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13/01/2023 | FRANCE | N°22/00267

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ère chambre sect.famille, 13 janvier 2023, 22/00267


N° RG : 22/00267

N° Portalis :

DBVQ-V-B7G-FD5Y



ARRÊT N°

du : 13 janvier 2023









A. L.

















M. [E] [N]



C/



Mme [C] [N]

épouse [O]



Mme [F] [K]



Mme [B] [K]





















Formule exécutoire le :



à :

Me Maylis Dumont

Me Fanny Quentin













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COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION II



ARRÊT DU 13 JANVIER 2023





APPELANT :

d'un jugement rendu le 17 décembre 2021 et d'un jugement rectificatif rendu le 31 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Reims (RG 17/02774)



M. [E] [N]

[Adresse 11]

[Localité 24]



Comparant et concluant par Me Maylis Dumont, avocat au barrea...

N° RG : 22/00267

N° Portalis :

DBVQ-V-B7G-FD5Y

ARRÊT N°

du : 13 janvier 2023

A. L.

M. [E] [N]

C/

Mme [C] [N]

épouse [O]

Mme [F] [K]

Mme [B] [K]

Formule exécutoire le :

à :

Me Maylis Dumont

Me Fanny Quentin

COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION II

ARRÊT DU 13 JANVIER 2023

APPELANT :

d'un jugement rendu le 17 décembre 2021 et d'un jugement rectificatif rendu le 31 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Reims (RG 17/02774)

M. [E] [N]

[Adresse 11]

[Localité 24]

Comparant et concluant par Me Maylis Dumont, avocat au barreau de Reims

INTIMÉES :

1°] - Mme [C] [N] épouse [O]

[Adresse 21]

[Localité 38]

2°] - Madame [F] [K]

[Adresse 27]

[Localité 18]

3°] - Mme [B] [K]

[Adresse 31]

[Localité 15]

Comparant et concluant par Me Fanny Quentin, avocat au barreau de Reims

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Pety, président de chambre

Mme Lefèvre, conseiller

Mme Magnard, conseiller

GREFFIER D'AUDIENCE :

Mme Roullet, greffier, lors des débats et du prononcé

DÉBATS :

À l'audience publique du 24 novembre 2022, le rapport entendu, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 janvier 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par M. Pety, président de chambre, et par Mme Roullet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

- 2 -

De l'union entre Mme [S] [P] et M. [Y] [N], tous deux agriculteurs viticulteurs, sont nés trois enfants : [C] [N] (épouse de M. [X] [O]), [W] [N] et [E] [N].

M. [Y] [N] est décédé en 1983 et Mme [S] [N] a consenti à son fils [E], également agriculteur viticulteur, différents baux à longs termes, notamment sur les parcelles de terre suivantes :

- parcelle de terre sise à [Localité 19] cadastrée section ZA n°[Cadastre 23] [Adresse 37],

- parcelle de terre sise à [Localité 20] cadastrée section YB n°[Cadastre 17] [Adresse 35],

- parcelle de terre sise à [Localité 24] cadastrée section V n°[Cadastre 6] [Adresse 36],

- parcelle de terre sise à [Localité 24] cadastrée section V n°[Cadastre 8] [Adresse 36],

- parcelle de terre sise à [Localité 24] cadastrée section V n°[Cadastre 9] [Adresse 36],

- parcelle de terre sise à [Localité 24] cadastrée section V n°[Cadastre 10] [Adresse 36],

- parcelle de terre sise à [Localité 24] cadastrée section ZI n°[Cadastre 12] [Adresse 33],

- parcelle de terre sise [Localité 24] cadastrée section ZI n°[Cadastre 13] [Adresse 33],

- parcelle de terre sise à [Localité 24] cadastrée section YA n°[Cadastre 16] [Adresse 34],

- parcelle de terre sise à [Localité 38] cadastrée section ZC n°[Cadastre 1] lieudit «[Adresse 30]»,

- parcelle de terre sise à [Localité 38] cadastrée section ZC n°[Cadastre 2] lieudit «[Adresse 30]»,

- parcelle de terre sise à [Localité 38] cadastrée section ZC n[Cadastre 3] lieudit «[Adresse 30]».

Le 7 janvier 2010, Mme [C] [O] a été désignée en qualité de tutrice de sa mère.

Mme [S] [N] est décédée le 24 novembre 2014, laissant pour lui succéder :

- Mme [C] [O],

- M. [E] [N],

- ses deux petites filles venant par représentation de leur mère, Mme [W] [N], prédécédée le 4 mars 2011, héritières pour un tiers : [F] et [B] [K].

L'acte de notoriété constatant cette dévolution successorale a été dressé le 23 janvier 2015 par Me [G], notaire à [Localité 40], et la déclaration de succession a été établie le 28 mai 2015.

Un partage partiel amiable avait été régularisé le 28 mai 2015. Toutefois, les relations entre les parties se sont dégradées, au point que ce partage n'a jamais été exécuté.

Par ordonnance sur incident rendue le 03 décembre 2019, le juge de la mise en état a ordonné à M. [E] [N] de produire l'intégralité de ses relevés de compte, en ce compris les livrets d'épargne pour les périodes

- 3 -

suivantes : année 1976 sauf janvier, année 1977 sauf janvier, mars 1982, septembre 1982, mars 1983, juin 1983, août 1983, octobre à décembre1983, année 1984, année 1985 sauf décembre, année 1986 sauf avril, année 1987, année 1988 sauf janvier, année 1989, année 1990, années 1991 à 1993, année 1994 sauf février, années 1995 à 1997, année 1998 sauf septembre, année 1999 à 2000, année 2001 sauf octobre, année 2002 sauf octobre, année 2003 à 2007, février 2008, année 2009 sauf janvier.

Le 6 octobre 2017 Mmes [O] et [K] ont fait assigner M. [E] [N] devant le tribunal de grande instance de Reims au visa des articles 815, 815-5, 815-9, 826 et 843 et suivants du code civil, aux fins de voir :

- ordonner l'ouverture des opérations de comptes liquidation partage de la succession de Mme [S] [N],

- désigner tel notaire qu'il plaira au tribunal nommer,

- condamner M. [E] [N] à rapporter à l'actif successoral la somme de 850 398,72 euros ainsi que la valeur vénale des biens immobiliers acquis par ce dernier avec les fonds reçus par la défunte,

à titre subsidiaire,

- condamner M. [E] [N] à rapporter à l'actif successoral la somme de 181 060,56 euros ainsi que la valeur vénale de la maison par lui acquise à [Localité 24], [Adresse 29], cadastrée section C n°[Cadastre 4] pour 6 a 69 ca et section C n°[Cadastre 5] pour 2 a 59 ca,

- débouter M. [E] [N] de sa demande de créance de salaire différé, ce dernier ne rapportant nullement la preuve qu'il a participé directement et effectivement à l'exploitation agricole et viticole familiale, à temps complet et sans être rémunéré,

- fixer à la somme de 100 euros par mois, à compter du 1er février 2016, l'indemnité d'occupation due par M. [E] [N] à l'indivision, en raison de son occupation privative du hangar et de la grange sis [Adresse 22] à [Localité 24],

- fixer à la somme de 300 euros par an à compter du décès de Mme [S] [N] l'indemnité d'occupation due par M. [E] [N] à l'indivision en raison de son occupation du hangar sis [Adresse 28] à [Localité 24],

- fixer dans l'actif successoral la valeur du hangar sis [Adresse 28] à [Localité 24] à la somme de 5 000 euros,

- ordonner la constitution de trois lots et le tirage au sort aux fins d'attribution entre les coindivisaires pour les parcelles contigües suivantes :

. parcelle de terre à [Adresse 39] section ZC n°[Cadastre 1],

. parcelle de terre à [Adresse 39] section ZC n°[Cadastre 2],

. parcelle de terre à [Adresse 39] section ZC n°[Cadastre 3],

. parcelle de terre à [Adresse 25] section V n°[Cadastre 6],

. parcelle de terre à [Adresse 25] section V n° [Cadastre 26],

. parcelle de terre à [Adresse 25] section V n° [Cadastre 9],

. parcelle de terre à [Adresse 25] section V n° [Cadastre 10],

- condamner M. [E] [N] à verser à chacune des requérantes la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée,

- condamner M. [E] [N] à verser à chacune des requérantes la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [E] [N] aux entiers dépens de l'instance.

- 4 -

Aux termes de ses dernières écritures, M. [E] [N] demande au tribunal, au visa des articles 815 et suivants du code civil, de :

- ordonner l'ouverture des opérations de comptes liquidation partage de la succession de sa mère,

- désigner tel notaire qu'il plaira au tribunal nommer,

- constater que M. [E] [N] a reçu de sa mère la somme totale de 78 241,41 euros entre le 20 janvier 1977 et le 4 février 1994,

- dire que M. [E] [N] devra rapporter à la succession la somme de 78 241,41 euros à l'exclusion de toute autre et à l'exclusion de son terrain,

- débouter Mmes [O] et [K] de leur demande tendant à ce que M. [E] [N] rapporte à la succession une somme de 850 398,72 euros

- constater que M. [E] [N] a, à compter du décès de son père en 1983 et jusqu'en 2009 inclus, participé directement et effectivement à l'exploitation familiale dirigée par sa mère, sans recevoir aucune rémunération de quelque nature qu'elle soit, ni être associé aux bénéfices ni aux pertes,

- dire que M. [E] [N] est légalement bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé et bénéficie d'une créance de salaire différé d'un montant de 139 082,70 euros, représentant la somme lui revenant à ce titre sur la durée légale maximale de 10 années,

- dire que cette somme sera prélevée en priorité sur la masse successorale,

- dire que M. [E] [N] a toujours réglé les loyers relatifs à la location de la grange et des deux hangars,

- en conséquence, débouter Mmes [O] et [K] de leur demande tendant à le condamner au paiement d'une indemnité d'occupation,

- vu l'acte de donation dont a bénéficié Mme [C] [O] le 29 janvier 1973, dire que la valeur à rapporter à la succession au titre de ladite donation sera actualisée à la date de l'ouverture de la succession,

- ordonner la licitation amiable sur la mise à prix de 280 000,00 euros de la maison sise [Adresse 7],

- ordonner la licitation amiable sur la mise à prix de 194 000.00 euros du terrain à bâtir sis à [Localité 38],

- attribuer à M. [E] [N] le hangar sis [Adresse 28] pour une valeur de 1 000 euros correspondant à la valeur de la terre agricole : 12 000.00 euros à l'hectare,

- dire que les parcelles de terre dénommées [Adresse 30] à [Localité 38] et [Adresse 30] à [Localité 24] seront divisées en trois lots égaux et qu'ils seront attribués aux héritiers par le biais d'un tirage au sort,

- dire que les parcelles de bois et taillis seront divisées en trois lots égaux et qu'ils seront attribués aux héritiers par le biais d'un tirage au sort,

- dire que la production par M. [E] [N] de ses relevés de compte entre 1976 et 2009, est impossible,

- en conséquence, dire que l'astreinte qui avait été mise à la charge de M. [E] [N] pour la production de ses relevés de compte ne pourra pas être liquidée,

- dire que M. [E] [N] n'a pas mis un frein aux opérations de liquidation de la succession de Mme [S] [N],

- en conséquence, débouter Mmes [O] et [K] de leur demande de dommages et intérêts à titre de préjudice moral,

- les condamner solidairement à lui régler une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi par lui du fait de leurs propos vexatoires,

- les débouter de l'intégralité de leurs autres demandes,

- les condamner solidairement à régler à M. [E] [N] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens.

- 5 -

Le jugement du 17 décembre 2021, assorti de l'exécution provisoire, a :

- ordonné l'ouverture des opérations de comptes liquidation partage de l'indivision successorale existant entre Mme [C] [O], M. [E] [N], Mmes [F] et [B] [K] du chef de Mme [S] [N] décédée le 24 novembre 2014,

- désigné à cette fin la SCP Jamann - Morel et Conreur-Martin, notaires à [Localité 19],

sous le contrôle de Mme Charline Rat, vice-présidente du tribunal,

- dit que le notaire devra dresser un état liquidatif qui établit les comptes entre les copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir, le cas échéant,

- dit qu'il appartiendra au notaire désigné d'actualiser les évaluations des biens meubles et immobiliers, à la demande éventuelle des parties, au jour du partage,

- dit que M. [N] doit rapporter à l'indivision successorale la somme de 78 244,95 euros,

- dit que Mme [C] [O] doit rapporter à l'indivision la valeur actualisée du terrain à bâtir sis [Adresse 32] à [Localité 38], cadastré section X n°[Cadastre 14], dans son état au jour de la donation, soit au 29 janvier 1973,

- débouté M. [E] [N] de sa demande d'attribution préférentielle du hangar sis «[Adresse 28]» à [Localité 24] et en a fixé la valeur à la somme de 5 000 euros,

- ordonné la licitation à la barre du tribunal de ce siège, sur le cahier des charges qui sera dressé et déposé au greffe par le notaire commis, des biens immobiliers suivants :

. [Adresse 7] à [Localité 24],

. terrain à bâtir sis [Localité 38],

sur une mise à prix à fixer par les parties sur la base d'évaluations actualisées,

- ordonné la constitution de trois lots et le tirage au sort aux fins d'attributions entre les coindivisaires des parcelles contigües suivantes :

. parcelle de terre à [Adresse 39] section ZC n°[Cadastre 1],

. parcelle de terre à [Adresse 39] section ZC n°[Cadastre 2],

. parcelle de terre à [Adresse 39] section ZC n°[Cadastre 3],

. parcelle de terre à [Adresse 25] section V n°[Cadastre 6],

. parcelle de terre à [Adresse 25] section V n° [Cadastre 26],

. parcelle de terre à [Adresse 25] section V n° [Cadastre 9],

. parcelle de terre à [Adresse 25] section V n° [Cadastre 10],

- fixé l'indemnité d'occupation due par M. [E] [N] à l'indivision au titre de l'occupation privative du hangar et de la grange sis [Adresse 7] à [Localité 24] à la somme de 100 euros par mois à compter du 1er février 2016,

- fixé l'indemnité d'occupation due par M. [E] [N] à l'indivision au titre de l'occupation privative du hangar sis [Adresse 28] à [Localité 24] à 300 euros par an à compter du décès de Mme [S] [N],

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de compte liquidation partage.

- 6 -

Un jugement rectificatif du 31 décembre 2021 a ajouté à cette décision, affectée d'une omission de statuer : «Condamne M. [E] [N] à rapporter à la succession la valeur au jour du partage du terrain et de la maison d'habitation sis à [Localité 24] cadastrés section C [Cadastre 4] et [Cadastre 5], mais dans leur état au jour de la donation, telle qu'évaluée par le notaire commis».

Le 17 février 2022, M. [E] [N] a fait appel du jugement en ses dispositions qui :

- le condamne à rapporter à la succession la valeur au jour du partage du terrain et de la maison d'habitation sis à [Localité 24] cadastrés section C [Cadastre 4] et [Cadastre 5], mais dans leur état au jour de la donation, telle qu'évaluée par le notaire commis,

- le déboute de sa demande d'attribution préférentielle du hangar et fixe la valeur du hangar à 5 000 euros,

- ordonne la licitation à la barre du tribunal des biens immobiliers suivants :

. [Adresse 7]

. terrain à bâtir à [Localité 38],

- le déboute du surplus de ses demandes et notamment de sa demande de salaire différé.

Par conclusions du 17 octobre 2022, M. [E] [N] demande à la cour, au visa des articles 815, 815-5, 815-9, 826, 831 et 843 et suivants du code civil et L.321-13 du code rural, de :

- dire qu'il n'aura pas à rapporter à la succession la valeur au jour du partage du terrain et de la maison d'habitation sis à [Localité 24] cadastrés section C [Cadastre 4] et [Cadastre 5], ces biens n'ayant fait l'objet d'aucune donation,

- attribuer à M. [E] [N] le hangar sis [Adresse 28],

- le lui attribuer pour la somme de 1 000 euros,

- constater que M. [E] [N] a, à compter du décès de son père en 1983 et jusqu'en 2009 inclus, participé directement et effectivement à l'exploitation familiale dirigée par sa mère, sans recevoir aucune rémunération de quelque nature qu'elle soit, ni être associé aux bénéfices ni aux pertes,

- dire qu'il bénéficie d'une créance de salaire différé d'un montant de 139 082,70 euros, somme lui revenant sur une durée légale maximale de 10 années,

- dire que cette somme sera prélevée en priorité sur la masse successorale,

- condamner solidairement Mmes [O] et [K] à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens.

Selon écritures du 28 juillet 2022, Mmes [O] et [K] concluent, au visa des articles 815, 815-5, 815-9, 826 et 843 et suivants du code civil, au débouté de l'appel partiel de M. [E] [N] et à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, à l'exception de la licitation du terrain à bâtir sis à [Localité 38] et de la maison sise [Adresse 7] à [Localité 24], lesdits biens ayant été vendus. Elles demandent le débouté de toutes autres prétentions adverses et la condamnation de M. [E] [N] à leur payer à chacune la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 novembre 2022.

- 7 -

Motifs de la décision :

Sur le rapport à la succession par M. [E] [N] de la valeur du terrain et de la maison d'habitation sis à [Localité 24], section C n°[Cadastre 4] et [Cadastre 5] :

M. [E] [N] a acquis le 2 septembre 1981 une maison sise à [Localité 24], cadastrée section CX n° [Cadastre 4] et [Cadastre 5], lieudit «[Adresse 29]», pour la somme de 200 000 F payée le jour-même par l'acquéreur par la comptabilité du notaire, avec la mention «le prix de vente est payé comptant en sa totalité des deniers personnels de l'acquéreur».

Or, sur l'année 1981, les relevés de compte bancaire de Mme [S] [N] font apparaître des virements ou chèques au profit de son fils pour un montant total de 180 200 F.

Cependant, M. [E] [N] fait valoir qu'il a payé sa maison grâce aux fruits de sa propre exploitation agricole, puis viticole, exploitation qui a débuté en 1979.

Mmes [O] et [K] observent qu'il est incapable de justifier de fonds perçus après le 31 octobre 1978 (il a lui-même établi une attestation à l'attention de la MSA le 18 août 2009, en présence de deux témoins, indiquant avoir travaillé pour l'exploitation agricole de son père M. [Y] [N] du 1er juillet 1974 au 30 mars 1976 et du 1er avril 1977 au 31 octobre 1978), que les fonds reçus de sa mère de 1976 à 1981 (soit 267 653 F) excèdent largement le salaire mensuel moyen d'un ouvrier agricole de l'époque et que la décision doit donc être confirmée en ce qu'elle ordonne le rapport à succession de la somme de 78 244,95 euros, correspondant à l'ensemble des sommes perçues par M. [E] [N] de sa mère entre le 20 janvier 1977 et le 4 février 1994, et de la valeur au jour du partage de la maison acquise à [Localité 24].

Il doit toutefois être relevé qu'un tel raisonnement prend en compte deux fois les versements de Mme [S] [N] au profit de son fils en 1981 : une première fois dans le total des versements dont il doit faire rapport à l'indivision successorale, pour 78 244,95 euros, et une seconde fois dans l'acquisition de l'immeuble de [Localité 24]. Par ailleurs, au 2 septembre 1981, il avait reçu de sa mère, depuis le 1er janvier 1981, une somme de 119 900 F, insuffisante pour payer le prix de l'immeuble (200 000 F), déjà versé dans la comptabilité du notaire.

M. [E] [N] communique, en pièce n° 26, un contrat de prêts de 366 560 F que lui a accordés la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Marne, de l'Aisne et des Ardennes, le 20 juillet 1984, pour la construction d'une maison d'habitation sur le terrain acheté en septembre 1981 (prêt conventionné de 317 000 F sur 240 mois et prêt épargne logement de 49 560 F sur 140 mois). Il communique également, en pièce n° 27, un contrat de prêt du 2 août 1984 de la même Caisse régionale de crédit agricole mutuel, d'un montant de 380 000 euros pour la construction de locaux professionnels. Ces emprunts, dont M. [E] [N] a tardé à justifier malgré les sommations adressées par les cohéritières, correspondent aux constructions effectuées après démolition de la maison qui se trouvait initialement sur la parcelle achetée en 1981. Il rappelle qu'il a toujours contesté avoir reçu de sa mère les fonds nécessaires à l'acquisition de la maison de [Localité 24].

- 8 -

Le cohéritier qui demande le rapport d'une libéralité doit établir l'avantage dont a bénéficié son cohéritier et l'intention libérale de la défunte. Or Mmes [O] et [K] n'établissent pas l'avantage dont aurait bénéficié M. [E] [N] pour acheter le terrain de [Localité 24], ni une intention libérale manifestée à ce sujet par Mme [S] [N].

En conséquence, la demande de rapport à la succession par M. [E] [N] de la valeur du terrain et de la maison d'habitation sis à [Localité 24] est rejetée et la décision combattue est réformée en ce sens.

Sur la demande de M. [E] [N] en attribution du hangar sis [Adresse 28], pour une valeur de 1 000 euros :

Mmes [O] et [K] ont demandé à voir fixer dans l'actif successoral la valeur du hangar sis [Adresse 28] à [Localité 24], pour un montant de 5 000 euros, sur la base d'une évaluation de l'agence immobilière «Richomme et associés» du 22 mai 2015 au prix de 5 500 euros, tandis que M. [E] [N] en sollicitait l'attribution préférentielle pour un montant de 1 000 euros.

Le tribunal, retenant que M. [E] [N] ne précisait pas le fondement de sa demande, ni la preuve des conditions nécessaires à la mise en oeuvre des articles 831 du code civil, a rejeté sa prétention.

Devant la cour, M. [E] [N] soutient qu'il remplit les conditions d'attribution préférentielle prévues par l'article 831 du code civil, dans la mesure où il utilise ce hangar pour entreposer du matériel destiné à ses activités agricole et viticole. Il verse en pièce n°38 une évaluation du hangar du 29 juin 2022 par le service immobilier d'un office notarial, qui l'estime entre 3 500 euros et 4 000 euros, compte tenu de sa situation géographique, de l'environnement direct et des améliorations et aménagements à prévoir. Dans les motifs de ses écritures, il demande donc l'attribution du hangar pour une valeur de 3 500 euros, mais dans leur dispositif, il a repris sa demande d'attribution pour 1 000 euros.

Mmes [O] et [K] concluent à la confirmation du jugement qui déboute M. [E] [N], et font valoir que la valeur du hangar atteint 5 000 euros, produisant en pièce n°190, l'estimation de 5 500 euros de l'agence Richomme.

Selon l'article 831-2 du code civil, «Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut également demander l'attribution préférentielle (...) 2° de la propriété ou du droit au bail du local à usage professionnel servant effectivement à l'exercice de sa profession et des objets mobiliers nécessaires à l'exercice de sa profession».

M. [E] [N], héritier copropriétaire, justifie avoir loué à la succession de sa mère le hangar situé [Adresse 28], pour 305 euros par an en 2020 et 2021(pièces n°32 et 33). Il produit plusieurs photographies de remorque, tracteur, engin agricole ou viticole occupant ce hangar, ainsi qu'une attestation du 20 mars 2022 de M. [Z] [M], viticulteur, agriculteur, qui dit se rendre régulièrement dans ce hangar loué par M. [E] [N] «pour prendre du matériel pour son exploitation agricole que je participe en l'aidant sur ses activités céréalières». M. [M] ajoute que M. [E] [N] stocke dans ce hangar ses bennes, charrue, semoir, bineuse.

- 9 -

Il s'ensuit que ce dernier est fondé à obtenir l'attribution préférentielle du hangar. La valeur doit en être fixée au jour de la jouissance divise, date la plus proche possible du partage. Eu égard aux documents versés par chaque partie, la valeur du hangar, situé sur la parcelle ZD [Cadastre 1] [Adresse 28] à [Localité 24], est fixée à la somme de 4 000 euros. Le jugement querellé est infirmé sur ce point.

Sur la demande de créance de salaire différé de M. [E] [N] :

L'article L.321-13 du code rural dispose :

«Les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers.

Le taux annuel du salaire sera égal, pour chacune des années de participation, à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2 080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur, soit au jour du partage consécutif au décès de l'exploitant, soit au plus tard à la date du règlement de la créance, si ce règlement intervient du vivant de l'exploitant».

M. [E] [N] formule une demande de salaire différé au titre de sa participation à l'exploitation familiale gérée par sa mère après le décès de son père en 1983, Mme [S] [N] ayant pris sa retraite en 1995. Par ailleurs, la période de travail concernée par la demande de M. [E] [N] n'est aucunement limitée du 24 novembre 1999 au 24 novembre 2009, comme l'indique le premier juge. Il suffit simplement que cette demande soit formée après le décès de l'exploitant et au cours du règlement de la succession. L'action en reconnaissance de la créance de salaire différé est soumise au droit commun de la prescription et se prescrit par cinq ans (article 2224 du code civil) à compter du décès de l'exploitant agricole, s'agissant d'une dette de la succession. L'action de M. [E] [N] ayant été engagée par écritures antérieures au 25 novembre 2019, selon le dossier de première instance, elle est recevable (sa mère est décédée le 24 novembre 2014), quelle que soit la période de travail non rémunéré au profit de l'exploitation de sa mère.

M. [E] [N] établit, par un relevé de ses activités professionnelles au titre de la MSA, au 11 octobre 2016, avoir été aide familial de 1974 à 1978, sauf pendant le service militaire effectué du 1er avril 1976 au 31 mars 1977, puis avoir été chef d'exploitation à compter du 1er janvier 1979 (sa pièce n° 5). Il produit une attestation de sa part, signée le 7 octobre 2009 et contresignée par deux témoins majeurs (MM. [A] [T] et [V] [I]), selon laquelle il a travaillé sur l'exploitation de son père, M. [Y] [N], du 1er juillet 1974 au 30 mars 1976 et du 1er avril 1977 au 31 octobre 1978.

En l'espèce, M. [E] [N] invoque son travail sur l'exploitation de sa mère à compter du décès de son père, le 30 décembre 1983, jusqu'à la retraite de sa mère, le 30 octobre 1995. Il verse aux débats plusieurs attestations rédigées par MM. [R], [U], [D] et [H], qui décrivent son travail de régisseur sur le domaine de sa mère : conducteur de

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tracteurs agricoles et viticoles, gestion des traitements phytosanitaires, engrais, livraison de champagne en Savoie, organisation des vendanges, gestion du personnel de Mme [S] [N], et ce du 1er janvier 1984 au 30 octobre 1995 (pièces n°20, 23, 24). M. [H] fait état de la livraison du champagne en Savoie sur trois jours deux fois par an, de transport des bouteilles de la coopérative jusqu'à la cave de Mme [S] [N], d'entretien des installations dans les vignes (piquets et fils à remettre), d'arrachage et plantation des plants, d'élimination des mauvaises herbes en utilisant une pompe à dos, de tous les travaux de sol avec enjambeur, du broyage et épandage d'engrais, du traitement en 10-12 passages par an dans chaque vigne, du rognage quatre fois par an et de toute l'organisation des vendanges, et ce du décès du père jusqu'à la retraite de Mme [S] [N] (pièce n° 30). Enfin, M. [E] [N] produit une attestation rédigée par lui le 24 janvier 2015 sur un formulaire MSA, par laquelle il indique avoir travaillé en qualité de membre de la famille (fils) du 1er janvier 1984 au 30 octobre 1995 sur l'exploitation de sa mère à [Localité 24], d'une superficie de 2 ha 07 de vignes (pièce n° 22).

Ces documents, précis et étayés, démontrent suffisamment que, du 1er janvier 1984 au 30 octobre 1995, M. [E] [N], âgé de plus de 18 ans depuis le 14 juin 1974, a participé directement et effectivement à l'exploitation de sa mère, sans être associé aux bénéfices, ni aux pertes, et sans recevoir de salaire en argent en contrepartie de cette collaboration, puisque toutes les sommes reçues de sa mère font l'objet d'un rapport à succession selon des dispositions du jugement du 17 décembre 2021 qui ne sont pas frappées d'appel.

Toutefois, dans la mesure où M. [E] [N] gérait dans le même temps sa propre exploitation, il doit être considéré comme ayant participé à hauteur de 33 % seulement à l'activité sur l'exploitation de sa mère, et donc comme bénéficiaire d'un salaire différé égal à 33 % du salaire prévu par l'article L.321-13 précité. Le jugement est à cet égard réformé.

Sur la licitation du terrain à bâtir situé à [Localité 38] et de la maison sise à [Adresse 7] :

Le jugement a ordonné la licitation de ces immeubles à la barre du tribunal. Or, le terrain a été vendu le 10 novembre 2020 et la maison a été cédée le 29 novembre 2021 par les consorts [N]-[K] à des tiers, selon actes reçus par Maître [X] [L], notaire associé, membre de la SELRL «Office notarial de [Localité 40]» (pièces n° 214 à 216). La décision combattue doit en conséquence être infirmée de ces chefs.

Sur les autres demandes :

M. [E] [N] est reconnu fondé en plusieurs de ses prétentions. Par suite, il convient de laisser à la charge de chaque partie les dépens d'appel par elles exposés, ce qui ne permet pas de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande de débouter Mmes [O] et [K], d'une part, et M. [E] [N], d'autre part, de leurs réclamations sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* * * *

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Par ces motifs,

- Infirme dans les limites de l'appel le jugement du 17 décembre 2021 ;

Statuant à nouveau,

- Déboute Mmes [O] et [K] de leur demande en condamnation de M. [E] [N] à rapporter à la succession la valeur au jour du partage du terrain et de la maison d'habitation sis à [Localité 24], cadastrés section C [Cadastre 4] et [Cadastre 5], dans leur état au jour de la donation ;

- Fait droit à la demande d'attribution préférentielle à M. [E] [N] du hangar sis [Adresse 28] à [Localité 24] et en fixe la valeur à la somme de 4 000 euros ;

- Dit que M. [E] [N] est bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé sur une durée légale de 10 années pour sa participation à l'exploitation de Mme [S] [N], mais à concurrence de 33 % seulement du salaire maximal prévu par l'article L.321-13 du code rural et de la pêche maritime ;

- Dit n'y avoir lieu d'ordonner la licitation à la barre du tribunal judiciaire de Reims des biens immobiliers suivants :

- maison située [Adresse 7],

- terrain à bâtir sis [Localité 38],

ces deux biens ayant été vendus respectivement les 29 novembre 2021 et 10 novembre 2020 ;

Y ajoutant,

- Déboute les parties de leurs prétentions respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Laisse à M. [E] [N] et à Mmes [O] et [K] la charge des dépens d'appel par eux exposés.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ère chambre sect.famille
Numéro d'arrêt : 22/00267
Date de la décision : 13/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-13;22.00267 ?
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