsi, les deux seules opérations visées ci-dessus pour lesquelles Mme [F] veuve [R] est clairement identifiée comme l'unique bénéficiaire n'excèdent pas 37 000 euros, ce qui reste très inférieur à la part des ventes immobilières de juin et septembre 2017 qui lui revient en sa seule qualité de coïndivisaire ;
Que ce seul motif suffit à écarter toute absence de cause à l'enrichissement dénoncé par Mme [J] à l'encontre de sa mère, étant ajouté, à titre surabondant, que la qualité d'usufruitière de Mme [F] veuve [R] sur la totalité des biens meubles et immeubles de la succession de son défunt mari s'accommode difficilement de la qualification d'enrichissement sans cause, celle-ci résidant justement dans la qualité d'usufruitière de la partie intimée ;
Qu'en conséquence, la décision dont appel sera confirmée en ce qu'elle déboute Mme [J] de sa demande de rapport par sa mère de la somme de 51 252,35 euros à l'actif de la succession de son père pour motif d'enrichissement sans cause ;
- Sur la demande de constitution de garanties par Mme [F] veuve [R] en sa qualité de quasi-usufruitière :
Attendu que l'article 1094-3 du code civil dispose que les enfants ou descendants pourront, nonobstant toute stipulation contraire du disposant, exiger, quant aux biens soumis à l'usufruit, qu'il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu'état des immeubles, qu'il soit fait emploi des sommes et que les titres au porteur soient, au choix de l'usufruitier, convertis en titres nominatifs ou déposés chez un dépositaire agréé ;
Qu'en vertu de cet article, Mme [J] demande à la cour de condamner Mme [F] veuve [R] à procéder au placement ou à l'emploi des sommes de la succession dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ;
Que la partie intimée, qui reconnaît dans ses écritures qu'elle est quasi-usufruitière de l'ensemble des comptes et placements de son époux, de sorte qu'il lui appartiendra de restituer au nu-propriétaire, à la fin de l'usufruit, la somme dont elle aura bénéficié, s'oppose à la demande de constitution de garanties formée par sa fille, le montant somme toute modeste du quasi-usufruit (à ses dires de 17 000 euros) comme le montant de l'actif de succession dont elle ne peut disposer sans l'accord de sa fille devant conduire à rejeter cette prétention selon elle exorbitante de cette dernière, la partie intimée rappelant l'ampleur de ses charges et la faiblesse de ses revenus ;
Qu'il résulte des dispositions sus-rappelées qu'en présence de descendants, et à leur demande, l'article 1094-3 du code civil organise une protection de la réserve héréditaire en obligeant le conjoint survivant à employer les sommes d'argent relevant de l'actif successoral, cet article imposant un emploi absolu, au risque d'empêcher de facto tout quasi-usufruit, dénomination que prend tout usufruit lorsqu'il porte sur des choses consomptibles, dont on ne peut faire usage sans les consommer (monnaie, denrées, etc.) ;
Que le quasi-usufruitier est en effet tenu à une obligation d'usage de la chose «en bon père de famille» et il reste débiteur d'une obligation de restitution, ce que Mme [F] veuve [R] ne conteste pas au demeurant ;
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Que les divers arguments qu'elle oppose à sa fille pour voir écarter cette obligation légale d'emploi, à savoir des fonds objet de l'usufruit peu importants ou encore un actif immobilier qu'elle ne peut réaliser sans l'accord exprès de sa fille [L], sont sans emport sur l'obligation absolue rappelée à l'article énoncé ci-dessus, Mme [F] veuve [R] n'ayant pas argué ni moins encore justifié de ce que M. [S] [R] avait, dans la donation entre époux dont elle bénéficie aujourd'hui, stipulé en des termes contraires à cette obligation d'emploi du quasi-usufruitier ;
Qu'en outre, si l'obligation d'emploi est inapplicable en matière d'avantages matrimoniaux, elle ne l'est point en matière de donations, ce qui correspond bien à l'occurrence présente ;
Qu'en définitive, il sera fait droit à cette prétention de Mme [L] [J] à l'encontre de sa mère, précision étant cependant apportée que la débitrice de l'obligation d'emploi des liquidités de la succession de M. [S] [R] (ce qui s'entend de celles constatées au jour de l'ouverture de la succession, c'est-à-dire au décès de M. [R], le 12 mars 2018) devra en justifier à l'appelante dans le délai maximal de deux mois suivant la signification du présent arrêt, Mme [J] n'ayant par ailleurs pas exigé d'être associée à cette opération ;
Que la décision entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a débouté Mme [J] de cette prétention ;
- Sur la demande en dommages et intérêts de Mme [F] veuve [R] :
Attendu que l'issue de la présente instance au terme de laquelle Mme [J] obtient un gain même partiel de ses demandes suffit à ôter à son action toute connotation abusive de telle sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il déboute Mme [F] veuve [R] de sa demande indemnitaire en réparation de son préjudice moral ;
- Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Attendu que le sens du présent arrêt conduit à laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens d'appel comme de première instance, la décision entreprise étant en cela réformée ;
Qu'aucune considération d'équité ne commande de faire droit aux demandes respectivement explicitées par les parties au visa de l'article 700 du code de procédure civile, que ce soit à hauteur de cour ou en cause de première instance, le jugement déféré étant en cela confirmé ;
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Par ces motifs,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celle déboutant Mme [L] [R] épouse [J] de sa demande de constitution de garanties comme quasi-usufruitière par sa mère comme de celle relative aux dépens ;
Infirmant et prononçant à nouveau de ces seuls chefs,
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- Ordonne que Mme [C] [F] veuve [R] procède au placement ou à l'emploi des liquidités dépendant de l'actif de la succession de M. [S] [R], au jour de son ouverture, dans le délai maximal de deux mois à compter de la signification du présent arrêt ;
- Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens tant de première instance que d'appel ;
- Déboute Mme [L] [R] épouse [J] et Mme [C] [F] veuve [R] de leurs demandes d'indemnité pour frais irrépétibles en cause d'appel ;
- Constate que les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile n'ont pas vocation à s'appliquer en la cause.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT